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Le site sacré de Tapu-tapu-ātea /Te Pō, vallée de Ō-po-ä

Date de soumission : 31/05/2010
Critères: (iii)(iv)(v)(vi)
Catégorie : Culturel
Soumis par :
Délégation permanente de la France auprès de l’UNESCO
Etat, province ou région :
Polynésie française, Archipel des Iles de la Société, Iles-Sous-Le-Vent, île de Raiatea, commune de Taputapuatea
Coordonnées S16 50 W151 21
Ref.: 5568
Avertissement

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Les noms des biens figurent dans la langue dans laquelle les Etats parties les ont soumis.

Description

Le site du marae Tapu-tapu-ātea (« sacrifices venus de loin ») est un ensemble cérémoniel majeur, localisé sur l'île de Ra'i-ātea. Cette dernière est connue pour être l'île sacrée de l'archipel des Iles de la Société. Elle se nommait auparavant Havai'i, un toponyme extrêmement important que l'on retrouve dans la plupart des archipels polynésiens.

Les Iles de la Société se situent au cœur de la Polynésie orientale, de ce qu'on appelle communément le « triangle polynésien », une immense aire géographique et culturelle du Pacifique qui s'étend, de Hawai'i au Nord, Rapa Nui à l'Est, et la Nouvelle-Zélande au Sud-ouest. Il s'agit d'une des dernières régions du globe qui fut atteinte par un peuple de navigateurs, les Polynésiens, partis de la Polynésie occidentale (Samoa, Tonga) il y a près de 1500 ans. Les différents archipels éloignés une fois peuplés, on sait par l'archéologie que des échanges inter-archipels sur de très longues distances eurent lieu durant plusieurs siècles, et s'amenuisèrent à partir du XVe siècle après J.-C.

À cette époque, les habitants de l'archipel de la Société ont connu des changements sociaux et politiques majeurs, dont toutes les traditions orales s'accordent à attribuer l'origine à l'île de Ra'i-ātea, dans la chefferie de Ō-po-ä. Ces transformations sont perceptibles par l'avènement de grandes lignées de chefs, hui ari'i, associées au développement du culte religieux du dieu Ta'aroa, puis du dieu 'Oro, dont le centre cérémoniel était centré à Tapu-tapu-ātea. Ces grands chefs étendirent par la suite leur influence non seulement sur l'ensemble des Iles de la Société, mais également sur les archipels éloignés : Iles Cook, Iles Australes, Tuamotu, et probablement jusqu'à Hawaii, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, au moment de l'arrivée des Européens dans l'archipel. C'est ainsi que des marae Tapu-tapu-ātea furent fondés sur ces îles, à partir du marae originel de Ō-po-ä.

Le site du marae Tapu-tapu-ātea était le centre de ce pouvoir politique et religieux, localisé au Sud-Est de l'île de Ra'i-ātea (« ciel où demeure la déesse Ätea »), dite l'île sacrée, ou « Hava'i'i nui » (« Havai'i la grande »), dans le district de Ō-po-ä. Il fut édifié en un lieu mythique nommé Te Pō ( « monde des ancêtres et des divinités »), royaume tapu ou sacré, demeure des dieux polynésiens. Te Pō est situé sur la Pointe Mata-hirā-i-te-ra'i « (La première effigie du marae exempte de souillure et dressée vers le ciel »), en face de la passe dans le récif, nommée Te Ava Mo'a la passe sacrée »).

Rappelons que les marae, véritables temples à ciel ouvert, étaient une composante majeure de la société tahitienne ancienne, étant rattaché à la fois à un titre, sa généalogie, et à un lieu, la terre. Il était dédié à un ancêtre divinisé, ou à l'un des nombreux dieux du panthéon polynésien. Ainsi était assuré le lien des vivants entre le monde du visible (Ao) et celui de l'invisible (). Ces monuments construits en basalte ou en corail servaient d'espaces sacrés. Ils rassemblent trois éléments essentiels, présents dans toute la Polynésie sous diverses formes : la cour, espace dégagé en général rectangulaire où se déroulaient les cérémonies, le ahu, plateforme et haut-lieu sacré, et des pierres dressées, où venaient s'incarner les dieux durant les cérémonies. La création d'un nouveau marae se faisait à partir d'une pierre d'un marae ancestral.

