Sources : World Bank, Social Indicators of Development,
1994, Washington D.C., A. Boltho, Growth, income distribution and
household welfare in the industrialized countries since the first oil
shock, Economic Paper Series No. 26, International Child
Development Centre, UNICEF, Florence, 1992 and P. Townsend, The
International Analysis of Poverty, Hemel Hempstead,
Harvester-Wheatsheaf, 1993.
Partout dans le monde, l'apparition de sociétés duales où la plus
extrême richesse côtoie la pauvreté la plus abjecte semble être une des
conséquences les plus spectaculaires des mutations des années 80.Cette
évolution a abouti, dans une certaine mesure, à une interpénétration des
notions de Nord et de Sud, depuis longtemps déjà déconnectées de leur
réalité géographique. Les ghettos des villes américaines, les grandes
banlieues des métropoles européennes à forte proportion de population
immigrée, qui connaissent des records de chômage ou d'illettrisme,
constituent désormais des «Suds» au coeur du Nord, tandis que les minces
couches privilégiées ayant, dans nombre de grandes villes du Sud, un
niveau de revenus et un genre de vie comparables à ceux de leurs
homologues des pays riches forment comme des archipels du Nord au sein de
la misère majoritaire du Sud.
- La crise mondiale est sociale
Cette mondialisation de
la crise sociale qui a accompagné la globalisation de l'économie semble
avoir pris de court les économistes libéraux, convaincus qu'une reprise de
la croissance économique mettrait un terme à la dérive, grâce entre autres
à une reprise massive de la création d'emplois.
Or, si la plupart des grands pays industriels et une partie non
négligeable des pays en développement ont renoué avec la croissance, cette
dernière semble désormais incapable de résorber les fractures sociales et
de mettre un frein à l'aggravation de la pauvreté. Le caractère de plus en
plus social de la crise mondiale, alors même que la croissance économique
a repris, montre qu'il n'existe pas de lien automatique entre cette
dernière et la solution des problèmes sociaux. L'exhumation par les
néo-conservateurs du concept, fort prisé dans les années 60, de trickle
down, a révélé une fois de plus son caractère illusoire. Il n'y a pas
plus actuellement d'effet de percolation de la croissance économique sur
les secteurs sociaux qu'il n'y en avait eu à l'époque. Les réformistes
libéraux avaient alors tiré de ce constat la conclusion qu'il était
nécessaire de mettre en oeuvre des politiques sociales, seules capables de
redistribuer les fruits de la croissance. Une telle prise de conscience
semble aujourd'hui encore plus indispensable. Car l'exclusion et la
pauvreté ont atteint dans le monde des niveaux tels qu'elles ne peuvent
plus être considérés comme des phénomènes accidentels ou résiduels. Elles
apparaissent au contraire de plus en plus comme des conséquences du
fonctionnement des structures économiques et politiques du monde actuel.
La réalité contemporaine montre que la croissance, pour être nécessaire,
est loin de constituer une condition suffisante du développement et
qu'elle ne peut à elle seule guérir les maux dont souffre la planète 10.
Un tel constat a des implications considérables. La généralisation de
la crise sociale et le caractère social de la crise mondiale donnent
aujourd'hui tout son sens au terme de maldéveloppement. La dualisation de
plus en plus marquée des sociétés du globe qui plonge nombre d'entre elles
dans l'anomie est-elle dûe, comme le pense Riccardo Petrella 11, au fait
que l'économie a perdu la maîtrise du sens ? Elle pose en tous cas plus
que jamais la question de la pertinence des modèles de développement
dominants, l'expérience prouvant désormais qu'ils sont à l'origine de
l'exclusion qui frappe une part croissante de la population mondiale.
- Exploitation et exclusion
Exclusion, voilà le
maître-mot. Contrairement à ce qui s'est passé durant la révolution
industrielle du siècle dernier, les riches ont de moins en moins besoin de
la force de travail des pauvres et l'exclusion semble avoir remplacé
l'exploitation comme cause première de la pauvreté. La révolution
technologique des dernières décennies, qui a fait du savoir une matière
première essentielle des nouvelles filières industrielles et a
partiellement libéré l'industrie de sa dépendance vis-à-vis des produits
de base, a entraîné un double mouvement de polarisation sociale et de
marginalisation des populations défavorisées. Au niveau mondial, les pays
les moins avancés (PMA) occupent une place de plus en plus anecdotique
dans la production de richesses et dans les circuits internationaux
d'échanges, et leur marginalisation dans une économie globalisée accélère
les processus de paupérisation de leurs peuples. Pour l'heure en effet,
comme le relèvent Ajit Bhalla et Frédéric Lapeyre, la mondialisation
profite aux pays préparés à l'affronter et accentue la marginalisation des
autres. Au niveau de chaque pays, les demandeurs d'emploi non qualifiés
sont rejetés à la périphérie du monde du travail et cette exclusion de la
sphère du salariat constitue la cause principale de la perte de leur
statut social et de leurs moyens d'existence. Les taux de chômage et se
sous-emploi records atteints dans toutes les régions du globe donnent la
mesure de l'ampleur de l'exclusion sociale dans le monde actuel.
Les deux phénomènes de l'exploitation et de l'exclusion ne sont pas
pour autant totalement indépendants l'un de l'autre. Peut-on dire, avec
Philippe Van Parijs, que les succès obtenus en Europe dans la lutte contre
l'exploitation aux beaux temps de l'Etat-Providence et des conquêtes
syndicales y ont fait de l'exclusion la forme dominante de l'injustice
sociale ? L'augmentation du nombre d'exclus vivant aux marges de la
société organisée tendrait à confirmer cette hypothèse. Partout dans le
monde cependant, la généralisation de l'exclusion permet de renforcer
l'exploitation, compte tenu de l'énorme pression des demandeurs d'emploi
sur le marché du travail.
Ces interrogations sur l'importance respective des deux phénomènes
n'ont rien d'une simple querelle d'experts. De la réponse qui leur est
donnée découlent des politiques donnant la priorité soit à la lutte contre
l'exploitation, soit au combat contre l'exclusion. Ce dilemme, car c'en
est un selon Van Parijs, est loin d'être clos. L'on peut en mesurer les
incidences à la vivacité des débats, en Europe et ailleurs, autour du
choix qu'il conviendrait de faire entre l'augmentation des salaires et la
création d'emplois.
Formellement au moins, la lutte contre une exclusion qui prend tous les
jours de l'ampleur est en tous cas devenue une priorité officielle des
Etats. La tenue du sommet de Copenhague, qui en a fait son thème
principal, en apporte la preuve. La réalité que recouvre ce terme de plus
en plus utilisé, pour remplacer parfois celui de pauvreté, demeure
cependant floue. Au-delà des mots, les participants au colloque de
Roskilde ont tenté d'identifier ce dont on parle pour pouvoir esquisser
des solutions qui ne traitent pas uniquement les symptômes, mais les
causes du phénomène.
- L'exclusion, un phénomène aux multiples
facettes
Qu'est-ce que l'exclusion, qui est exclu et de quoi
? En quoi cette notion diffère-t-elle de la pauvreté ? L'exclusion
recouvre-t-elle un problème de distribution de la richesse ou un déficit
de relation ? Autant de questions auxquelles il convenait de répondre
avant d'aborder la question des remèdes à ce mal aujourd'hui planétaire.
Force est d'abord de constater, comme l'ont fait Ajit Bhalla et
Frédéric Lapeyre, que l'exclusion sociale - notion explorée par la
sociologie tandis que la pauvreté fait partie du territoire des
économistes - est un concept né en Europe à la faveur de l'augmentation
vertigineuse du nombre de pauvres, qui seraient passés dans l'Europe des
Douze de 38 millions en 1975 à 53 millions en 1992. Si le concept s'est
internationalisé, il n'en recouvre pas moins des réalités différentes.
Bhalla et Lapeyre identifient trois dimensions principales de
l'exclusion. Sa dimension économique est directement productrice de
pauvreté : les exclus sont d'abord les chômeurs rejetés hors du marché du
travail et qui, de ce fait, sont en général privés de ressources
régulières. A l'extérieur de la sphère du salariat, les exclus économiques
sont les personnes ou les groupes privés d'accès aux actifs comme la terre
ou le crédit. L'exclusion est également sociale: le chômage ne prive pas
seulement le chômeur d'un revenu, il lui ôte son statut et lui dénie toute
existence sociale, directement liés dans la plupart des sociétés à la
possession d'un emploi. L'individu peut en perdre le sentiment de sa
dignité humaine. L'exclusion est aussi, pour reprendre Jacques Charmes, la
perte du lien social qui entraîne une déchirure des tissus sociaux ou - de
plus en plus - la reconstruction de solidarités autour de réseaux
intégristes ou mafieux. Dans les sociétés africaines, soulignent les
chercheurs de l'Orstom, la perte des relations sociales apparaît comme une
calamité bien pire que la baisse ou la perte d'un revenu. L'exclusion est
enfin de nature politique, quand certaines catégories de la population -
les femmes, les minorités ethniques ou religieuses, les migrants etc.-
sont privées de tout ou partie de leurs droits humains et politiques.
