|
Table des matières
Au-delà des trois domaines
d'action qui figurent sur son ordre du jour - la lutte contre la pauvreté,
l'intégration sociale et la création d'emplois productifs - l'enjeu du
Sommet social de Copenhague est de relancer, au niveau politique le plus
élevé, le débat sur le développement. Le Sommet de la Terre de Rio, en
juin 1992, la Conférence du Caire sur la population et le développement,
en septembre 1994, l'avaient déjà entamé. La Conférence de Beijing sur les
femmes et le développement, en septembre 1995 et le Sommet de la Ville, à
Istanbul, en juin 1996, le continueront. Cependant, le Sommet de
Copenhague constitue le cadre le plus approprié pour repenser le
développement dans sa globalité, dans une perspective transectorielle et
transdisciplinaire.
Au vu de ce qui s'est passé en matière de développement depuis 50 ans,
dans le Nord, le Sud, l'Est et l'Ouest, il faut faire preuve d'un
singulier aveuglement pour se contenter d'attitudes routinières et
fatalistes, et notamment, de la posture : "il n'y a pas d'autres
politiques possibles".
Il est, au contraire, nécessaire de faire preuve d'imagination et de
détermination, afin d'innover, de rechercher de nouveaux paradigmes et de
mettre en oeuvre de nouvelles stratégies de développement. Car il existe
d'autres politiques, d'autres choix, d'autres orientations possibles.
Cela est, précisément, l'objet de l'analyse ci-dessous du professeur
Ignacy Sachs, rédigée à l'occasion du Sommet social, dans le but de
nourrir la réflexion et étayer les propositions de politiques de
développement que nous espérons voir inscrites dans le plan d'action de
Copenhague. Un des plus grands spécialistes internationaux des questions
de développement, participant de premier plan aux principaux évènements
internationaux depuis un quart de siècle, tels que la Conférence de
Stockholm sur l'environnement (1972), le Sommet de Rio sur l'environnement
et le développement (1992) et maintenant le Sommet social, et fin
connaisseur des institutions internationales, Ignacy Sachs est
particulièrement bien placé pour nous proposer de nouvelles pistes à
explorer sur la voie du développement.
Son texte reflète certes ses propres analyses, mais il se fonde
également sur les résultats d'une série d'activités que l'UNESCO a
entreprises afin de préparer le Sommet de Copenhague, auxquelles il a
d'ailleurs été associé de près, depuis l'automne 1993, en tant que
Conseiller spécial de l'Organisation.
Ces activités, qui témoignent de l'importance que l'Organisation
attache aux questions du développement et de sa volonté de jouer un rôle
central dans la mise en _uvre du plan d'action adopté à Copenhague,
comportent plusieurs volets. D'abord, le Directeur général de l'UNESCO a
convoqué, en juin 1994, à Paris, un colloque international intitulé : "Et
le développement?", qui a posé le problème dans sa globalité.
Deuxièmement, une série de colloques régionaux ont eu lieu, afin de
discuter des perspectives régionales sur le développement social : en
novembre 1994, pour l'Amérique latine et l'Asie ; en décembre 1994, pour
l'Afrique occidentale et en janvier 1995, pour l'Afrique orientale et
australe. La plupart de ces rencontres régionales ont été précédées de
colloques nationaux.
Ensuite, deux conférences internationales ont été organisées. La
première qui s'est tenue à Bologne, Italie, en décembre 1994, en
collaboration avec l'Université et la ville de Bologne, était consacrée au
thème de "Politiques publiques, actions populaires et développement
social". La seconde, organisée également en décembre 1994, à New Delhi,
Inde, en collaboration avec nistads (Institut national pour les études sur
la science, la technologie et le développement), portait sur "La science
et la technologie pour le développement social".
Enfin, en mars 1995, sur les lieux du Sommet social, l'UNESCO organise
trois manifestations : une Rencontre au sommet des 9 pays en développement
les plus peuplés (Bengladesh, Brésil, Chine, Egypte, Inde, Indonésie,
Mexique, Nigéria et Pakistan) à Copenhague; un grand colloque
international intitulé : "De l'exclusion sociale à la cohésion sociale :
vers un agenda de politiques", à Roskilde, près de Copenhague, dans le
cadre du programme most de l'UNESCO, en collaboration avec l'Institut
international des études sociales de l'oit, l'Organisation mondiale de la
santé, la Commission de l'Union européenne (d.g.xii), l'orstom (l'Institut
français de recherche scientifique pour le développement en coopération)
et l'Université de Roskilde. Ce colloque, qui est l'aboutissement des
travaux de l'UNESCO en vue du Sommet social, dont il tire les
enseignements et formule des recommandations relatives à des actions
futures, doit débattre des questions suivantes : de l'exclusion sociale à
la justice sociale ; pour un changement des styles de vie et des modes de
consommation dans le Nord et dans le Sud ; de l'Etat-providence à une
société qui se prend en charge (caring society) ; le public et le privé :
nouveaux partenariats entre acteurs sociaux et rendre les villes vivables;
enfin, une table ronde, à Copenhague, sur la "pauvreté et participation
civique", en collaboration avec le programme crop (Recherches comparatives
sur la pauvreté) du Conseil international des sciences sociales.
Francine FOURNIER Sous-directeur général pour les sciences sociales
et humaines UNESCO Paris, février 1995
Les Nations Unies ont convoqué pour le mois de mars
1995, à Copenhague, un Sommet des Chefs d'Etat consacré au développement
social. La date de cette réunion est lourde en symboles. En effet, 1995
marquera le 50ème anniversaire du lancement de la bombe atomique sur
Hiroshima, de la fin de la Seconde Guerre mondiale et de la création de
l'onu. Ce sera donc une occasion privilégiée pour dresser un bilan en
clair-obscur du demi-siècle écoulé et s'interroger sur la possibilité
d'infléchir le cours des cinquante prochaines années et de parvenir à un
résultat plus satisfaisant en matière de paix et de développement, les
deux objectifs centraux des Nations Unies.
Bilan en
obscur-clair devrait-on dire plutôt, parce que tout au long de la période
qui a suivi la seconde guerre mondiale se sont succédés des conflits
sanglants sur fond politique, ethnique, voire religieux, des violences
institutionnalisées, des atteintes multiples aux droits fondamentaux,
l'imposition de régimes autoritaires et de pratiques de démocratie de
façade.
Pendant la guerre froide, l'équilibre de terreur entre les deux
superpuissances a permis d'éviter le pire : le conflit mondial entraînant
l'holocauste nucléaire. La fin de la guerre froide n'a pas définitivement
éliminé ce danger mais elle en a réduit considérablement la probabilité.
En revanche, les conflits locaux se sont multipliés. Notre siècle s'achève
sur une nouvelle vague de génocides en Afrique et au coeur de l'Europe,
qui voit ainsi resurgir sa longue séquence des horreurs : les deux guerres
mondiales, les camps d'extermination et les goulags.
Cependant, pour ce qui est de la géopolitique, deux bouleversements
majeurs sont survenus : la décolonisation et l'émancipation des pays
colonisés et dépendants 1 puis
l'effondrement du socialisme réel en 1989, suivi de l'éclatement de
l'Union Soviétique. A cela il faut ajouter la fin du régime d'apartheid en
Afrique du Sud survenue en 1994 et l'espoir, encore tenu, d'une paix
durable au Moyen-Orient.
Aussi bien la décolonisation que l'effondrement du socialisme réel
constituent deux césures historiques irréversibles, dont les conséquences
et les séquelles continuent à peser lourdement sur notre présent. Au-delà
des simplifications outrancières qui voudraient remplacer le schéma
bi-polaire de la guerre froide par un prétendu choc de civilisations, la
recherche des identités constitue un terrain fertile pour l'épanouissement
des ethno-nationalismes et des fondamentalismes dangeureusement
anachroniques. L'historien polonais Witold Kula (1960) définissait le
sous-développement comme une coexistence d'asynchronismes. Dans cette
perspective, on peut parler d'une involution ou d'un processus de
sous-développement assez généralisé, simultané aux phénomènes de
mondialisation dont les impacts économiques et sociaux différenciés,
positifs et négatifs, demandent à être évalués en profondeur. Leur
appréciation uniformément positive relève de la théologie du marché et non
d'une analyse scientifique.
La période que nous venons de vivre a connu un essor sans précédent de
la puissance technicienne, du volume des biens et des services produits et
des échanges commerciaux. Les styles de consommation et les modes de vie
se sont profondément transformés pour une majorité d'habitants des pays
industrialisés et une minorité de ceux des pays du tiers monde, sans que
les progrès matériels, indiqués par la progression des moyennes, se soient
généralisés. Dans un pays aussi riche que la France, une fracture
sociétale sépare aujourd'hui les deux tiers des gagnants du tiers des
perdants, de plus en plus exclus de la société de consommation et privés
de l'exercice de leur droit, pourtant fondamental, au travail. En d'autres
mots, la France a aussi son "quart monde" et le Sud est dans le Nord. La
minorité nantie dans les pays du tiers monde constitue en revanche un Nord
dans le Sud, sans que l'on puisse parler d'enclaves territorialement
délimitées. Le Nord et le Sud se côtoient et s'interpénètrent, en
particulier dans les grandes villes.
Le monde s'est rétréci du fait de la révolution des transports et, à un
degré encore plus significatif, de celle de la communication 2. Ces progrès
techniques sont à la base des phénomènes de mondialisation, déjà
mentionnés, qui se manifestent de façon inégale dans des domaines aussi
variés que la finance, l'économie, la technique et la culture.
A l'heure actuelle, nous vivons un découplement de l'économie
financière et de l'économie réelle (Drucker, 1986) avec, comme
conséquence, la mise en place de circuits de spéculation financière qui
drainent les capitaux qui auraient pu financer des investissements
productifs et contribuer à la création d'emplois. Les entreprises
transnationales sont devenues les principaux acteurs de l'économie et des
échanges commerciaux au point de rendre obsolètes les statistiques de la
production et du commerce international présentées sous forme d'agrégats
nationaux.
Les médias propagent partout les mêmes représentations de la "bonne
vie", fondée sur la consommation effrénée et le rêve hollywoodien. Une
minorité réduite d'hommes et de femmes se déplace avec facilité à travers
la planète, au point de faire du tourisme et des voyages un secteur
privilégié de l'économie 3. Cependant, la
majorité des habitants de notre planète continue à vivre comme s'ils
étaient des glebae adscripti. Le contraste est frappant entre les
restrictions à la mobilité de la main d'oeuvre à l'échelle internationale
et la mobilité de plus en plus grande des autres facteurs de production.
La science et la technique sont très imparfaitement maîtrisées.
Prométhée s'est empêtré, pour emprunter une métaphore à Jean-Jacques
Salomon (1984) 4. La puissance
destructrice des techniques dont l'usage reste subordonné à la recherche
de profits financiers et économiques à court terme s'est en outre
manifestée par la dégradation de l'environnement, dont la gestion prudente
est devenue un impératif mondial, comme l'a montré le Sommet de la Terre,
réuni à Rio de Janeiro en 1992.
Surtout, le progrès scientifique et technique n'a pas tenu ses
promesses d'un bien-être généralisé pour l'ensemble de l'humanité. En
1930, Keynes s'attendait à ce que le problème économique de l'humanité
soit définitivement résolu en l'espace d'un siècle. Pour la première fois
depuis son avènement sur notre planète, l'homme pourrait alors faire face
à son problème véritable : "comment employer la liberté arrachée aux
contraintes économiques, comment occuper les loisirs que la science et les
intérêts composés auront conquis pour lui, de manière agréable, sage et
bonne?" (Keynes, 1971, p. 136).
Notre puissance technicienne suffirait d'ores et déjà pour offrir à
tous et à chacun un confort matériel raisonnable. Selon les données de la
Banque Mondiale, le revenu moyen par tête au niveau mondial était proche
de 4 300 $ en 1992. A titre de comparaison, le revenu par tête au
Royaume-Uni était de 4 593 $ en 1900 et celui des Etats-Unis à la même
époque de 4 096 $ (Maddison, 1994).
Cependant, l'inégalité qui caractérise la distribution des revenus,
entre pays et à l'intérieur des pays, enlève toute signification à cette
moyenne. En 1991, le cinquième le plus riche de la population mondiale
s'appropriait 84,7 % du PNB mondial alors que le cinquième le plus pauvre
en était réduit à 1,4 %. En l'espace de 30 ans, la disparité des revenus
entre ces deux groupes extrêmes est passée de 30 à 1 à 60 à 1.
