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Entretien avec la Secrétaire générale adjointe aux affaires humanitaires et Coordonatrice des secours d’urgence, Valerie Amos

La Secrétaire générale adjointe aux affaires humanitaires et Coordonatrice des secours d’urgence, Valerie Amos. Photo ONU/Evan Schneider

5 avril 2013 – En septembre 2010, Valerie Amos a pris ses fonctions à la tête du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), chargé de la coordination entre les diverses agences du système des Nations Unies sur le plan humanitaire. Du déploiement d’équipes d’intervention rapide à l’évaluation des besoins, en passant par la levée de fonds et la facilitation de la coordination entre personnels civils et militaires, l’OCHA joue un rôle important dans toutes les situations de crise dans le monde.

En sa qualité de Coordonatrice des secours d’urgence, Mme Amos, qui était auparavant Ministre et parlementaire au Royaume-Uni, est désormais le point focal de l’ONU pour l’action humanitaire. Elle y dirige un département de 2.000 personnes présentes dans 50 pays, de l’Afghanistan au Zimbabwe, en passant par la République centrafricaine.

Mme Amos a récemment accepté d’accorder un entretien au Centre d’actualités de l’ONU, de retour d’une mission en Turquie, où elle s’est rendue dans des camps de réfugiés syriens contraints à la fuite par le conflit dans leur pays.

Vous avez effectué plusieurs déplacements en Syrie et dans les pays voisins, où sont réfugiés de nombreux syriens. Pouvez-vous décrire ce que vous avez vu?

La situation continue d’empirer. La dernière fois que j’étais en Syrie, c’était en janvier. Les bombardements y sont incessants et je pense que les gens peuvent en voir les conséquences à la télévision. Mais comment relater les conversations que j’ai eues avec leLes gens ont le sentiment que la communauté internationale les a abandonnés, que nous ne faisons pas tout notre possible pour mettre fin à la crise [en Syrie].s personnes touchées à l’intérieur du pays ou les réfugiés… la peur, la colère… Les gens ont le sentiment que la communauté internationale les a abandonnés, que nous ne faisons pas tout notre possible pour mettre fin à la crise. Ils n’arrivent pas à croire que deux ans se sont écoulés. Je reviens de Turquie. Les gens que j’y ai rencontrés pensent qu’ils partaient pour quelques mois seulement et rentreraient vite. Ils sont maintenant désespérés…

Je suis inquiète devant l’insuffisance des moyens à notre disposition pour répondre aux besoins croissant de ces populations et c’est bien sûr un environnement de travail difficile. La situation sécuritaire est très mauvaise. Notre personnel doit faire face à l’insécurité au quotidien, comme hier, lorsqu’une bombe a explosé à Damas. Nous tentons d’acheminer des convois dans des lieux difficiles d’accès. Nous avons reçu des informations au sujet d’attaques aux armes chimiques. Nous avons tenté de faire parvenir un convoi à Alep avec des fournitures médicales à bord, mais il a été détourné. Nos personnels de terrain et nos partenaires du Croissant rouge arabe syrien font ce qu’ils peuvent. Le peuple syrien vit de la sorte au quotidien, il craint pour sa vie, pour celle de ses enfants. La communauté internationale doit faire davantage.

Centre d’actualité de l’ONU : quels sont les besoins les plus urgents à l’heure actuelle ?

Valerie Amos auprès de familles déplacées par des inondations au Pakistan, en septembre 2010. Photo: Truls Brekke/FAO

Les articles médicaux. La Syrie est un pays qui fabriquait ses propres médicaments avant la guerre. J’ai appris plus tôt cette semaine du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) que nous avons franchi un tournant dans ce pays, où le nombre de pertes civiles imputables à la destruction des infrastructures médicales a dépassé celui des victimes directes du conflit. Les gens meurent désormais de causes naturelles, mais qui n’étaient pas fatales un an ou 18 mois auparavant.

Je m’inquiète pour les enfants, pour les victimes de violences et d’abus sexuels. Nous entendons que les hommes sont également victimes d’abus des les centres de détention. On parle désormais d’un million de réfugiés. Donc, nous avons besoin de denrées alimentaires, d’abris, y compris dans les pays voisins.

Fin janvier, les bailleurs de fonds se sont engagés à fournir 1,5 milliard de dollars pour financer l’intervention humanitaire en Syrie. Comment les convaincre de concrétiser ces promesses de contribution au plus vite ?

C’est le défi que je m’efforce de relever actuellement. Sept semaines se sont écoulées depuis la conférence des donateurs. Mais les pays doivent suivre des procédures pour débourser les fonds. Certains doivent obtenir l’aval de leur parlement, d’autres conditionnent leur aide au fait de savoir à quoi servira leur contribution. En attendant, les agences humanitaires de l’ONU risquent de manquer de fonds, comme le Programme alimentaire mondial (PAM), le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Je dois donc convaincre les bailleurs de fonds de tenir leurs promesses afin que nous puissions poursuivre notre travail.