Ces trois dimensions se déclinent, selon les formations sociales, sur
des modes divers. Des populations, des groupes, des individus, sont
rejetés de la sphère productive parce qu'ils ont été exclus de
l'environnement lui donnant accès en ayant été privés d'éducation ou de
soins de santé. Des pans entiers de populations sont exclus de la
jouissance d'une citoyenneté effective et, a fortiori, de la
participation aux sphères où se prennent les décisions.
Trevor Hancock a tenu pour sa part à doter l'exclusion d'une quatrième
dimension, temporelle celle-là. Le mode de développement non durable, en
compromettant la survie des générations futures, les exclut du bénéfice
d'un développement possible. Productrices d'exclusion aujourd'hui, les
logiques économiques dominantes préparent aussi selon lui les exclusions
de demain.
Mais le terme lui-même a-t-il une pertinence dans les formations
sociales où ceux qu'on appelle au Nord les exclus constituent la majorité
de la population ? Comment aborder la question de l'exclusion, a demandé
Mahdi Elmandjra, quand la norme sociale est dite par une minorité ?
Peut-on raisonnablement, dans un tel cas, parler de la majorité de la
population comme d'une catégorie exclue ? Ne faut-il pas au contraire
poser la question de l'inclusion des minorités vivant sur le mode
occidental au sein de leur société?
A supposer que le terme soit pertinent en tous lieux, l'exclusion
renvoie davantage à l'intégration, à l'insertion, qu'à la pauvreté
stricto sensu. Si exclusion et pauvreté se recoupent souvent, les
termes ne sont donc pas synonymes et le second demande également à être
clarifié.
La pauvreté est, elle aussi, une
notion complexe. Elle est certes la conséquence d'une insuffisance de
revenus qui empêche les pauvres de satisfaire leurs besoins essentiels et
les prive de l'accès à un certain nombre de services comme la santé ou
l'éducation. Elle est donc intimement liée à la situation au sein du
marché du travail, comme le rappellent Figueiredo, Lachaud et Rodgers
12.
Encore faut-il distinguer ici entre deux figures de la pauvreté liée au
travail, celle qui découle d'une exploitation à l'intérieur du marché du
travail, de la nature de l'emploi occupé et du revenu qu'il génère, et
celle qui est liée à l'exclusion de ce marché, c'est-à-dire au chômage,
déclaré ou non.
La pauvreté est facteur d'exclusion mais ne l'entraîne pas forcément,
comme le souligne l'ORSTOM en rappelant que, dans nombre de pays du Sud,
«les pauvres restent insérés dans des réseaux familiaux et extra-familiaux
de protection sociale et d'assistance mutuelle», et que «cette insertion
produit de l'intégration et non de l'exclusion» 13. Dans de
nombreux pays, la rupture des solidarités communautaires et familiales est
d'ailleurs une des causes importantes du passage au-dessous de ce qu'il
est convenu d'appeler le seuil de pauvreté. C'est le cas aux Etats Unis,
dans de nombreux pays d'Amérique latine ou au Maghreb, où les familles
monoparentales dirigées par des femmes font partie des familles les plus
pauvres. La pauvreté est aussi la conséquence d'une série d'exclusions de
type politique ou social. Les discriminations liées à l'appartenance à un
sexe ou à une minorité augmentent les risques de pauvreté du groupe
marginalisé.
Elle fait enfin référence à une série de notions qui sont aussi de
nature subjective, comme le besoin, l'inégalité ou la privation et qui ne
peuvent être uniquement évalués en termes matériels, comme le soulignent
Bhalla et Lapeyre. Ainsi, la perception sociale de la pauvreté n'est pas
la même dans une société pauvre et dans une société riche. Peut-on donc la
cerner entièrement par la définition d'un revenu minimum en-deçà duquel un
individu ferait partie de la population pauvre ?
Si l'analyse de la pauvreté et les politiques ayant pour but de
l'éliminer peuvent se fonder sur quelques évidences comme les liens
étroits qu'elle entretient avec le niveau de revenus, le marché ou la
nature du travail, il apparaît donc tout aussi évident que les différentes
catégories de pauvres n'ont pas toutes besoin du même traitement pour
sortir de leur condition.
La complexité du réel pose la
question cruciale du choix des indicateurs capables de l'appréhender et de
mesurer des phénomènes qui ne se résument pas à leur dimension matérielle.
Quelle place donner aux évaluations qualitatives et quelle place octroyer
à la quantification ou, en d'autres termes, comment faire la part de la
mesure et de l'évaluation ? Il s'agit là d'un champ stratégique de la
recherche, dans la mesure où les indicateurs ont une valeur normative et
déterminent des politiques. Le monde n'est pas vu de la même façon selon
qu'on juge son état à l'aune des fluctuations boursières et des taux
d'intérêt ou à celle de l'état de santé d'une population ou des coûts
environnementaux de la croissance économique.
Or les indicateurs de type quantitatif et purement économique, comme le
PNB, dont l'insuffisance est pourtant abondamment critiquée depuis de
nombreuses années, ont la vie dure et n'ont été détrônés que très
partiellement par des évaluations plus fines de l'état d'une société.
L'indicateur de développement humain élaboré par le PNUD - qui tente entre
autres de corriger la rigidité du PNB en faisant appel aux parités de
pouvoir d'achat pour calculer le revenu réel - fait partie de ces
tentatives d'affiner l'analyse. Mais il est jugé trop réducteur par de
nombreux chercheurs qui critiquent l'utilisation d'un indicateur
synthétique pour appréhender une réalité complexe.
De quelle façon convient-il par exemple de mesurer l'incidence de la
pauvreté ? Dans une étude récente, la Banque interaméricaine de
développement 14 a tenté de
cerner les dimensions du problème en Amérique latine. Quels critères de
bien-être adopter pour définir la pauvreté, le revenu disponible, le
revenu social - c'est-à-dire l'accès aux services de base comme la santé,
l'éducation, l'eau potable etc. -, les indicateurs de qualité de la vie ?
Qui est pauvre et quelle est l'ampleur de la pauvreté des pauvres ? Le
seul choix du seuil de pauvreté peut faire varier le nombre de pauvres
dans des proportions considérables et a une incidence directe sur le
niveau des ressources publiques consacrées à lutter contre le phénomène.
En fait, ce que l'on mesure trace implicitement le cadre des politiques
qu'on entend mettre en oeuvre. Il faut donc, préconise Ignacy Sachs,
décider quel en est l'objet avant de choisir une méthode de mesure et
d'évaluation. Les questions préalables au choix de tout indicateur
devraient être : «quel développement ? Pour qui ? Quelle place y occupent
l'avoir et l'être ? » 15. Si
l'aspect social du développement devient une priorité des politiques, qui
rompraient ainsi avec la dérive économiciste des dernières décennies, la
comptabilité sociale devra prendre le pas sur la comptabilité économique
qui oriente pour l'heure les stratégies de développement. Des indicateurs
permettant de travailler à un développement centré sur l'homme,
c'est-à-dire sur l'être, devraient, pour reprendre le terme de Sachs,
concourir à la construction d'une économie anthropologique, bien éloignée
de l'économie quantitative d'aujourd'hui.
La clarification des concepts utilisés est donc d'une importance
capitale. Elle constitue un préalable à la définition des priorités, des
actions à mener et des acteurs à impliquer dans une politique de
développement social. Si les participants au colloque se sont livrés à une
exploration rigoureuse des notions de pauvreté et d'exclusion, ils n'ont
cependant pas étendu leur investigation à d'autres termes, pourtant
omniprésents eux aussi dans le discours des sciences sociales. On peut
ainsi regretter, avec Barbara Harrell-Bond, qu'ils aient constamment
invoqué la société civile, sans pour autant tenter d'en cerner les
contours. Se résume-t-elle dans la galaxie de plus en plus dense des
organisations non gouvernementales? Ces dernières, sur lesquelles on n'a
guère poussé l'analyse, en seraient-elles l'expression la plus achevée ?
Dans un autre registre, le concept de modernité, dans lequel Laura Balbo
veut voir l'horizon de la nouvelle pensée sociologique, gagnerait lui
aussi à être analysé pour éviter les malentendus qui se développent autour
de son utilisation.
Il est cependant vrai que la pauvreté et l'exclusion sont les
principales manifestations de la crise sociale que l'on tentait ici
d'analyser.
