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STRATEGIC PLANNING

Remarks by Ms Aminata Traoré
(only available in French)

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Lorsque Hans d’Orville m’a parlé de cette réunion, je me suis posée la question de savoir si l’impact de la crise financière économique sur l’Afrique se mesure d’abord, à la base et plus précisément au niveau des femmes. J’étais déjà engagée dans un processus de questionnement du système monde à cette échelle-là où les choses ne sont jamais dites aux femmes réelles, qui payent de leur vie pour des choix macro-économiques qui ne dépendent pas d’elles. Alors quand je dis à mes compatriotes que les choses risquent de devenir plus difficiles, elles n’en revenaient pas, elles se demandaient, elles me disaient ça ne peut pas être pire. Ça ne peut pas être pire parce que depuis longtemps déjà l’Afrique ne mange pas à sa faim, depuis longtemps déjà les jeunes africains diplômés ou pas n’ont pas accès à l’emploi ni à un revenu décent, depuis longtemps déjà les produits agricoles exportés ne garantissent pas aux paysans africains l’argent nécessaire à la survie et tout simplement à une manière de vivre décemment et dans la dignité.

Donc le danger de la question qui est posée ici, l’impact de la crise sur le développement, risque de masquer le fait que cette crise est systémique. Nous ne savons rien des subprimes et tout le reste mais nous galérons tout temps pour colmater les brèches de ce système à la base. Et nous souffrons surtout de la dissimulation de l’information sur ces questions de vie ou de mort pour nous. Parce que les femmes africaines meurent en couche, nous sommes d’abord le continent où la mise au monde des enfants coûte près de 500 000 vies humaines par an. Et c’est dans contexte là que le FMI et la banque mondiale ont estimé à partir de la décennie 80 que l’état devait se désengager et qu’il fallait payer pour la scolarisation, la santé, l’enlèvement des ordures, l’eau potable. Si mes parents avaient dû payer pour mon éducation je ne me serais pas trouvée ici, aujourd’hui devant vous.

Et pourtant on pleurniche sur le sort de l’Afrique, l’anti modèle, une sorte de paria d’une mondialisation qui semble réussir aux autres. Et puis branle-bas de combat nous regardons les autres se lamenter, les gagnants du système sont dans l’impasse. Ils ont donné l’impression à la terre entière jusqu’ici que tout leur réussissait en raison de la supériorité de leurs valeurs, de leurs normes et que la planète entière devait être réorganisée à travers des réformes mortifères pour que nous devenions tous un super marché gigantesque où tout s’achète et se vend, y compris la dignité humaine.

Alors je crois que ce qui nous interpelle aujourd’hui ce n’est pas de savoir quel est l’impact de la crise sur l’Afrique, c’est de savoir pourquoi un continent immensément riche est dans cet état. C’est plus de trente mille km2 où chacun est libre de faire les affaires et les affaires c’est l’uranium, le pétrole, café, cacao, or, coltan. Alors tant que l’on ne nomme pas ce système-là, tant qu’on ne nomme pas l’ordre économique mondial qui autorise une poignée de pays et d’acteurs économiques d’opérer le maximum de ponctions sur les richesses de la planète. Tant qu’on ne nomme pas le fait que la réussite individuelle et celle des pays se mesure d’abord à ce que l’on produit et ce que l’on consomme, nous sommes tous invités à entrer dans la compétition, c’est-à-dire constamment. Chaque matin vous vous demandez, en tant qu’individu : comment vous surpassez ? Comment dépassez le voisin ? Comment un pays peut dépasser l’autre ? Et on s’étonne que des gens prennent des kalachnikovs et s’entretuent parce que ce qu’on leur a dit c’est d’abord ça. Dépassez-vous ! Dépassez le voisin ! Soyez mieux que lui à travers la possession de votre portable, d’un téléviseur, d’un costume.

C’est du matériel, c’est des biens de consommation que l’on nous a présentés comme des critères de ce développement-là. Et ce développement n’a pas marché, il ne marche pas. Il marche pour une certaine catégorie de pays, les dominants qui, après la chute du mur de Berlin, nous ont dit que le temps du tout marché a sonné, et que l’Afrique peut vendre. Mais nous ne contrôlons rien. Le risque, le véritable risque aujourd’hui c’est d’aller vers moins de démocratie. Parce que la raréfaction des ressources, vous l’avez dit, nous ne jurons plus que par l’investisseur étranger. Rien ne doit se savoir, rien ne doit être dit aux citoyens ordinaires, mais nous voyons nos dirigeants comme ceux des pays riches parcourir le monde à la recherche d’investisseurs.

Mais qui est l’investisseur ? Ils n’ont aucun compte à rendre aux femmes d’Afrique, aux jeunes d’Afrique qui sont obligés aujourd’hui de chercher refuge, de se diriger vers des horizons de plus en plus hostiles. 4000 morts dans l’océan. Les mères attendent, écoutons les mères. L’émigration était une manière pour les mamans de prendre une revanche justement sur l’analphabétisme et la pauvreté monétaire. On leur ramène les enfants menottes aux poignets, et voici la globalisation, voici le monde dans lequel on nous somme encore de garder le cap des réformes. Comment peut-on demander à l’Afrique de garder le cap des réformes ? De quelles réformes ? Le bouleversement de fond en comble de nos économies, de nos repères. Les gens ne savent plus où donner de la tête, chaque jour est une prouesse. J’ai déjà écrit que chaque jour est un 11 septembre en Afrique mais personne n’en a cure parce que dans les têtes il est gravé que nous sommes des perdants éternels.