Figure 1.
Fait plus important encore, dans les sociétés modernes l'exclusion
prend le pas sur l'exploitation. Les riches n'ont plus besoin des pauvres.
C'est sans doute la raison pour laquelle ils ont tendance à les oublier 5.
La distribution de plus en plus inégale des fruits du progrès technique
et économique résulte d'une mauvaise organisation sociale et politique, et
non de la pénurie des biens. Elle met en cause le pouvoir politique
incapable d'assurer le bon usage de la puissance technicienne (Ruffolo,
1988). Nous sommes ici au coeur de la notion de maldéveloppement (Sachs,
1984), qui n'est pas incompatible avec une croissance de l'économie, même
forte. C'est que, croissance et développement ne sont pas synonymes. Tant
que persisteront les énormes disparités sociales, la croissance sera
certainement une condition nécessaire, mais nullement suffisante, du
développement, les aspects distributifs et qualitatifs ne pouvant être
négligés. Il est faux de dire que les exorbitants coûts sociaux et
écologiques de certaines formes de croissance économique constituent les
"dégats inéluctables du progrès".
Progrès pour qui ?
Cette problématique sera abordée au Sommet de Copenhague, à travers la
discussion des trois points de l'ordre du jour de cette conférence : la
lutte contre la pauvreté, l'intégration sociale et la création d'emplois
productifs. Il n'est ni acceptable, ni nécessaire que les progrès
financiers et économiques soient payés par un chômage et un sous-emploi
structurels, débouchant sur des phénomènes de plus en plus généralisés
d'exclusion sociale et de pauvreté.
L'articulation de l'ordre du jour de Copenhague, comme d'ailleurs ce
fut aussi le cas de celui du Sommet de la Terre en 1992, constitue un
refus implicite des théories économicistes faisant de la croissance
l'objectif central sinon unique. Elle sonne aussi le glas de la croyance à
la diffusion quasi automatique des fruits de la croissance économique à
l'ensemble de la société. Comme l'écrit Louis Emmerij (1994), "nul ne
saurait contester le fait que la croissance économique est, à long terme,
efficace pour atteindre les objectifs sociaux et lutter contre la
pauvreté, mais trois à cinq générations peuvent être nécessaire pour
parvenir au but. En d'autres termes, la période de transition serait
humainement insupportable et politiquement irresponsable".
C'est pourquoi il est nécessaire de traiter simultanément les cinq
thèmes de la paix, de l'économie, de l'environnement, de la justice et de
la démocratie en prenant les conditions sociales comme point de départ des
efforts en vue du développement 6. Le présent
texte a une visée beaucoup plus limitée. Il se borne à analyser les
aspects de la problématique du développement qui paraissent mériter une
attention spéciale. Dans ce qui suit, après avoir examiné la crise sociale
généralisée à l'ensemble des continents en insistant sur l'insertion
productive à travers l'emploi et l'auto-emploi, nous aborderons la
recherche de nouveaux paradigmes de développement à partir des questions
suivantes : le dépassement de l'économicisme, le besoin d'une axiologie
universelle, les rapports entre l'économique, l'écologique et le social,
la régulation démocratique des économies mixtes, la redéfinition du rôle
de l'Etat, les nouvelles formes de partenariat entre les acteurs sociaux,
la science et la technique au service du développement social et les
réformes du système international.
La Conférence de
Copenhague sera confrontée à une crise sociale généralisée qui, sous des
formes et des intensités différentes, touche à peu d'exceptions près les
pays du tiers monde, ceux de l'Europe de l'Est et de l'ancienne Union
Soviétique (appelés aujourd'hui pays en transition) et même les pays
industriels.
Dans le tiers monde les anciens pauvres, victimes du sous-développement
de l'appareil productif, ont été rejoints par les nouveaux pauvres,
victimes d'un concept mimétique de modernité construite par la
transposition des techniques les plus modernes venues des pays
industrialisés. Certes, l'usage sélectif de ces techniques s'impose.
Cependant, l'ouverture indiscriminée des économies du Sud risque
d'intensifier les processus de dualisation de l'économie et de la société
avec, pour conséquence, la montée des exclusions et la menace, à terme, de
l'apartheid social.
Les pays en transition doivent faire face simultanément à un triple
défi. Il leur faut stabiliser leurs économies, créer de toutes pièces
l'ensemble des institutions nécessaires au fonctionnement des économies à
dominante de marché et enfin, procéder à une restructuration profonde de
l'appareil de production de façon à augmenter son efficacité, sa
compétitivité sur les marchés internationaux et sa performance concernant
la gestion de l'environnement. A plusieurs égards, les problèmes des pays
en transition ressemblent donc à ceux des pays du tiers monde 7.
Une telle transformation ne saurait se faire sans des coûts sociaux
élevés. Mais le choix d'une stratégie inspirée par l'illusion qu'il était
possible d'implanter instantanément le capitalisme et le règne souverain
de l'économie de marché semble avoir augmenté ces coûts et, de surcroît,
les faire durer au-delà du nécessaire. La dégradation des rapports
sociaux, la détérioration des services de santé, d'éducation et de
prévoyance, l'apparition d'un chômage structurel élevé et difficile à
résorber, la vulnérabilité des pays en transition à un traitement de choc
représenté par l'ouverture trop brusque de leurs économies, la
permissivité par rapport aux pratiques du capitalisme sauvage constituent
autant de facteurs qui pèsent négativement sur le bilan de la grande
transformation, tout au moins pour le moment.
Sans aucun doute, l'élément le plus surprenant de la crise sociale est
constitué par la détérioration de la situation des pays industriels,
survenue après des décennies d'un progrès économique et technique
particulièrement rapide.
On pourrait presque dire que nous assistons à leur tiersmondialisation.
En effet, l'outillage intellectuel, naguère mis au point pour étudier la
dualisation économique et sociale des pays post-coloniaux et rendre compte
des phénomènes d'exclusion sociale et de ségrégation spatiale a fait un
retour en force dans le débat qui agite actuellement la plupart des pays
industrialisés. Le chômage, la précarisation du travail et les différentes
exclusions qui en résultent sont devenus endémiques. L'euphémisme
"sociétés à deux vitesses" ne trompe plus personne. Marshall Wolfe (1994)
distingue plusieurs exclusions : celles des moyens de subsistance
(livelihood) ; des services sociaux, de la protection et des réseaux de
sécurité ; de la culture de consommation ; du processus de choix
politiques ; des bases d'organisation populaire et de solidarité et enfin,
de l'aptitude à comprendre ce qui se passe.
Tout se déroule donc à l'inverse de ce que les théories optimistes du
développement laissaient prévoir. Au lieu de la disparition du secteur
traditionnel par le transfert progressif de l'excédent de sa main-d'oeuvre
vers le secteur moderne, nous assistons à l'expulsion du trop-plein des
travailleurs du secteur moderne vers des secteurs d'économie "informelle",
"grise" ou carrément "noire", voire à leur marginalisation pure et simple,
ce qui les voue aux affres de l'oisiveté forcée et les condamne à la
condition d'assistés, pour certains du berceau à la tombe.
Au moment où nous en avons le plus besoin, l'Etat-protecteur (Welfare
State) est mis sur la sellette et même partiellement démantelé sous
prétexte de ses coûts excessifs, de ses lourdeurs bureaucratiques et de la
prétendue efficacité des formules de rechange, postulant la
marchandisation des services sociaux. Certes, les modalités de
fonctionnement des Etats protecteurs doivent changer. Mais il ne faut pas
oublier qu'ils constituent la seule contribution réellement positive que
l'Europe ait donné, en ce XXème siècle, au monde, fruit d'un siècle et
demi de luttes sociales et aussi de concurrence avec le socialisme réel, à
l'époque où celui-ci avait encore une crédibilité aux yeux d'une partie
importante de l'opinion publique occidentale.
Plus que jamais, les objectifs du plein-emploi et d'une protection
sociale généralisée et adéquate représentent un élément fondamental de
l'identité européenne. Au lieu de défendre les acquis sociaux sous leur
forme actuelle, il faut inscrire à l'ordre du jour une réforme profonde
des Etats protecteurs, sans pour autant les déresponsabiliser et s'en
remettre uniquement aux mécanismes de marché. La direction que doit
prendre cette réforme est claire : il faut aider les sociétés à se prendre
mieux en main, avec l'aide de l'Etat, en recherchant des formes multiples
de partenariat dans la production des services sociaux entre les usagers,
la société civile représentée par le monde associatif et les autres
composantes de l'économie sociale (coopératives et mutuelles), les
pouvoirs publics à tous les niveaux du local au national, et enfin, les
entreprises 8.
Les trois points à l'ordre du jour de la Conférence de Copenhague sont
étroitement imbriqués. Il nous semble, pourtant, que l'ordre logique donne
la priorité à la mise en oeuvre de politiques proactives s'attaquant aux
racines du mal, à travers l'insertion productive, à travers l'emploi ou
l'auto-emploi. Les politiques assistantielles de prise en charge des
pauvres sont certes nécessaires au vu de la dimension et de l'urgence du
problème de la pauvreté. Mais, à elles seules, celles-ci n'apportent pas
de solutions durables. Les exclus assistés continueront à être des exclus,
aussi longtemps qu'ils n'auront pas trouvé une place dans l'économie.
De la même façon, l'intégration sociale qui fait intervenir de nombreux
facteurs culturels et des formes d'organisation sociale dépend, pour une
bonne part, de la capacité d'assurer à l'ensemble des différentes
composantes de la population, au-delà de leurs différences sociales,
ethniques ou religieuses et de leur niveau d'éducation, des conditions
leur permettant de gagner par leur travail les moyens d'une vie décente.
L'explosion démographique est souvent présentée comme la cause
principale du sous-emploi et du chômage aigus dans les pays du Sud. Cette
thèse demande pourtant à être nuancée à travers une lecture plus attentive
de la boucle population-développement. Tant que les populations du Sud
n'auront pas accédé à une sécurité alimentaire et sociale, qu'elles
connaîtront des taux de mortalité infantile élevés et que leur éducation,
en particulier pour ce qui est des filles, restera déficiente, il sera
difficile de les persuader du bien-fondé des politiques de limitation des
naissances. Leur rationalité parcellaire au niveau familial continuera à
se heurter à la rationalité globale. La transition démographique ne peut
aboutir sans développement social sous-tendu par l'insertion productive.
La priorité qu'il faut attacher au problème de l'emploi et de
l'auto-emploi est d'autant plus grande que l'oisiveté forcée 9 constitue une
forme irréversible de destruction des vies humaines, le temps perdu ne
pouvant être ni stocké, ni récupéré. Le vrai défi est de briser la
dynamique du chômage et de l'exclusion et de lui substituer une dynamique
de l'emploi (Brunhes, 1993). L'ampleur du problème apparaît à la lecture
des statistiques et des projections.
Le bit a élaboré des projections de la population économiquement active
(pea) pour la période 1985-2025, qui nous serviront pour évaluer l'ordre
de grandeur du nombre d'emplois à créer, nécessaires pour absorber les
nouveaux venus sur les marchés du travail au cours de la présente et des
deux prochaines décennies, sans tenir compte de la nécessité de résorber
le chômage existant (bit, 1986).
En effet, comme l'indique le tableau 1, de 1990 à l'an 2000, la
population active augmenterait de 389 millions puis, au cours des deux
premières décennies du vingt-et-unième siècle, de 394 et 351,5 millions.
L'essentiel des nouveaux emplois à créer se situerait dans les régions
moins développées : 92,5 % de l'accroissement total entre 1990 et l'an
2000, 97 % entre 2000 et 2010, plus de 100 % entre 2010 et 2020, puisque,
au cours de cette dernière période, la pea des régions plus développées
connaîtrait une réduction de 400 millions de personnes.
Tableau 1. Accroissement de la PEA (projections du BIT en
millions). 1990 2000 2010
Régions moins 360 383 352
développées
Régions plus 29 11 -0,4
développées
Monde 389 394 351,5
Ces données ne tiennent pas compte des chômeurs et des sous-employés
déjà existants. Environ 30 % de la population active du monde se trouvent
dans cette condition, selon les estimations des Nations Unies. Leur
absorption demanderait la création de nombreux emplois additionnels. Selon
la Commission Internationale pour la Paix et l'Alimentation, pour assurer
le plein-emploi, il faudrait créer environ un milliard de nouveaux emplois
au cours de la présente décennie (1994, p. 71).