Facteurs et manifestations de la crise
sociale
- La dictature de l'économie
La santé officielle d'un
pays se mesure à ses indicateurs économiques : PNB, balance des paiements,
déficit budgétaire, exportations, parts de marché sont, on le sait, les
seules variables prises en compte pour juger du progrès des nations. Plus
grave encore, l'économie - c'est-à-dire l'art d'administrer la maison, la
Cité, selon les Anciens - est aujourd'hui réduite à une seule de ses
dimensions, le marché. La dérive de l'analyse économique est illustrée,
selon les chercheurs de l'Institut universitaire d'études du développement
16 par
«une approche de l'économie marchande plutôt qu'une approche générale des
problèmes de l'économie», et cette lacune est aggravée «par une inversion
fréquente des priorités entre objectifs et moyens, qui fait de la survie
du système économique lui-même une fin en soi, alors qu'il ne se justifie
que comme instrument de satisfaction des besoins des hommes». La pensée
économique dominante ne se préoccupe guère de l'humain, les chiffres lui
suffisent, ce que Richard Knight résume en constatant que «si les
économistes connaissent le prix de chaque chose, ils ne savent la valeur
de rien».
Cette dictature de l'économie a été poussée jusqu'à la caricature avec
la mise en place, depuis le début des années 80, des politiques
d'ajustement structurel dans les pays en développement endettés. Ayant
pour but exclusif de restaurer les équilibres financiers des Etats
concernés et d'accélérer leur intégration au marché mondial, les fameux
PAS se sont partout traduits, selon la quasi-totalité des analyses
effectuées jusqu'ici, par une détérioration de la situation sociale des
populations les plus vulnérables de ces pays. Diminution de la part des
salaires dans le revenu national, accroissement des inégalités,
précarisation du travail et augmentation du chômage, désengagement de
l'Etat des secteurs sociaux, ont accompagné ces programmes qui, comme le
rappelle la Banque interaméricaine de développement, ont sacrifié les
avancées sociales aux équilibres financiers. Presque tous les pays
d'Amérique latine ont connu une diminution du revenu par habitant au cours
de la décennie 80. En Afrique subsaharienne, les dépenses publiques par
habitant ont diminué pendant cette période dans les deux tiers des 19 pays
pour lesquels on dispose de statistiques 17.
Responsables nationaux et bailleurs de fonds n'hésitent pas pourtant à
parler d'amélioration de la situation dans des pays où s'aggravent les
fractures sociales. De fait, les PAS ont vite cessé d'être un simple
ensemble de mesures destinées à restaurer un minimum de discipline
financière dans les pays endettés. Ils se sont tôt mués en instruments de
politiques macro-économiques ayant pour objectif de plier l'ensemble de la
planète à la norme économique dominante.
Sixto Roxas, en faisant l'histoire de cette dérive, estime que, depuis
le XIX è siècle, la civilisation occidentale a fait du marché et de sa
capacité d'autorégulation la base de l'institution démocratique, l'Etat
libéral étant lui-même une création de ce marché. La clef du système, un
moment remise en cause avec le développement de l'Etat-Providence
keynésien, réside dans l'affirmation selon laquelle les lois gouvernant
l'économie de marché sont du même ordre que les lois physiques
universelles. On comprend dès lors qu'une caractéristique majeure de la
pensée économique dominante est qu'elle se considère comme seule fondée
scientifiquement, donc «comme universellement valide, ce qui lui confère
en réalité un caractère ahistorique et atopique», pour reprendre les
termes d'Ignacy Sachs 18. Il faut
tenter de comprendre, selon Roxas, pourquoi le marché a progressivement
occupé la totalité du champ économique et comment une théorie économique a
pu se transformer en idéologie dominante. Tel est le cas aujourd'hui et,
grâce à un puissant réseau structuré par les institutions financières
internationales, en particulier celles de Bretton Woods, l'ordre
économique dominant est en train d'établir une hégémonie mondiale d'une
telle puissance qu'il n'est pas interdit de parler, en cette fin du XXè
siècle, de civilisation du marché ou de l'entreprise.
Le résultat d'une telle évolution est que, pour reprendre l'analyse de
Petrella 19, «la
compétitivité a cessé d'être un moyen. Elle est devenue l'objectif
principal non seulement des entreprises, mais aussi de l'Etat et de la
société entière». Or, quand la survie d'un groupe, d'un Etat, d'une
société est censée passer par la compétitivité, le monde entre dans une
logique de guerre, l'autre, le concurrent, devenant source de danger.
Petrella rejoint Roxas en affirmant que l'entreprise est en train de
façonner les valeurs de notre époque en fixant les règles du jeu, non
seulement pour elle-même, mais pour l'Etat et l'ensemble de la société. La
contrainte de l'économisme dominant est aujourd'hui devenue telle que les
Etats sont sommés d'être gérés comme des firmes, tandis que ces dernières
s'attribuent un nombre de plus en plus grand de prérogatives relevant
naguère de l'Etat.
On comprend qu'à l'intérieur d'une telle logique, les gains de
productivité dûs aux innovations technologiques soient considérés comme un
progrès et que l'emploi n'ait pas le statut de variable clef des
stratégies de développement. L'aggravation du chômage serait le prix à
payer pour l'accroissement de la compétitivité, considéré comme la
condition de la survie collective. Tant que la dynamique du chômage ne
sera pas remplacée par une dynamique de l'emploi, le lien entre la
production et le travail continuera de se desserrer, produisant toujours
plus d'exclusion, rappelle Sachs.
La crise sociale qui se généralise est donc dûe pour une grande part au
fait que «les stratégies de développement proposées et suivies jusqu'à
présent sont définies essentiellement en termes économiques et ne se
préoccupent guère des conséquences qu'elles entraînent sur la nature des
relations sociales, ainsi que sur la viabilité générale des sociétés
qu'elles concernent» 20.
Défiant la pluralité de l'humanité, la pensée unique travaille ainsi
sur la fiction d'une société mondiale unique susceptible d'être conduite
vers le progrès par la soumission à un modèle unique. Dans cette vision du
monde, les crises du modèle ne sont que des accidents de parcours.
La mission régulatrice de
l'Etat-Providence, tel qu'il est né et s'est perfectionné en Europe
occidentale, est aujourd'hui doublement contestée par la mise en place
d'un système mondialisé et par la dictature du marché.
L'Europe a créé au cours de ce siècle deux figures de
l'Etat-Providence. La première, élaborée dans le cadre autoritaire des
dictatures du bloc socialiste, a sombré avec l'effondrement de ce dernier.
La seconde, qui a pris naissance dans la partie démocratique du continent
sous la houlette de la social-démocratie, montre aujourd'hui ses limites
et donne des signes évidents d'épuisement. L'Etat-Providence keynésien est
né de la constatation que le marché ne pouvait être l'unique instance de
régulation. Fondé sur un consensus minimal entre les classes sociales
acquis à la suite de longues décennies de luttes ouvrières -comme a tenu à
le rappeler Henri Rattner pour souligner que les progrès sociaux ont
toujours été le fruit de conquêtes-, il s'est donné pour tâche de
redistribuer avec un minimum d'équité les fruits de la croissance. En
légiférant, en agissant par le biais de la fiscalité et de la répartition
des dépenses publiques, en instituant des systèmes d'économie mixte dans
lesquels il a souvent joué un rôle prépondérant, il a longtemps pu
cantonner le jeu des forces du marché à l'intérieur de limites bien
précises. Il est donc logique que son fonctionnement soit mis à mal en
cette période de suprématie du marché sur l'ensemble des acteurs
économiques, politiques et sociaux.
Mais quelles sont les causes réelles de son essoufflement ? Ce dernier
est-il dû au fait, comme le pensent Bent Greve et Louis Emmerij, que le
modèle keynésien de l'Etat-Providence est fondé sur le plein emploi ?
Est-il victime des structures qu'ils a créées et qui ont engendré une
bureaucratisation et une centralisation excessives de la décision ? La
crise économique, qui a réduit les ressources publiques et les rentrées
fiscales des Etats européens, et la privatisation d'une partie importante
de leurs activités sous la pression du tout-marché, ont en tous cas posé
avec une acuité inédite le problème de son financement. Moins riche et
plus dépensier que jadis, l'Etat s'avère désormais incapable de financer
l'équité sociale dont il s'était instauré le garant, perdant du même coup
la légitimité que lui conférait sa fonction régulatrice.
La conséquence la plus spectaculaire de cet épuisement est, dans tous
les pays industriels, le recul de la protection sociale et la montée de la
précarité. Et d'aucuns n'hésitent pas à voir dans ces phénomènes le signe
de la rupture du contrat social sur lequel s'est édifié le développement
contemporain des sociétés européennes.
