La Conférence générale,
Attachée au plein respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales proclamés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et d'autres instruments juridiques universellement reconnus, et ayant présents à l'esprit les deux Pactes internationaux de 1966 relatifs, respectivement, aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels,
Reconnaissant le "rôle central et important de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture dans le domaine de l'information et de la communication ainsi que dans la mise en œuvre des décisions que la Conférence générale de cette Organisation a adoptées dans ce domaine et des parties pertinentes des résolutions adoptées par l'Assemblée sur la question",
Rappelant qu'il est affirmé dans le Préambule de l'Acte constitutif de l'UNESCO que "la dignité de l'homme exigeant la diffusion de la culture et l'éducation de tous en vue de la justice, de la liberté et de la paix, il y a là, pour toutes les nations, des devoirs sacrés à remplir dans un esprit de mutuelle assistance",
Rappelant également l'article premier de l'Acte constitutif, qui assigne à l'UNESCO, entre autres tâches, celle de recommander "tels accords internationaux qu'elle juge utiles pour faciliter la libre circulation des idées, par le mot et par l'image",
Affirmant les principes inscrits dans la Déclaration universelle sur la diversité culturelle, adoptée par la Conférence générale de l'UNESCO à sa 31e session, et en particulier ses articles 5, 6 et 8,
Se référant aux résolutions de la Conférence générale de l'UNESCO relatives à la promotion du multilinguisme et de l'accès universel à l'information dans le cyberespace,
Convaincue que le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication (TIC) offre des possibilités d'améliorer la libre circulation des idées par le mot et par l'image, mais rend aussi plus problématique la participation de tous à la société mondiale de l'information,
Notant que la diversité linguistique dans les réseaux mondiaux d'information et l'accès universel à l'information dans le cyberespace sont au cœur des débats contemporains et peuvent être un facteur déterminant du développement d'une société fondée sur le savoir,
Tenant compte des traités et accords internationaux relatifs à la propriété intellectuelle, en vue de faciliter la promotion d'un accès universel à l'information,
Consciente de la nécessité de renforcer, en ce qui concerne les pays en développement en particulier, les capacités d'acquisition et d'application des nouvelles technologies en faveur des défavorisés en matière d'information,
Reconnaissant que l'éducation de base et l'alphabétisation sont des conditions préalables de l'accès universel au cyberespace,
Considérant que les différences de niveau de développement économique influent sur les possibilités d'accès au cyberespace et que des politiques spécifiques et une solidarité accrue sont nécessaires pour corriger les disparités actuelles et créer un climat de confiance et de compréhension mutuelles,
Adopte la présente recommandation :
ELABORATION DE CONTENUS ET DE SYSTEMES MULTILINGUES
1. Les secteurs public et privé et la société civile, aux niveaux local, national, régional et international, devraient s'efforcer de fournir les ressources nécessaires et prendre les mesures requises pour atténuer les obstacles linguistiques et promouvoir l'interaction humaine sur l'Internet en encourageant la création et le traitement des contenus éducatifs, culturels et scientifiques sous forme numérique, et l'accès à ces contenus, de façon à assurer que toutes les cultures puissent s'exprimer et avoir accès au cyberespace dans toutes les langues, y compris les langues autochtones.
2. Les Etats membres et les organisations internationales devraient encourager et appuyer le renforcement des capacités de production de contenus locaux et autochtones sur l'Internet.
3. Les Etats membres devraient formuler des politiques nationales appropriées sur la question cruciale de la survie des langues dans le cyberespace en vue de promouvoir l'enseignement des langues, y compris les langues maternelles, dans le cyberespace. L'appui et l'assistance internationale aux pays en développement devraient être renforcés et élargis pour faciliter la conception de matériel librement accessible sur l'enseignement des langues sous forme électronique et l'amélioration des compétences humaines dans ce domaine.
4. Les Etats membres, les organisations internationales et les entreprises spécialisées dans les technologies de l'information et de la communication devraient encourager la recherche-développement, suivant des modalités de collaboration participative, pour la mise au point de systèmes d'exploitation, moteurs de recherche et navigateurs Web dotés de grandes capacités multilingues, ainsi que leur adaptation aux conditions locales. Ils devraient appuyer les efforts internationaux de coopération relatifs aux services de traduction automatisée accessibles à tous, ainsi qu'aux systèmes linguistiques intelligents tels que ceux qui remplissent des fonctions multilingues de recherche de l'information, de dépouillement/résumé et de reconnaissance de la parole, tout en respectant pleinement le droit de traduction des auteurs.