Suivant les données du bit, la situation des régions plus développées
paraît, à première vue, confortable, le taux annuel d'accroissement de
leur pea étant de 0,49 % à peine au cours de la présente décennie et de
0,34 % au cours de la prochaine. Créer quelques 3 millions de postes de
travail par an ne devrait pas poser problème, si l'on songe que dans les
pays à revenu élevé la formation brute du capital s'élevait, en 1991,
selon les données de la Banque Mondiale, à 3 750 milliards de dollars (à
comparer avec 1 010 milliards pour le reste du monde).
Pourtant il n'en est rien. Au lieu de créer des emplois, les
investissements productifs remplacent plutôt les hommes par les machines.
Dans de nombreuses branches industrielles, la relation entre la croissance
et l'emploi change de signe. La course à la compétitivité se traduit par
des taux de croissance de la productivité supérieurs aux taux de
croissance de la production. Pour ne citer qu'un exemple particulièrement
instructif, entre 1980 et 1992 l'Espagne a doublé son pib sans créer un
seul emploi additionnel. Nous nous trouvons dans une situation
structurellement nouvelle, qui résulte d'une conjonction de plusieurs
facteurs. Nous en mentionnerons quatre.
Les faits ont démenti l'attente optimiste de ceux qui, prêchant la
course permanente à l'innovation technologique (Riboud, 1987),
promettaient une croissance de l'emploi dans le secteur des services
modernes supérieure au nombre d'emplois directs supprimés dans les usines
à travers l'automation. Les progrès récents de la bureautique sont allés
dans le même sens du remplacement des hommes par les machines dans le
secteur tertiaire.
Le lien entre la production et l'emploi se desserre, la croissance
intensive prend le pas sur la croissance extensive. Pour ce qui est de la
France, E. Malinvaud table à terme sur un taux de croissance de 3 %
s'accompagnant d'une augmentation de l'emploi de 1 % l'an et d'une baisse
du chômage au rythme annuel de 0,5 % 10.
Cette tendance lourde de la phase actuelle du progrès technique va de
pair avec la déconnexion entre l'économie réelle et l'économie financière,
dont l'essor explosif marque cette fin du vingtième siècle (Drucker, P.,
1986). Comme nous l'avons déjà dit, l'appât des gains spéculatifs détourne
vers le grand casino des marchés financiers les capitaux qui auraient pu
être investis productivement. Leur stérilisation ralentit la croissance de
l'économie réelle.
Dominées par l'idéologie du consumérisme, les sociétés industrielles
n'ont pas su profiter des croîts de la productivité pour procéder à une
réduction drastique du temps de travail socialement nécessaire. Il est
vrai qu'alors que le travail occupait deux cent mille heures dans la vie
d'un Français à la fin du XIXème siècle, il n'en occupe que soixante dix
mille actuellement (Rigaudiat, 1993). Mais les conditions objectives
existent à présent pour accélérer cette évolution. De Kropotkine à Gorz et
Illich, en passant par Bertrand Russell et Keynes, de nombreux penseurs
ont formulé des propositions allant dans le sens d'une révolution du temps
libéré et une réorganisation de la société permettant de travailler moins
pour travailler tous pour reprendre le titre d'un ouvrage récent (Aznar,
1993).
La crise actuelle semble favoriser une reprise de ce débat dont les
dimensions éthiques et culturelles vont bien au-delà des modalités
techniques de réduction ponctuelle du temps de travail. La mise en oeuvre
d'une politique de redistribution équitable du travail socialement
nécessaire demande une véritable révolution culturelle et des
transformations institutionnelles profondes 11. La situation
peut cependant être améliorée à travers la modification des politiques
fiscales et parafiscales qui augmentent le coût de la main d'oeuvre par
les charges sociales, qui pourraient être financées d'une autre façon, par
exemple par une taxe sur les équipements ou la tva dûment modulée.
L'évolution récente de la pensée économique dominée par les théories
néo-libérales explique l'insuffisance des politiques d'emploi et plus
généralement des politiques publiques de développement.
Le déclin puis l'effondrement du socialisme réel furent interprétés
comme un feu vert pour revenir à un capitalisme pur et dur, dont les
succès se mesurent par la progression des indices des valeurs boursières
et par le volume des profits, et non par la création d'emplois. Des règles
draconiennes d'ajustement des équilibres macroéconomiques et monétaires et
de libéralisation furent édictées par le fmi et la Banque Mondiale,
protégeant les intérêts des créanciers des pays endettés. Bien que le fmi
et la Banque s'en défendent, les politiques d'austérité imposèrent de
lourds sacrifices aux classes sociales les plus défavorisées 12. Sous
prétexte de combattre les excès de l'étatisme, la dérégulation, la
privatisation et l'austérité budgétaire furent utilisées pour réduire le
champ d'action des Etats et renforcer la position des grandes entreprises
privées, nationales et étrangères. A peu de détails près, la même
stratégie fut proposée aux pays en transition vers l'économie de marché.
L'échec des pays industrialisés à réduire le chômage, en dépit des
moyens financiers dont ils disposent, permet de mesurer l'ampleur du défi
auxquels sont confrontés les pays moins développés. Au cours de la
présente décennie, ils devraient créer 12 fois plus de postes de travail
rien que pour absorber les nouveaux venus sur le marché du travail avec
une formation brute de capital fixe quatre fois inférieure ! Une
conclusion s'impose immédiatement. Il est simplement impensable de
reproduire dans les pays du Sud les modèles du Nord. Ces pays ne peuvent
pas non plus se soumettre, au nom de la compétitivité et de l'insertion
dans l'économie globale, au rythme infernal de la "destruction créatrice",
que même les pays les plus riches ont du mal à tenir.
C'est pourtant le chemin choisi par les élites du tiers monde. L'on
comprend la véhémence avec laquelle Kothari les critique dans l'ouvrage
déjà cité, proposant pour l'Inde une approche du développement fondée sur
le renforcement des capacités de la société civile (social empowerment),
la planification décentralisée, la promotion des emplois, plutôt que de la
croissance en tant que telle, l'essor des campagnes et du marché
intérieur, plutôt que la priorité excessive accordée aux exportations.
Nous retiendrons de ses propositions l'accent mis sur la nécessité de
considérer l'emploi comme une variable-clé des stratégies du
développement. Une politique fine d'emploi, élaborée à partir des données
du terrain, apparaît ainsi comme un volet fondamental des politiques
publiques de développement auxquelles nous reviendrons ultérieurement 13. Tout en
reconnaissant la gravité de la situation, nous pensons que des marges de
manoeuvre existent dans ce domaine, à condition de revoir, de fond en
comble, les objectifs et les modalités du développement. Lorsque, au pays
des merveilles, Alice demanda poliment au chat comment il fallait faire
pour sortir de l'endroit où elle se trouvait, le chat lui répondit : "cela
dépend pour une bonne part de l'endroit où tu veux aller".
Le rapport
déjà cité de la Commission Internationale pour la Paix et l'Alimentation
(1994) considère, à juste titre, que la recherche de nouveaux paradigmes
de développement s'inscrit au rang de grandes priorités du moment.
L'étatisme est-européen s'est écroulé mais il n'y a pas de place non plus
pour le capitalisme pur et dur. "Plutôt que de chercher un vainqueur et un
vainqu, il est urgent de trouver un successeur qui combine et synthétise
les valeurs éclairées des deux systèmes" (p. 154). Le bien-être de tous
les hommes doit déterminer la politique sociale, les économies de marché
doivent s'engager à garantir le droit de chaque citoyen à l'emploi.
Le Rapport reprend à son compte l'opinion du Secrétaire Général de
l'onu, considérant que le plus important défi intellectuel des années à
venir est le renouveau de la pensée sur le développement. Le monde a
suffisamment d'expériences et d'informations pour formuler une théorie
intégrée du développement, vue comme un processus social et centrée sur
tout l'homme et tous les hommes. Le Sommet social de Copenhague devrait en
donner le coup d'envoi.
La tâche est difficile. Elle demande, d'une part, de reconnaître
l'existence d'une crise sociale généralisée affectant, comme nous l'avons
déjà mentionné, avec des modalités et intensités différentes tous les
groupes de pays, y compris les pays industriels.
D'autre part, elle
exige le dépassement de l'économicisme, qui constitue encore le courant
dominant de la pensée et se traduit par l'acceptation explicite ou
implicite de la théorie de la percolation (trickle down theory). Selon
cette théorie, l'économie est aux commandes. L'essentiel est donc
d'assurer les contrôles macro-économiques permettant une croissance
raisonnable et le reste se fera de lui-même. Les bénéfices découlant de
cette croissance finiront par irriguer tout le tissu social se propageant
jusqu'à la base même de la pyramide. Il est vrai que l'ordre du jour du
Sommet de la Terre et, encore plus, celui du Sommet social, s'inscrivent
implicitement en faux contre le "trickle down", mais la pratique de
nombreux gouvernements continue à s'appuyer sur cette théorie et les
courants néo-libéraux les plus extrêmes la prônent ouvertement.
Un autre volet de cette pensée consiste à surestimer l'importance de la
compétitivité, érigée au rôle d'une véritable idéologie sous-tendue par
une théorie superficielle de la mondialisation présentée uniquement sous
ses aspects positifs, comme si l'augmentation des flux financiers,
commerciaux et techniques devait toujours se faire au bénéfice de tous les
partenaires, y compris les plus faibles. Le concept d'interdépendance est
souvent mis en avant pour éluder l'analyse du degré d'asymétrie voire de
domination existant dans les rapports entre les partenaires forts et les
partenaires faibles. Le Rapport du Groupe de Lisbonne (1993) s'insurge
contre l'idéologie de la compétitivité et en montre les limites 14.
Quant à la mondialisation, nous remarquerons d'abord qu'elle progresse
inégalement dans les différents domaines. L'unification microbienne du
monde s'est faite avant la naissance du marché mondial, comme l'ont montré
les historiens !
Comme nous l'avons déjà signalé, les marchés financiers, fonctionnant
vingt quatre heures sur vingt quatre et sept jours par semaine, font
circuler des masses d'argent tout à fait disproportionnées par rapport aux
besoins de l'économie réelle, l'appât des gains faciles quoique hasardeux
finissant par stériliser une partie importante des ressources qui auraient
pu se traduire en investissements productifs. On estime actuellement à
mille milliards de dollars par jour les transactions réalisées sur les
marchés monétaires internationaux. La proposition judicieuse de James
Tobin, formulée dès 1978, de taxer à concurrence de 0,5 % les opérations
de change rapporterait plus de 1500 milliards de dollars par an pouvant
être affectés à des fins internationales. En dépit de ses avantages
évidents et de sa reprise par l'influent Rapport mondial sur le
développement humain du pnud (1994, p. 75), elle n'a pas beaucoup de
chances d'être sérieusement prise en considération à Copenhague ou
ailleurs.
La mondialisation progresse aussi à grands pas en matière de
communication. Les mêmes programmes de télévision parviennent aux quatre
coins du monde avec une tendance à l'homogénéisation de la culture qui
pose problème (voir R. Ortiz, 1994) et, ce qui est plus grave, fraye le
chemin à la "télécratie", terme inventé par Le Monde au lendemain de la
victoire électorale de Silvio Berlusconi en Italie.
La période d'après-Guerre a été marquée par un essor des échanges
commerciaux et techniques supérieurs aux taux de croissance économique,
donc par une ouverture des économies. Une fois de plus, il faut nuancer,
le degré d'ouverture étant très différent d'un pays à l'autre. En
particulier, les pays de taille continentale compensent par les échanges
intérieurs le niveau relativement bas des échanges extérieurs. Le poids
des Etats-Unis dans les échanges mondiaux ne tient pas à un degré élevé
d'ouverture, mais au volume de leur pib.
Certains idéologues de la mondialisation comme John Naisbitt (1995)
s'efforcent de démontrer que les progrès de celle-ci confèrent un avantage
de plus en plus significatif aux réseaux de petits partenaires, dotés
d'une flexibilité que les Etats et les grandes entreprises ne possèdent
pas. Dans la démarche de Naisbitt il y a une part de vérité lorsqu'il
parle des replis identitaires de l'Etat-nation vers ce qu'il appelle "les
tribus". Selon lui, un des aspects du paradoxe global c'est précisément
que "plus nous devenons universels, plus nous agissons d'une façon
tribale" (p. 24). Chemin faisant, l'auteur sous-estime le rôle de plus en
plus dominant dans l'économie mondiale des entreprises transnationales,
qui ne cessent d'augmenter leur puissance alors que l'influence des Etats
s'estompe et que les institutions internationales n'ont pratiquement
aucune emprise sur les pratiques de ces entreprises.
