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Entretien avec Ertharin Cousin, Directrice exécutive du Programme alimentaire mondial (PAM)

La Directrice exécutive du Programme alimentaire mondial (PAM), Ertharin Cousin. Photo : ONU/Violaine Martin

14 mai 2013 – En avril 2012, Ertharin Cousin a débuté son mandat de Directrice exécutive du Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies, la plus grande organisation humanitaire au monde avec environ 15.000 employés prêtant assistance à près 100 millions de personnes dans 78 pays. Avec ses partenaires, le PAM axe aussi de plus en plus son action sur le développement, afin de renforcer l’autonomisation des pauvres et accroître leur résilience aux crises.

Mme Cousin a occupé divers postes dans des organisations à but non lucratif et le secteur privé, ainsi qu’au gouvernement américain, où elle travaillé dans le domaine de l’agriculture et sur les questions relatives à la faim. En 2009, le Président Barack Obama l’a nommée Ambassadrice des États-Unis auprès des deux agences onusiennes basées à Rome, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le PAM. Nous l’avons récemment interviewée, à son retour du Mali, où des centaines de milliers de personnes ont été déplacées par les combats qui ont éclaté un an après une récolte décevante, n’a fait qu’aggraver la situation sur place.

Centre dactualités de l’ONU: vous vous êtes rendue récemment au Mali et au Sahel. Pourriez-vous nous dire ce que vous y avez vu?

Ertharin Cousin: Ce n’était pas mon premier déplacement au Sahel. Je suis allée au Niger l’an dernier dans le cadre de ma toute première mission en tant que Directrice exécutive du PAM. À ce moment-là, nous nous efforcions de faire face à la crise qui s’amorçait lors de la période de soudure, qui débute en juin dans l’ensemble du Sahel, alors que l’impact de la maigre récolte de 2011 se faisait encore douloureusement ressentir. J’ai vu des femmes nourrir leurs enfants avec des feuilles séchées bouillies.

Mais la En travaillant ensemble, nous pouvons non seulement répondre aux besoins de ceux auxquels nous prêtons assistance, mais aussi renforcer la résilience nécessaire pour faire sortir la communauté mondiale toute entière de la faim de notre vivant.communauté internationale s’est mobilisée, notamment les organismes des Nations Unies – le PAM, la FAO, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) – pour répondre non seulement aux besoins des populations touchées par la maigre récolte, mais aussi de celles dont les vies ont été doublement compliquées par l’évolution de la situation dans le nord du Mali, où nous avons assisté à des déplacements massifs et des mouvements de réfugiés. Un an plus tard, nous pouvons voir qu’une crise a été évitée. Les Maliens ont bénéficié de notre action. J’ai vu les bébés qui n’étaient plus sous-alimentés. J’ai vu des bébés grassouillets. Vous voulez voir des bébés bien portants quand vous vous rendez dans des camps de réfugiés. C’était très réconfortant.

Ce que j’ai observé aussi, ce sont des programmes de résilience efficaces, où les gens auxquels nous avions remis une aide sous forme d’espèces se montrent désormais capables de subvenir à leurs propres moyens grâce aux bassins versants qu’ils ont construits et aux jardins potagers qu’ils ont cultivé.

Mais j’ai également vu des gens qui souffrent, notamment les personnes déplacées qui ne peuvent plus rentrer chez elles. Ces gens-là ont tout perdu. Beaucoup d’entre eux ont fui Gao et Tombouctou avec seulement les vêtements qu’ils portaient sur le dos. C’est un impératif pour nous, en tant que communauté mondiale, de ne pas perdre de vue cette crise qui se poursuit pour tant de familles et d’enfants, qui ne peuvent rentrer chez eux, n’ont rien et dépendent de nous pour leurs besoins alimentaires.

Alors que la crise au Mali s’est intensifiée au cours des premiers mois de votre mandat, dans quels préparatifs s’est lancé le PAM ?

Que ce soit au Sahel ou ailleurs, nous avons pré-positionné des vivres de manière à les avoir à disposition immédiate en cas de besoin. Si nous voulons répondre aux besoins nutritionnels des enfants, nous avons des stocks prêts à être distribués. Pour répondre aux besoins de sécurité alimentaire d’une famille toute entière, nous avons sous la main des mélanges maïs/soja, du riz, des lentilles et de l’huile.