Le complexe archéologique proprement dit comprend plusieurs marae, dont le plus grand et le plus important était nommé Tapu-tapu-ātea.

La tradition orale de Ra'i-ātea dit que le dieu Ta'aroa, père des divinités polynésiennes et créateur de toutes choses, entra sur la terre par la vallée de Ō-po-ä pour créer Havai'i, patrie polynésienne ancestrale. Le marae Tapu-tapu-ātea aurait ainsi été fondé à partir du marae Vaeara'i (« pied céleste »), l'endroit où Ta'aroa aurait posé son pied en premier lieu. C'est ainsi que Ra'iātea était nommée Havai'i, patrie spirituelle reconnue des communautés polynésiennes de Hawai'i, des îles Cook jusqu'à Aotearoa Nouvelle-Zélande, et lieu commun de retour des âmes des Polynésiens après la mort.

A une époque plus récente, probablement à partir du XVIIe siècle, le marae Tapu-tapu-ātea fut dédié à l'un des fils du dieu Ta'aroa, 'Oro, divinité de la beauté, de la fertilité, et de la guerre. Le site devint également le centre rituel des Arioi, membres d'une confrérie adoratrice du dieu 'Oro. Les 'Arioi propagèrent le culte de 'Oro d'île en île à travers la Polynésie orientale, apportant avec eux de nouvelles valeurs et une nouvelle organisation socio-politique,

Ce marae mesure une soixantaine de mètres de long pour 45 mètres de large. A une extrémité, est construit le ahu, espace le plus sacré du marae, une large plateforme construite de grandes dalles de corail dressées, atteignant plus de trois mètres de hauteur. Il est accolé du petit marae de Hiro, l'ancêtre fondateur de la lignée des chefs de Ō-po-ā.

Parmi les autres monuments les plus importants, se trouve le marae Taura'a-a-tapu (« port sacré »), ou dit Hauviri (« Vent tourbillonnant »), le temple familial de la lignée des Tamatoa. Il renferme dans sa cour la grande pierre appelée Te-Papa-tea-o-Ruea (« Le rocher blanc de l'investiture ») qui aurait été apportée par Hiro pour marquer la fondation des ari'i (« chefs »), sur l'île de Ra'i-ātea. Elle servait à l'investiture des chefs. La terre voisine de Hititai renferme un marae et diverses plateformes en pierre. Ces marae étaient autrefois ombragés par des arbres sacrés, et occupés par de nombreuses constructions en bois, maisons pour les prêtres et pour conserver les objets du culte. Au total, six marae et plusieurs plateformes occupent la pointe, en bord de lagon.

L'ensemble du site est bien délimité par des éléments naturels du paysage, doués d'une symbolique importante : à l'Est, la crête de la colline Matarepeta (« Qui ressemble à la crête du coq »), qui se prolonge dans la mer par le rocher Te Tupa'i 'Ofa'i (« La pierre de sacrifice »), à l'Ouest par une falaise basaltique appelée Tui'a-mara-fea (« Bois dur destiné au sacrifice humain »). L'espace tapu (sacré) se prolongeait jusqu'après la passe.

Le site sacré s'inscrit dans la vallée de Ō-po-ä (« qui est entré dans le monde du Pö »), au fond de la baie To'ahiva (« rocher des chefs guerriers »), qui comprend des ensembles d'habitations et de marae, surplombés par la montagne Te-a'e-tapu (« Le battement de tambour sacré »), et par le mont Rohutu (« Résidence des âmes »), connus pour être le lieu de résidence des esprits défunts dans le .