Le sens ultime de son livre consiste cependant à exalter d'une façon
insolite l'avènement de l'âge de l'individualisme, marquant la fin de la
politique telle que nous la connaissons et, par là, à minimiser, voire
déresponsabiliser, l'Etat par rapport à ses fonctions sociales, notamment
en matière d'emploi. "A présent, avec la révolution électronique, aussi
bien la démocratie représentative que les économies d'échelle sont devenus
obsolètes. A présent, chacun peut avoir une démocratie efficace directe"
(p. 47). Les réseaux de communication s'en chargeront. Or, comme le
souligne Olivier Dollfus (1994), le système qui produit l'espace-Monde
crée à la fois des formes de participation et d'exclusion par rapport aux
processus de mondialisation 15. De surcroît,
la mondialisation repose sur un projet défiant la richesse des histoires,
la pluralité de l'humanité. C'est pourquoi elle suscite un peu partout son
contraire c'est-à-dire l'essor des particularismes. En réalité, comme le
montre d'une façon pénétrante Bertrand Badie (1994 ; voir aussi Badie et
Smouts, 1992), nous nous acheminons vers un Nouveau Désordre Mondial à
cause d'une triple rupture marquée par la mondialisation, la crise de
l'Etat-nation et la fin de la bipolarité. Les oppositions actuelles ne
sont plus de nature idéologique, mais de nature culturelle. Le monde
actuel se caractérise par l'échec de trois concepts-fétiches des relations
internationales modernes : la souveraineté, la territorialité et la
sécurité. Dans la mesure où le nationalisme s'affaiblit au profit des
micro-communautarismes et des solidarités macrosociales (entre autres de
type religieux), l'ordre entre en crise.
Une autre caractéristique de la pensée économique dominante est qu'elle
se considère comme universellement valide, ce qui lui confère en réalité
un caractère ahistorique et atopique. Dans la pratique, cela revient à
nier un champ propre aux théories du développement et à maintenir, contre
vents et marées, que la transposition mimétique des expériences des pays
industriels au reste du monde constitue la bonne voie vers le
développement. Les coûts sociaux prohibitifs de l'ajustement structurel
appliqué d'une façon uniforme à travers la planète viennent d'infliger un
démenti de plus à cette prétention sans que l'on voie un changement dans
les pratiques des organisations internationales fondées sur le "consensus
de Washington" 16.
La pluralité des voies de développement est plus que jamais à l'ordre
du jour. Les stratégies y menant doivent tenir compte de certaines
spécificités communes à plusieurs pays (par exemple pays grands et riches
en ressources naturelles par opposition aux pays petits et pauvres en
ressources), ce qui permet de concevoir certaines typologies de nature
heuristique 17. Il en est de
même pour les singularités propres à chaque pays :
- le contexte historique et culturel, le développement devant être
appréhendé dans sa dynamique processuelle 18;
- le contexte écologique, la diversité climatique et biologique bien
interprétées se traduisant par un potentiel de ressources pouvant être
mises à profit du développement sans trop détruire le capital de la
nature, le lien entre la diversité naturelle et la diversité culturelle
étant très étroit ; après tout, un volet important de la culture est
constitué par la connaissance d'une société sur son milieu naturel 19;
- enfin, le contexte institutionnel, au sens large de ce terme,
reflétant l'organisation de la société humaine.
Que peut-on attendre de la théorie du développement face à la
multiplicité des trajectoires passées, présentes et futures au-delà d'une
analyse comparée des expériences accumulées, positives et négatives,
permettant de stimuler l'imagination sociale sans pour autant livrer des
modèles tout faits ?
Nous pensons qu'un discours normatif est indispensable pour préciser un
projet national mobilisateur fondé sur une axiologie explicite,
reconnaissant le poids du passé vivant mais tourné vers l'avenir. Un tel
projet a accessoirement une fonction très importante en tant qu'un critère
d'évaluation des politiques proposées et des trajectoires accomplies. Les
notions de rationalité et d'efficacité deviennent imprécises en l'absence
d'une planification stratégique orientée sur le moyen et long terme. Il ne
s'agit pas de reproduire, une fois de plus, les erreurs de planification
exhaustive pratiquée par les économies de commande, mais au contraire en
tirant toutes les leçons des échecs passés, s'engager dans une
planification flexible, dialogique 20, contextuelle
et contractuelle.
Dans un monde où, comme nous l'avons vu, les
particularismes culturels prennent de plus en plus d'importance, est-il
possible de construire l'axiologie autour de certains principes universels
?
Nous répondons par l'affirmative, à la lumière du débat inauguré par la
Conférence de Stockholm en 1972 et relancé par le Sommet de la Terre à Rio
en 1992. Nous pensons que le développement au sens fort du terme doit
avoir une finalité sociale justifiée par le postulat éthique de solidarité
intra-générationnelle et d'équité, matérialisée dans un contrat social.
Alors que les disparités sociales n'ont fait qu'augmenter, entre nations
et à l'intérieur des nations, il faut tout faire pour les réduire, ce qui
demande que les privilégiés se posent la question "combien c'est assez?"
21. Le
développement de tout l'homme et de tous les hommes ne pourra être
généralisé qu'à travers la construction d'une civilisation de l'être dans
le partage équilibré de l'avoir selon la formule lapidaire de L.J. Lebret
22.
L'extrapolation des tendances lourdes actuelles ne peut, au contraire,
qu'accentuer la dérive vers l'apartheid social.
De surcroît, le développement demande à être écologiquement prudent au
nom de la solidarité inter-générationnelle traduite dans un "contrat
naturel" (Serres, 1990).
Enfin, au niveau instrumental, le principe d'efficacité économique
s'impose ; mais il faut le mesurer à l'aune macrosociale et non pas
uniquement au niveau de la profitabilité de l'entreprise.
Accessoirement, deux autres principes peuvent être mentionnés :
l'acceptabilité culturelle, sans pour autant renoncer au changement au nom
du respect de la tradition et l'équilibre territorial 23.
Le développement apparaît ainsi comme un concept pluridimensionnel 24, ce que
reflète l'usage abusif des adjectifs dont il est accompagné : économique,
social, politique, culturel, durable ou viable, enfin humain 25, et j'en
passe. Il est grand temps de faire l'économie de tous ces attributs en se
concentrant sur la redéfinition du contenu du mot "développement", à
partir de la hiérarchisation proposée : le social aux commandes,
l'écologique en tant qu'une contrainte assumée et l'économique ramené à
son rôle instrumental.
Au-delà de la sémantique, un problème bien plus redoutable pour la
pratique est celui d'harmonisation d'objectifs qui, au premier abord,
peuvent paraître contradictoires et donc conduire à des arbitrages
douloureux.
Ainsi, le
débat sur le développement et l'environnement s'est-il concentré, pour
l'essentiel, sur les situations caractéristiques d'un jeu à somme nulle.
Chemin faisant, on n'a pas suffisamment exploré les situations doublement
gagnantes qui pourtant existent et auraient pu se multiplier, si l'effort
de recherche était allé dans ce sens. Donnons comme exemple les différents
cas de recyclage, d'agriculture dite régénérative et surtout des
stratégies énergétiques, qui permettent à la fois de réduire
considérablement la consommation des énergies fossiles et d'épargner en
même temps des ressources financières 26. Le même
raisonnement s'applique à d'autres ressources. C'est pourquoi les
fondateurs du Club Facteur 10 ont raison de postuler pour le demi-siècle à
venir une multiplication par 10 de la productivité moyenne des ressources
dans les économies industrielles en tant qu'une précondition pour assurer
le développement durable à l'échelle mondiale 27.
Figure 2.
L'origine 0 correspond à une situation "normale" de régime de
croisière, avec un taux de croissance économique modérément positif et le
taux de dégradation de l'environnement qui lui correspond. Ce qui nous
intéresse ce sont les variations de ces deux taux.
La situation générale est résumée dans la figure 2. Le quadrant D
symbolise "l'enfer". Les quadrants A et C correspondent à des jeux à somme
nulle. Dans le quadrant A l'amélioration de l'état de l'environnement
comporte des coûts économiques qui se traduisent par une désaccélération
de la croissance. Le quadrant B est celui du jeu à somme positive où se
trouvent les cas doublement gagnants. A un moment donné, compte tenu des
connaissances techniques et organisationnelles, l'ensemble des cas
doublement gagnants peut être représenté par une courbe TT'. Le problème
est de déplacer la courbe TT' vers la droite et le haut.
L'ordre du jour
de la conférence de Copenhague fait intervenir le rapport entre
l'économique et le social, alors que la figure antérieure présupposait
tacitement que l'économique et le social vont de pair. Devant l'importance
que prend aujourd'hui la croissance sans emploi et les phénomènes de
l'exclusion qui s'ensuivent, les rapports entre l'économique et le social
sont présentés dans la figure 3. Le quadrant D, malheureusement tout à
fait présent dans la situation actuelle, est celui où la réduction de la
croissance entraîne une dégradation sociale prononcée.
Figure 3.
Le quadrant C correspond à la croissance allant de pair avec la
réduction de l'emploi et la dégradation sociale qui s'ensuit. Le quadrant
A représente les rares situations où la dégradation économique ne détruit
pas le tissu microsocial qui se caractérise par une grande cohésion. Le
quadrant B est une fois de plus celui du jeu à somme positive à
l'intérieur duquel nous trouvons les cas doublement gagnants.
Mais il nous faut passer maintenant aux cas triplement gagnants qui
permettent des progrès sur les trois tableaux à la fois : l'économique, le
social et l'écologique et donc réalisent le développement au sens fort du
terme.
Nous proposons que le terme "développement" soit réservé à ces cas, par
opposition aux différentes formes de maldéveloppement ou de développement
bancal. L'ensemble des cas pertinents est résumé dans le tableau 2.
Tableau 2.. L'économique Le social L'écologique
1. croissance
sauvage + - -
2. croissance
socialement
bénigne + + -
3. croissance
durable + - +
4. développement + + +
Pour parvenir à des solutions triplement gagnantes, nous
devons repenser le cadre institutionnel dans lequel se conçoit et se
réalise le développement. Une fois écartés les deux extrêmes de l'économie
de marché pur (une utopie libérale au sens fort du terme) et de l'économie
de commande, la totalité des situations réelles existant dans le monde
relève de la catégorie d'économies mixtes, avec des marchés multiples de
travail, des biens et des services, où opèrent les entreprises privées à
but lucratif, les entreprises publiques et plus généralement les Etats, à
tous leurs niveaux, du central au local, les différents acteurs de
l'économie sociale (coopératives, mutuelles, associations et organisations
privées à but non lucratif) et l'ensemble des populations s'adonnant en
partie à des activités économiques hors marché, réalisées dans le secteur
domestique 28. Pour Shigeto
Tsuru (1993), l'économie mixte est le seul mode de production resté en
lice. Jean Saint-Geours (1992) fait un pas de plus et parle de la mixité
en tant qu'une caractéristique de nos sociétés, au-delà du domaine
économique.
Il y a bien entendu une multiplicité de formes que peut prendre la
mixité du public et du privé. Ce qui frappe à l'heure actuelle, c'est que
la recherche de nouvelles formes d'articulation entre les acteurs sociaux
concerne pratiquement l'ensemble des pays de la planète, au vu du vide
créé par l'effondrement du socialisme réel, de la crise que connaissent
les Etats protecteurs et du bilan plus que mitigé du développement,
surtout du maldéveloppement dans le Sud.
Le problème se situe au niveau de ce que Paul Streeten (1989) appelle
la mesoéconomie, qui tient, entre autres, au fait que les théories
néolibérales ont surestimé, d'une part, le rôle des contrôles
macroéconomiques (certes nécessaires mais nullement suffisants) et,
d'autre part, celui de l'activité microéconomique des entrepreneurs. Or,
dans plusieurs endroits tout se passe encore aujourd'hui à l'envers du
schéma de Schumpeter : l'initiative et les risques sont pris par l'Etat,
la privatisation au rabais bénéficiant par la suite à une classe
d'entrepreneurs qui n'ont rien de schumpeterien. Les trois questions
centrales sont :
- quel Etat, pour quel développement ?