5. L'UNESCO, en coopération avec d'autres organisations internationales, devrait établir un observatoire en ligne, fonctionnant sur la base de la collaboration, sur les politiques, réglementations, recommandations techniques et bonnes pratiques ayant trait au multilinguisme et aux ressources et applications multilingues, y compris les innovations en matière d'informatisation du traitement des langues.
FACILITER L'ACCES AUX RESEAUX ET SERVICES
6. Les Etats membres et les organisations internationales devraient reconnaître et soutenir l'accès universel à l'Internet en tant que moyen de promouvoir le respect des droits de l'homme définis aux articles 19 et 27 de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
7. Les Etats membres et les organisations internationales devraient promouvoir l'accès à l'Internet en tant que service d'intérêt public par l'adoption de politiques appropriées visant à renforcer le processus d'autonomisation des citoyens et de la société civile, et en encourageant la bonne application, et le soutien, de ces politiques dans les pays en développement, compte dûment tenu des besoins des communautés rurales.
8. En particulier, les Etats membres et les organisations internationales devraient créer, aux niveaux local, national, régional et international, des mécanismes destinés à faciliter l'accès universel à l'Internet grâce à des tarifs de télécommunication et d'Internet abordables, compte tenu en particulier des besoins des organismes de service public et établissements éducatifs, et de ceux des groupes défavorisés et handicapés de la population. De nouvelles incitations dans ce domaine devraient être conçues à cet effet, notamment les partenariats secteur public-secteur privé, en vue d'encourager l'investissement et l'abaissement des obstacles financiers à l'utilisation des TIC, tels que les taxes et droits de douane sur le matériel, les logiciels et les services informatiques.
9. Les Etats membres devraient encourager les fournisseurs d'accès Internet (FAI) à envisager l'application de tarifs à des taux de faveur pour l'accès à l'Internet dans les établissements publics tels que les écoles, les établissements d'enseignement supérieur, les musées, les archives et les bibliothèques publiques, en tant que mesures de transition vers l'accès universel au cyberespace.
10. Les Etats membres devraient encourager l'élaboration, en matière d'information, de stratégies et de modèles facilitant l'accès communautaire et touchant toutes les couches de la société, notamment en entreprenant des projets communautaires et en favorisant la formation de responsables et de conseillers locaux dans le domaine des technologies de l'information et de la communication. Les stratégies devraient aussi promouvoir la coopération en matière de TIC entre les institutions assurant un service public comme moyen de réduire le coût de l'accès aux services Internet.
11. Il faudrait encourager l'interconnexion, fondée sur un partage des coûts convenu par voie de négociation dans un esprit de coopération internationale, des points de connexion directe nationaux pour les échanges sans compensation financière (peering) sur l'Internet combinant le trafic des FAI privés et à but non lucratif dans les pays en développement et les points de connexion directe dans les autres pays, en développement ou industrialisés.
12. Les organisations ou instances régionales devraient encourager la création de réseaux interrégionaux et intrarégionaux alimentés par des dorsales régionales à forte capacité pour connecter chaque pays au sein d'un réseau mondial dans un environnement concurrentiel ouvert.
13. Des efforts concertés devraient être faits dans le cadre du système des Nations Unies pour promouvoir le partage de l'information et des données d'expérience sur l'utilisation des réseaux et services fondés sur les TIC aux fins du développement socio-économique, notamment les technologies source ouverte, ainsi que l'élaboration des politiques et le renforcement des capacités dans les pays en développement.
14. Les Etats membres et les organisations internationales devraient promouvoir des partenariats judicieux dans la gestion des noms de domaines, notamment en ce qui concerne les noms de domaines multilingues.