L'ensemble de ces éléments paysagers constitutifs du bien, depuis les pics montagneux jusqu'à l'ouverture récifale, est déclamé sous la forme d'un paripari fenua (chant toponymique de glorification dédié à une chefferie à travers ses frontières naturelles) ou déclamation oratoire traditionnelle, transmise de génération en génération depuis des temps immémoriaux. Le paripari fenua unit de manière intrinsèque l'ensemble des éléments naturels au marae, pour en faire un paysage sacré unique et indivisible.

D'après les traditions, le site sacré de Taputapuātea/Te Pō, vallée de Ō-po-ä, fut le centre d'une alliance interinsulaire, unissant les chefferies des îles de la Société, Rarotonga (îles Cook), Rotuma (dans l'Ouest du Pacifique) ainsi que des communautés de Nouvelle-Zélande. C'est cette passe de Ō-po-ā que franchissaient jadis les grandes pirogues, entreprenant de longues traversées pour atteindre des îles aussi lointaines que Ao-tea-roa (« le pays au long nuage blanc », Nouvelle-Zélande), et Hawai'i (« la grande »). Depuis quelques années, les nouvelles pirogues traditionnelles empruntent à nouveau la passe de Ō-po-ä, rendant hommage à leurs ancêtres lors de cérémonies et de manifestations culturelles qui se déroulent sur le marae.

Justification de la Valeur Universelle Exceptionelle

Le site sacré de Tapu-tapu-ātea/Te Pō, vallée de Ō-po-ā, Ra'i-ātea est un exemple exceptionnel de paysage culturel sacré de la Polynésie orientale, où chaque élément naturel avait sa signification symbolique. Le site est caractérisé par des structures monumentales qui forment l'un des plus grands complexes de marae du monde polynésien. La renommée ancestrale de ce site illustre l'art de la navigation traditionnelle dans le triangle polynésien. Ces voyages interinsulaires qui ont perduré au cours des siècles, couvrent des milliers de kilomètres et attestent des extraordinaires qualités de navigateurs, de la hardiesse des marins Polynésiens, de leur connaissance des étoiles, des océans, des saisons et des conditions météorologiques.

Ce temple religieux réputé était le symbole de la suprématie cérémonielle et politique de la chefferie, qui caractérise l'organisation sociale tahitienne à l'époque pré-européenne, marquée par une haute stratification sociale et politique, et qui influa sur le destin de sociétés des archipels voisins.

Tapu-tapu-ātea était considéré comme l'unique marae « international », ce qui signifie que son prestige dépassait l'île et l'archipel des Iles de la Société. En effet, le district de Ō-po-ä et son marae Taputapuātea étaient le centre d'une alliance interinsulaire nommée « Hau faatau aroha », ou « Chefferies nouant des alliances ». Cette coalition réunissait deux groupes d'îles : la côte Est de Ra'iatea, dont 'Ō-po-ā, la Presqu'île de Huahine et Tahiti notamment appartenaient à l'alliance des « mondes sombres » (Te-ao-uri), tandis que la côte ouest de Ra'i-ātea, les autres îles de la Société ainsi que Rarotonga (îles Cook), Rotuma et Aotearoa-Nouvelle-Zélande, relevaient de l'alliance des « mondes clairs » (Te-ao-tea). Les représentants de ces îles se rassemblaient à Ō-po-ā à l'occasion de manifestations périodiques, fixées selon le calendrier traditionnel basé sur les astres et les saisons.     

Même si les anciennes pratiques religieuses n'ont pas subsisté jusqu'à aujourd'hui, des communautés du triangle polynésien ont maintenu, ou ont retrouvé un lien spirituel fort avec le site de Tapu-tapu-ātea/Te Pō. Ce phénomène est à l'origine de grands rassemblements sur le site, qui renforcent les liens historiques et culturels entre les communautés polynésiennes.