- quel contenu donner à la démocratie, au-delà du simple respect des
règles de jeu de la démocratie représentative au niveau politique ?
- comment parvenir à de nouvelles formes de partenariat entre l'Etat,
la société civile et le monde de l'entreprise de façon à mettre en valeur
tout le potentiel des initiatives locales et des actions citoyennes ?
Examinons ces questions une à une.
Le débat actuel sur l'Etat est mal
engagé et ceci pour plusieurs raisons. Il part de l'opposition entre
l'Etat et le marché alors que tout marché doit être régulé par l'Etat,
surtout si l'on veut que l'économie de marché accomplisse aussi une
fonction sociale. Les critiques de l'étatisme, qui fustigent avec raison
ses excès et le poids de la bureaucratie, simplifient outrancièrement le
problème en postulant moins d'Etat alors que la vraie question est qu'il
soit plus efficace, tout en coûtant moins. Il est de bon ton de s'acharner
sur les défaillances de l'Etat et de passer sous silence les défaillances
parfois tout aussi nombreuses du marché, incapable d'appréhender le long
terme et l'intérêt social. D'une façon générale, il est légitime de
postuler la réduction du rôle de l'Etat entrepreneur, surtout lorsque le
secteur public se compose d'entreprises nationalisées au moment où elles
étaient en faillite et que l'Etat, en intervenant, privilégiait les
intérêts particuliers de tel ou tel groupe proche du pouvoir. Mais restent
les fonctions d'Etat-promoteur (developmental State), à l'exemple de ce
qui s'est passé au Japon, en Corée du Sud et à Taïwan 29 et surtout
ceux de l'Etat-régulateur. Le défi pour les années à venir est de trouver
des formes vraiment démocratiques de régulation des économies mixtes.
Cela nous mène à la seconde question.
Le seul respect des droits politiques ne suffit pas à
définir une démocratie au sens fort du terme. L'exercice effectif de tous
les droits politiques, civiques, sociaux, culturels et économiques doit
être étendu à l'ensemble de la population, en particulier à ceux qui en
sont à l'heure actuelle exclus. Ces droits incluent le droit au
développement individuel et collectif et, bien entendu, le droit au
travail ou à l'auto-emploi, assurant une vie convenable et digne. Comme
nous l'avons déjà dit, seule l'insertion productive peut s'attaquer dans
l'immédiat aux racines de l'exclusion. Les politiques assistancielles sont
certes très nécessaires, étant donné la détresse des chômeurs et des
exclus, mais un exclu assisté n'en reste pas moins un exclu. S'il n'est
pas question de renoncer aux politiques de redistribution des revenus,
c'est la répartition du revenu inscrite dans le mode de production qui
doit nous occuper au premier chef.
Au-delà des mesures concernant l'emploi, il est urgent d'armer les
populations démunies et marginalisées pour qu'elles puissent mieux
revendiquer leurs droits. Pour parvenir à cet objectif, il faut promouvoir
l'éducation à la citoyenneté 30, c'est-à-dire
:
- conscientiser l'ensemble des populations (enfants, jeunes et adultes)
et notamment les groupes discriminés (femmes, enfants quand c'est le cas,
minorités culturelles) sur leurs droits et devoirs ;
- leur apprendre aussi comment ils doivent procéder en cas de
non-respect ou de violation de leurs droits : comment s'organiser ? Où
chercher des appuis efficaces ? A qui en appeler au niveau pratique et sur
le plan moral ? Comment mobiliser l'opinion publique ?
En parallèle, pour assurer une participation réelle au quotidien des
populations dans les processus de décision et de gestion, il faut procéder
à une analyse approfondie des contextes institutionnels et des rapports
entre les acteurs sociaux concernés -la société civile organisée
(associations citoyennes et mouvements sociaux), l'économie sociale, les
autorités publiques à tous les niveaux et le monde des entreprises. Plus
particulièrement, il faut se pencher sur :
- les institutions médiatrices entre les populations et l'Etat au-delà
de la seule démocratie représentative (ombudsman, forums et conseils
consultatifs, advocacy planning, formes de coopération institutionnalisée
entre les pouvoirs publics et les associations citoyennes) ;
- les pratiques de démocratie directe (referendums, enquêtes d'opinion,
les médias interactifs) ;
- les politiques de discrimination positive (et leurs effets souvent
pervers).
Au plan rhétorique, la participation occupe beaucoup de
place dans le discours sur le développement. La réalité se traduit souvent
par l'imposition des stratégies élaborées à l'échelon central. La
réhabilitation de l'approche inverse privilégiant les initiatives venant
de la base est à faire, notamment pour ce qui est de l'identification des
besoins réels de la population et de la hiérarchie des urgences 31. Elle passe
par le renforcement de la capacité des populations de prendre en charge
une grande partie des décisions les concernant, ce que traduit le terme
anglais empowerment.
Deux écueils doivent cependant être évités.
D'une part, il existe des ambiguïtés savamment manipulées autour de ce
concept. John Friedmann (1992) en fait ,à juste raison, la pierre
angulaire de la recherche des stratégies alternatives de développement. Il
ne faut pas oublier, cependant, que le même mot était souvent prononcé par
le Président Reagan et dans sa bouche il signifiait que l'Etat devait se
décharger sur les collectivités locales de certaines de ses
responsabilités. Une interprétation faible du concept se trouve à la base
du programme communautaire prôné par A. Etzioni (1993). Le même type
d'ambiguïté plane sur le concept de subsidiarité cher à la Commission
Européenne. Une décision qui peut être prise à l'échelon inférieur, ne
devrait pas monter à l'échelon supérieur. Mais qui en décide ?
D'autre part, il serait vain de s'attendre à ce que la complexité du
monde actuel permette de se contenter de la simple juxtaposition d'une
multiplicité de stratégies locales. L'articulation des espaces du
développement, du local au régional, national et transnational constitue
un champ privilégié de la politique. Le déséquilibre actuel en faveur de
l'échelon central et son incapacité à concevoir des stratégies finement
adaptées aux contextes locaux commandent l'encouragement des initiatives à
la base. Encore faut-il que celles-ci soient compatibilisées et assistées
par l'apport extérieur des ressources critiquement nécessaires, qui ne
peuvent pas être mobilisées sur place.
En d'autres mots, il faut harmoniser les politiques publiques et les
actions citoyennes. Ce thème important pour le Sommet Social a été débattu
dans une conférence organisée en décembre 1994 par l'UNESCO en
collaboration avec la ville et l'Université de Bologne. La conférence a
passé en revue plusieurs exemples concrets de l'articulation entre les
mouvements citoyens et les politiques de l'Etat, notamment le programme de
la lutte contre la faim et pour la citoyenneté au Brésil 32, le programme
solidarité au Mexique, le rôle des organisations citoyennes dans la lutte
contre l'exclusion en Pologne. Elle a, en outre, discuté des perspectives
de la sortie de l'apartheid en Afrique du Sud et les recherches
européennes portant sur la réforme des Etats protecteurs, voire la mise en
place d'une société qui se prend mieux en charge (caring society) 33 à travers le
partenariat entre les intéressés. Le développement des services sociaux,
de l'éducation et de la santé, mais aussi des services liés à
l'utilisation ludique du temps libéré de travail, offre un vaste champ
pour de nouveaux montages de partenariat entre les usagers, le monde
associatif, les collectivités locales et les entreprises.
Ce créneau est particulièrement intéressant pour les pays du Sud et de
l'Est où le niveau général des salaires est pour le moment peu élevé. En
effet, la "productivité" des instituteurs, des infirmiers ou des
assistantes sociales étant approximativement la même dans tous les pays du
monde, en termes absolus la production de ces services dans ces pays est
bon marché en comparaison de ce qu'ils coûtent dans les pays où le niveau
moyen des salaires est élevé. Avec une petite modification à la marge de
l'allocation de ressources en faveur des services sociaux au sens large du
terme, il serait donc possible d'obtenir une amélioration sensible de la
qualité de vie dans les pays pauvres. Au lieu d'attendre la prospérité
pour commencer à développer les services sociaux, il faut au contraire
s'empresser de le faire dans l'immédiat.
La table ronde finale à Bologne fut consacrée aux expériences urbaines
en Italie. Elle a montré la richesse, la variété et l'importance des
expérimentations concrètes au niveau des municipalités. Les villes à la
diversité presque infinie si bien mise en évidence par Italo Calvino
(1974) sont en effet le creuset où naissent et se précisent les formes
nouvelles de la citoyenneté, l'Italie fonctionnant dans ce domaine, depuis
des siècles, comme un prodigieux laboratoire. L'épanouissement de la
citoyenneté urbaine sera nécessaire si nous voulons vraiment rendre nos
villes vivables au XXIème siècle. Cette ambition ne pèserait pas plus
lourd sur nos économies, en particulier dans les pays industriels, qu'ont
pesé les cathédrales au Moyen Age. La crise urbaine demande à être traitée
prioritairement. C'est également dans le cadre urbain que se pose avec
acuité la question des rapports interethniques, interculturels et
interreligieux, source de nombreux conflits et de violence endémique
surtout dans les situations où la mixité sociale et culturelle se
superpose aux phénomènes d'exclusion sociale 34.
La technique constitue une variable clé pour
l'harmonisation des politiques sociales, économiques et environnementales.
Est-il concevable de freiner la tendance lourde du progrès technique
actuel à se traduire par la croissance sans emploi ? Quel rôle pourrait
jouer dans ce domaine la réorientation de la recherche scientifique ?
Cette question a été posée à des chercheurs réunis dans un colloque
international, en décembre 1994, à New Delhi, organisé par l'UNESCO et le
National Institute for Science, Technology and Development Studies. Il
leur fut demandé en particulier quels étaient les apports potentiels des
sciences et des techniques par rapport aux trois volets d'une stratégie
potentielle de développement axée sur l'exploration de trois gisements
d'emplois brièvement décrits ci-dessous :
1. Le fonctionnement des économies se caractérise actuellement par un
gaspillage plus ou moins prononcé de l'énergie, de l'eau et d'autres
ressources naturelles. Des progrès considérables restent à faire en
matière de recyclage des déchets et des matériaux. En outre, un entretien
plus méthodique des équipements, du cadre bâti et des infrastructures se
traduisant par la prorogation de leur vie utile est une façon d'économiser
du capital. Ces activités, fortement créatrices d'emploi, s'autofinancent,
tout au moins en partie, par l'épargne des ressources physiques et du
capital qu'elles amènent.
2. Au niveau rural, la bataille décisive pour l'emploi sera livrée
autour de l'avenir de la petite exploitation paysanne. Celle-ci est
destinée à disparaître à terme, dans l'hypothèse de l'extrapolation des
tendances lourdes actuellement observées en matière de progrès technique
dans l'agriculture. Cependant, à condition d'être bien gérée, la nouvelle
phase de la révolution verte permet d'envisager la modernisation de
l'agriculture au profit du petit exploitant. Ajoutons qu'une meilleure
utilisation des surfaces agricoles disponibles intéresse aussi les pays
industrialisés dans la mesure où ils désirent éviter leur transformation
en archipel urbain dans un désert rural.
En outre, il faut s'attacher aussi à créer des emplois ruraux non
agricoles, ce qui peut être obtenu de deux façons :
- moyennant l'essor des agro-industries transformatrices de la biomasse
et la substitution des énergies fossiles par les bio-énergies ;
- grâce au redéploiement des industries et des activités tertiaires,
rendu possible par les progrès de la télécommunication et l'importance
prise par la spécialisation flexible.
3. En dernier lieu, il convient de mentionner le dossier classique des
travaux publics, domaine dans lequel les choix techniques ne sont pas
dictés par la concurrence internationale. Les besoins en infrastructure
sont particulièrement pressants dans les pays dont la compétitivité
systémique laisse beaucoup à désirer. Tant que celle-ci n'aura pas été
améliorée, les investissements ponctuels pour augmenter la productivité au
niveau des entreprises seront en grande partie perdus.
Les débats de Delhi se sont surtout concentrés sur les deux premiers
volets. Les travaux présentés par les participants ont permis de constater
l'importance attachée dans les deux pays les plus peuplés du monde -l'Inde
et la Chine- à la mise au point des stratégies de développement fortement
créatrices d'emplois ruraux, agricoles et industriels se caractérisant
aussi par l'épargne des ressources rares telles que les sols agricoles et
l'eau. Dans les deux cas, il s'agit de réduire dans la mesure du possible,
les migrations villes-campagnes. Une hyperurbanisation, à l'instar de
l'Amérique Latine, aboutirait à un désastre économique, social et
écologique.
