Au sommaire dans ce numéro AVRIL - JUIN 2005
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Enseignement professionnel, le grand retour ?
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L’enseignement et la formation techniques et professionnels ont nourri une croissance économique prodigieuse dans certains pays, et ont déçu ailleurs. Si la mondialisation suscite un regain d’intérêt à leur égard, ils continuent d’être perçus comme des cursus de seconde zone. |
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Des jeunes qui traînent dans la rue, sans travail, sans espoir d’en trouver et encore moins d’aller à l’université… C’est le cauchemar de tout homme politique. Si les parents de ces jeunes se sont résolus à voir leurs propres espoirs brisés, la nouvelle génération, face à ce triste horizon, risque de se révolter. Pour les gouvernants des pays riches ou pauvres, la solution semble évidente : rattraper ces jeunes avant qu’il ne soit trop tard en leur enseignant, dans le secondaire, des compétences qui leur permettront de se faire une place sur le marché du travail.
La réalité n’est pas aussi simple, ce qui explique en partie pourquoi l’enseignement et la formation techniques et professionnels (EFTP) ont mauvaise presse. Proviseurs et professeurs soulignent combien l’élaboration des programmes, la formation des enseignants et l’équipement coûtent cher pour ces matières spécialisées : en moyenne trois fois plus qu’un cours « généraliste ». Quant aux parents et aux élèves, ils ont tendance à considérer ces matières comme un enseignement de second ordre. Le fait est que l’EFTP offre une formation, pas une garantie d’embauche. Même les cursus les plus pointus et les plus chers sont voués à l’échec si le marché du travail ne peut absorber les nouveaux diplômés, quelles que soient leurs compétences.
Dans un tel contexte, beaucoup d’experts et de responsables sont arrivés à la conclusion que l’entreprise était la mieux placée pour assurer la formation professionnelle des jeunes. Ils ont été confortés dans leur diagnostic par le volte-face de la Banque mondiale au début des années 1990. Cette institution a longtemps été considérée comme la plus chaude partisane de l’EFTP. En effet, le tout premier prêt qu’elle a consenti pour l’éducation, en 1963, était destiné à l’EFTP qui, jusqu’au début des années 1980, s’est adjugé environ 40 % des prêts de la Banque mondiale à l’Afrique subsaharienne en matière d’éducation. Toutefois, en 1991, la Banque a fait machine arrière.
Elle s’appuyait pour cela sur un document d’orientation dont l’un des auteurs était Arvil Van Adams. Ce dernier, très respecté, a pris sa retraite de la Banque mondiale en janvier 2005, avec un seul regret : « Les gens ont pris nos préconisations au pied de la lettre. » Et de poursuivre : « On pouvait faire une lecture au premier degré et conclure que l’EFTP n’était pas un bon investissement mais ça ne tenait pas compte des nuances de notre propos. Nous plaidions pour l’abandon des investissements massifs dans les ateliers, la formation des enseignants et l’élaboration des programmes, au profit d’un travail sur les grandes orientations. Il ne s’agissait pas de faire passer l’EFTP à la trappe, mais de réformer le processus de décision. »
Une bombe à retardement
Ces nuances ont effectivement échappé à une majorité de gens et l’enseignement professionnel a pratiquement disparu des programmes de la Banque mondiale. Celle-ci a décidé d’investir massivement dans l’enseignement primaire. L’EFTP ne représente plus aujourd’hui que 8 ou 9 % des financements consacrés à l’éducation. Selon Trevor Riordan, du Bureau international du travail (BIT), les programmes internationaux de lutte contre la pauvreté font depuis lors l’impasse complète sur l’enseignement de compétences techniques.
« On voit se creuser un véritable fossé en matière d’apprentissages professionnels, explique Trevor Riordan. Les pays les moins avancés, en particulier en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, accusent un retard de plus en plus grand. »
Il convient d’ajouter à ce tableau « la bombe à retardement qui menace d’éclater lorsque les centaines de milliers d’enfants qui sont venus grossir ces dernières années les effectifs habituels du primaire se dirigeront vers le secondaire ou chercheront des emplois qui n’existent pas toujours », indique Wataru Iwamoto, directeur de la Division de l’enseignement secondaire, technique et professionnel de l’UNESCO. Dans la plupart des pays les moins avancés, les écoliers n’ont presque aucune chance de poursuivre leurs études ou de trouver du travail. « C’est pourquoi nous préconisons une conception nouvelle de l’enseignement professionnel, centré sur l’acquisition de compétences pratiques nécessaires dans la vie courante, formation qui serait dispensée dans le primaire ou le secondaire, selon les ressources de chaque pays », précise Wataru Iwamoto.
