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Zabta Khan Shinwari : S'il est une attitude contraire à l'éthique, c'est bien celle de faire fi de la science

30 Octobre 2015

La biotechnologie peut contribuer à réduire la souffrance, la maladie, la faim et la pauvreté dans le monde si la volonté politique est au rendez-vous – estime le scientifique pakistanais Zabta Khan Shinwari, lauréat du Prix UNESCO Avicenne d’éthique scientifique 2015, qui lui est remis au siège de l'UNESCO, le 4 novembre 2015, à 19h30, Salle IX.

Mais la biotechnologie peut aussi avoir un impact négatif sur l'environnement et l'avenir de la biodiversité. Selon cet éminent spécialiste en biotechnologie végétale et ethnobotanique, les scientifiques ne sont pas encore suffisamment avertis des règlements nationaux et internationaux en matière de biosécurité. Interview avec Zabta Khan Shinwari.

Quelle importance revêt pour vous le Prix UNESCO Avicenne ?

C’est un véritable honneur d’être désigné lauréat du Prix UNESCO Avicenne d'éthique scientifique 2015. C’est un honneur non seulement pour moi et pour mon pays, mais aussi pour tous ceux qui, à travers le monde, doivent faire face à des environnements hostiles, sans jamais se compromettre. Certes, il nous est impossible d’affronter physiquement le bioterrorisme. Mais nous pouvons former les jeunes générations à respecter les principes éthiques qui feront d’eux les porte-étendards de la paix, de la sécurité et de la tranquillité.

Quels sont les principaux défis éthiques de la biotechnologie aujourd'hui?

L'éthique prend une place de plus en plus prépondérante à notre époque, qu'il s'agisse de bioéthique ou d’éthique appliquée, d’éthique environnementale et médicale ou d’éthique de la recherche. Les défis sont nombreux, en matière de biotechnologie. Celle-ci doit, d'une part, jouer son rôle dans la réduction de la pauvreté et dans le soulagement des souffrances humaines, mais, d'autre part, elle peut avoir des incidences nuisibles, qui méritent réflexion, sur l'environnement et sur l'avenir de la biodiversité.

Grâce aux innovations scientifiques de nouveaux médicaments et de nouvelles techniques de diagnostic sont constamment mis au point, mais il faut être vigilent sur l'usage qu'on en fait : éviter que seule une petite tranche de la société en bénéficie et veiller à ne pas compromettre les Droits de l'Homme. Si d'un côté, la transplantation d'organes sauve de plus en plus de vies, elle a ouvert, d'un autre côté, la voie à un odieux trafic d'organes, dont les communautés pauvres et marginalisées sont les principales victimes.  

Dans le domaine de l'éthique médicale, le caractère sacré de la vie humaine, notre pouvoir de mettre fin à la vie, d'améliorer la vie ou d'interférer avec les processus de la vie sont autant de défis à relever.

Et d'une manière générale, quelles sont les préoccupations éthiques majeures des scientifiques aujourd'hui?

Je voudrais évoquer en premier lieu l'obligation des scientifiques d’honorer la confiance que leurs collègues placent en eux : ils forment les prochaines générations dont le travail se fondera sur les découvertes de la recherche actuelle. Ensuite, les scientifiques ont une responsabilité vis-à-vis d'eux-mêmes car un comportement irresponsable dans leur recherche peut les empêcher à atteindre l'objectif qu'ils se sont fixé.

Les scientifiques ont également l'obligation d'agir de manière à servir l'intérêt public et à éviter toute conséquence préjudiciable. À cet égard, je tiens à souligner qu'à l'ère des nouvelles technologies qui est la nôtre, où de nouveaux agents pathogènes ne cessent d'apparaître, les lois ou normes sociales en vigueur peuvent ne plus correspondre aux réelles exigences éthiques. Les scientifiques doivent constamment s'assurer que les standards qu'ils appliquent sont raisonnables et bien fondés.

Les scientifiques doivent se conformer d’avantage à l’éthique téléologique, selon laquelle la moralité d'une action dépend de ses conséquences.

C'est pourquoi il est impératif que les scientifiques présentent leurs inventions aux pairs et à la société de telle sorte qu'aucun préjudice n'en découle ni aujourd’hui, ni demain, ni accidentellement, ni intentionnellement. De plus, en raison du progrès fulgurant des technologies de l'information et des communications, ils doivent être encore plus vigilants et plus conscients des risques de falsifications, de contrevérités et de plagiats.

Par conséquent, les scientifiques doivent non seulement détecter et anticiper les imprévus ou les effets indésirables, mais aussi informer les parties intéressées, y compris les responsables politiques, des menaces potentielles du double usage des sciences.