Le racisme a un nouveau visage. Les erreurs, les crimes économiques peuvent être commis par les puissants de ce monde mais on demande aux africains de contrôler, de passer leur temps à contrôler des dirigeants qui sont à la solde de l’Union Européenne et des institutions internationales de financement qui ont les ressources nécessaires pour mettre en place l’agenda néolibéral qui a été substitué au plan d’action du « Lagos ». L’Afrique avait un projet, on nous a dissuadé, que ce n’était pas ça le cap. Mais voici que ceux qui nous disent ça sont maintenant dans l’impasse. On est au bord du gouffre. Et on vient nous demander comment nous en sortir. Mais il se trouve que pour nous en sortir, on nous demande de continuer, parce qu’on suppose que le G20 va réparer la machine, elle est seulement détraquée, elle va être mise en marche, et l’Afrique aura sa chance, mais quand ? Nous attendons depuis tellement longtemps.

Je crois qu’aujourd’hui ce qui s’impose c’est un changement de regard sur l’état réel du monde. Il a été dit ici depuis ce matin, que depuis 1930 nous n’avons pas été confrontés à un tel système, et l’architecture du monde est née après la deuxième guerre mondiale. C’est toute cette architecture, ces principes et ces mécanismes qui doivent être remis à plat. Savoir pourquoi après tant d’années de coopération bilatérale, multilatérale, il y a toujours des gens qui savent pour nous ; Mais où sont les experts africains ? Où sont les matières grises africaines qui sont capables de dire tout cela, autrement et dans nos langues ? Parce que la question de la langue, parlons-en nous sommes à l’UNESCO ; quand je parle de confiscation de l’information, de dissimulation de l’information parce que les choses essentielles sont dites en français de mon pays. Il n’y a pas de débat dans mon pays de telle sorte que tout le monde puisse comprendre ce dont il est question ici.
Alors si les femmes s’étonnent, j’insiste là-dessus parce que sans elles, je me demande ce que l’Afrique serait aujourd’hui. Parce que quand les hommes perdent leur boulot ce sont elles qui sont sur pied, quand les jeunes diplômés n’ont pas d’emploi ce sont elles qui doivent faire face. Les puissances occidentales peuvent se permettre de payer et à bas prix les matières premières, le coton par exemple, parce qu’on sait que le mari, le producteur de coton, peut faire travailler gratuitement sa femme. Donc quand on exploite un pays, on surexploite les femmes et les enfants. Moi j’ai été vendre au marché pour ma maman, je rentrais ensuite et je prenais mon cahier et j’étudiais. Mais les enfants soldats, les enfants de la prostitution infantile, tout cela, la manière de la communauté internationale de disséquer les problèmes, de les cloisonner fait qu’on ne voit pas clair dans les véritables causes, les causes historiques et structurelles des maux sont évacuées en raison de notre approche sectorielle et trop sectorielle des questions. L’émigration clandestine est la fille d’une mondialisation forcée. Nous aimerions bien, bien entendu, le continent noir ne demandait pas mieux que de faire partie du monde ; mais on nous a leurrés mais pas nous seulement.

Nous nous sommes trompés de défis, nous nous sommes trompés de priorités. L’argent ne devrait pas être la priorité, le profit ne devrait pas être la priorité mais l’humain, les gens. Et c’est pour cette raison, quand on m’avait nommée à l’époque Ministre de la Culture dans mon pays, je suis allée à la recherche de valeurs fondatrices, fédératrices des gens. Il y a une notion qui s’appelle « Maya », qui veut dire humanisme. Dites ce mot à un malien qui parle (Bambara ou) Bambana tout le monde comprend. Le véritable fondement des transformations, des réformes dont nous avons besoin doivent être là : à partir de valeurs et de repères qui nous sont familiers. C’est à nous de juger nos dirigeants, c’est à nous de changer, de promouvoir l’alternance sur la base de ces valeurs mais pas sur la base de la réussite ou de leur échec dans la mise en œuvre de politiques néolibérales.

On nous a volé notre démocratie. On nous parle d’une gouvernance mondiale mais le système mondial est anti démocratique. Alors je pense que l’UNESCO a un rôle capital à jouer dans cette remise en question du système. En a-t-elle la latitude et les moyens ? Je n’en sais rien ! Parce que moi je demande d’abord au FMI, à la banque mondiale de répondre des crimes économiques commis contre les peuples d’Afrique. Je ne peux pas, le simple fait que ce G20, c’est-à-dire que ceux qui ont fauté, se remette à table pour décider en l’absence des victimes. Si nous ne sommes pas parmi les G20, il n’y a rien d’étonnant, ça veut dire qu’ils ont la certitude que ce qui va sortir du G20 sera pris en charge par nos pays. Est-ce que les peuples sont d’accord avec ça ? Pourquoi depuis que ce système bat de l’aile, on n’a pas entendu, on ne nous a pas montré un seul fautif, la main invisible du marché est tout aussi invisible quant à la responsabilité. Personne ne nous a montré qui est fautif. C’est comme ça, le flou artistique. Ça ne va pas mais on va se ressaisir ; mais je dis que pour renflouer le système il y aura encore davantage de courses vers les matières premières. Or le Darfour c’est d’abord une question de pétrole. Il y aura davantage de courses vers les terres agricoles de l’Afrique. Le Zimbabwe c’est d’abord une question de terres agricoles. La République démocratique du Congo c’est une question de coltan. Donc c’est l’Afrique qui alimente cette machine et on profite de la naïveté et de la démission politique des dirigeants africains qui sont incapables de nommer le néolibéralisme.

Je vous remercie.

  • Author(s): Aminata Traoré 
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