Ainsi, le site du marae Tapu-tapu-ātea/Te Pō est un exemple exceptionnel de paysage culturel sacré. Au sein du triangle polynésien, il est unique de par son rôle de marae « international », qui lie encore aujourd'hui les différentes communautés polynésiennes.

 Critères remplis :

(iii) D'après les traditions orales, le site sacré Tapu-tapu-ātea / Te Pō devint un puissant centre politico-religieux consacré au culte de 'Oro, dieu de la guerre et de la fertilité. Il était aussi le centre rituel de la société 'Arioi adoratrice du dieu 'Oro, une forme profane du culte de ce dieu, confrérie composée de prêtres, de guerriers, d'artistes, de danseurs, de musiciens, qui se déplaçaient en flottes de pirogues pour divertir les habitants des districts et des îles avoisinantes, et prendre part à de fastes cérémonies religieuses. Les 'Arioi portaient ainsi les effigies du dieu 'Oro et des pierres provenant du grand marae Tapu-tapu-ātea de Ō-po-ä, propageant son culte d'île en île.

D'après le témoignage des traditions d'autres archipels, îles Australes et îles Cook notamment, ces nouveaux arrivants ont ainsi provoqué la transformation des cultes et des organisations sociales locales, sur le modèle de Ō-po-ä.

C'est ainsi que nous retrouvons plusieurs marae Tapu-tapu-ātea à Tahiti et Mo'orea, mais aussi à Fakarava (Tuamotu), Tubuai (Australes), Rarotonga (Cook),  et peut-être O'ahu et Moloka'i (Hawai'i). On retrouve aussi, à Aotearoa-Nouvelle-Zélande, différents hauts-lieux culturels (Eglise Ōtaki, Kawhia, etc.) où des pierres du site Tapu-tapu-ātea auraient été placées par les anciens navigateurs. Le site du parc national Tongariro a été inscrit au patrimoine mondial. Sa propriété remontait, jadis, jusqu'au prêtre Ngatoroirangi, venu depuis Ra'i-ātea à bord de la pirogue Te Arawa. Ce site recèle dès lors un lien généalogique avec le site de Tapu-tapu-ātea/Te Pō. Les communautés autochtones de ces deux sites ont depuis renoué ce lien.

Dans un archipel aussi éloigné que Hawai'i, on trouve trois heiau (temples hawaiiens) nommés Kapukapuakea, sur les îles de O'ahu, Kaua'i et Moloka'i.                                                                   

L'importance du site Tapu-tapu-ātea comme symbole de l'origine des changements politiques et religieux qu'ont connu ces sociétés polynésiennes au cours de leur histoire, est ainsi perceptible dans la transmission du nom du marae à d'autres sites régionaux, ainsi que dans les récits de traditions orales.

 (iv) Le marae Tapu-tapu-ātea/Te Pō de Ō-po-ā était reconnu à la fin du XVIIIe siècle comme le plus ancien des marae royaux des îles de la Société. Il est également emblématique de l'architecture monumentale des îles de la Société à la période protohistorique. Ce marae est exceptionnel par sa monumentalité, l'utilisation de grandes dalles de calcaire corallien taillées dans le récif. Et il est fort possible que sa renommée ait influencé la construction de nouveaux marae sur ce modèle dans les Iles de la Société.

Le site du marae Tapu-tapu-ātea s'inscrit dans un système de représentations anciennes spécifiques à la Polynésie orientale, dans lequel la cosmogonie et les éléments naturels tiennent un rôle essentiel. Le rapport des Polynésiens à leur environnement s'exprimait notamment dans les paripari fenua, qui répertoriaient et glorifiaient les limites naturelles du territoire : la passe, ouverture vers l'océan et lieu de passage sacré, la pointe où se trouve le marae, avancée naturelle de la terre sur la mer, la montagne Temehani, lieu de départ des âmes défuntes vers le ...

L'implantation même du marae aurait obéi à une orientation définie à partir des axes stellaires ou solaire : son ahu (sa plateforme sacrée) est orienté selon un axe est-ouest, si bien que le jour se lève derrière celui-ci.