A quoi se réfère le terme «double usage» des sciences?

Dans le domaine scientifique, ce terme peut faire référence à l'usage civil et militaire et/ou au bon et mauvais usage de la science. Comme je viens de le souligner, à l'ère de la biotechnologie, déclarer qu'une action est bonne ou mauvaise, dépend parfois de son résultat

En raison du risque d'un usage abusif de la science, nous, les chercheurs, devons connaître les droits des individus et des populations, et avoir un sens développé de la responsabilité à l'égard du monde entier. Nous devons définir des règles ou des lignes directrices qui nous permettraient de prévenir les dommages et d'éviter ou minimiser les risques du double usage de la science. Nous devons être particulièrement attentifs aux domaines de recherche où nous manquons de prédictions précises et fiables.

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© FAO

Comment l'éducation au double usage de la science et à la biosécurité au Pakistan, contribue-t-elle à la promotion de l'éthique de la science et de la technologie?

Les biotechnologies de pointe sont sujettes à des applications dangereuses. À mesure que la « Révolution verte » fait place à la « Révolution génétique », nous devons adopter une attitude de plus en plus prudente. C'est la raison pour laquelle il est extrêmement important de sensibiliser à cette question la jeune génération de scientifiques partout dans le monde, y compris au Pakistan.

Nous, les scientifiques, avons l'obligation d’assurer le mentorat des nouvelles générations de scientifiques pour qu’elles agissent de façon responsable non seulement envers les humains, mais aussi vis-à-vis de l'écosystème et de l'environnement.

Le Pakistan, en tant que puissance nucléaire, est confronté à de nombreux défis en matière de biosécurité. Par conséquent, nous devons être très vigilants pour nous assurer que nos laboratoires ou ressources humaines ne causent aucun préjudice à l'humanité.  Cependant, les enquêtes menées jusqu'ici ont révélé que non seulement au Pakistan, mais également dans de nombreux autres pays, les scientifiques ne sont pas suffisamment avertis des règlements nationaux et internationaux en matière de biosécurité.

Quel est votre rôle dans le Programme international de sensibilisation au problème du double usage des sciences?

Dans le cadre du « Dual Use Education Bio-engagement program », j'ai été chargé de la promotion de la « conduite responsable de la science » (CRS). Elle est définie comme une « pratique fiable et intègre de l'exploration scientifique » et implique la connaissance et l'application des normes professionnelles et éthiques établies dans les activités exercées par la communauté scientifique.

La sensibilisation de la communauté scientifique aux questions du double usage est un élément pédagogique crucial. Nous avons lancé de nombreuses activités pour accroître les connaissances des scientifiques sur la bioéthique, la biosécurité et la conduite responsable de la recherche.

Dans la première phase, nous avons analysé les lacunes, puis avons ciblé des programmes de sensibilisation destinés aux différents groupes, allant des étudiants aux jeunes chercheurs, des professeurs aux décideurs politiques.

Comment la biotechnologie peut-elle diminuer les inégalités existantes entre les pays et à l'intérieur des pays?

Certes, l'idée que la biotechnologie est en faveur des pays riches et des multinationales, est très répandue, car ce sont elles qui ont accès aux technologies coûteuses et détiennent le monopole sur le matériel génétique. Pourtant, je suis d'avis que, si la volonté politique était au rendez-vous, la biotechnologie pourrait efficacement contribuer à réduire la souffrance, la maladie, la faim et la pauvreté, partout dans le monde.

« Maximiser le bien-être et minimiser le mal-être de l'humanité » - c'est ainsi que je formule la devise de la recherche en biotechnologie. Et je suis convaincu que s'il est une attitude contraire à l'éthique, c'est bien celle faire fi de la science.

Pour adopter cette technologie à grande échelle, nous devons surmonter des obstacles qui sont en grande partie de nature politique. Nous devons trouver un terrain d'entente entre bioéthiciens, biotechnologistes, militants politiques, ONG et autres acteurs.

Je l'ai personnellement travaillé sur les stress abiotiques (comme la sécheresse, le froid et l'excès de sel) et j'ai découvert une famille de gènes, DREB, favorisant le développement de la tolérance aux stress abiotiques extrêmes. Les pays à faible revenu sont confrontés à des conditions climatiques difficiles et le recours à cette technologie leur sera bénéfique.

La biotechnologie est capable non seulement d'améliorer la productivité agricole, ainsi que sa qualité (produits alimentaires d'origine végétale plus sains et plus nutritifs), mais elle peut aussi aider à concevoir de nouveaux outils diagnostiques, des médicaments bon marché pour les maladies dites « incurables », des vaccins comestibles. Ces apports stimuleront la prospérité économique et contribueront à la réduction de la faim et de la pauvreté.