Certes, l'Etat-Providence européen n'est pas mort, pas plus que n'ont
disparu les facteurs ayant présidé à sa fondation. Mais il est pris
aujourd'hui entre les feux contraires de la mondialisation d'une part et
de l'émergence de nouvelles dynamiques régionales et locales, elles-mêmes
fruit de la globalisation, d'autre part. C'est entre ces deux frontières
qu'il lui faut désormais resituer ses prérogatives et son action.
Encore faut-il que l'Etat-Providence existe pour pouvoir redéfinir ses
attributs et ses fonctions. Si cet exercice paraît envisageable dans les
vieux pays industriels, il l'est beaucoup moins dans les pays du Sud où
cette forme d'Etat n'a jamais existé. Construction récente et souvent loin
d'être terminée, l'Etat du Sud ne dispose ni des structures ni des
ressources lui permettant d'être un Etat protecteur, estime Mahdi
Elmandjra. L'absence ou la faiblesse des politiques sociales
s'expliquerait donc en partie par le caractère embryonnaire de la
construction étatique. Ce caractère est aggravé, rappelle l'ORSTOM, par la
privatisation des fonctions étatiques se traduisant par «les modalités
clientélistes, rentières et répressives des formes de régulation» qui
prévalent encore largement dans les pays du Sud. Certes, comme on l'a
souvent noté, les solidarités de type traditionnel pallient pour une part
cette absence d'Etat. Mais elles sont elles-mêmes soumises aux chocs de la
modernisation qui en réduisent l'efficacité, quand ils ne conduisent pas à
leur disparition.
La crise de l'Etat du Sud n'est donc pas celle de l'Etat-Providence.
Elle n'en est pas pour autant moins profonde. Dans de nombreux pays du
Sud, l'Etat est en voie de désintégration, note Jorge Wilheim qui attribue
à cette déliquescence la prolifération des ONG, réponse partielle à
l'absence de plus en plus criante de la puissance publique. Faute de
moyens, cette dernière n'assure plus, dans bien des pays, les tâches
régaliennes et régulatrices qui constituent théoriquement l'essentiel de
sa mission.
La question de la redéfinition du rôle et des fonctions de l'Etat se
pose donc de manière différente dans les pays du Nord et du Sud. Peut-on,
dans ces derniers, s'acheminer vers une société qui se prend en charge en
brûlant l'étape de l'Etat-Providence? Mahdi Elmandjra n'y croit pas et
estime qu'en l'absence d'un réseau d'institutions capables de prendre le
progrès social en charge, les pays en développement ont besoin d'une
intervention forte de l'Etat, dont la légitimité serait reconstruite par
la mise en place d'institutions démocratiques. Pari impossible ? Pas
forcément estime Ignacy Sachs pour qui l'Etat protecteur peut être bâti au
Sud à un coût bien moindre que celui de l'Etat-Providence industriel, dans
la mesure où le faible coût du travail peut aussi constituer un avantage
comparatif en matière sociale. Des expériences comme celles de la Chine,
de Cuba, du Sri Lanka ont montré que des investissements relativement
modestes produisent des résultats spectaculaires dans le domaine social.
Ainsi, estime Sachs, on pourrait investir efficacement dans les secteurs
de la santé ou de l'éducation avec des tranferts financiers Nord-Sud peu
élevés.
On peut toutefois déplorer, avec Jorge Wilheim, que les chercheurs
présents à Roskilde aient peu exploré les voies d'une reconstruction
démocratique de l'Etat au Sud, accordant dans leurs débats la priorité à
la recherche de nouvelles dynamiques de l'Etat-Providence au Nord, qui
pourraient permettre à la société de mieux se prendre en charge.
Si rien n'est entrepris pour limiter les dérives du marché et pour
trouver de nouvelles formes de régulation, le danger est en tous cas réel
de voir proliférer, au Nord comme au Sud, les sociétés «à deux vitesses»
et se généraliser les situations d'apartheid social qui sont déjà le lot
de nombreux pays du Sud.
C'est dans les grandes villes
que cet «apartheid» est aujourd'hui le plus visible, car il y est
matérialisé par une ségrégation spatiale qui crée de véritables frontières
à l'intérieur des agglomérations.
La pauvreté s'urbanise au même rythme que la planète. En 1990, on
estimait déjà que 600 millions des 1400 millions d'habitants des villes du
Sud vivaient dans des conditions menaçant leur santé et leur survie. La
moitié des pauvres d'Amérique latine sont aujourd'hui des citadins, estime
la Banque interaméricaine de développement. Partout dans le monde, les
quartiers les plus pauvres des villes - banlieues abandonnées et peuplées
en majorité de populations d'origine allogène ou de minorités ethniques
dans les pays riches, bidonvilles dépourvus de toute infrastructure et
occupés par des ruraux plus ou moins récemment immigrés qui constituent
souvent la majeure partie de la population dite urbaine dans les pays en
développement - apportent la preuve, en montrant leurs plaies, que le
maldéveloppement est devenu mondial.
Or l'urbanisation du monde se poursuit à un rythme accéléré. En l'an
2000, la moitié de l'humanité - soit 3,2 milliards d'individus- vivra en
ville. De 1980 à 2000, le nombre de citadins du Sud aura doublé, passant
de 1 à 2 milliards, et il faut s'attendre dans les 25 années suivantes à
un second doublement, qui portera leur nombre à 4 milliards 21.
Si le nombre des pauvres ruraux n'a pas diminué, si la misère est le
lot de la majorité de la population des campagnes dans bien des régions du
globe, des pays sahéliens à ceux d'Asie du Sud, la crise sociale est
aujourd'hui de plus en plus urbaine, et l'urbanisation de la pauvreté est
rangée au rang des principaux facteurs d'instabilité sociale et politique
dans le monde. C'est la raison pour laquelle un nouveau sommet mondial,
celui de la ville, sera organisé par les Nations unies en 1996. Encore
faudrait-il, pour avoir quelques résultats, qu'il s'attaque aux multiples
racines de la pauvreté urbaine.
Les manifestations de la crise sociale planétaire sont, on le voit,
trop nombreuses pour continuer d'être occultées. En finir avec l'exclusion
et tenter de construire des sociétés productrices de cohésion sociale est
toutefois une vaste entreprise dont la mise en oeuvre exige un changement
profond des logiques économiques et politiques qui ont abouti à la
situation actuelle.
De l'exclusion sociale à la cohésion
sociale
- Quelques conditions du changement
La dérive
économiciste, la suprématie de la valeur d'échange sur la notion d'usage,
la gestion de la planète à la seule aune de la rentabilité de l'entreprise
et l'extension de la sphère marchande à l'ensemble des activités humaines
sont en train, selon un nombre de plus en plus grand de chercheurs, de
précipiter l'humanité dans une impasse. La prétention à imposer la
référence marchande comme critère indiscutable des politiques de
développement a conduit, rappelle l'IUED, à ignorer les besoins collectifs
non liés au marché, à gaspiller les ressources limitées de la planète et à
exclure des bénéfices de la croissance une part de plus en plus importante
de la population mondiale non solvable.
La remise en cause de l'économisme et le retour à une conception
holistique du développement qui rompe avec l'excessive sectorialisation
prévalant depuis des décennies apparaissent donc comme des préalables à
toute entreprise désireuse de fonder le changement sur l'instauration du
primat du social. Cette démarche est également affaire de principe,
souligne Alberto Tarozzi, en constatant que le libéralisme se caractérise
par sa volonté de priver la régulation sociale de tout fondement moral et
qu'affirmer l'exigence d'un développement social pour tous consiste à
redonner une dimension éthique au concept de développement.
Il faut en fait, affirme Ignacy Sachs, redonner sens à ce développement
durable dont on parle tant depuis le sommet de la Terre de Rio de juin
1992, rappeler qu'il est un concept pluridimensionnel et ne peut être
réalisé que par une approche qui placerait «le social aux commandes,
l'écologique en tant que contrainte assumée» et ramènerait «l'économique à
son rôle instrumental» 22. Cette
nouvelle axiologie, dans laquelle l'efficacité économique cesserait d'être
mesurée à la seule aune de la rentabilité de l'entreprise pour être
évaluée à celle de la satisfaction des besoins sociaux, est la seule,
selon Sachs, capable d'être universellement opératoire tout en respectant
la diversité de l'humanité.
Le fait de mettre fin à l'hégémonie de la pensée économique dominante -
qui a conduit à une transposition mimétique de l'expérience des pays
industriels à la totalité du globe - et l'instauration du primat du social
pourront en effet permettre de tenir compte, en matière de développement,
de la double nature de la condition humaine, à la fois universelle et
inscrite dans des contextes particuliers. Le principe d'universalité
cesserait enfin d'être synonyme d'un ethnocentrisme occidental - pour
reprendre l'expression de Mahdi Elmandjra - qui a unilatéralement donné à
son modèle valeur universelle.