(v) Chez ces sociétés polynésiennes éparpillées à travers l'océan Pacifique, la mer avait une grande importance symbolique et religieuse. Ces îles qui avaient été découvertes et peuplées par voie de mer, ont maintenu des contacts entre elles, parfois sur de très longues distances, grâce à une maîtrise exceptionnelle de la navigation traditionnelle sans instruments Les navigateurs suivaient les chemins d'étoiles ('avei'a), lisaient dans les constellations la route à suivre, interprétaient les changements de houles, des courants et la position du soleil afin d'arriver à leur destination. A l'époque des Alliances de chefferies Hau fa'atau aroha, le grand marae Tapu-tapu-ātea était une destination privilégiée des circuits de navigation au sein du triangle polynésien. 

Les déplacements interinsulaires se faisaient sur de grandes pirogues, dont la construction était strictement réglementée par des rituels religieux, et qui étaient entreposées à proximité du marae. L'importance de la pirogue (va'a) se retrouve dans l'analogie faite entre la pirogue et le marae. Ainsi le marae peut être considéré comme la représentation de la pirogue tirée à terre, une fois arrivée à sa destination finale. Des termes désignant les différentes parties du marae se rapportent au vocabulaire de la pirogue (tira, ava'a, to'o...). Les to'o (effigies de dieux en particulier de 'Oro), étaient conservés dans des « maisons des dieux », constructions sur pilotis dont le toit avait la forme d'une pirogue renversée. L'océan lui-même était considéré comme le marae le plus vaste, où les voyageurs pouvaient rendre leur culte à leurs ancêtres lorsqu'ils étaient loin de leur marae familial.

Ainsi les marae constituent, dans la culture polynésienne, l'un des exemples les plus éminents d'une utilisation traditionnelle de leur territoire, de la mer et de leurs îles.

(vi) Le site de Tapu-tapu-ātea /Te Pō est devenu un lieu majeur de l'expression de l'identité polynésienne, où se réunissent régulièrement des représentants culturels des îles du triangle polynésien, dont les ancêtres seraient partis de l'île Havai'i Nui pour peupler d'autres îles éloignées comme l'archipel de Hawai'i ou encore la Nouvelle Zélande.

Suite à la christianisation, le marae Tapu-tapu-ātea a perdu sa fonction religieuse, mais il a conservé son aura de mana (pouvoir spirituel). Son rôle spirituel se manifeste en tant que symbole d'origine commune, pour des communautés polynésiennes aujourd'hui séparées par des frontières. Ce lieu de resourcement spirituel et identitaire est fréquenté par des personnalités politiques et culturelles régionales, heureuses de retrouver leurs racines, et désireuses de se réapproprier les liens anciens qui existaient entre ces peuples dispersés sur l'océan. Le rôle spirituel, identitaire et culturel du marae Tapu-tapu-ātea au sein du monde océanien est de ce point de vue exceptionnel.

Au niveau local, le marae Tapu-tapu-ātea a conservé une très grande importance symbolique pour les habitants de l'île et de l'archipel des Iles de la Société. Devenu lieu touristique incontournable de l'île, il représente avant tout un véritable enjeu culturel et patrimonial pour la population de l'île. Pour exemple, la commune de Taputapuatea, de l'île de Raiatea, a pris et a conservé le nom du marae jusqu'à ce jour.

Déclarations d’authenticité et/ou d’intégrité

Le complexe sacré de Tapu-tapu-ātea a été observé et décrit lors de son apogée par les premiers Européens, à la fin du XVIIIe siècle. Il a été étudié par l'archéologue K.P. Emory en 1920, qui a également réalisé le recueil des traditions orales et des généalogies auprès des anciens de l'île. On connaît ainsi précisément son état originel. Il a fait l'objet de fouilles archéologiques et d'une première restauration dans les années 1960, suivie d'une deuxième campagne de restauration en 1994. À ces études, des traditions orales, puta tupuna (livre des ancêtres) et divers récits datant des XVIIIe, XIXe et XXe siècles, viennent compléter nos connaissances sur ce site.