Ainsi, la biotechnologie peut fournir non seulement un matériel génétique innovant aux agriculteurs, mais aussi aider à renforcer le système de soins de santé traditionnels, par exemple, en améliorant l'efficacité des plantes médicinales.

En tant que spécialiste d'ethnobotanique, que pensez-vous du recours aux connaissances traditionnelles sur les plantes?

L'ethnobotanique est une science pluridisciplinaire - englobant la botanique, l’anthropologie, l’économie et la linguistique - qui étudie les rapports qu’une société entretient avec son environnement et en particulier avec le monde végétal. Ces relations peuvent être d'ordre social, économique, symbolique, religieux, rituel, commercial ou artistique.

J’ai vu beaucoup de personnes malades qui ont surmontés leurs maladies grâce aux plantes médicinales indigènes ou aux traitements basés sur des connaissances traditionnelles. Je me soigne personnellement avec des herbes, et j’ai obtenu de bons résultats à partir de plantes telles que Fagonia indica, Aloe vera, Rosa demacina, etc.

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© FAO

Lorsque je travaillais sur mon doctorat, j’ai parcouru les montagnes pour ramasser des plantes nécessaires à mes recherches. Je suis tombé sur espèce urticante, Urtica dioica, qui, lorsque vous la touchez, vous fait l'effet d'une morsure de scorpion. Je ne savais pas que faire, mais un garçon est venu m'aider et m'a dit de me frotter avec une autre plante, Rumex hestatus. Très vite, c'en était fini de la douleur ! Une autre fois, j'étais dans le Kohistan, au nord du Pakistan, et je souffrais d'un empoisonnement alimentaire. J'étais désemparé dans ma tente, dans la montagne, loin de tout service médical. Une dame âgée m'a apporté un mélange de thym et de menthe qui a très rapidement effacé la douleur. Depuis lors, je suis enclin à penser qu'être alphabétisé ne signifie pas systématiquement être instruit. Ce garçon et la cette dame, bien qu'illettrés, étaient plus instruits que moi en matière de savoirs traditionnels.

Vous avez fait d'importants efforts pour aider les femmes et les filles, notamment des communautés autochtones, à bénéficier des connaissances scientifiques. Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?

En effet, je me suis efforcé de donner aux femmes les moyens de faire valoir leurs droits. En 2004, lorsque j’ai pris mes fonctions de Vice-chancelier de l'Université des sciences et des technologies de la ville de Kohat, seulement 6% des étudiants étaient des filles.

Je me suis alors efforcé faciliter l'accès à l'éducation particulièrement aux femmes des communautés marginalisées. Ce n'était pas facile, mais j’ai appliqué une stratégie à plusieurs volets. D'une part, j’ai recruté du personnel de bureau de sexe féminin, de sorte que les étudiantes soient plus à l'aise pour discuter de leurs problèmes académiques et personnels sur le campus. Jusque-là, il leur était difficile de demander conseil ou d'échanger des avis, avec le personnel universitaire, sur les soins traditionnels de telle ou telle autre maladie typiquement féminine. D'autre part, j'ai réduit de façon draconienne les frais universitaires pour les étudiantes qui avaient réussi leur examen d'entrée.

J’avais chargé une étudiante de troisième cycle de faire une recherche sur les questions spécifiques liées à la santé des femmes dans la vallée de Swat, d'où elle était originaire. Avant de l'inclure dans notre projet sur ce terrain, il nous était impossible de mener une enquête, car les femmes étaient réticentes à répondre à nos questions. Avec notre jeune étudiante, elles se sentaient à l'aise, l'enquête s'est très bien passée, et nous avons pu publier nos résultats.

Nous avons également encouragé les villageoises analphabètes de faire l'inventaire des connaissances autochtones au sein de leur communauté, et nous avons attribué des prix aux femmes qui avaient contribué de la meilleure façon à la conservation des ressources naturelles dans l'exercice de leur travail.

Cette stratégie s'est avéré très prometteuse : en deux ans, l'inscription des étudiantes à l'Université avait atteint les 20%.

Aimeriez-vous transmettre un message aux jeunes scientifiques du monde?

En bref, je formulerais mon message ainsi : Rien n'est impossible dans ce monde. L'exercice de la science peut vous apporter beaucoup de satisfaction et minimiser la souffrance du monde, à condition que vous adoptiez une conduite responsable. C'est la meilleure façon, pour vous, de faire partie de la solution et non du problème.