Il est également important d’entretenir les relations avec les institutions financières et les ONG partenaires des Nations Unies pour répondre aux besoins financiers, en remettant des espèces et des coupons alimentaires, et pour identifier et lancer des programmes de développement efficaces. Donc, ce qui compte, c’est l’évaluation en amont des besoins de la population, le pré-positionnement des outils – qu’ils s’agissent de vivres, de coupons ou de fonds – et la planification de la mise en œuvre des programmes avec nos partenaires, de sorte qu’au moment d’en lancer un, nous ayons en main tous les éléments nécessaires.

Pourrions-nous maintenant évoquer la situation en Syrie? Les opérations que vous venez de décrire sont-elles très différentes dans le cadre de ce conflit?

Une femme à Bambara Maoudé, au Mali, prépare un repas pour sa famille grâce à une ration alimentaire fournie par le PAM. Photo: Islamic – Relief/Oumar Barry

Je dirai que les difficultés de fonctionnement en Syrie sont semblables à celles que nous observons actuellement dans le nord du Mali, à Tombouctou et Gao, où il n’y a pas d’espace humanitaire en raison du conflit. Nous nous heurtons à des défis considérables, en particulier celui qui consiste à atteindre les populations piégées par le conflit et la malnutrition. Jusqu’à présent, les donateurs ont été généreux, même si nous n’avons pas pour le moment le financement nécessaire pour répondre aux besoins au-delà du mois de mai.

Malheureusement, il y a des zones en Syrie où, en raison des combats et des bombardements, nous ne pouvons pas nous rendre. Nous ne pouvons pas distribuer de vivres là où les bombes explosent. Mais il y a des familles dans ces zones, des enfants pris au piège, qui sont nombreux à souffrir de la faim et de la malnutrition. Ce que nous demandons à tous nos partenaires, c’est d’obtenir qu’on leur ménage des corridors humanitaires afin que des acteurs tels que le PAM et l’ensemble des partenaires sur le terrain puissent parvenir à tous les nécessiteux.

Pouvez-vous nous donner des exemples de dispositions prises par le PAM pour accéder aux zones les plus dangereuses?

Par précaution, nos personnels se déplacent dans des convois de véhicules blindés. Mais s’il y a des bombardements, nous ne pouvons pas nous y rendre. Donc, sauf si les parties au conflit sont prêtes à ménager des voies d’accès et à reconnaître les logos de l’ONU, nous ne pourrons pas entrer dans ces zones.

Il est très important de comprendre qu’il y a trois types de zones où nous essayons de travailler en Syrie. Tout d’abord, celles sous contrôle des forces gouvernementales, qui travaillent avec notre partenaire du Croissant-Rouge arabe syrien, zones où nous avons pu parvenir. Il y a ensuite les zones contrôlées par l’opposition où, également en coopération avec le Croissant-Rouge ainsi qu’avec des ONG locales et nationales partenaires, nous avons été en mesure de livrer une aide. C’est dans les zones toujours en conflit, qui essuient des bombardements et sont émaillées de combats que nous nous heurtons à de réelles difficultés.

Parallèlement à son action dans le cadre de crises comme celles qui sévissent au Mali et en Syrie, le PAM met l’accent sur la lutte contre la faim chronique. Cette tendance se poursuivra-t-elle?

En Turquie, Ertharin Cousin visite un camp de réfugiés syriens soutenus par le PAM. Photo: PAM/Abeer Etefa

Quand vous fournissez une aide d’urgence, vous luttez contre la faim, vous remplissez les estomacs. La différence entre l’action que nous avons menée par le passé et celle que nous privilégions désormais – c’est-à-dire entre l’aide alimentaire et l’assistance alimentaire – c’est que nous ne voulons plus simplement remplir les estomacs, mais aussi renforcer la résilience des individus ou des communautés les plus vulnérables, pour leur permettre de mieux se préparer aux chocs et aux crises futures, qui auront un impact sur leur capacité à s’alimenter.

Trop souvent, en tant que communauté humanitaire mondiale, crise après crise, nous répondons aux besoins les plus urgents des mêmes populations, des mêmes communautés, des mêmes familles, tout en négligeant leur résilience à long terme. Ce que nous espérons accomplir en passant à la phase de l’assistance alimentaire, c’est renforcer leurs capacités de résistance et d’adaptation au choc suivant.

Est-ce qu’acheter dans le pays concerné une partie de la nourriture destinée à l’aide fait partie de cet effort?

C’est certainement un outil que nous utilisons. Dans le cadre de notre programme Progress, nos partenaires et nous mêmes travaillons avec de petits agriculteurs afin d’accroître le rendement de leurs récoltes et de pouvoir leur acheter ensuite les produits alimentaires dont nous avons besoin pour nos distributions. Nous essayons de stimuler les marchés locaux, notre but ultime étant de veiller à ce que les petits exploitants aient la possibilité d’écouler leur production sur le marché ou auprès du gouvernement. Lorsque vous créez un « cercle agricole vertueux », les changements au sein d’une communauté ou d’une famille se pérennisent.