Il n'est pas possible d'assigner au développement une finalité sociale
sans interpeller le politique. L'aggravation continue des inégalités
illustre en effet la dimension politique de la question sociale et détruit
le mythe de la neutralité de l'Etat qui peut être, selon la nature des
choix effectués et les rapports de force existant en son sein, agent
d'intégration ou agent d'exclusion. Or sa capacité à produire de
l'exclusion a été renforcée ces dernières années par la fonction
quasi-unique qu'il s'est vu laisser par le néo-libéralisme, celle de créer
un cadre favorable à l'épanouissement de l'entreprise.
La question sociale est une question politique à double titre. Elle
pose, comme le souligne Henrique Rattner, le problème de la légitimité des
politiques qui ont conduit en Europe au recul de l'Etat-Providence et
celui des luttes que des catégories de la population sont conduites à
mener pour faire reconnaître leurs droits. Elle investit aussi le champ
politique dans la mesure où, rappelle l'IUED, tout processus
d'identification des priorités d'une société est un processus de nature
politique puisqu'il doit tenir compte des conflits d'intérêts entre les
différentes classes sociales. L'élaboration d'une stratégie de
développement fondée sur le primat du social requiert donc, dans le même
temps, la construction de la base politique et sociale nécessaire à sa
mise en oeuvre.
Le refus de la dictature de l'économisme conduirait le monde à changer
de logique. A la certitude selon laquelle l'économie de marché doit être
prise comme la norme de rationalité scientifique des décisions,
succéderait une conception holistique du développement d'où la dimension
politique ne pourrait être exclue. A la logique du court terme sur
laquelle est fondée la recherche du profit, succéderait la notion de
projet de société impliquant une réflexion à long terme sur les finalités
du développement aujourd'hui et demain. L'idée selon laquelle l'intérêt
général n'est que la somme des intérêts particuliers satisfaits par le
simple jeu des forces du marché serait remplacée par l'analyse des
articulations possibles entre les aspirations des différentes catégories
sociales et la traduction des choix effectués en priorités d'action.
Vaste programme qui pose, autant que celle des finalités, la question
des modalités du changement. Les chercheurs présents à Roskilde se sont en
effet accordés pour estimer que le débat sur les moyens est aussi
important que l'identification des fins.
Comment passer d'une logique de
croissance économique à une logique de développement social ? Voilà un
immense chantier ouvert à la réflexion et à l'action. Changer les mode de
vie pour les accorder à la contrainte écologique, redéfinir les rôles de
l'Etat, retisser les liens sociaux pour construire des sociétés
productrices de cohésion sociale, redonner sens à la démocratie, telles
sont les voies principales vers un changement capable de rendre, au terme
d'une période de transition la plus courte possible, le monde vivable à
tous ceux qui l'habitent.
Ici encore, la simplicité de la
formulation cache la complexité des problèmes que sous-tend cet objectif.
Comment évolue un mode de vie, qui n'est pas réductible à un simple mode
de consommation ? Quels en sont les déterminants ? Quelles peuvent être, a
en outre demandé Bent Greve, les motivations matérielles ou symboliques
capables d'inciter une population donnée à changer son mode de vie ? Quels
liens les modes de vie entretiennent-ils avec l'exclusion ? Certains,
on le sait, produisent de l'exclusion alors que d'autres, comme les
stratégies de survie des plus pauvres, en sont la conséquence. Quels sont
les obstacles assez puissants pour s'opposer aux évolutions nécessaires
?
Ces questions posées, il n'en demeure pas moins que le changement des
modes de vie est au centre de la problématique du développement durable et
qu'il pose le problème crucial de la construction de nouveaux rapports
entre le Nord et le Sud, fondés sur la reconnaissance d'une solidarité
planétaire. Il s'agit en effet, au premier chef, de partager de façon
moins inéquitable la jouissance de ressources naturelles limitées et les
fruits d'une croissance mondiale dont on sait désormais qu'elle sera plus
lente et plus dépendante de la contrainte écologique. Si l'on part du
postulat, repris par Louis Emmerij, selon lequel l'accroissement de la
consommation des plus pauvres est une condition de leur mieux-être,
convient-il de leur réserver dorénavant les bénéfices de la croissance ?
Cette dernière elle-même est-elle compatible avec la notion de
développement durable ? Non, répond Niels Meyer, pour qui l'espace
écologique encore disponible ne peut plus être producteur de croissance
pour tous et doit être réservé aux pays en développement, les pays riches
ayant déjà largement abusé des ressources de la planète. Sachs affirme en
revanche que l'exigence de développement durable ne condamne pas la
croissance économique, l'énergie et les autres facteurs matériels de
production renfermant de considérables gisements de productivité dans
lesquels elle peut encore puiser. Il n'en préconise pas moins une
autolimitation de la consommation dans les sociétés du Nord pour éviter
que l'enrichissement des uns ne provoque l'appauvrissement de tous les
autres et ne conduise à une mondialisation de l'apartheid social.
Les bénéficiaires du système actuel sont toutefois assez nombreux et
puissants, ont souligné nombre de participants, pour empêcher des
évolutions pourtant reconnues nécessaires par la communauté internationale
au sommet de Rio. L'on sait, entre autres, que la quasi-totalité du monde
de l'industrie veut continuer d'externaliser les coûts sociaux et
environnementaux d'une croissance pourtant de moins en moins génératrice
de progrès social. Or seule l'internalisation de ces coûts permettra de
mettre fin au gaspillage écologique et humain qui caractérise les logiques
de production dominantes. Comment développer les modes de production
alternatifs qu'implique la valorisation de modes de vie plus économes
quand on sait, comme l'ont rappelé H. Dupont et H. Rattner, que de
puissants lobbies - en particulier dans le secteur de l'énergie - n'ont
aucun intérêt à promouvoir des technologies alternatives, et que
l'impérialisme culturel dont on parle tant cache une domination
technologique dont on parle moins ? C'est pourquoi Rattner a insisté sur
la nécessité d'identifier précisément ces acteurs mondiaux qui semblent
avoir tant de pouvoir, de cerner au plus près leurs intérêts, d'explorer
leur structure cognitive pour comprendre la vision qu'ils ont du monde
qu'ils sont en train de façonner.
Une fois de plus a donc été posée la question des conflits d'intérêts
et des enjeux politiques liés aux changements, et celle de
l'identification des forces susceptibles de les promouvoir.
Dans un monde de plus en plus interdépendant, il est en outre
indispensable de prévoir la création d'instances internationales de
régulation, sans pour autant évacuer la question du rôle de l'Etat
national.
- Redéfinir les rôles de l'Etat
Il faut, pour ce faire,
partir de deux constats. D'une part, a souligné I. Sachs, il convient de
reconnaître que le débat est depuis des années mal engagé. Il ne s'agit
pas, comme on l'a fait trop longtemps dans le cadre de l'Etat-Providence,
d'opposer l'Etat au marché, mais de rappeler que l'autorégulation du
marché par lui-même a montré ses limites et qu'il est nécessaire de
restaurer la fonction régulatrice de l'Etat. Au Nord comme au Sud, ce
dernier a encore un rôle majeur à jouer comme instance de régulation, de
définition et de mise en oeuvre des politiques de développement. Quelle
que soit en effet la nécessité de faire participer tous les partenaires à
la refondation d'un contrat social sur des bases nouvelles, les politiques
macro-économiques continueront d'avoir un impact important -positif ou
négatif selon que l'Etat joue ou non un rôle intégrateur- sur la pauvreté
et l'exclusion, par le biais de la fiscalité, de la fixation des taux
d'intérêt, du niveau des dépenses publiques dans des secteurs comme le
logement, la santé ou l'éducation.
Ce qui restera peut-être le principal apport positif de l'Europe au
cours du XX è siècle est son invention d'un Etat correcteur des plus
graves inégalités, redistributeur des fruits de la croissance et de
l'innovation et capable de contrebalancer les effets pervers du
tout-marché. Il convient donc, non de prôner le «moins d'Etat» comme le
font les tenants du néo-libéralisme, mais le «mieux d'Etat», ce qui
suppose de redéfinir ses modes de fonctionnement et ses ralations avec
l'ensemble des acteurs économiques et sociaux. Il est de toutes façons
illusoire de penser que l'Etat-Providence européen pourrait être reconduit
tel quel, sans se renouveler profondément, estime Alberto Tarrozzi.
D'autant que, rappelle-t-il, même à son apogée, il n'a jamais réussi à
atteindre ni les plus pauvres, ni les régions les plus défavorisées, ni
les groupes connaissant des problèmes spécifiques. Tout en réaffirmant la
nécessité de son existence, il faut rénover les formes d'organisation
sociale. Cela implique, selon Laura Balbo, de remettre en question le
caractère bureaucratique et centralisateur de l'Etat. L'Etat protecteur se
muerait en somme en Etat animateur, en Etat service pour créer un contexte
suceptible de permettre à la société de se prendre en charge et de réduire
les fractures sociales.
