Entretien avec Dick Wathika : le racisme freine le développement dans SHSregards 17 |
De l’urgence d’endiguer la pandémie de VIH/Sida en Afrique au défi du développement économique et social du continent, en passant par l’enjeu de donner plus de pouvoirs aux femmes, le maire de Nairobi (Kenya) confie à SHSregards sa vision du combat menée par la toute jeune Coalition africaine des villes contre le racisme et les discriminations. | |
Lancée en septembre 2006, la Coalition africaine des villes contre le racisme a désigné non pas une mais quatre villes comme « chefs de file » pour piloter ses initiatives à travers le continent : Nairobi pour l’Afrique de l’Est, Bamako pour l’Afrique de l’Ouest, Durban pour l’Afrique australe et Kigali pour l’Afrique centrale. Pour quelles raisons ?
Les formes spécifiques que revêtent les attitudes discriminatoires peuvent trouver leur origine dans l’histoire et être influencées par le contexte social d’ensemble qui caractérise telle ou telle région. C’est précisément cette considération qui a dicté la répartition du leadership en matière de lutte contre les discriminations entre ces quatre villes africaines. Depuis, nous avons décidé d’assigner également un rôle de « chef de file » à la ville de Cotonou pour l’Afrique centrale. Il y a donc désormais 5 villes « chefs de file » qui se sont engagées à jouer, chacune, un rôle de premier plan et à travailler ensemble pour lutter contre les discriminations et le racisme en Afrique. J’ai remarqué, par exemple, qu’à Nairobi l’un des problèmes majeurs est la discrimination à l’égard des élèves du primaire de certaines appartenances religieuses. De nombreuses écoles privées admettent seulement des catholiques, d’autres accueillent uniquement des protestants alors que d’autres ne sont ouvertes qu’aux musulmans ou aux hindous, etc. Une telle politique crée des divisions nuisibles dans la vie de la cité et de ses jeunes habitants, les empêchant de grandir ensemble au sein d’une seule et même communauté. Les préjugés basés sur les revenus constituent un obstacle supplémentaire à l’établissement d’une solidarité durable entre les habitants de nos villes. Au Kenya par exemple, un autochtone dont l’allure ne correspond pas à une certaine image préconçue de la richesse peut fort bien se voir refuser des services par un hôtel. D’autres problèmes transcendent les frontières urbaines, nationales et régionales. L’un des principaux défis de ce type auquel nous sommes tous confrontés en Afrique est la question du VIH et du Sida. Alors même que nos sociétés sont profondément ébranlées par l’épidémie, celle-ci reste un sujet tabou. Les personnes vivant avec le VIH/Sida sont les victimes de préjugés nés de l’ignorance et de la peur. Une telle situation augmente les risques d’infection par le virus, auxquels tout le monde est exposé, car les personnes contaminées évitent de s’adresser aux services sociaux et sanitaires pour obtenir un diagnostic, des informations et des conseils. Briser le silence et mettre fin à la stigmatisation qui entoure cette maladie est un objectif qui fait désormais partie intégrante de la lutte contre l’épidémie. La Coalition, elle aussi, en a fait l’une de ses principales missions. Les principes de la dignité humaine et de l’égalité sont inscrits dans différents instruments juridiques qui confient la responsabilité principale de la promotion de ces principes aux pays signataires. Dès lors, pourquoi une coalition des villes ? Pourquoi des villes ? Parce que les autorités municipales sont celles qui, à l’échelon local, dialoguent au quotidien avec la population. Notre coalition entend commencer par rassembler des grandes villes avant d’élargir par la suite le réseau en intégrant des municipalités, villes et centres urbains de plus petite taille. Les responsables politiques de ces collectivités savent mieux que les instances nationales quand et comment les habitants sont victimes de discriminations, et quels sont les moyens disponibles pour protéger les droits de leurs concitoyens. Pourquoi cette coalition ? Parce que les problèmes peuvent s’avérer considérables lorsqu’on est seul à y faire face. Mais si l’on se joint à ses voisins, qui rencontrent eux aussi les mêmes difficultés, pour rechercher ensemble des solutions, alors on augmente ses capacités de part et d’autre et les problèmes deviennent plus gérables. Au sein du village planétaire, la Coalition s’efforce de partager les expériences à travers une collaboration étroite et efficace, de s’inspirer des meilleures pratiques et d’affronter de concert les problèmes que chacun de ses membres, pris individuellement, ne pourrait surmonter avec ses seuls moyens. La solidarité, la tolérance et le multiculturalisme représentent des valeurs intrinsèquement positives. Pensez-vous que ces principes peuvent aider à résoudre d’autres questions urgentes, telles que la réalisation du développement durable ou l’intégration régionale en Afrique ? Absolument, et avant tout parce qu’ils favorisent la cohésion sociale. Dans toute société quelle qu’elle soit, le développement économique collectif est la résultante des actions et des motivations des individus. Lorsque les citoyens ont le sentiment qu’ils sont tous protégés au même titre contre les discriminations et qu’ils bénéficient donc de l’égalité des chances en vertu de la loi, cela les incite à coopérer et à contribuer au développement de la collectivité. Mais lorsque les citoyens se trouvent marginalisés au sein de groupes qui font l’objet d’une discrimination fondée sur la race, la nationalité, le sexe ou l’état de santé, ils sont moins à même d’intervenir comme des membres à part entière de la société et de contribuer à son développement. Dans le contexte d’une discrimination généralisée, la crainte de la xénophobie et de la violence empêche les acteurs individuels d’investir de façon optimale et d’explorer les possibilités commerciales dans des régions autres que celle à laquelle ils appartiennent. Le but de notre Coalition est donc de promouvoir le développement économique et l’intégration régionale en aidant les sociétés à s’ouvrir et en favorisant la tolérance et la coexistence pacifique. Les femmes, qui représentent un groupe de population important, n’en sont pas moins sujettes à de nombreuses formes de discrimination, depuis les inégalités structurelles jusqu’à la violence manifeste. Pensez-vous que votre initiative fera avancer le combat des femmes africaines pour l’égalité entre les sexes ? Dans de nombreuses sociétés africaines, les femmes n’ont pas les moyens de participer aux processus décisionnels importants et n’ont guère voix au chapitre lorsqu’il s’agit d’améliorer leur condition. Traditionnellement, la promotion de la femme est la responsabilité des hommes. Cet état de choses résulte dans une large mesure de notre mode de socialisation qui, malheureusement, soumet les femmes à une forte discrimination, en leur assignant, dans la société, une place et un statut inférieurs à ceux des hommes. Pourtant, lorsque les femmes, en raison de facteurs structurels, ne sont pas en mesure de réaliser pleinement tout leur potentiel, c’est l’ensemble de la société qui en pâtit. La Coalition s’efforcera d’ouvrir les sociétés africaines afin qu’un débat public s’instaure sur l’intérêt que présentent, pour l’ensemble de la société, l’autonomisation des femmes et l’égalité entre les sexes et afin de susciter une plus grande prise de conscience à ce sujet. Je pense qu’il faut changer la façon dont les enfants sont socialisés, en s’attaquant ainsi aux racines profondes de la discrimination, et c’est en agissant sur ce terrain-là que notre Coalition contribuera le plus puissamment à promouvoir l’égalité entre les sexes. Y aura-t-il, de la part des villes africaines, une volonté politique durable de renforcer et d’élargir la Coalition existante ? Oui, cette volonté politique s’inscrit dans le long terme. Aujourd’hui, grâce aux technologies modernes de l’information et de la communication, la Coalition peut être d’une grande efficacité pour donner aux individus les moyens d’exiger la réalisation de leurs droits. Dans un environnement où les citoyens connaissent leurs droits, les politiciens qui aspirent à occuper une fonction élective, quelle qu’elle soit, ne pourront se soustraire à l’obligation de démontrer à leurs électeurs qu’ils ont fait mieux que leurs rivaux pour protéger les droits humains dans leur communauté. Nous verrons les questions du racisme et des discriminations figurer en bonne place dans le débat politique et devenir incontournables pour ceux qui prétendent au leadership. Propos recueillis par Irakli Khodeli Dick Mwangi Wathika Comptable de formation, Dick Mwangi Wathika a été élu maire de Nairobi en juillet 2004, et réélu en 2006 pour un deuxième mandat qui devrait s’achever à la fin de l’année 2007. Activement impliqué dans la gestion de la cité kenyane depuis son élection en 1992 comme conseiller de Maringo Ward, il a assumé la présidence de divers commissions au sein du Conseil municipal de Nairobi, et notamment celles chargées de l’audit (1998), de l’eau et du système d’égouts (1999), de la planification (2000) et des finances (2001). Photo : © UNESCO/C. Bruno-Capvert |
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Langue du contenu | 10035 |
Site web du périodique | http://portal.unesco.org/shs/fr/ev.php-URL_ID=11043&URL;_DO=DO_TOPIC&URL;_SECTION=201.html |
Site web connexe | http://www.unesco.org/shs/regards |
Auteur(s) | UNESCO - Secteur des sciences sociales et humaines |
Nom du périodique | SHSregards |
Éditeur | UNESCO |
Lieu de publication | Paris, France |
Date publication | 2007-06 |
Mots-clés | droits de l'homme, femmes, politiques, racisme, sida, vih |
Mots-clés géographie | Kenya, Afrique |
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UNESCO SHS
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