DEVELOPPEMENT DES CONTENUS DU DOMAINE PUBLIC
15. Les Etats membres devraient reconnaître et faire respecter le droit d'accès en ligne universel aux documents publics et dossiers administratifs contenant l'information intéressant le citoyen dans une société démocratique moderne, compte dûment tenu des exigences de confidentialité, de respect de la vie privée et de sécurité nationale, ainsi que des droits de propriété intellectuelle dans la mesure où ils s'appliquent à l'utilisation de cette information. Les organisations internationales devraient reconnaître et promulguer le droit de chaque Etat d'avoir accès aux données essentielles relatives à sa situation sociale ou économique.
16. Les Etats membres et les organisations internationales devraient identifier et promouvoir les gisements d'information et de connaissances du domaine public et les rendre accessibles à tous, façonnant ainsi des univers éducatifs propices au développement de la créativité et de l'audience. A cette fin, un financement suffisant devrait être alloué à la conservation et la numérisation de l'information du domaine public.
17. Les Etats membres et les organisations internationales devraient encourager les formules de coopération respectant l'intérêt tant public que privé qui garantissent l'accès universel à l'information dans le domaine public, sans discrimination d'ordre géographique, économique, social ou culturel.
18. Les Etats membres et les organisations internationales devraient encourager les solutions d'accès libre, notamment l'élaboration de normes techniques et méthodologiques pour l'échange d'information, la portabilité et l'interopérabilité, ainsi que l'accessibilité en ligne de l'information du domaine public sur les réseaux mondiaux d'information.
19. Les Etats membres et les organisations internationales devraient promouvoir et faciliter la diffusion des connaissances en matière de technologies de l'information et de la communication, notamment en popularisant l'application et l'utilisation des TIC et en faisant en sorte qu'elles inspirent la confiance. Le développement du "capital humain" pour la société de l'information, notamment par une éducation ouverte, intégrée et interculturelle, combinée à une formation technique aux TIC, est d'une importance cruciale. La formation aux TIC ne devrait pas se limiter à la compétence technique, la sensibilisation aux principes éthiques et aux valeurs morales devant y avoir sa place.
20. La coopération interinstitutions au sein du système des Nations Unies devrait être renforcée en vue de constituer, à partir de l'énorme quantité d'informations produites dans le cadre des projets et programmes de développement, un corpus universellement accessible de connaissances, au profit en particulier des pays en développement et des communautés défavorisées.
21. L'UNESCO, en étroite coopération avec les autres organisations intergouvernementales compétentes, devrait entreprendre l'établissement d'un inventaire international des législations, réglementations et politiques portant sur la création et la diffusion en ligne d'informations du domaine public.
22. Les producteurs et utilisateurs d'information et les FAI devraient être encouragés à développer l'autorégulation par la définition et l'adoption des bonnes pratiques et de codes de déontologie professionnelle et d'éthique volontaires, compte dûment tenu de la liberté d'expression.
REAFFIRMER UN JUSTE EQUILIBRE ENTRE LES INTERETS DES TITULAIRES DE DROITS ET LES INTERETS DU PUBLIC
23. Les Etats membres devraient entreprendre, en étroite coopération avec toutes les parties intéressées, la mise à jour de la législation nationale relative aux droits d'auteur et son adaptation au cyberespace, compte pleinement tenu du juste équilibre entre les intérêts des auteurs, des titulaires de droits d'auteur et de droits voisins et ceux du public consacrés dans les conventions internationales relatives au droit d'auteur et aux droits voisins.
24. Les Etats membres et les organisations internationales, le cas échéant, devraient encourager les titulaires de droits et les bénéficiaires légaux des limitations et exceptions en matière de protection des droits d'auteur et droits voisins à faire en sorte que ces limitations et exceptions soient appliquées dans certains cas spéciaux où il n'est pas porté atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ni causé de préjudice injustifié aux intérêts légitimes des titulaires de droits, comme stipulé dans les Traités de l'OMPI sur le droit d'auteur et sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes.
25. Les Etats membres et les organisations internationales devraient accorder une grande attention à l'évolution des innovations technologiques et à l'impact qu'elles pourraient avoir sur l'accès à l'information dans le cadre de la protection des droits d'auteur et droits voisins prévue dans les traités et accords internationaux.
* * *
La Conférence générale recommande aux Etats membres d'appliquer les dispositions ci-dessus en prenant toutes les mesures, législatives ou autres, requises pour donner effet, sur leur territoire et dans leur juridiction, aux normes et principes formulés dans la présente recommandation.