- Retisser les liens sociaux
Si on trouve aujourd'hui
peu de gens pour contester la nécessité de reconstruire le lien social,
cela ne signifie pas pour autant qu'il y ait un accord sur les moyens d'y
parvenir. A quelle échelle la recherche de la cohésion sociale doit-elle
être envisagée ? Au plan local, au risque de sacrifier l'intérêt général à
des revendications catégorielles ? Au plan national ou régional, au
risque d'oublier la nécessité d'instaurer des solidarités mondiales ?
Le débat sur le revenu minimum garanti a donné la mesure de la
complexité de la question. Niels Meyer et Philip Van Parijs ont prôné
l'instauration d'un salaire minimum pour tous, qui devrait être entendu
comme un droit au revenu pour l'ensemble des citoyens. Pour Meyer, la
généralisation du salaire garanti doit pouvoir être obtenue par le biais
d'une politique de partage du travail, tandis que Van Parijs milite, lui,
pour la déconnection entre travail et revenu, le droit à ce dernier ne
devant pas dépendre de la possession d'un emploi. L'idée, certes
généreuse, paraît toutefois bien difficile à mettre en oeuvre. Est-elle
économiquement réalisable ?, a demandé Louis Emmerij, qui a insisté, avec
Bent Greve, sur les difficultés de financement d'une telle entreprise.
José Figueiredo s'est pour sa part interrogé sur l'efficacité d'un revenu
minimum pris comme moyen de lutter contre l'exclusion, quand on sait que
toutes les exclusions sont loin d'être dûes à l'absence de revenu.
Mais, surtout, qui dans le monde devrait pouvoir en bénéficier ? Le
revenu minimum doit-il être instauré à l'échelle universelle ou ne peut-il
être concrétisé que dans les pays où l'Etat a théoriquement les moyens de
le financer ? Auquel cas, peut-on parler de lutte contre l'exclusion si la
majorité de la population du globe est laissée en dehors d'une politique
de redistribution ? Plusieurs participants ont insisté sur la nécessité de
raisonner à l'échelle mondiale et de ne pas sacrifier, une fois de plus,
les pays du Sud sur l'autel du mieux-être des populations du Nord. Car il
ne faut pas se faire d'illusions a souligné J.L. Dubois : si un revenu
minimum était instauré dans les pays riches, il serait - au moins
partiellement - financé grâce à une diminution des transferts effectués
vers le Sud au titre de l'aide au développement. Certes, les pays du Nord
ont pour devoir de combattre chez eux l'exclusion sociale, mais sans
pénaliser pour ce faire les pays en développement.
La reconstruction des liens sociaux là où ils se sont délités sous les
effets conjugués de la crise, des politiques de libéralisation et de
l'urbanisation, exige en fait de réfléchir sur une série d'actions
complémentaires. Partout dans le monde, la législation du travail et la
protection sociale ont été élaborées par rapport au modèle dominant du
salariat. Or, relève l'ORSTOM, «non seulement le salariat reste
minoritaire dans tous les pays en développement, mais il est en train de
régresser». Il est donc urgent d'élaborer dans ces pays de nouvelles
formes de protection sociale au bénéfice de la population non
salariée.
La mondialisation de l'économie étant un facteur d'exclusion pour les
pays les plus pauvres et pour les catégories les moins armées de la
population mondiale, les politiques économiques devraient également
reconsidérer la priorité donnée aux exportations dans nombre de pays et
rendre au marché intérieur la place qu'il a perdue. En replaçant la notion
de territoire au centre de la politique économique, exclusivement axée
depuis deux décennies sur celle d'espace planétaire, la construction de
véritables marchés intérieurs -nationaux, régionaux et locaux-
encouragerait la création d'espaces économiques fondés sur la satisfaction
de la demande locale et producteurs de solidarités actuellement
inexistantes.
S'il convient d'explorer toutes les voies capables de remédier aux
déchirures sociales du monde actuel, le partage du travail paraît être une
condition essentielle de la reconstruction des liens sociaux. Car le
travail n'est pas seulement, on l'a vu, producteur de revenu. Il est
également, comme l'a noté Niels Meyer, une dimension primordiale de
l'existence sociale dans la mesure où les hommes ont besoin de faire
partie d'une communauté de travail pour garder le sentiment qu'ils
contribuent à la vie de la collectivité. Puisque le monde actuel produit
davantage avec moins de travail, puisque que la croissance ne crée plus
d'emplois, il faut restructuer le marché de l'emploi en tenant compte des
gains de productivité engendrés par les innovations technologiques, a
souligné Louis Emmerij. Les décideurs doivent cesser de considérer le
chômage comme une fatalité pour mettre en oeuvre des politiques actives
d'emploi, fondées à la fois sur le nécessaire partage du travail et sur la
création d'emplois sociaux jusqu'ici négligés, a souligné pour sa part
Ignacy Sachs.
La reconstruction du lien social s'avère d'autant plus urgente que la
démocratie en dépend. La montée des tentations totalitaires prenant appui
sur des mythes identitaires refuges fréquents des collectivités plongées
dans l'anomie sociale -, suffirait à montrer que l'absence de cohésion
sociale constitue un obstacle de taille à la démocratie. Car, comme l'a
rappelé Ajit Bhalla, cette dernière ne peut être que formelle dans les
pays où la majorité de la population vit en situation d'exclusion et
déploie l'essentiel de son énergie à lutter pour sa survie. En prenant par
ailleurs comme postulat la reconnaissance de la dignité et des droits de
tous, le développement social place, comme le souligne l'IUED, la
revendication démocratique au coeur du débat.
- Redonner sens à la démocratie
La démocratie, telle
qu'elle a été jusqu'ici conçue et mise en actes, s'est trouvée enfermée
entre deux frontières dont la rigidité porte aujourd'hui atteinte à son
principe même. Strictement cantonnée dans le champ politique d'une part,
elle ne s'est jamais étendue aux domaines économique et social, dimensions
pourtant vitales de l'activité humaine. Etroitement représentative, elle
est par ailleurs demeurée une démocratie par délégation, négligeant
d'explorer l'aspect essentiel de la participation de l'ensemble des
citoyens à la prise de décisions et à leur mise en oeuvre. Pour être à
nouveau productrice de sens, la démocratie a besoin aujourd'hui de se
refonder en s'ouvrant à l'ensemble des acteurs sociaux, en élaborant de
nouvelles formes de partenariat et en rompant avec le centralisme pour
tenir compte des différents niveaux possibles de décision citoyenne.
Aller du modèle dans lequel l'Etat est considéré comme le seul agent du
changement social vers une perspective où les acteurs jouent un rôle
déterminant dans le changement n'est pas une utopie selon Laura Balbo,
c'est une condition à remplir pour permettre à la société de se prendre
davantage en charge dans un monde où les pouvoirs - étatiques ou
communautaires - n'assument plus la fonction de protection réelle et
symbolique qui fit longtemps partie de leurs attributions. L'évolution
nécessaire vers des sociétés se prenant en charge nécessite donc une
redéfinition des relations entre les principaux partenaires sociaux,
l'Etat, le marché et la société civile.
Acteur indispensable - l'histoire l'a montré - de la vie économique et
sociale, le marché ne peut constituer - l'expérience des dernières
décennies l'a prouvé - l'unique instance de régulation des relations
sociales. De façon plus générale l'initiative privée, qu'elle vienne du
marché ou du tiers secteur, ne peut remplacer en toutes circonstances
l'Etat, dont l'ensemble de la société a besoin qu'il conserve un pouvoir
d'arbitrage. D'autant que, contrairement à la tendance dominante des
dernières années, il convient de ne pas trop idéaliser un tiers secteur
plus soumis qu'on ne le pense aux logiques d'intérêt. Bien des
«initiatives populaires», note ainsi l'ORSTOM, sont loin d'être aussi
spontanées qu'on le croit. Quant aux associations, «elles cachent souvent
des stratégies de captation privative de l'aide internationale» dans les
pays du Sud 23 et
n'échappent pas toujours aux logiques marchandes ou à l'intrumentalisation
politique dans ceux du Nord. Il faut aussi s'interroger sur la
représentativité réelle d'un grand nombre d'ONG qui s'auto-proclament les
porte-parole d'une société civile encore souvent trop silencieuse pour
désigner elle-même ses représentants.
Quelles formes de partenariat inventer pour permettre à l'ensemble des
acteurs sociaux de jouer leur rôle et pour harmoniser les politiques
publiques et les actions citoyennes ? Le tripartisme, qui a inspiré la
création de l'OIT et reste une instance de négociation entre l'entreprise,
les syndicats et l'Etat dans de nombreux pays, peut-il encore servir ?