De nombreux travaux indiens, ainsi que les expériences de terrain
menées par le groupe astra de l'Indian Institute of Science à Bangalore,
la Fondation Swaminathan à Madras et le groupe Development Alternatives à
Delhi, pour n'en citer que quelques-uns, montrent qu'il est possible
d'utiliser les biotechniques dans de toutes petites fermes familiales 35, de concevoir
des systèmes villageois intégrés de production d'aliments et d'énergie à
partir de la biomasse 36 et de créer
des emplois industriels dans les campagnes avec des investissements très
réduits et une productivité raisonnable. Les expériences pionnières et
encore peu nombreuses menées par Development Alternatives font état de
création d'emplois viables dans les petites entreprises, dans la
construction de barrages et dans la gestion des sols et des eaux demandant
dans certains cas à peine 200 à 300 dollars par emploi créé.
Le programme chinois "Etincelle" de diffusion de la science et
technique moderne en milieu rural a contribué d'ores et déjà, selon la
communication faite par son représentant, à la création d'une centaine de
millions d'emplois ruraux non agricoles. Ashok Jain, directeur du nistads,
a présenté une analyse très fine des perspectives de l'industrialisation
décentralisée en Inde tenant compte des expériences de la "terza Italia"
37.
L'importance de la réunion de Delhi tient au fait qu'elle a montré
l'existence d'un courant de pensée et d'action allant à l'encontre des
tendances lourdes dominantes. Cela permet d'envisager avec une certaine
sérénité les défis extrêmement compliqués auxquels doivent faire face les
pays du Sud densément peuplés. Ce message apparaît clairement dans
l'important ouvrage collectif sur la science, la population et le
développement organisé par V. Gowariker (1992) au titre suggestif
"l'inévitable milliard et plus". La condition du succès est de ne pas
inféoder la recherche dans les pays du Sud aux modes dominantes dans les
laboratoires du Nord et de ne pas attendre passivement le transfert des
techniques mises au point sous d'autres latitudes et dans d'autres
contextes. L'ambition de dépasser les pays industriels dans certains
domaines de recherche est tout à fait légitime. C'est pourquoi le
renforcement de la capacité locale en matière de science, technique et
formation des cadres hautement qualifiés constitue un volet fondamental
des stratégies de développement fondées sur l'aptitude à se penser d'une
façon autonome et à mettre en exécution les projets nationaux.
Les auteurs du rapport déjà cité de la Commission Internationale pour
la Paix et l'Alimentation considèrent comme viable une stratégie qui
assurerait un milliard de nouveaux emplois dans les pays du Sud en 10 ans
à peine (pp. 198-199). Cette proposition généralise les résultats d'une
étude se donnant comme objectif d'atteindre en une décennie à peine le
plein emploi en Inde en élevant ainsi l'ensemble de la population indienne
au-dessus du seuil de pauvreté (pp. 122-124). Pour cela, il faudrait créer
100 millions d'emplois nouveaux dont 45 millions en agriculture, 10
millions dans les agroindustries rurales et 45 millions d'emplois ruraux
et urbains dûs à l'effet multiplicateur de la consommation accrue des
masses rurales, l'agriculture constituant à la fois une source d'aliments
et de biomasse et un débouché pour les produits industriels et les
services. Selon les auteurs de cette stratégie incorporée dans le VIIIème
Plan indien, l'Inde pourrait atteindre ce résultat spectaculaire sans
recourir aux ressources extérieures autres que des investissements directs
des entreprises agroindustrielles. La condition en est cependant que le
pays puisse exporter ses excédents agricoles sans que son accès aux
marchés des pays industriels soit entravé. Le rapport attaque donc
vivement le protectionnisme agricole des pays développés et suggère une
stratégie mondiale de développement du Sud à travers l'expansion de ses
exportations d'origine agricole ou forestière. Actuellement, 58 % de la
population économiquement active dans les pays du Sud c'est-à-dire 1,1
milliard d'hommes, de femmes et d'enfants travaillent dans l'agriculture
alors qu'ils ne sont que 35 millions dans les pays industriels. Tout ce
raisonnement est fondé sur une évaluation controversée du potentiel de
l'agriculture pour l'avenir. Selon les auteurs du rapport, les
disponibilités des sols et de l'eau pour l'agriculture pourraient
facilement doubler à l'échelle planétaire et la productivité à l'hectare
peut être très considérablement augmentée.
De cet exercice, étonnament optimiste, nous retiendrons surtout l'idée
que, contrairement à un préjugé très répandu, l'agriculture peut jouer un
rôle moteur dans le développement, tout au moins de certains pays d'Asie,
d'Afrique et d'Amérique Latine, à condition de se concentrer sur des
cultures demandant beaucoup de main d'oeuvre et sur une gestion attentive
des sols, des micronutrients et de l'eau à l'aide des techniques
intensives en connaissances scientifiques.
Un complément de cette stratégie consiste à explorer la biodiversité et
la diversité culturelle pour trouver des ressources nouvelles et les gérer
d'une façon socialement utile et écologiquement prudente de façon à
augmenter sur une base durable la capacité des écosystèmes. Cela demande
un recours simultané aux connaissances accumulées par les populations et
aux conquêtes de la science moderne 38.
Notre analyse serait incomplète sans mentionner la nécessité de
repenser le fonctionnement du système onusien et des institutions de
Bretton Woods 39, pour créer
un environnement international plus favorable au développement, en
rappelant notamment que l'équité dans les rapports internationaux demande
des règles de jeu biaisées en faveur des partenaires plus faibles. Ce
principe a été respecté au moment de la création de la cnu-ced. En
sera-t-il de même pour ce qui est de la future Organisation Mondiale du
Commerce ?
Comment faire pour que les mouvements sociaux et les associations
citoyennes aient un rôle plus actif, au-delà du strapontin qu'ils occupent
actuellement, dans le fonctionnement des grandes organisations
internationales ? Dans le contexte de la conférence de Copenhague, deux
aspects de cette dernière question méritent d'être soulevés. D'une part,
le secteur associatif pourrait prendre sur lui la préparation des rapports
citoyens sur la condition sociale du monde, à l'instar de ce qui fut fait
pour l'environnement en Inde. D'autre part, une réflexion s'impose sur la
création d'une instance de recours jouissant d'une autorité morale
incontestable et ne représentant pas les gouvernements. Le rôle d'une
telle instance, à laquelle pourraient faire appel les organisations
citoyennes, consisterait surtout à alerter l'opinion publique sur les
violations de l'ensemble des droits politiques, civiques, sociaux,
culturels et économiques et de peser ainsi sur le fonctionnement des
instances gouvernementales et intergouvernementales.
Par sa vocation, son
passé et son potentiel l'UNESCO est appelée à jouer un rôle de premier
plan dans la coordination de la recherche et la mise en oeuvre de nouveaux
paradigmes et politiques du développement. Une initiative susceptible de
contribuer à cet objectif est la création, en 1994, au sein de
l'Organisation, du programme most.
Parmi les thèmes que nous avons évoqués, il en est qui constituent déjà
des chantiers en plein travail, notamment pour ce qui est de l'éducation
et de la culture, domaines où travaillent actuellement deux Commissions
internationales créées par l'UNESCO 40. D'autres
demandent à être créés en collaboration avec d'autres organisations
internationales, les instances gouvernementales et les communautés de
chercheurs. La tâche la plus immédiate consistera à établir un suivi
détaillé de la réalisation des recommandations du Sommet Social en
dialogue permanent avec les organisations citoyennes et à élaborer dans
une perspective pluriannuelle un programme d'activités correspondant aux
priorités qui seront établies à Copenhague.
Ahmed, I. (ed.), 1992,
Biotechnology. A Hope or a Threat ? A study prepared for the International
Labour Office within the framework of the World Employment Programme, The
Macmillan Press Ltd, Londres.
Aznar, G., 1993, Travailler moins pour travailler tous, Syros, Paris.
Badie, B., et Smouts, M.C., 1992, Le retournement du monde, Presses de
la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Dalloz, Paris.
Badie, B., 1994, Nouvel Ordre ou Nouveau Désordre Mondial, Cercle
Condorcet, Les Points de Vue n° (13, nov.) Paris.
Bagnasco, A., 1988, La Costruzione Sociale del Mercato, Il Mulino,
Bologne.
Bartoli, H., 1991, L'économie multidimensionnelle, Economica, Paris.
Belorgey, J.M., 1994, "Evaluation de la politique de la ville", Hommes,
Libertés et Territoires, (fév.-mars).
Biotechnology Revolution and The Third World. Challenges and Policy
Options, 1988, Research and Information System for the Non-Aligned and
Other Developing Countries (RIS), New Delhi.
BIT, 1986, Population Active 1950-2025, vol. 5 (Monde résumé), Genève.
Brunetta, R., 1994, La fine della società dei salariati, I. Grilli
Marsilio, Venise.
Brunhes, B., 1993, Entretien, in Mazel, O., Les chômages, Le Monde
éditions, p. 169, Paris.
Calvino, I., 1974, Les villes invisibles, Le Seuil, Paris.
Castel, R., 1995, Les métamorphoses de la question sociale - une
chronique au salariat Fayard, Paris.
Comeliau, Ch. (Dir. pub.), 1994, Ingérence économique. La mécanique de
la soumission, Les Nouveaux Cahiers de l'Institut Universitaire d'Etudes
du Développement de Genève, Presses Universitaires de France, Paris.
Delorme, R., 1995 , contribution à la table ronde sur les formes
d'organisation et transformation dans le économies d'Europe Centrale et
Orientale, Paris, 26-27 janvier 1995
Dessus, B., 1995, Systèmes énergétiques pour un développement durable,
Thèse pour le Doctorat en économie appliquée, Université Pierre Mendès
France, Grenoble.
Dollfus, O., 1994, L'Espace Monde, Economica, Paris.
Drücker, P.F., 1986, "The Changed World Economy", Foreign Affairs, pp.
768-791.
Echange et Projets, 1980, La révolution du temps choisi, Albin Michel,
Paris.
Economie et Humanisme, 1986, Louis-Joseph Lebret ; regards 86, Lyon.
Ehrlich, Paul R. & Anne H., 1990, The Population Explosion, Simon
and Schuster, New York.
Emmerij, L., 1994, "Tensions sociales et réforme sociale en Amérique
Latine" communication présentée au Forum International sur les
Perspectives Latino-américaines, organisé par la BID et le Centre de
Développement de l'OCDE, Paris, 2-4 novembre.
Etzioni, A., 1993, The Spirit of Community. Rights, Responsibilities,
and The Communitarian Agenda, Crown Publishers, New York.
Friedmann, J., 1992, Empowerment - The Politics of Alternative
Development, Blackwell, Cambridge, Mass & Oxford.
Goldemberg, J., Reddy, A.K., Williams R. et Johansson, Th., 1988,
Energy for a Sustainable World, Wiley Eastern Limited, New Delhi.
Gorz, A., 1988, Métamorphoses du travail : quête du sens, Galilée,
Paris.
Gowariker, V. (eds.), 1992, The Inevitable Billion Plus. Science,
Population and Development, Unmesh Communications, Pune.
The Group of Lisbon, 1993, Limits to Competition, Gulbenkian
Foundation, Lisbonne.
Hausner, J., 1994, Negotaited in the Transformation of Post-Socialist
Economy, Cracow Academy of Economies, Cracovie.
Holland, S., 1994, Towards a New Bretton Woods. Alternatives for the
Global Economy, Spokesman, Nottingham.
Illich, I.,1977, Le chômage créateur. Postface à la convivialité, Le
Seuil, Paris.
International Commission on Peace and Food (chaired by M.S.
Swaminathan), 1994, Uncommon Opportunities. An Agenda for Peace and
Equitable Development, Zed Books, Londres et New Jersey.
Jean-Paul II, 1994, Questions sociales. Travail - Développement -
Economie, Librairie Générale Française, Paris.
Johnson, Chalmers, 1982, MITI and the Japanese Miracle, Stanford,
University Press, Stanford.
Keynes, J.M., 1971, , dans Essais sur la monnaie et l'économie, Payot,
Paris.