Le marae Tapu-tapu-ātea a été classé en 1952 au titre des Monuments Historiques et naturels, il est donc protégé par la réglementation de Polynésie française. Le classement, ainsi que le respect qu'inspire le site, ont permis sa bonne conservation jusqu'à nos jours.

Ce grand site est actuellement sous la responsabilité directe du gouvernement de Polynésie française, et sa Direction des affaires foncières. Il est géré par le Service de la culture et du patrimoine. Un plan de gestion concernant la totalité du bien, comprenant le site sacré de Tapu-tapu-ātea/Te Pō jusqu'au récif, et la vallée de Ō-po-ā, sera mise en place, en liaison étroite avec les habitants de la commune de Taputapuatea. Pour cela, un « comité de gestion » du site Tapu-tapu-ātea/Te Pō a été mis en place en 2009, conformément aux lignes directrices du Plan d'Action Pacifique 2010-2015 de l'UNESCO. Ce comité de gestion rassemble la municipalité, les descendants de la grande lignée des Tamatoa, les représentants de la société civile, et les associations locales culturelles et de protection de l'environnement.

Aujourd'hui, une association culturelle locale « Nā Papa e Va'u » (« Les Huit Pierres de Fondation »), est composée en quasi-majorité de la population locale de Ō-po-ä. Elle a été créée spécialement  pour la préservation du site Tapu-tapu-ātea/Te Pō, et porte le projet d'inscription à la liste du patrimoine mondial depuis 2006. Elle s'assure de l'implication de la communauté locale.

Comparaison avec d’autres biens similaires

Il subsiste des milliers de marae en Polynésie française, aux Iles Cook et, sous autres désignations et d'autres formes, des structures religieuses à Hawai'i, en Nouvelle-Zélande et jusqu'à l'Ile de Pâques. Aucun n'a aujourd'hui la renommée du site de Tapu-tapu-ātea.

Le parc national de Rapa Nui, inscrit au patrimoine mondial, est mondialement connu pour  ses ensembles architecturaux impressionnants de monuments (ahu) et de statues de pierres (moai), qui représentaient les ancêtres illustres. Toutefois ces monuments avaient été abandonnés de longue date au moment du contact avec l'Occident. Les cultes anciens avaient été remplacés par un nouvel ordre social et politique, basé sur le culte de l'homme-oiseau. L'isolement géographique extrême de l'île de Pâques, la dégradation du climat et de l'environnement ont été un des facteurs de fragilisation de la société pascuane qui a vu disparaître l'association entre les ahu et les généalogies. Au XIXe siècle, la dépopulation dramatique, les déportations de presque tous les habitants de l'île ont causé l'oubli d'une grande partie des traditions anciennes. En revanche, à Ra'iatea et à Tapu-tapu-ātea/Te Pō, le site et les généalogies qui lui sont liées ont été préservés, l'empêchant de sombrer dans l'oubli.

Le sanctuaire marin de Papahanaumokuakea à Hawai'i, inscrit récemment en bien mixte sur la liste du patrimoine mondial, et le site sacré de Taputapuātea présentent des points communs dans la survivance des croyances et des traditions culturelles, et au regard de l'importance qu'ils ont pris dans l'art ancestral de la navigation traditionnelle. Tout comme à Tapu-tapu-ātea/Te Po, les monuments religieux de l'île sacrée de Mokumanamana ont été implantés afin de suivre les configurations astronomiques, les pierres dressées étant alignées sur l'axe du soleil au solstice d'été.

