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Entretien avec Boutros Boutros-Ghali : « La démocratie, c'est le partage du pouvoir »
 
dans SHSregards 25
Vice-président du Forum permanent de dialogue arabo-africain, créé à l’initiative de l’UNESCO, l’ancien Secrétaire général de l’ONU était à Paris, au mois de mars 2009, pour participer à la 1re réunion du Comité d’orientation de ce Forum. À cette occasion, Boutros Boutros-Ghali a répondu aux questions de SHSregards et insiste, dans cet entretien, sur « l’importance de démocratiser la mondialisation » et de renforcer « la solidarité Sud-Sud ».
 
Entretien avec Boutros Boutros-Ghali : « La démocratie, c'est le partage du pouvoir » Vous présidez le Panel international sur la démocratie et le développement mis en place par l’UNESCO, en 1998. Quels enseignements tirez-vous de cette expérience ? Vous permet-elle d’affirmer qu’il y a un ou des modèles de démocratie ?

La démocratie et le développement entretiennent un lien indissociable. Ils ne peuvent par conséquent être séparés. Le problème est de savoir s’il faut commencer par le développement pour réaliser la démocratie ou au contraire par la démocratie pour réaliser le développement, ou alors aborder tout simplement les deux concepts en même temps.

Ma réponse est pragmatique. Dans certains pays on a d’abord besoin du développement pour réaliser la démocratie, car un tel objectif ne peut être atteint quand vous avez, par exemple, 80% de gens qui meurent de faim et sont illettrés. Dans d’autres pays corrompus, autoritaires, où l’aide au développement est parfois conditionnée au changement de régime, je dirai que la démocratisation est un premier pas, mais il n’y a pas de règle générale. Chaque situation a sa spécificité. Ma seule conviction est qu’une fois réalisé, le couple développement et démocratie devient indissociable.

Vous venez d’assister à la première réunion du Comité d’orientation du Forum permanent de dialogue arabo-africain sur la démocratie et les droits de l’Homme, organisée à l’UNESCO en mars 2009. Pourquoi un tel Forum ?

Ce cadre est important parce qu’il y a une imbrication entre les pays arabes et les pays africains. La moitié des pays arabes sont en effet des pays africains. Ensuite, les pays arabes comme les pays africains ont subi le même colonialisme anglais et français. Tout ceci favorise une interpénétration entre ces pays qui, au regard d’un passé colonial commun, vont réagir de la même façon face aux problèmes des droits de l’Homme et de la démocratie. Un dernier argument, qui me vient à l’esprit, repose sur le fait que l’on s’est toujours intéressé aux rapports entre le Nord et le Sud, entre l’Europe, l’Amérique, l’Afrique et l’Asie, et que l’on ne s’est pas suffisamment intéressé aux rapports Sud-Sud.

Les droits humains et la démocratie véhiculent-ils des valeurs auxquelles le monde arabo-africain doit se conformer ?

La démocratie, c’est surtout le pluralisme, différents points de vue, différentes opinions. Toutefois, la réalité va varier suivant les pays. Dans un pays divisé, par exemple, entre vingt tribus, ces dernières devront toutes être représentées dans les instances de décision. Ce sera la même chose pour un pays divisé entre 15 religions différentes. Il est en effet important que toutes les communautés représentatives participent au pouvoir.

Je veux dire par là qu’il y a différentes formes de démocratie, différentes façons de faire participer les populations à la solution des problèmes auxquelles elles sont confrontées. Ce qui est important, c’est que le pouvoir ne soit pas entre les mains d’une seule personne, d’une seule tribu. La démocratie, c’est le partage du pouvoir, c’est le contrôle du pouvoir par différentes organisations.

Que répondriez-vous à un jeune arabe ou africain qui vous rétorquerait ne pas évoluer dans la tribu, le village, mais dans le monde, et, par conséquent, que sa vie se déroule dans les tribulations de la ville moderne ?

Je n’ai pas dit que c’est uniquement à travers la tribu que la démocratie doit se présenter dans la région arabo-africaine, mais qu’à côté de la représentation européenne vous pouvez avoir une autre chambre qui représente les tribus. L’un n’empêche pas l’autre. Vous devriez donc faire participer ce jeune africain ou ce jeune arabe, mais aussi le clan auquel il appartient…

Le développement de la communication et la mondialisation des échanges ont-ils une influence sur l’exercice des droits humains dans la région arabo-africaine ?

La mondialisation va avoir une conséquence sur la démocratie nationale dans la mesure où certains problèmes, comme celui de l’environnement et les crises économiques actuelles, ne pourront plus être résolus à l’échelle nationale mais internationale. La démocratie nationale, comme la souveraineté nationale, vont perdre de leur importance au profit d’un pouvoir œcuménique, global, d’où l’importance de démocratiser la mondialisation.

Quel regard portez-vous sur les crispations identitaires qui semblent se poser comme une réponse à une mondialisation à outrance ?