Kothari, R., 1993, Growing Amnesia. An Essay on Poverty and the Human
Consciousness, Viking/Penguin Books, New Delhi.
Krugman, P., 1994, Peddling Prosperity, W.W. Norton, New York.
Kula, W., 1960, "Secteurs et régions arriérés dans l'économie du
capitalisme naissant", Studi Storici, 1959/60 n° 3.
Leadbeater, Ch. and Lloyd, J., 1987, In Search of Work, Penguin Books,
Harmondsworth.
Les, E., 1994, The Voluntary Sector in Post-Communist East Central
Europe. From Small Circles of Freedom to Civil Society, Civicus,
Washington.
Maddison, A., 1994, , OCDE Centre de développement
Meade, J., 1986, Different Forms of Share Economy, Public Policy
Center, London.
Meade, J., 1989, Agathotopia. L'economia della partnership,
Feltrinelli, Milano.
Morin, E. et Kern, A.B., 1993, Terre-Patrie, Editions du Seuil, Paris.
Moulik, T.K. (Ed.), 1988, Food-Energy Nexus and Ecosystem. Proceedings
of the Second International Symposium on Food-Energy Nexus and Ecosystem
held in New Delhi, India (12-14 February 1986), Mohan Primlani for Oxford
& IBH Publishing, New Delhi.
Naisbitt, J., 1995, Global Paradox, Avon Books, New York.
Nayyar, D., 1993, The Indian Economy at Crossroads : Illusions and
Realities, Frontier Lecture of the Jawaharlal Nehru Centre for Advances
Scientific Research and the Indian Institute of Science, Bangalore, 25
février.
Ortiz, R., 1994, Mundializaç_o e Cultura, Editora Brasiliense, S_o
Paulo.
Petrella, R., 1994, "Litanie de Sainte Compétitivité", Le Monde
Diplomatique, Manière de Voir 22 (mai), Paris.
Pyke, F. and Sengenberger, W. (eds.), 1992, Industrial Districts and
Local Economic Regeneration, International Institute for Labour Studies,
Genève.
Pyke, F., Becattini, G. and Sengenberger, W. (eds.), 1990, Industrial
Districts and Inter-Firm Co-operation in Italy, International Institute
for Labour Studies, Genève.
"Que faire?" 1975, Rapport Dag Hammarskjöld sur le développement et la
coopération internationale, Development Dialogue n° 1/2, Uppsala.
Rahman Khan, A., 1993, Structural Adjustment and Income Distribution.
Issues and Experiences, ILO, Genève.
Ramonet, I., 1994, "Un horizon d'espoir", Le Monde Diplomatique,
Manière de voir n° 22 (mai), Paris.
Rapport Mondial sur le Développement Humain, PNUD, 1994.
Reich, R., 1992, The Work of Nations. Preparing Ourselves for 21st
Century Capitalism, Vintage Books, New York.
Riboud, A., 1987, Modernisation, mode d'emploi, Union générale
d'édition, Paris.
Rigaudiat, J., 1993, Réduire le temps de travail, Syros, Paris.
Rosanvallon, P., 1995, La nouvelle question sociale. Repenser
l'Etat-providence, Le Seuil, Paris.
Ruffolo, G., 1988, Potenza e Potere. La fluttuazione gigante
dell'Occidente, Laterza, Bari.
Sachs, I., 1980, "Les temps-espaces du développement", Diogène, n° 112,
pp. 80-95, Paris.
Sachs, I., 1984, Développer les champs de planification. - Paris :
Université Coopérative Internationale, 128 p. (série Cahiers de l'U.C.I.,
n° 2).
Sachs, I., 1990 (en collab. avec D. Silk), Food and Energy: Strategies
for Sustainable Development, United Nations University Press, 83 p.,
Tokyo.
Sachs, I., 1993, L'écodéveloppement. Stratégies de transition vers le
XXIème siècle, Syros, Paris.
Sachs, I., 1994, "Population, Développement et Emploi", Revue
Internationale des Sciences Sociales nr. 141, pp. 409-426, UNESCO / Erès,
Toulouse.
Saint-Geours, J., 1992, Moi et nous. Politique de la société mixte,
Dunod, Paris.
Salomon, J.J., 1984, Prométhée empêtré. - La résistance au changement
technique, Editions Anthropos, Paris. Voir aussi du même auteur Le destin
technologique, 1992, Balland, Paris et, (dir. pub.) J.J. Salomon, F.
Sagasti et C. Sachs-Jeantet, 1994, La quête incertaine. Science,
technologie, développement, Economica, Paris.
Sasson, A., 1993, Biotechnologies in Developing Countries : Present and
Future, vol. 1, UNESCO, Paris, 164 p.
Sautter, Ch., 1987, Les dents du dragon, Orban, Paris.
Sen, A., 1986, Food, Economics and Entitlements, Wider Working Paper 1,
Helsinki.
Sen, A., 1987, On Ethics and Economics, Blackwell, Oxford
Sen, A., 1992, Inequality Reexamined, Harvard University Press,
Cambrige, Mass.
Sengenberger, W., Loveman, G.W. and Piore, M.J., 1990, The Re-emergence
of Small Enterprises : Industrial Restructuring in Industrialised
Countries, International Institute for Labour Studies, Genève.
Serres, M., 1990, Le contrat naturel, François Bourin, Paris.
Streeten, P., 1989, Mobilizing Human Potential. The Challenge of
Unemployment, UNDP Policy Discussion Paper, UNDP, New York.
Taylor, L., 1994, "Economic Reform : India and Elsewhere", Economic and
Political Weekly (20 August), New Delhi.
Time to Care. Politiche del tempo e diritti quotidiani, 1987, a cura di
Laura Balbo, Franco Angeli, Milan.
Trigilia, C., 1992, Sviluppo Senza Autonomia. Effetti perversi delle
politiche nel Mezzogiorno, Il Mulino, Bologne.
Tsuru, S., 1993, Japan's Capitalism : Creative Defeat and Beyond,
Cambridge University Press, Cambridge.
Wade, Robert, 1990, Governing the Market : Economic Theory and the Role
of Government in East Asian Industrialization, Princeton University Press,
Princeton.
Weitzman, M.L., 1985, L'economia della partecipazione, Laterza, Bari.
Wisner, B., 1988, Power and Need in Africa, Earthscan Publications
Limited, Londres.
Wolfe, M., 1994, "Some Paradoxes of Social Exclusion", International
Institute for Labour Studies, Discussion paper 63/1994, Genève.
1. Les principales
dates à retenir sont :
- 1947 - indépendance de l'Inde,
- 1949 - la victoire de la Révolution chinoise,
- 1955 - la Conférence de solidarité des pays d'Asie et d'Afrique à
Bandoeng,
- 1960 - la décolonisation de l'Afrique.
2.
L'attention presque exclusive accordée aux progrès de l'audiovisuel
repousse à l'arrière plan la "seconde révolution de Gutenberg" qui se
passe sous nos yeux et ouvre des possibilités extraordinaires pour la
production des livres scolaires et de manuels. Nous nous référons à la
baisse très sensible des coûts de production d'ouvrages bénéficiant d'un
grand tirage. Aux collections italiennes de livres de 100 pages pour 1000
Lires ont succédé des collections anglaises puis françaises de grands
classiques de plusieurs centaines de pages qui se vendent à 1 Livre
Sterling et 10 Francs.
3. Selon Naisbitt (1995, pp. 132-133), le tourisme et
les voyages emploient dans le monde 204 millions de personnes et
correspondent à 10.2 % du PNB mondial. Près de 11 % des dépenses des
consommateurs y sont affectées. D'une façon très optimiste, Naisbitt
évalue à 144 millions les nouveaux emplois qui seront créés dans les
secteurs jusqu'à l'an 2005. Près de la moitié correspond à la région
Asie-Pacifique.
4. Voir aussi du même auteur Le destin technologique
(1992) et l'essai de Giorgio Ruffolo (1988).
5. C'est ce que dénonce avec vigueur Rajni Kothari
(1993). De son coté, Jacques Delors dit : "Nous vivons déjà, hélas ! dans
une société qui s'emeut devant les injustices, qui, de temps en temps,
participe à une "journée-charité" télévisée, donne de l'argent et qui,
pour le reste du temps, a bonne conscience. C'est affreux mais c'est ce
qui nous menace de plus en plus". Entretien accordé au journal Le Monde,
15 novembre 1994.Voir aussi Marshall Wolfe (1994, p. 1), pour qui le mot
dénote le caractère superflu des exclus par opposition à l'incorporation
dans l'économie dans des conditions d'exploitation et d'absence de tout
pouvoir. Dans un ouvrage fondamental consacré à l'effritement de la
société et aux métamorphoses de la question sociale, paru tout récemment,
Robert Castel (1995, p. 22) préfère parler de l'invalidation sociale.
6. Voir à ce sujet le Rapport du Secrétaire Général
des Nations Unies intitulé , document A/48/935 du 6 mai 1994, ainsi que la
Note d'orientation présentée par le Directeur général de l'UNESCO en vue
de la préparation du Sommet mondial pour le développement social, UNESCO,
29 juillet 1994.
7. Dans son analyse de l'économie globale publiée
dans son édition du 1er octobre 1994, The Economist a agrégé les économies
du tiers monde, des pays de l'Europe de l'Est et de l'ancienne Union
Soviétique sous le terme "pays en voie de développement" par opposition
aux "pays industriels riches".
8. Cf. Laura Balbo (1994), "From Welfare State to
Caring Society", contribution préparée pour le Colloque international
"Politiques publiques, actions populaires et développement social organisé
par l'UNESCO, l'Université et la ville de Bologne, Bologne 2-3 décembre
1994.
9. L'oisiveté forcée se situe aux antipodes de la
révolution du temps libéré grâce aux progrès de la productivité dans la
mesure où celle-ci implique une réduction du temps de travail hétéronome
de ceux qui sont déjà socialisés par le travail. Ivan Illich (1977) et
André Gorz (1988) ont très bien montré comment ce temps libéré pouvait se
traduire en activités autonomes, économiques et non-économiques, en
contribuant ainsi à l'enrichissement culturel et à la plénitude de la vie.
Cependant, le titre volontairement provocateur de l'ouvrage de Illich - Le
chômage créateur - prête à confusion. Pour la discussion de la révolution
du temps libéré, voir aussi Echanges & Projets (1980), Sachs (1984) et
Aznar (1993).
10. Entretien accordé au journal Le Monde, 16
novembre 1993.
11. Il n'y a pas lieu non plus de s'attendre à une
forte création d'emplois par la substitution du salariat par des formes de
participation des ouvriers au bénéfice (sharing economy) postulées par J.
Meade (1986) ou M.L. Weitzman (1985). Voir à ce propos R. Brunetta (1994).
12. Comme le dit prudemment Anizur Rahman Khan
(1993, p. 67), il est très difficile de prouver d'une façon convaincante
que les programmes d'ajustement aient réussi à protéger les intérêts des
pauvres !
13. Pour plus de détails, voir I. Sachs (1994).
14. Lire aussi Ricardo Petrella (1994). En prenant
le contrepied de R. Reich (1992), Paul Krugmann (1994) est, parmi les
économistes américains, celui qui a vu le plus clairement le danger
d'accorder une importance excessive à la compétition pour les marchés
extérieurs, au détriment de la question fondamentale du développement du
marché intérieur.
15. Dollfus écrit : "Une nouvelle forme d'exclusion
naît avec l'économie et le marché mondial : l'exclusion des "inutiles", de
ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas "vendre" leurs aptitudes et leur
force de travail, qui n'ont pas une capacité d'achat suffisamment
intéressante pour le marché par suite de leur pauvreté. Des "inutiles" se
localisent aussi bien dans des régions entières du monde qu'à l'intérieur
même de sociétés considérées comme prospères" (p. 9).
16. Pour une analyse des caractéristiques les plus
marquantes des politiques fondées sur les principes du consensus de
Washington dans le contexte indien, voir : Deepak Nayyar (1993) et Lance
Taylor (1994). Voir aussi Christian Comeliau (1994).
17. Ces typologies doivent servir de référentiel
pour étudier les cas historiques concrets et non pas être conçues comme un
ensemble de tiroirs où l'on range tel ou tel pays.
18. L'historien et le développeur ont beaucoup en
commun, à cela près que l'historien interprète le passé déjà réalisé alors
que le développeur a l'ambition d'infléchir l'histoire du futur. L'
interdisciplinarité et le comparatisme tels que les pratiquent les
historiens contiennent des enseignements précieux pour les développeurs.