Dans ce contexte, avez-vous collaboré étroitement avec d’autres organismes pertinents, tels que la FAO?

Nous ne pourrions pas y arriver sans le concours des autres agences. Nous distribuons la nourriture ou les coupons alimentaires. La formation nécessaire pour soutenir les activités de renforcement des capacités des petits exploitants est dispensée par la FAO ou par le Fonds international de développement agricole (FIDA), ainsi que par des ONG partenaires comme World Vision ou d’autres qui proposent des activités spécifiques de développement agricole.

Pouvez-vous citer un pays où cette approche a porté ses fruits?

Dans le camp de réfugiés de Kilis, en Turquie, Ertharin Cousin se rend sur un marché où des familles syriennes achètent de la nourriture avec des coupons alimentaires distribués par le PAM. Photo : PAM

Nous venons juste de remettre un prix à l’équipe de pays des Nations Unies au Mozambique, où le FIDA, le PAM et la FAO ont travaillé de concert avec de petits agriculteurs pour faire exactement ce que je viens de vous décrire. Le PAM s’est occupé des programmes « travail contre rémunération » et a acheté le produit de l’agriculture locale. Le FIDA a lancé des activités de formation et de financement et la FAO, grâce à ses écoles pratiques d’agriculture et ses comités de semences et d’outils, a fait le travail nécessaire pour accroître les rendements des exploitants et la qualité de ces rendements.

Sous l’effet des changements climatiques et des facteurs connexes, faut-il prévoir des sècheresse toujours plus nombreuses?

La question à poser, et le Sahel en est un exemple révélateur, ce n’est pas de savoir s’il y aura une autre mauvaise récolte en raison de l’insuffisance des précipitations, c’est quand. Vous avez ce problème en Afrique de l’Est. Nous observons des tempêtes de plus violentes en Asie, avec l’impact que cela suppose pour le Bangladesh ou le Myanmar, parmi d’autres endroits touchés par des tempêtes de plus en plus nombreuses qui sont le fait des changements climatiques. Ce genre de phénomène sera de plus en plus fréquent à l’avenir.

C’est pourquoi la résilience est très importante. Notre responsabilité consiste à anticiper cette situation en répondant aux besoins des plus démunis dans le renforcement de leur résilience à ces phénomènes climatiques inévitables. C’est pourquoi cette dimension prend désormais une place considérable dans toutes nos activités.

En dehors de celles que ce que nous avons déjà mentionnées, quelles sont les situations les plus urgentes à l’heure actuelles pour le PAM?

Les personnels des agences alimentaires du système des Nations Unies – FAO, IFAD et PAM – reçoivent un prix d’excellence pour leur partenariat fructueux au Mozambique. Photo : IFADTV

Les besoins se font criants au Yémen, et pas seulement s’agissant de l’insécurité alimentaire des populations autochtones, mais aussi pour les réfugiés, qui sont très nombreux dans ce pays. La République centrafricaine est un autre exemple de conflit qui évolue rapidement et où il devient de plus en plus difficile de répondre aux besoins des personnes déplacées et d’autres.

Le Soudan du Sud héberge l’une des populations les plus pauvres du monde, la malnutrition chronique y est rampante. Vous y avez des routes parmi les moins praticables, ce qui signifie que même un agriculteur qui parvient à cultiver n’a pas accès à un marché pour écouler le produit de sa récolte.

Dans la partie orientale de la République démocratique du Congo (RDC), un conflit continue de déplacer les populations, en particulier les enfants, dont beaucoup ont quitté les camps de réfugiés pour des installations de fortune, où règnent des conditions parmi les plus déplorables que j’ai vues de toute ma carrière. Trop souvent aussi, nous oublions Haïti. Il y a également des pays d’Amérique centrale où la malnutrition chronique est en hausse. Nous devons y répondre aux besoins d’enfants qui non seulement souffrent de retards de croissance, mais aussi de problème mentaux.

Souvent, les gens me demandent quelle est notre plus grande priorité. Je répondrai que nous n’avons pas le luxe, en tant qu’acteurs humanitaires, de donner la priorité à un enfant plutôt qu’à un autre, à une personne qui a faim plutôt qu’à une autre. Notre responsabilité est de lever les fonds et de fournir le soutien nécessaire à tous les nécessiteux, où qu’ils se trouvent.