De retour de mission en Syrie et au Mali, Valerie Amos s’adresse au Centre d’actualités de l’ONU. Vidéo : UNTV

Quelle est la situation actuelle au Sahel, objet de toutes les attentions l’an dernier ?

D’un côté, nous avons bien répondu à la situation qui prévalait au Sahel. Nous redoutions de faire face à une insécurité alimentaire et à une malnutrition comparables à celle qui sévissait l’année précédente dans la Corne d’Afrique, où un problème de famine s’est posé en Somalie. Nous avons pu éviter cette situation, en partie parce que les gouvernements eux-mêmes se sont dotés de systèmes d’alerte précoce, avec le soutien des agences de l’ONU. Nous sommes tous très heureux d’avoir évité le pire.

Mais cette année, près de 10 millions de personnes sont à nouveau menacées, en dépit de participations plus abondantes. La situation s’est détérioration en raison de l’impact du conflit au Mali. L’opération française en janvier a beaucoup aidée à stabiliser le pays. Il faut maintenant s’assurer que les populations du nord ont le sentiment de faire partie intégrante du Mali. Pour cela, la réconciliation doit commencer. Il faut également que l’aide parvienne aux gens et qu’ils se sentent en sécurité. De nombreuses discussions sont en cours, notamment pour déterminer le rôle à venir de l’ONU dans le renforcement des institutions de l’État, l’organisation d’élections, l’assistance humanitaire et le développement. Parallèlement, les déplacements continuent et les pays voisins sont toujours affectés par ce qu’il se passe au Mali.

Quels sont les crises les plus urgentes du moment, en dehors de celles qui sévissent en Syrie et au Sahel ?

Valerie Amos rencontre une femme déplacée dans un camp à Mopti, au Mali, en août 2012. Photo : OCHA

Le Yémen, qui ne figure pas en tête des priorités, alors qu’une crise grave est en cours, dans le nord, le centre et le sud du pays. Je suis également préoccupée par les développements en République centrafricaine, les tensions entre le Soudan et le Soudan du Sud, la crise au Darfour qui demeure difficile. La République démocratique du Congo, la Somalie ou l’Afghanistan, la liste est longue.

Comment faire face à la lassitude de bailleurs de fonds sollicités par autant de situations d’urgence ?

Les donateurs se lassent, comme tout le monde. Oui, les crises sont nombreuses, mais en même temps, chacune de ces crises concerne des gens. Il s’agit de personnes, d’enfants, de familles, et une partie de mon travail est de le rappeler. Il faut rappeler qu’il ne s’agit pas seulement de chiffres, mais de milliers, voire de millions d’individus.

Vous êtes à la tête de l’OCHA depuis trois ans. Quel a été votre plus grand défi ?

Des familles syriennes racontent le traumatisme provoqué par leur déplacement forcé (janvier 2013). Vidéo : UNTV

Les défis et les frustrations ne manquent pas. Mais les opportunités non plus. Si je dois parler de défis, je dirai qu’il y a en a trois principaux. Le premier est de savoir comment mettre au point le système d’intervention humanitaire le plus efficace possible. Comment pouvons-nous apporter une réponse collective pour aider les plus vulnérables ? Ensuite, il y a la question de la sensibilisation : je dois m’assurer que l’ampleur des besoins soit bien comprise pour que les donateurs débloquent les fonds nécessaires.

Enfin, il faut éviter de perdre de vue la dimension humanitaire de crises qui deviennent de plus en plus complexes et politiques, comme c’est le cas en Syrie ou au Mali. Il faut impérativement séparer les priorités humanitaires des priorités politiques, mais cela devient de plus en plus difficile.

Vous vous êtes rendue dans de nombreux pays dans le cadre de vos fonctions. Quelle histoire, situation ou image vous vient spontanément à l’esprit ?

Il y en a beaucoup, mais si je ne devais en mentionner qu’une seule, ce serait celle d’une petite fille que j’ai rencontrée avec sa mère dans un camp en Éthiopie. Elles n’avaient presque rien à manger et la maman était occupée à alimenter sa fille avec un produit enrichi du PAM, le Plumpy’nut, que l’UNICEF utilise aussi pour traiter la malnutrition aiguë. Alors que la mère a cessé de la nourrir quelques minutes pour parler avec moi, sa fille a attrapé sa main pour qu’elle remette la cuillère dans sa bouche. Elle voulait vivre. Elle voulait manger pour vivre. C’est une image qui reste gravée dans ma mémoire.

Votre programme de travail et de déplacements est épuisant et vous traitez des dossiers difficiles en permanence. Comment faites-vous pour rester en forme et garder votre énergie ?

Je fais beaucoup de choses, c’est vrai. Je voyage en moyenne deux semaines sur trois. C’est physiquement et émotionnellement éprouvant, car vous êtes témoins de choses terribles, mais ce sont les gens que vous rencontrez qui vous donnent de l’énergie. Je devrai sans doute manger mieux et faire davantage d’exercice physique. J’accorde une priorité à ma fonction plutôt qu’à moi-même, car je sais que mon travail et celui de mes collaborateurs peut aider les autres.