19. Le mot anglais "resourcefulness" (ingéniosité à
transformer en ressources) est un concept-clé pour l'écodéveloppement.
20. L'économiste polonais J. Hausner (1994) parle de
la "stratégie négociée" entre les acteurs sociaux. L'expérience de la
planification française va dans le même sens.
21. Voilà une question bien gandhienne qui
s'applique pourtant au premier chef aux sociétés industrielles et que l'on
retrouve sous une forme quelque peu différente chez certains représentants
de la pensée catholique ; voir notamment les encycliques de Jean-Paul II
(1994). Cette question a suscité un vif débat en Suède (voir Que faire ?
1975)
22. Pour une sélection de ses écrits, voir Economie
& Humanisme (1986).
23.Pour plus de détails, voir Sachs, I., (1993).
24. L'ouvrage de Henri Bartoli (1991) sur l'économie
multidimensionnelle ouvre sur la citation suivante de Pascal : "L'homme a
besoin de lieu pour le contenir, de temps pour durer, de mouvement pour
vivre, d'éléments pour le composer, de chaleur et d'aliments pour se
nourrir, d'air pour respirer ; il voit la lumière, il sent les corps ;
enfin tout tombe sous son alliance ... Donc toutes choses étant causées et
causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates, et toutes
s'entretenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées
et les plus différentes, je tiens impossible de connaître les parties sans
connaître le tout non plus que de connaître le tout sans connaître
particulièrement les parties".
25. Quel dommage que le français ne comporte pas un
équivalent du mot anglais "humane" et que le PNUD ait choisi "human" au
lieu de "humane".
26. Voir notamment à ce propos l'ouvrage pionnier de
Goldemberg et. al. (1988) et les travaux de Benjamin Dessus (1995),
synthétisés dans sa thèse.
27. Pour plus de détails et notamment pour les
prescriptions de politiques à suivre, voir la Déclaration de Carnoules
reproduite dans Development Alternatives Newsletter, vol. 4 n° 12 de
décembre 1994 (New Delhi).
28. Il ne faut pas confondre le hors marché avec
"l'économie informelle" qui constitue un volet de l'économie de marché.
29. Voir à ce propos les ouvrages de Chalmer Johnson
(1982), Christian Sautter (1987) et Robert Wade (1990) ainsi que les
articles déjà cités de Deepak Nayyar et Lance Taylor et l'exposé de Robert
Delorme (1995) sur l'approche postulée par les tenants de l'économie
évolutionniste.
30. La recherche de nouvelles formes de l'éducation
à la citoyenneté, de l'apprentissage des rôles sociaux dès l'école
primaire, vient s'ajouter aux nombreuses fonctions pour ainsi dire
"classiques" de l'éducation et de la formation dans les stratégies de
développement. Voir le document déjà cité du Directeur Général de l'UNESCO
préparé en vue du Sommet de Copenhague (note 6).
31. Cela nous renvoie au débat sur les "besoins
fondamentaux", leur version faible établie par les autorités et leur
version forte lorsque ce sont les intéressés qui les hiérarchisent. Voir à
ce propos Wisner, B. (1988) et la contribution fondamentale de A.K. Sen
(1986, 1987, 1992) à la théorie de la satisfaction des besoins montrant la
multiplicité des formes pouvant entrer en jeu (entitlements).
32. Une des premières mesures du nouveau Président
du Brésil, Fernando Henrique Cardoso, a été d'instaurer un ambitieux
programme intitulé "Communauté solidaire" fondé sur le principe de
partenariat entre l'Etat et les mouvements citoyens.
33. Voir à ce propos l'étude de Laura Balbo
présentée à Bologne (note 8), l'ouvrage récent de Pierre Rosanvallon
(1995) et pour les antécédents de ces débats l'étude préparée par le
Secrétariat d'Etudes du Futur en Suède (Lägergren, M. et. al. 1984). Le
développement du "tiers secteur" dans le monde vient de faire l'objet d'un
ensemble de rapports organisés par Civicus, l'Alliance Mondiale pour la
Participation des Citoyens : voir pour l'Amérique latine Rubem Cesar
Fernandes, 1994 et pour l'Europe de l'Est E. Les (1994).
34. Le programme de l'UNESCO sur la "Gestion des
Transformations Sociales" (MOST) concentre ses activités de recherche et
de propositions de nouvelles politiques précisément sur ces questions
(voir l'encadré sur most).
35. Sur les perspectives et les dangers que
représente l'essor des biotechnologies pour les pays du Sud, voir
notamment Biotechnology Revolution in the Third World (1988), Ahmed (1992)
et Sasson (1993).
36. Voir à ce sujet Moulik (1988) et Sachs et Silk
(1990).
37. Pour une analyse des déterminants du succès de
l'expérience italienne en matière d'industrialisation moderne
décentralisée, qui a fait la richesse de l'Italie du Nord-Est, voir
notamment Bagnasco (1988), Pyke, Beccatini, Sengenberger (1990) et Pyke,
Sengenberger (1992). Trigilia (1992) examine les raisons de l'échec de la
transposition mimétique de ce modèle en Italie du Sud.
38. Cet objectif est poursuivi par le programme de
coopération Sud-Sud pour un développement socio-économique respectueux de
l'environnement dans les tropiques humides. Voir Perspectives Sud-Sud n°
1, octobre 1994, lettre d'information publiée par l'UNESCO.
39. Voir notamment à ce sujet Holland (1994).
40. La Commission Internationale sur l'Education
pour le XXIème siècle, présidée par Jacques Delors et la Commission
Mondiale sur la Culture et le Développement, établie sous la présidence de
Javier Perez de Cuellar.
Le professeur Ignacy Sachs enseigne
depuis 1968 à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, à Paris, où
il est responsable de la formation doctorale "Recherches comparatives sur
le développement" et où il dirige le Centre de Recherches sur le Brésil
Contemporain. Il a été Conseiller spécial du Secrétaire Général du Sommet
de la Terre, en 1992, et a collaboré avec l'UNESCO pour la préparation du
Sommet Social. Son dernier ouvrage, Ecodéveloppement - stratégies de
transition vers le XXIème siècle a été publié en français, anglais,
portugais, italien, polonais et japonais.
"Le développement est bien, aujourd'hui plus que
jamais, l'objectif commun de l'humanité ... Nous avons, il est vrai, mis
plusieurs décennies à comprendre la complexité de ce processus ... Il doit
avant tout permettre d'éveiller tout le potentiel de celui qui en est à la
fois le premier protagoniste et l'ultime destinataire : l'être humain,
celui qui vit aujourd'hui, mais aussi celui qui vivra demain, sur la
Terre. Un développement humain durable, voilà la seule définition
acceptable de notre objectif commun... L'UNESCO... s'est depuis, longtemps
faite l'avocat d'une conception moins étroite du développement. Aussi
accueille-t-elle avec une immense satisfaction les analyses par
lesquelles, dans l'Agenda pour le développement, rendu public le mois
dernier, le Secrétaire Général de l'onu, M. Boutros Boutros-Ghali,
considère la paix comme le "fondement du développement", les autres
dimensions du processus ayant nom économie, environnement, justice sociale
et démocratie... Le développement est un processus global, un tout dont
aucun élément ne peut être écarté - d'où la nécessité d'une approche
interdisciplinaire et intersectorielle... Dans les propositions que j'ai
faites en prévision du Sommet de Copenhague, j'ai cherché à insister...
sur les moyens de "l'ajustement social" qui s'impose. J'ai notamment mis
en exergue la nécessité (1) de renforcer les capacités endogènes de
chaque pays, particulièrement par l'éducation et le partage des
connaissances, (2) de stimuler l'engagement dans la vie collective, la
pratique de la démocratie et l'adhésion aux valeurs de paix, de justice et
de tolérance... (3) d'améliorer le développement et la qualité de vie
des zones rurales... et (4) d'intensifier toutes les actions de
sauvegarde de l'environnement... Et si nous recherchons l'équité entre
continents, entre régions, entre catégories au sein d'une même génération,
nous ne devons pas délaisser pour autant l'équité entre les générations,
qui nous rend comptables devant ceux qui nous succéderont sur cette
terre... En matière d'environnement comme en matière de justice sociale ou
d'évolution démographique, le changement de cap suppose un travail de
restructuration en profondeur des mentalités, ainsi que des systèmes de
répartition des richesses et des modes de production et de consommation -
et ce dans le monde entier... Voilà une oeuvre de longue haleine, raison
de plus pour l'engager sans plus attendre... Raison de plus pour que ce
changement universel commence ici et maintenant, où que je vive, dans mon
immeuble, mon quartier, mon village, ma ville... Il nous incombe,
ensemble, de réunir le savoir, de trouver la sagesse qui permettront au
vaisseau Terre de ne pas sombrer".
(Extraits du discours prononcé par M. Federico Mayor, Directeur
Général de l'UNESCO, au Symposium de réflexion international : "Et le
développement?", UNESCO, Paris, 18-19 juin 1994).
un changement important s'est produit dans la réflexion
sur le développement, d'une conception principalement fondée sur la
croissance économique, vers une autre, mettant davantage l'accent sur le
bien-être et le développement des populations. Mais, le développement
n'est pas uniquement une série de finalités ou de réalisations matérielles
; c'est un processus social par lequel les êtres humains améliorent
progressivement leurs capacités et libèrent leur énergie afin d'atteindre
des niveaux plus élevés de succès matériels, de progrès social et culturel
et de plénitude psychologique. Une nouvelle théorie est, en effet, requise
mettant l'accent sur le rôle dynamique de l'information, des attitudes,
des institutions sociales et des valeurs culturelles dans le processus de
développement. Au Sommet social des Nations Unies, un effort international
devrait être engagé, afin d'élaborer une théorie de développement
individuel et social centré sur l'homme, conduisant à la formulation de
stratégies plus efficaces, afin d'accélérer le processus de
développement".
Extrait traduit de Uncommon Opportunities : An Agenda for Peace and
Equitable Development. Report of the International Commission on Peace and
Food, Londres, Zed Books, 1994, p. 201.
Un numéro spécial de la Revue internationale des sciences
sociales, n° 143, mars 1995.
Cette
livraison de la RISS, revue trimestrielle et thématique de l'UNESCO qui
présente l'état de la recherche internationale dans différents disciplines
et champs interdisciplinaires des sciences sociales, a été préparée à
l'occasion du Sommet social de Copenhague.
Des spécialistes internationaux, comme P. Streeten, I. Sachs, D.
McGranahan, R. Petrella, M. Rose, M. Cernea, S. El Serafy, M. Popovic et
P. Pinheiro répondent aux questions suivantes : comment mesurer et évaluer
le développement ? Comment prendre en compte les dimensions sociales et
culturelles ? Quelles sont les places respectives du quantitatif et du
qualitatif ? Quels sont les avantages et inconvénients des indicateurs
synthétiques et des batteries d'indicateurs désagrégés ? Le rôle de la
comptabilité écologique ? Ces questions sont analysées en relation avec
l'environnement, les politiques sociales, les droits de l'homme et la
démocratisation.
Ce titre du numéro de
mars 1995 du Courrier de l'UNESCO, publié à la veille du Sommet mondial de
Copenhague, donne le ton. C'est un cri d'alerte. L'exclusion frappe toutes
les sociétés, les riches comme les pauvres. Que faire ? "Il ne suffit pas
d'aider matériellement les pauvres" souligne, dans un document inédit, Mme
Aung San Suu Kyi, la grande démocrate birmane, prix Nobel de la paix, "il
faut leur donner suffisamment de pouvoir pour qu'ils puissent modifier la
vision qu'ils ont d'eux-mêmes". Les auteurs réunis dans ce numéro
proposent de repenser la crise, économique, sociale et politique, à
laquelle le modèle du développement actuel a conduit. En même temps qu'une
lecture nouvelle, ils proposent donc de nouveaux moyens de lutte. Tous
convergent vers une réappropriation démocratique de leurs pouvoirs par
ceux qui en ont été frustrés. Pour éliminer la pauvreté, forme radicale de
dépossession ; pour remettre la croissance économique à sa juste place ;
pour rendre à la société civile la formidable force d'initiative dont elle
est capable. Un dossier essentiel à verser au débat sur le développement
social.
Le Courrier de l'UNESCO, mars 1995. |
|