Le Parc National des Volcans de Hawai'i, sur la grande île de Hilo, où se dresse le cratère en activité du mont Kīlauea est traditionnellement connu pour être la dernière demeure de la déesse du feu Pele (ou Pere). Cette déesse était originaire des Îles de la Société. La légende de son voyage mythique s'étend jusqu'à Rotorua et Taupö (Aotearoa-Nouvelle-Zélande), en passant notamment par l'île de Fakarava dans l'archipel des Tuamotu (où se trouve également un marae Taputapuatea). Ce site, déjà inscrit au Patrimoine Mondial, associé à une série de sites culturels aux îles Cook, étudie la possibilité de proposer  une inscription sérielle transnationale, en la matière qui pourrait associer le  site de Tapu-tapu-ātea/Te Pō.

Sur la liste du Patrimoine Mondial, 60 sites sont actuellement inscrits en tant que paysages culturels. Le site de Tapu-tapu-ātea/Te Pō est un paysage culturel sacré, un exemple exceptionnel de la symbiose entre l'homme Polynésien et son environnement.

Ainsi, les Forêts sacrées de Kayas du peuple Mijikenda au Kenya comprennent onze lieux forestiers distincts, et recèlent les vestiges de nombreux villages fortifiés. Ces forêts étaient occupées par les Mijikenda jusque dans les années 1940. Au cours de cette occupation, les tribus coexistaient de manière harmonieuse au travers de traditions et de pratiques culturelles liées au milieu forestier. Aujourd'hui, les Kayas sont révérés en tant que lieu conservatoire des croyances spirituelles du peuple Mijikenda, et sont considérés comme les demeures sacrées des ancêtres. Ils sont devenus un élément caractéristique de l'identité Mijikenda.

Le site sacré Tapu-tapu-ātea/Te Pō et les Forêts sacrées de Kayas des Mijikenda offrent tous deux un témoignage exceptionnel d'une tradition culturelle vivante liée à un paysage sacré.

Le site de Tapu-tapu-ātea/Te Pō représente aussi des échanges d'influences sur une aire géographique d'une importance considérable, s'étendant dans le Pacifique oriental.

La Montagne sacrée de Sulaiman-Too au Kirghizistan est un paysage culturel sacré. Elle domine la vallée du Fergana, et forme l'arrière-plan de la ville d'Osh, au croisement d'importantes routes de la soie en Asie centrale. Pendant plus de 1500 ans, la montagne représentait à la fois un point de repère pour les voyageurs et un endroit sacré abritant de nombreux lieux de culte et des grottes ornées de pétroglyphes. Plus tardivement, elle vit la construction de deux mosquées.

Le site de Tapu-tapu-ātea/Te Pō tout comme la Montagne sacrée de Sulaiman-Too, offre un témoignage exceptionnel d'une tradition culturelle insérée dans un milieu géographique très vaste, en l'occurrence l'océan Pacifique orientale. La forme spectaculaire de Sulaiman-Too renforce l'image d'une montagne sacrée d'Asie centrale dominant la plaine environnante. De la même façon, le paysage de la vallée de Ō-po-ä, ses montagnes dominantes et notamment le lieu du où allaient les âmes défuntes des Iles la Société, tous ces éléments naturels et sacrés, participent à la sacralité et à la majesté des lieux qui entourent le site de Tapu-tapu-ātea/Te Pō.

Outre la sacralité du paysage, valeur commune aux trois sites, Tapu-tapu-ātea/Te Pō offre une caractéristique supplémentaire à travers la monumentalité de l'architecture de ses temples.

Ce site sacré constitue un exemple exceptionnel d'une architecture lithique qui, à l'instar de sites célèbres tels que les cercles cérémoniels de Stonehenge en Grande-Bretagne, montre la vitalité et l'ingéniosité des humains à édifier de véritables monuments dédiés aux dieux et à la gloire de leur chefferie.

La candidature Tapu-tapu-ātea/Te Pō qui met en évidence la valeur collective et identitaire des marae ne pourra qu'aider à conforter d'autres candidatures de la zone pacifique, telles que celles des îles Marquises ou des îles Cook, particulièrement concernées par cette thématique.