L'expérience hongroise, décrite par Lajos Héthy, en a montré les
avantages et les limites. La Hongrie, a-t-il expliqué, est un pays où la
stabilité politique et sociale est vite apparue comme un enjeu majeur dans
le contexte d'un passage accéléré, avec toutes les conséquences qu'il
implique, à l'économie de marché. Les syndicats n'y ayant pas perdu leur
caractère d'organisations de masse, des négociations ont pu être menées
avec le patronat et l'Etat pour parvenir à des accords sur la législation
du travail, la réglementation des salaires et du droit de grève, le
montant de la part patronale dans les cotisations sociales etc. Mieux, le
dialogue tripartite a permis aux organisations syndicales de prendre part
à la formulation des politiques publiques et a montré que cette forme de
négociation contribuait pour une large part au maintien de la paix
sociale. En l'absence de véritable politique sociale, a cependant averti
Héthy, la recherche d'un accord avec les syndicats peut être un simple
moyen de faire accepter à la population les effets négatifs de la
transition, sans que soient discutées ses modalités ni ses finalités.
Si le principe du tripartisme garde sa valeur, c'est une notion qui
doit donc être adaptée aux évolutions de la société civile et élargie pour
inclure l'ensemble des partenaires sociaux, y compris les représentants
des exclus, souvent laissés pour compte par les structures syndicales
classiques. Le dialogue doit être dans tous les cas étendu à la conception
des politiques économiques à laquelle doivent prendre part l'ensemble des
citoyens.
A quel niveau doivent par ailleurs être prises les décisions concernant
une collectivité donnée ? C'est là une question cruciale pour la
démocratie qui, pour cesser d'être seulement représentative et se muer en
une dynamique participative, doit prendre en compte la nécessité de
différencier les niveaux de décision et d'accroître en la matière les
pouvoirs des instances locales. Permettre à des structures démocratiques
locales d'intervenir dans le processus de prise de décision suppose la
reconnaissance de la diversité des situations, des besoins et des acteurs.
C'est reconnaître qu'il n'existe pas de solution unique pour résoudre les
problèmes d'un monde pluriel.
Quelles peuvent être les modalités de cette prise en compte ? La prise
de décision peut-elle fonctionner sur le principe de la subsidiarité,
comme le propose Sixto Roxas, pour qui la communauté internationale
devrait être considérée comme une vaste communauté des communautés ? Pour
réorganiser démocratiquement un monde aujourd'hui caractérisé par la
tradition centralisatrice de l'Etat national, la dilution des
responsabilités au plan international et le silence dans lequel sont tenus
les acteurs locaux, il apparaît nécessaire de réfléchir à de nouvelles
relations entre les échelles locales, nationales, internationale et
mondiale. La multiplication souhaitable du nombre d'acteurs impliqués dans
la définition des politiques ne signifie pas pour autant qu'il faille
répondre à n'importe quelle demande. Il s'agit plutôt de bâtir, comme le
propose l'IUED, une organisation institutionnelle capable d'arbitrer les
conflits nés d'intérêts contradictoires et de faire participer les
différents niveaux de décision à la définition de buts collectifs, de
réconcilier, en d'autres termes, l'action locale et la pensée globale.
L'objectif est ambitieux dans la mesure où jusqu'ici, la concurrence est
souvent la règle dans les relations entre les différents niveaux de
décision, comme l'a rappelé Ajit Bhalla pour qui il est nécessaire de
passer d'une logique de concurrence à une logique de complémentarité. Une
des solutions serait peut-être de définir le niveau de centralisation dont
toute société moderne a besoin, selon Henri Rattner.
Une des voies permettant d'aller vers des sociétés plus participatives
consiste peut-être, a proposé Trevor Hancock, à cesser de parler
uniquement en termes de satisfaction des besoins des communautés
concernées et à tenir compte de leurs capacités non utilisées. Faire se
rencontrer besoins et capacités permettrait de résoudre un nombre
considérable de problèmes au niveau local a-t-il précisé, en s'appuyant
sur l'expérience des structures participatives de santé au Canada.
De façon plus générale, la reconnaissance de la pluralité des contextes
et du droit de tous à la participation et la multiplication des niveaux de
décision impliquent de décloisonner les différents niveaux de savoir en
créant des passerelles entre les savoirs populaires et les savoirs
scientifiques et savants. Car la priorité donnée par la quasi-totalité des
politiques nationales aux savoirs élitistes a privé l'humanité d'une bonne
partie de ses savoir-faire, note Richard Knight. «90% du savoir humain
actuel a été produit au cours des trente dernières années. Mais si l'on
définit le savoir comme la capacité de survivre sur terre de façon
durable, 90% du savoir humain a été perdu depuis trente ans»,
affirme-t-il. Un tel décloisonnement n'est pas impossible, comme l'a
montré Kurt Nielsen en faisant état de l'expérience danoise dans ce
domaine: la promotion des savoirs populaires et leur mise en relations
avec les savoirs académiques a permis selon lui au Danemark d'échapper en
partie à la main mise de la technostructure sur la gestion du pays.
On a longtemps débattu, sans guère conclure, sur la question de savoir
si la démocratie était une condition ou un résultat du développement. S'il
est clair q'une société où la majorité de la population se voit assigner
pour seul objectif la survie ne peut produire que des figures formelles de
la démocratie, un développement à finalité sociale exige l'élargissement
des territoires de cette dernière, ce qui supprimerait dans le même temps
une des formes majeures de l'exclusion, l'exclusion du politique.
De la réflexion à l'action : quelques
pistes
- Réhabiliter les sciences sociales
Placer les peuples
au centre de la problématique du développement n'est pas seulement un
slogan. L'expérience a abondamment montré que les modèles qui ne partent
pas des acteurs eux-mêmes se heurtent à la logique interne des processus
de développement. Malgré cette évidence, la demande en connaissaces
sociales reste tragiquement faible déplore Michael Cernea 24, et
pratiquement aucune agence de développment n'a éprouvé le besoin d'inclure
des chercheurs en sciences sociales dans ses instances de décision. On
évoque en général, pour justifier cette attitude, le coût élevé des études
sociales, sans jamais évaluer celui des erreurs commises quand une action
est menée sans connaissance des formations sociales concernées.
En fait, les sciences sociales ont jusqu'ici servi de réservoir
d'informations et de statistiques pour des décideurs économiques gagnés à
la «théologie du marché», pour reprendre l'expression de Cernea. Changer
l'ordre des priorités pour rendre au social la place qu'il n'aurait jamais
dû perdre suppose donc d'intégrer les sociologues à tous les niveaux de la
réflexion sur le changement social et ses modalités et de les faire
participer à la prise de décisions.
Mais ce constat de carence doit aussi faire réfléchir les chercheurs.
Peut-être sont-ils en partie responsables de leur absence des circuits de
décision, estime Cernea, dans la mesure où ils n'ont que très rarement
entrepris d'élaborer, à partir de leurs recherches, des outils
opérationnels. Pour prétendre participer à la définition et à la mise en
oeuvre des politiques de développement, il leur faudra sortir du seul
champ de l'analyse pour s'impliquer dans l'action et en partager les
risques.
La recherche doit par ailleurs, estime Tarozzi, se fixer de nouvelles
priorités qui tiennent compte des évolutions et des blocages du monde
contemporain. Ainsi, puisqu'il est impossible d'étendre l'Etat-Providence
occidental à l'ensemble de la planète, compte tenu de ses coûts
environnementaux, économiques et sociaux exhorbitants, il est urgent de
réfléchir concrètement à des stratégies de développement durable pour le
Sud, dont pourraient en retour bénéficier les pays développés. Cette
proposition est d'autant plus pertinente qu'on a pu noter, tout au long du
colloque de Roskilde, une focalisation des débats autour des problèmes du
Nord et une réelle difficulté à rénover la reflexion dans les domaines des
relations Nord-Sud et de la solution des inégalités mondiales. Les
discussions autour de l'Etat-Providence et du revenu minimum garanti ont
donné la mesure de cette difficulté. Certes, la mondialisation des
problèmes sociaux et l'interpénétration relative du Nord et du Sud
permettent, plus que naguère, de penser globalement. Mais cette pensée
globale pourrait, si l'on n'y prenait garde, prendre à nouveau les formes
d'une pensée du Nord.
Réfléchir pour agir, tel doit être en tous cas l'objectif des sciences
sociales si elles veulent être concrètement partie prenante de la
construction du monde de demain.