La Conférence générale recommande aux Etats membres de porter cette recommandation à l'attention des autorités et services responsables des travaux, publics et privés, consacrés aux politiques, stratégies et infrastructures en matière de TIC, notamment en ce qui concerne l'utilisation du multilinguisme sur l'Internet, la mise en place de réseaux et services, l'expansion du domaine public informationnel sur l'Internet et les questions relatives aux droits de la propriété intellectuelle.
La Conférence générale recommande aux Etats membres de lui faire rapport, aux dates et de la manière qu'elle déterminera, sur les mesures qu'ils ont prises pour donner effet à la présente recommandation.
APPENDICE
DEFINITIONS
Aux fins de la présente recommandation :
(a) une dorsale est un réseau à forte capacité reliant entre eux d'autres réseaux de moindre capacité ;
(b)les limitations et exceptions en matière de droit d'auteur sont des dispositions de la législation relative au droit d'auteur et aux droits voisins limitant le droit de l'auteur ou d'autres titulaires de droits en ce qui concerne l'exploitation de leur œuvre ou des objets de droits voisins. Les principales formes de limitation et d'exception sont la licence obligatoire, la licence d'office et l'usage loyal ;
(c) le cyberespace désigne le monde virtuel rendu accessible grâce aux communications numériques ou électroniques reposant sur l'infrastructure mondiale de l'information ;
(d) le nom de domaine est le nom donné à une adresse Internet qui facilite l'accès aux ressources de l'Internet par les utilisateurs (par exemple "unesco.org" dans http://www.unesco.org) ;
(e) les systèmes linguistiques intelligents combinent la puissance et rapidité de calcul, de recherche et de manipulation des données des ordinateurs d'aujourd'hui aux capacités de raisonnement plus abstraites et plus subtiles et à la compréhension de nuances qui sont implicites, mais non nécessairement explicitement formulées, dans la communication interhumaine dans une même langue ou d'une langue à l'autre, permettant ainsi une simulation de haute qualité de la communication humaine ;
(f) le fournisseur d'accès Internet (FAI) désigne un fournisseur de services d'accès à l'Internet;
(g) l'interopérabilité est la capacité des logiciels et matériels de différentes machines provenant de différents fabricants de partager les données ;
(h) les technologies source ouverte sont fondées sur le concept de source à accès libre, une norme de certification publiée par l'Open Source Initiative (OSI) qui indique que le code source (instructions de programme sous leur forme originelle ou en langage de programmation) d'un programme informatique est mis gratuitement à la disposition du public ;
(i) la connexion directe sans compensation financière (peering) est une relation entre deux FAI ou plus dans laquelle les FAI créent un lien direct entre eux et acceptent de se communiquer leurs paquets de données respectifs directement sur cette liaison plutôt que d'utiliser la dorsale Internet. Lorsque la connexion directe concerne plus de deux FAI, tout le trafic destiné à l'un des FAI est d'abord transmis à un central, appelé point de connexion avant d'être acheminé à sa destination finale ;
(j) la portabilité désigne la possibilité d'utiliser un logiciel sur différents ordinateurs sans avoir besoin de machines ou matériel particuliers ;
(k) le domaine public informationnel est constitué par l'information publiquement accessible, dont l'utilisation ne porte atteinte à aucun droit légal ni à aucune obligation de confidentialité. Il englobe ainsi l'ensemble des œuvres ou objets de droits voisins qui peuvent être exploités par quiconque sans autorisation, par exemple parce que la protection n'est pas assurée en vertu du droit national ou international, ou en raison de l'expiration du délai de protection. Il englobe en outre les données publiques et l'information officielle que les gouvernements et les organisations internationales produisent et mettent volontairement à la disposition du public ;
(l) un moteur de recherche est un logiciel d'application qui recherche des documents à partir de mots clés spécifiés et localise ou saisit les documents où les mots clés ont été trouvés ;
(m) l'accès universel au cyberespace est l'accès équitable et abordable par tous les citoyens aux infrastructures d'information (en particulier à l'Internet) et aux informations et savoirs indispensables au développement humain collectif et individuel ;
(n) un navigateur Web est un logiciel utilisé pour localiser et afficher des pages du réseau mondial Web.
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