Qu’ils soient riches ou pauvres, de nombreux pays manifestent un intérêt croissant pour l’EFTP, qu’ils voient comme un moyen de sauter dans le train de la mondialisation, estime Mohan Perera, chef de la Section de l’enseignement technique et professionnel de l’UNESCO : « Voyez le transfert d’emplois massif des Etats-Unis et de l’Europe vers l’Inde et la Chine, où la main-d’œuvre est extrêmement qualifiée. En investissant lourdement dans l’EFTP, ces pays ont posé des bases solides pour leur économie. »
L’UNESCO considère qu’au-delà de la planification économique, l’enseignement technique et professionel s’inscrit dans la perspective plus large du développement durable. Depuis sa fondation, l’Organisation fait des recommandations et organise des débats de fond sur cette question, tout en conseillant les gouvernements qui tentent de réformer ou de créer des systèmes d’enseignement professionnel.
« Par le passé, la logique de l’offre était prédominante, ce qui causait de graves difficultés aux pays en développement, rappelle Mohan Perera. Soit ils investissaient lourdement pour importer de l’étranger un modèle d’enseignement supérieur qui produisait des cols blancs en trop grand nombre, soit ils s’efforçaient de créer des écoles très spécialisées, sans rapport avec les vrais besoins en main-d’œuvre. » Aujourd’hui, il s’agit de préparer les jeunes à s’adapter à l’évolution des conditions de travail, plutôt que de les enfermer dans des métiers et des compétences trop pointus.
Ces nouvelles orientations ne sont malheureusement accompagnées d’aucun mode d’emploi. Comme l’explique Fred Fluitman du BIT, « les systèmes d’enseignement secondaire se ressemblent beaucoup. En revanche, les formations techniques et professionnelles sont toutes différentes et les gouvernements passent leur temps à les remanier. » Bref, l’innovation constante est un ingrédient essentiel du processus de réforme qui, lorsqu’il est bien pensé, peut donner des résultats spectaculaires.
L’exemple de la Corée-du-Sud illustre brillamment la façon dont l’EFTP peut alimenter une croissance économique extraordinaire. Le gouvernement a progressé par étapes : il a d’abord veillé à ce que tous les enfants soient scolarisés dans le primaire avant d’engager des dépenses pour l’EFTP. Coïncidence ou choix délibéré, c’est au début des années 1980, au moment où l’économie commençait à souffrir d’une pénurie de main-d’œuvre, que les premiers investissements importants ont été effectués.
Pour réussir sa percée dans la construction, les services et la fabrication de produits manufacturés pour l’exportation, le pays avait besoin d’un apport de travailleurs qualifiés.
Au même moment, les responsables sud-coréens ont constaté un appétit croissant pour les études supérieures, avec pour corollaire prévisible l’arrivée sur le marché de jeunes gens sur-qualifiés aspirant à des emplois de bureau, dans une économie qui avait au contraire un besoin pressant de main-d’œuvre qualifiée. En développant l’EFTP, le gouvernement entendait répondre à la demande des entreprises tout en soulageant les universités.
Aujourd’hui, près de 40 % des élèves du secondaire suivent une formation technique ou professionnelle. Cependant, l’EFTP fait toujours figure de pis-aller. Le gouvernement s’efforce donc de créer des passerelles vers l’enseignement supérieur. Les élèves des filières professionnelles ont à présent au programme une proportion substantielle de matières générales, ce qui leur permet d’entrer à l’université. Dans certains établissements, le tronc commun entre les formations techniques et l’enseignement généraliste représente jusqu’à 75 % des cours. Le gouvernement oriente aussi des financements privés et publics vers de nouveaux établissements du supérieur qui dispensent un enseignement professionnel de haut niveau, afin d’éradiquer l’idée selon laquelle l’EFTP serait une voie de garage.
Le grand défi consiste en fait à suivre le rythme des évolutions technologiques. Pour que les programmes restent pertinents, le gouvernement prévoit de resserrer les liens avec le secteur privé. Ainsi, la Corée-du-Sud teste sa propre version du célèbre système alterné allemand, qui remonte à la période de reconstruction de l’après-guerre. Elle a choisi une formule qui combine deux années d’études et une année d’apprentissage en entreprise.
Des réformes semblables prennent place aujourd’hui en Chine où, selon l’Institut de statistique de l’UNESCO, le tiers des élèves du secondaire est inscrit dans des écoles professionnelles (voir encadré p. 7). Il est toutefois difficile d’établir des parallèles entre les deux pays. Alors qu’une pénurie de bras a présidé aux réformes en Corée-du-Sud, la Chine connaît un excédent de main-d’œuvre car la création d’emplois ne suit pas le rythme de la croissance économique. La Corée a eu le loisir de concevoir un système nouveau pour répondre à des besoins futurs, tandis que la Chine doit corriger tant bien que mal un système obsolète.