Votre vision du travail du PAM a-t-elle évolué depuis que vous en êtes devenue la Directrice, alors que vous étiez auparavant la représentante du principal bailleur de fonds de cet organisme, les États-Unis?

Je me suis souvent posé cette question. En tant que représentante des États-Unis, mes responsabilités consistaient à veiller à ce que les attentes de mon pays, qui investit l’argent du contribuable dans cet organisme, soient satisfaites. En tant que Directrice exécutive, ma responsabilité est de veiller à répondre aux attentes des bailleurs de fonds et, plus important encore, de répondre aux besoins de ceux auxquels nous prêtons assistance dans le monde entier.

Y a-t-il parfois une différence entre la mise en œuvre du mandat du PAM et les attentes des bailleurs de fonds?

Ertahrin Cousin s’entretient avec Mayra Arosemena, la Vice-Ministre des affaires étrangères du Panama, pays où sont basées la plupart des opérations du PAM pour l’Amérique centrale. Photo: PAM/Elio Rujano

Il ne devrait jamais y avoir de différence entre ce que nous devons faire et les attentes des donateurs si nous avons fixé ces attentes de manière appropriée et communiquons régulièrement avec eux. Lorsque les bailleurs de fonds investissent dans nos programmes, leurs attentes, c’est de nous voir parvenir aux résultats qui avaient été planifiés.

Comment décririez-vous la différence entre vos débuts dans le domaine de l’aide alimentaire aux États-Unis et vos efforts au niveau international ?

En tant que directrice des opérations de ce qui était alors « America’s Second Harvest » [l’ONG Feeding America], ma responsabilité était de soutenir les besoins de personnes en situation d’insécurité alimentaire aux États-Unis. En tant que membre du conseil d’administration du Développement alimentaire et agricole international [International Food and Agricultural Development] à USAID, j’avais pour tâche d’identifier les programmes de développement agricole susceptibles d’accroître le nombre et la qualité des petites exploitations pour leur permettre de passer de la subsistance à la création d’opportunités. Et à la tête de la Fondation Albertson, j’étais responsable de la bonne gestion des fonds levés auprès du secteur privé.

La différence entre ce travail et celui que je fais maintenant est en réalité très limitée. Disons que j’ai acquis au niveau national une expérience grâce à laquelle je parviens à m’acquitter de mes fonctions au niveau international.

Pouvez-vous parler des défis les plus difficiles que vous avez du relever depuis votre prise de fonctions? Quelle est la place du plaidoyer dans votre mandat et dans quelle mesure parvenez-vous à maitriser la chaîne logistique dans une opération de si grande envergure?

Ertharin Cousin inaugure aux côtés du Secrétaire général (au centre) l’exposition photographique « La faim dans le monde : un problème soluble », qui s’est tenue au Siège de l’ONU à New York, en septembre 2012. Photo : ONU/JC McIlwaine

Je pense que je suis une bonne stratège entourée de professionnels remarquables. Je ne dis pas que je suis une experte sur le plan logistique ; mais les gens avec lesquels je travaille me considèrent comme quelqu’un capable de résoudre les problèmes. Avec les hauts responsables du Programme, nous commençons notre journée par évaluer les défis opérationnels, administratifs et stratégiques qui se posent à nous et identifier les décisions à prendre pour aider les acteurs de terrain, qui forment l’épine dorsale de cette organisation, à faire leur travail. Je suis douée pour former les équipes et fière d’être un manager de premier plan et de disposer d’outils performants – qu’il s’agisse de capacité humaines, techniques ou financières. Mais je dois me montrer ensuite suffisamment intelligente pour les laisser travailler.

Pour conclure, quel est le message que vous souhaiteriez adresser sur la lutte contre la faim dans le monde?

Le principal message que je voudrais adresser, c’est que nous avons fait des progrès en tant que communauté mondiale. Il y a cinquante ans, lorsque le PAM a été établi,  sur quels pays étions-nous concentrés ? La Chine avait besoin d’une aide considérable de la part du PAM. Aujourd’hui, elle ne nourrit pas seulement sa population, mais a des récolte excédentaires. Nous faisons des progrès pour éradiquer la faim, mais il n’y a pas suffisamment de pays qui s’en sortent rapidement. En travaillant ensemble, nous pouvons non seulement répondre aux besoins de ceux auxquels nous prêtons assistance, mais aussi renforcer la résilience nécessaire pour faire sortir la communauté mondiale toute entière de la faim de notre vivant, pour que nous ne nourrissions plus les enfants du monde, mais que leurs parents les nourrissent et qu’à mesure qu’ils grandissent, ils soient enfin en mesure de subvenir à leurs propres besoins alimentaires.