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Juillet - Septembre 2003 |
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La longue marche vers le multilinguisme |
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Toutes les études le montrent : on apprend mieux dans sa langue maternelle. Encore faut-il qu’elle soit enseignée à l’école, ce qui n’est pas le cas de la plupart des idiomes minoritaires. Plus sensibles qu’hier aux vertus du multilinguisme, certains pays essaient aujourd’hui de favoriser un apprentissage en plusieurs langues. Mais les obstacles, aussi bien politiques qu’économiques, restent nombreux. |
L’affaire avait fait grand bruit. En 1998, les électeurs de Californie (Etats-Unis) adoptaient par référendum l’usage obligatoire de l’anglais comme langue unique dans les écoles publiques.
Malgré l’opposition d’une coalition d’organisations de défense des droits civiques, la désormais célèbre « proposition 227 » était approuvée par plus de 60 % des votants.
Conséquence : les enfants d’origine étrangère habitant cet Etat n’ont plus la possibilité de suivre un enseignement dans leur langue maternelle, l’espagnol dans la plupart des cas.
La proposition 227 prévoit en effet qu’après un an d’enseignement intensif de la langue anglaise, tous les enfants soient plongés dans le système éducatif général.
L’histoire peut sembler anecdotique. Elle ne l’est pas. Elle révèle d’abord le caractère passionnel de tout ce qui touche à la langue. Elle s’inscrit aussi à rebours d’un mouvement qui, depuis plusieurs décennies, va plutôt dans le sens d’une reconnaissance de la langue maternelle et, plus largement, des vertus du plurilinguisme.
« Les enseignants connaissent pourtant la valeur d’un apprentissage dans la langue maternelle depuis des années », note Nadine Dutcher, consultante au Center for Applied Linguistics de Washington (Etats-Unis).
Des résultats meilleurs
De nombreuses études ont en effet montré que les résultats obtenus par les enfants ayant reçu une éducation de base dans leur langue maternelle sont meilleurs. Lorsqu’on sait que près de 476 millions d’analphabètes sont locuteurs de langues minoritaires, l’information n’est pas indifférente.
Ainsi au Etats-Unis, un laboratoire de recherche de l’Université George Mason (Virginie) analyse depuis 1985 les résultats de 23 écoles élémentaires réparties dans 15 Etats. Sur six programmes différents, quatre sont dispensés en partie dans la langue maternelle des élèves. L’étude montre qu’après 11 ans de scolarisation, il existe un lien direct entre durée d’enseignement dans la langue maternelle et résultats scolaires : les élèves qui réussissent mieux au lycée sont ceux qui ont suivi un cursus bilingue.
« L’apprentissage dans la langue maternelle présente des vertus cognitives mais aussi émotionnelles. Les membres d’une minorité se sentent valorisés lorsqu’on utilise leur langue », indique encore Nadine Dutcher.
« L’enfant qui apprend dans une autre langue que la sienne reçoit de l’école deux messages implicites : d’une part que s’il veut progresser intellectuellement, ce n’est pas grâce à sa langue qu’il y parviendra, d’autre part que sa langue n’a en soi rien d’intéressant », ajoute Clinton Robinson, consultant spécialisé dans l’éducation et le développement et ancien directeur des programmes internationaux du Summer Institute of Linguistics (SIL) UK, Royaume-Uni.
Revoir les politiques linguistiques
Plus sensibles à ces arguments que par le passé, certains pays industrialisés ont commencé à revoir leur politique linguistique. Le principe sacro-saint selon lequel l’intégration passerait par un abandon de sa langue au profit de celle du pays d’accueil n’est plus un dogme absolu. « La tradition jacobine qui consistait à punir l’usage des patois à l’école a évolué »,
commente ainsi Michel Rabaud, chef de la Mission interministérielle sur la maîtrise de la langue française. « On ne considère plus que parler une autre langue que le français, soit un handicap pour l’élève ».
Accueillant sur leur sol un nombre croissant de migrants, les pays du Nord doivent en effet s’adapter. En 2000, plus du tiers des citadins de moins de 35 ans vivant en Europe de l’Ouest étaient issus de l’immigration, comme le précise un rapport sur la diversité linguistique dans l’Europe qui vient d’être publié par l’UNESCO.