De vraies passerelles
Pour y parvenir, les dirigeants chinois ont fait alliance avec le secteur privé, dit Dingyong Hou, spécialiste de l’éducation à la Banque mondiale. Les entreprises fournissent des fonds, du matériel, des stages et des conseils, tandis que leurs réprésentants siègent dans les comités consultatifs rattachés aux établissements. Pour Dingyong Hou, ces partenariats s’inscrivent dans une conception de l’apprentissage tout au long de la vie qui veut que l’école développe les aptitudes des élèves et que le travail leur donne une formation.
Les pays de l’ex-Union soviétique semblent moins pressés de relâcher le contrôle de l’Etat sur les filières d’enseignement professionnel. La République tchèque fournit à ce titre un exemple digne des meilleures notes.
C’est l’un des rares pays où l’enseignement professionnel jouit d’un grand prestige. Vaclav Klenha, spécialiste auprès de la Fondation européenne pour la formation, estime que quelque 75 % des élèves du secondaire suivent une filière d’EFTP, le dernier quart des effectifs restant dans l’enseignement général classique. Plutôt que d’abandonner le système aux forces du marché, le gouvernement a donné une plus grande liberté aux chefs d’établissement et aux enseignants pour actualiser les programmes et y introduire des disciplines professionnelles nouvelles au lieu de s’en tenir aux compétences habituellement associées à un métier donné.
Les passerelles vers l’enseignement supérieur constituent un autre atout de taille. Les élèves du secondaire peuvent tous passer la « Maturita », l’examen de fin de cycle indispensable pour se présenter aux examens d’entrée à l’université. En outre, certains établissements du supérieur qui dispensent un enseignement professionnel, écoles de haut niveau créées ces dix dernières années, permettent aux étudiants d’intégrer directement l’université.
La Fédération de Russie prévoit de décentraliser l’EFTP pour permettre aux régions de gérer elles-mêmes les programmes. Ce n’est pas tâche aisée. Pour Peter Grootings de la Fondation européenne pour la formation, la plupart des écoles ne méritent pas ce nom mais « elles évitent au moins que les enfants traînent dans la rue, et leur assurent un repas chaud par jour. Ces établissements publics comptent parmi les rares structures qui existent encore apportant une aide aux jeunes et aux familles pauvres. »
Auparavant, les deux tiers des travailleurs russes étaient formés dans des écoles professionnelles élémentaires ; 22 % de la population a suivi un enseignement professionnel du niveau du secondaire, soit une fois et demi plus que les gens qui ont fait des études supérieures.
Investir pour le futur
Des experts comme Peter Grootings réfléchissent aux moyens d’ouvrir les filières de formation professionnelle sur l’enseignement supérieur ou d’instaurer des stages en entreprise qui contribueraient à dynamiser ces cursus. Le problème, c’est l’argent. Le secteur privé russe est trop désorganisé pour mettre en place des partenariats sérieux, estime Peter Grootings : « C’est l’Etat qui doit investir pour la génération actuelle et pour l’avenir du pays. »
Ce que font des pays beaucoup plus pauvres que la Fédération de Russie. Ainsi le Botswana, le Ghana et le Kenya assument le financement des formations professionnelles depuis que les prêts de la Banque mondiale se sont taris dans les années 1990. Au lieu de créer une filière distincte d’établissements spécialisés, ces pays ont « professionnalisé » l’enseignement secondaire. Ils ont conservé les matières classiques mais 15 à 30 % des cours traitent de sujets pratiques relatifs à l’agriculture, la gestion, la création d’entreprise, etc.
« Il s’agit de rétablir l’équilibre entre les finalités d’un enseignement secondaire généraliste et les besoins de la société », indique Rupert Maclean, directeur du Centre de l’UNESCO pour l’EFTP.
Le Centre vient de publier une série d’études sur l’instauration de ces cours techniques et professionnels en Afrique subsaharienne (voir encadré p. 5). Au Kenya, au Ghana et au Botswana, les autorités se sont engagées sans réserve dans cette démarche, souligne l’un des auteurs, Jon Lauglo, ancien expert de la Banque mondiale en matière d’EFTP. Le Botswana, en particulier, a consenti d’énormes investissements pour introduire l’informatique dans le secondaire.
L’enseignement technique suscite de grands espoirs et les parents se bousculent pour inscrire leurs enfants à des cours censés déboucher sur un emploi. Rançon du succès, la demande est si forte qu’il devient difficile de réserver ces nouveaux programmes à quelques régions où ils pourraient être testés et améliorés. De ce fait, déplore Jon Lauglo, on a assisté à un saupoudrage des ressources.
Dans les pays pauvres, environ 80 % des activités requièrent une formation professionnelle. Il y a urgence à faire coïncider les demandes d’emplois et les besoins de la société. Les gouvernements, dit Mohan Perera, ne peuvent pas se dispenser d’investir pour former les générations futures.
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