On assiste, en effet, face à la mondialisation, à des replis identitaires, religieux, ethniques, tribaux, ou même à l’échelle d’un village. Le problème, c’est d’établir une bonne dialectique entre le clocher (repli identitaire dans le monde occidental) et le satellite (mondialisation), ou entre le satellite et le minaret (repli identitaire dans le monde musulman). Vu comment les choses se déroulent, c’est le satellite, la mondialisation, qui prendra le dessus sur les replis identitaires. Ceci étant dit, il faut protéger les identités.

En ce sens la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée en octobre 2005, par la Conférence générale de l’UNESCO, est une façon de protéger le clocher, le minaret ou encore le temple hindou… L’essentiel est de trouver des solutions pacifiques à ces problèmes.

Quelle pertinence y a-t-il à parler de droits humains et de démocratie quand on sait que le véritable défi que doit relever le monde arabo-africain est celui de la fracture économique et sociale ?

Un des obstacles à la démocratisation, à la protection des droits de l’Homme, c’est la grande misère des pays du Tiers-Monde. Quelqu’un qui ne sait ni lire, ni écrire ne s’intéresse pas à la liberté de la presse. Quelqu’un qui n’a jamais quitté son village n’a que faire d’un passeport pour pouvoir voyager.

Cela étant dit, il y a un commun dénominateur aux droits de l’homme, dans la mesure où tous les êtres humains sont semblables : tous ont eu des parents et vont mourir un jour. Prenons un paysan du Sud : bien qu’il n’ait aucun rapport avec un milliardaire de Californie, du fait qu’ils sont tous les deux des hommes, ils ont les mêmes droits parce qu’ils sont semblables. Malgré sa richesse, le milliardaire de Californie va mourir un jour et le paysan du Sud aussi. La condition humaine est la même. Le langage de l’humanité, c’est les droits de l’Homme. Vous ne permettrez pas qu’on s’occupe d’aider les pays pauvres, si vous ne défendez pas les principes selon lesquels les droits de l’Homme sont des droits universels.

Qu’attendez-vous du Forum arabo-africain qui se tiendra en décembre prochain, au Caire ?

Nous cherchons à renforcer la solidarité Sud-Sud, à trouver des solutions à nos problèmes Sud-Sud. À cause d’un certain européocentrisme, nous avions tendance à regarder beaucoup plus du côté du Nord. Il faut renverser cette situation. Si notre conférence arrive à renforcer les rapports Sud-Sud, ce sera un pas extrêmement important. Nous sommes confrontés à des problèmes liés à la démocratie, aux droits de l’Homme, aux migrations. Tout le monde parle des mouvements migratoires entre les pays arabo-africains et l’Europe par exemple, mais il y a peu d’écrits sur la migration entre l’Afrique noire et le monde arabe, entre pays arabes ou encore entre pays africains. Ces problèmes ont été peu abordés.

Que faut-il faire alors ?

Même, s’il ne faut pas sous-estimer l’émigration vers les pays du Nord, qui est énorme et qui va augmenter à cause du vieillissement de leurs populations, il faut reconnaître l’importance des migrations Sud-Sud. Et il y a peu d’études dans ce domaine.

Savez-vous, par exemple, qu’il existe une émigration importante vers l’Afrique du Sud ? Savez-vous qu’il y a aussi une immigration de transit avec des gens qui s’arrêtent en Libye, attendant de pouvoir poursuivre leurs chemins, en direction des pays du Nord ? Savez-vous que la main d'œuvre égyptienne en Libye et dans les pays du Golfe apporte à l’Égypte un revenu égal à celui du Canal de Suez, soit environ 2 milliards de dollars américains ?

Il faut intéresser les gouvernements du Sud à prendre des mesures pour protéger les migrants, les inviter à mettre en place des règles respectueuses de la démocratie et des droits humains. Les problèmes entre les pays du Sud nécessitent plus d’intérêt.

Propos recueillis par Nfaly « Vieux » Savané


Boutros Boutros-Ghali
Né le 14 novembre 1922, au Caire (Égypte), dans une famille de chrétiens coptes, M. Boutros-Ghali fut Secrétaire général de l’ONU de 1992 à 1996 et Secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie de 1997 à 2002. Actuel Président du Conseil national des droits de l’Homme d’Égypte, il préside également le Panel international sur la démocratie et le développement, créé par l’UNESCO en 1998, et est aussi membre du Comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine. Docteur en droit international, diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris (France), il a enseigné le droit international au Caire et est l’auteur de plus d’une centaine de publications et de nombreux articles sur les affaires régionales et internationales, le droit et la diplomatie, ou encore les sciences politiques.

Photo : © A. Meyss




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Auteur(s) UNESCO - Secteur des sciences sociales et humaines
Nom du périodique SHSregards
Date publication 2009-07
Éditeur UNESCO
Lieu de publication Paris, France
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