Une étude menée à La Haye (Pays-Bas), citée par ce rapport, montre que sur 41 600 enfants âgés de 4 à 17 ans, 49 % des élèves du primaire et 42 % de ceux du secondaire utilisent chez eux une autre langue que le néerlandais. Difficile dans ces conditions de continuer à mener une politique d’assimilation linguistique comme par le passé.
« Malgré cela, les langues des migrants ne font souvent l’objet d’aucune législation particulière, contrairement aux langues régionales. Mais cela va changer, parce que la réalité démographique change », assure Kutlay Yagmur, chercheur dans le domaine du multilinguisme à l’université de Tilburg (Pays-Bas), l’un des deux auteurs de l’étude.
Déjà, certains pays ont pris acte de ces changements. C’est le cas de l’Etat de Victoria, en Australie, où le bilinguisme a depuis une vingtaine d’années été progressivement instauré dans toutes les écoles primaires. En 2002, des cours obligatoires de « langue autre que l’anglais » étaient dispensés dans 41 langues dans les écoles primaires ou secondaires.
Des obstacles redoutables
Parallèlement, la langue maternelle, et plus largement le plurilinguisme, ont progressivement acquis une reconnaissance internationale. Parler sa langue devient progressivement un droit. Créée en 1999 à l’initiative de l’UNESCO, la Journée internationale de la langue maternelle, célébrée le 21 février, en est une illustration. La promotion de l’enseignement en langue maternelle ainsi que l’éducation bilingue ou multilingue font partie des principes défendus par l’UNESCO dans un document-cadre qui vient d’être publié (voir encadré).
De plus, la langue est désormais reconnue comme partie intégrante de l’identité d’une population. En témoigne la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle, adoptée en 2001, qui reconnaît l’importance des langues dans la promotion de la diversité culturelle.
Et pourtant, malgré cette prise de conscience croissante, de nombreux obstacles subsistent. A commencer par des obstacles politiques. « Toute décision concernant les langues est politique », analyse Linda King, spécialiste principale du programme à la Division de la promotion de la qualité de l’éducation (UNESCO). « Mais elle se double de considérations techniques sur les modalités d’apprentissage des langues.
L’essentiel est de respecter les langues locales et de leur donner une légitimité dans le cadre de l’école tout en permettant aux élèves d’avoir accès à une langue nationale et internationale ».
Auteur de La Guerre des langues et les politiques linguistiques (Hachette, 1999), Louis-Jean Calvet est encore plus explicite. « La guerre des langues n’est jamais que l’aspect linguistique d’une guerre plus vaste », écrit-il.
Une décision politique
Ce sont le plus souvent les minorités qui font les frais de cette guerre. La première mesure de vexation qui leur est infligée consiste en général à interdire l’usage de leur langue. Un seul exemple parmi des centaines : dans l’Indonésie de Suharto, la communauté chinois
Language Diversity in Multicultural Europe, Comparative Perspective on Immigrant Minority Languages at Home and at School. Disponible uniquement en anglais.
Pour en savoir plus : www.unesco.org/most/discuss.htm
faisait jusqu’en 1998 l’objet d’une répression systématique. L’usage du chinois y était formellement proscrit.
A l’inverse, la promotion des langues nationales dépend généralement d’une décision politique volontariste. Au lendemain de l’indépendance, une des premières mesures prises par les nouveaux régimes africains fut de réhabiliter les langues nationales. Le swahili est ainsi devenu en 1963 langue officielle du Kenya. La Guinée a quant à elle entamé dès son indépendance une décolonisation linguistique. Elle a décrété langues officielles les huit idiomes les plus parlés dans le pays et lancé des campagnes d’alphabétisation.
Arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat, le général Conté rétablira pourtant, dès le milieu des années 1980, la totalité de l’enseignement en français. Quant aux élites kenyanes, elles parlent aujourd’hui plus volontiers l’anglais que le swahili. « Une décision symbolique ne suffit pas », observe Annie Brisset, professeur à l’école de traduction et d’interprétation d’Ottawa (Canada) et consultante de l’UNESCO sur la question des langues. « Dans un certain nombre de pays d’Afrique, la langue des anciens colons jouit encore d’un tel prestige que les parents préfèrent scolariser leurs enfants en français ou en anglais, parce que c’est encore synonyme de promotion sociale ».
Le renouveau des langues locales
« Pour qu’une approche multilingue fonctionne, il faut que le pouvoir perçoive la multiplicité des langues comme une richesse et non comme un problème à gérer. Il faut aussi que les populations elles-mêmes soutiennent cet effort », estime Clinton Robinson.
C’est dans cette optique qu’a été créée en 2001 l’Académie africaine des langues, basée au Mali, afin de promouvoir l’usage des langues du continent. Depuis 1994, le Mali applique la pédagogie dite « convergente », qui consiste à enseigner aux enfants du primaire dans leur langue maternelle pendant les deux premières années de leur scolarité.
Plus récemment, le Sénégal a quant à lui lancé une politique de réhabilitation des langues nationales. Depuis la rentrée 2002, les élèves de 155 classes du pays suivent les cours en wolof, pulaar, sérère, diola, mandingue et soninké, six langues choisies parmi les 23 parlées dans le pays. Désormais, les enfants seront scolarisés en langue nationale à 100 % en maternelle, à 75 % au cours préparatoire et à 50 % au cours élémentaire. Le français reprend ensuite le dessus.
Mais aux obstacles politiques peuvent s’ajouter des limites techniques. Pour des pays qui, comme le Nigeria, comptent plus de 400 langues sur son sol, la tâche s’annonce plus compliquée. Comment choisir les langues d’enseignement ? Selon quels critères ? En outre, un parler, quel qu’il soit, doit pouvoir s’adapter aux réalités de la vie contemporaine.
Adapter les idiomes
« Pour devenir vecteur d’enseignement, une langue ne doit pas seulement être capable de décrire la mythologie de la forêt, mais aussi des phénomènes comme la fonction chlorophyllienne ou les mécanismes de l’effet de serre », précise Ibrahima Sidibe, spécialiste du programme à la Division de l’éducation de base de l’UNESCO. Mais comment une langue pourrait-elle parvenir à créer de nouveaux mots, pour désigner un logiciel ou un navigateur Internet, lorsqu’elle est marginalisée et réduite aux échanges quotidiens ?
Fortement concurrencées par le russe pendant près de 70 ans, les langues parlées dans les anciennes Républiques soviétiques manquent aujourd’hui des termes adéquats pour décrire notre environnement technologique ou scientifique.
« L’azeri est devenu la langue officielle de l’Azerbaïdjan en 1992 », explique Annie Brisset. Première conséquence : l’alphabet latin a remplacé le cyrillique. « Ensuite, on ne l’utilisait plus que dans la conversation courante. Il a donc fallu constituer des bases de données terminologiques afin de recenser tous les mots et expressions existant dans cette langue et créer des termes nouveaux pour l’adapter aux besoins juridiques, commerciaux, diplomatiques ou technologiques d’aujourd’hui. C’est un préalable indispensable avant de l’enseigner à l’école ».
La tâche est immense. Et coûteuse. Le Pérou en a fait l’expérience. En 1975, un décret du gouvernement fait du quechua une langue officielle. Cela impliquait de traduire tous les documents officiels et de l’enseigner à l’école.
Le gouvernement de l’époque évalua à 200 000 le nombre d’enseignants nécessaires. Le projet fut progressivement abandonné. Mais la pression en faveur d’une généralisation de l’enseignement bilingue vient désormais des populations indiennes elles-mêmes.
« De plus en plus conscients de leurs droits, les mouvements indigènes réclament une reconnaissance de leur culture », indique Juan Carlos Godenzzi, enseignant à l’Université de Montréal (Canada) et ancien directeur du département d’éducation bilingue au ministère de l’éducation du Pérou.
Et cette reconnaissance passe avant tout par une valorisation de la langue, socle de toute construction identitaire.
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