- Réformer la société internationale
Une redéfinition
des rôles respectifs des acteurs sociaux qui tienne compte à la fois des
effets de la mondialisation et de l'exigence sociale suppose la recherche,
au niveau international, de nouvelles formes de régulation politique et
économique, ce qui implique une profonde réforme des Nations unies et des
organisations de Bretton Woods.
Non seulement ces dernières se sont érigées en gardiennes mondiales de
l'hégémonie de l'ordre économique dominant, rappelle en effet Sixto Roxas
mais, dès l'origine, elles ont été conçues pour répondre aux besoins
spécifiques du fonctionnement des pays capitalistes développés.
L'internationalisation de leurs recettes apparaît donc comme un déni de la
pluralité du monde par l'imposition d'un modèle unique de plus en plus
contesté. Dans l'optique du développement social, c'est en fait tout
l'édifice actuel de la coopération au développement qui a besoin d'être
revu, a souligné Habiba Wassef. Le système des Nations unies doit, pour sa
part, commencer à adapter ses modalités d'intervention à l'évolution des
priorités en participant plus qu'il ne le fait à la dynamique du
changement. Une coopération internationale plus respectueuse de la
diversité et de la démocratie a pour devoir de se mettre à l'écoute des
discours qu'elle a trop longtemps négligé d'entendre et n'a pas, selon
Habiba Wassef, à imposer ses vues et ses façons de faire à des pouvoirs
publics souvent plus au fait qu'elle des besoins et des contraintes
propres à leur société.
La réforme du système international, en mettant fin au monopole des
organisations inter-étatiques, doit permettre l'émergence d'organisations
démocratiques mondiales de contrôle et de proposition. Car tel est l'enjeu
selon l'Alliance mondiale contre l'apartheid social, qui préconise la
création d'une organisation mondiale de représentation des citoyens pour
faciliter, entre autres, la participation équitable des habitants de tous
les continents à la gestion du monde.
- Elaborer de nouvelles formes de partenariat
Une telle
entreprise pourrait s'appuyer sur une série d'actions conduites un peu
partout, comme les expériences de gestion communautaire de la santé menées
avec succès au Canada ou le réseau européen des Healthy cities
progressivement construit depuis 1986 sous l'égide de l'OMS.
L'expérience canadienne, a indiqué Trevor Hancock, n'a pu être mise en
oeuvre qu'en remplaçant l'approche sectorielle des problèmes de santé par
une vision globale du contexte dans lequel ils s'inscrivent. Les
inégalités de revenus, la position occupée dans la hiérarchie sociale,
l'état de l'environnement, sont des déterminants majeurs de la santé et
expliquent que les inégalités devant la maladie n'aient pas disparu des
sociétés où les besoins de base sont censés être satisfaits. Pour
impliquer l'ensemble d'une population dans la solution de ses problèmes
grâce à une approche communautaire, s'appuyant sur les actions locales, on
a créé des conseils de santé dans un grand nombre de villes canadiennes.
C'est là que se discutent les problèmes, que s'élaborent des solutions,
que viennent et d'où partent les idées qui aident les groupes de citoyens
à se prendre en charge. Les tables rondes organisées par les conseils ne
produisent pas forcément du consensus et reflètent souvent les conflits
d'intérêts entre les différentes catégories de citoyens, a précisé
Hancock, mais grâce à elles, ces derniers ont renforcé leur pouvoir
d'intervention sur la politique de la ville.
Sans prendre les mêmes formes le réseau Healthy cities, qui
regroupe plus de trente villes européennes, s'inspire des mêmes méthodes,
en tentant d'agir dans tous les domaines ayant un impact sur la santé,
comme le logement, les transports, l'environnement, et d'amener les
décideurs à tenir compte des conséquences de leurs politiques sur le
secteur de la santé, pris au sens le plus large du terme. L'OMS a
également innové en ne travaillant plus seulement avec l'administration
urbaine, mais en introduisant dans le réseau une série d'organismes et
d'associations susceptibles de jouer un rôle dans les politiques
sanitaires urbaines.
D'autres expériences pourraient inspirer la recherche de nouvelles
formes de partenariat entre les acteurs sociaux, capables de pallier les
carences de l'Etat et de donner enfin un contenu concret à la démocratie
municipale.
- Favoriser l'accès à l'emploi
L'exclusion du monde du
travail étant une des causes principales de la pauvreté et de la
marginalisation, il est urgent de remplacer les dynamiques actuelles
productrices de chômage par d'actives politiques de promotion de l'emploi,
qui devraient avoir deux volets.
Le premier consiste à agir directement sur le marché de l'emploi par
des politiques volontaristes. Sans en détailler les modalités, on peut
retenir deux types de propositions susceptibles de freiner la dynamique du
chômage. José Figueiredo et Zafar Shaheed 25 proposent
entre autres de sanctionner par des pénalités financières les firmes qui
licencient trop souvent. Les sommes ainsi recueillies pourraient servir à
financer des programmes d'assurance contre le chômage, des fonds de
pension, ou des actions - dans le secteur de l'éducation par exemple -
destinées à faciliter l'insertion professionnelle des demendeurs d'emploi
non qualifiés. Dans le même ordre d'idées, des encouragements d'ordre
financier (subventions, ristournes fiscales etc.) peuvent être envisagés
pour les employeurs pratiquant une véritable politique d'embauche. Il faut
aussi explorer tous les gisements potentiels d'emplois. Bien des pays
pourraient, estime Sachs, régler une partie de l'immense problème du
sous-emploi rural en mettant en oeuvre des politiques de développement des
emplois ruraux non agricoles, ce qui aurait en outre l'avantage de fournir
des services à des régions en général tragiquement sous-équipées. Dans les
villes, la création d'emplois sociaux de proximité, pratiquement
inexistants au Nord comme au Sud, contribuerait à désengorger le marché du
travail.
Le second volet consiste à agir en amont du marché de l'emploi
proprement dit. On sait en effet à quel point l'analphabétisme, la
sous-qualification, l'appartenance à une catégorie marginalisée, barrent
pour des centaines de millions d'individus l'accès à la sphère du travail
visible et rémunéré. Seules des stratégies ayant pour objectif de lever
leurs handicaps peuvent permettre aux groupes les plus démunis et les plus
vulnérables d'acquérir les outils indispensables à l'obtention d'un emploi
rémunéré. Dans cette perspective, les domaines de la santé, de
l'éducation, de l'élimination des discriminations fondées sur des préjugés
culturels, doivent être considérés comme prioritaires. De telles actions
sont d'autant plus nécessaires qu'elles seules peuvent permettre aux
filles et aux femmes d'échapper à l'exclusion dont tant d'entre elles sont
victimes. Dans cette optique, Richard Anker 26 intègre
aux stratégies de lutte contre l'exclusion du marché du travail les
politiques de planification familiale ou la création de structures de
garde des enfants.
Mais les participants au colloque ne se sont guère penchés sur les
discriminations spécifiques dont souffrent les femmes, ni sur le fait que
l'immense majorité d'entre elles sont encore cantonnées dans la sphère du
travail domestique et non rémunéré, placé partout dans le monde dans la
rubrique des tâches ménagères ou de l'économie dite familiale. Les débats
sur l'élargissement de la démocratie, sur les liens entre le travail et le
statut social, entre l'exclusion du marché de l'emploi et la pauvreté, ont
montré que la dimension sexuelle de l'exclusion sociale n'a pas été prise
en compte dans la réflexion menée à Roskilde. Le fait de soutenir la mise
en oeuvre de politiques dynamiques d'éducation et de formation incluant
l'éducation à la citoyenneté peut toutefois permettre de lever un des
handicaps majeurs dont souffrent les femmes dans un grand nombre de
pays.
Souvent évoqué comme un obstacle à leur mise en oeuvre, le coût de ces
politiques pose moins de problèmes qu'on ne le croit. Il convient certes
de mener, dans chaque contexte, des études sur leur compatibilité avec les
indispensables équilibres économiques et de rechercher le meilleur rapport
coût - efficacité - équité. Mais, sans même quantifier le prix politique
et financier de l'exclusion sociale, les sommes - souvent considérables,
du moins dans les pays du Nord - actellement destinées à minimiser ses
ravages pourraient être reconverties dans les actions productrices de
cohésion sociale.
Les actions à mener en amont
des politiques d'emploi stricto sensu doivent aller au-delà de la
satisfaction des seuls besoins sociaux. L'inégale répartition de la
richesse et des facteurs de production faisant partie des causes
principales de l'exclusion, il est également nécessaire d'agir par le
biais de politiques de redistribution des actifs. La Banque
interaméricaine de développement juge ainsi indispensable d'effectuer
d'importantes réformes agraires dans la plupart des pays d'Amérique latine
où l'extrême concentration de la propriété foncière est une des causes
majeures du chômage rural et de la migration vers les villes. La
démocratisation de l'accès au crédit doit également faire partie des
politiques de redistribution des actifs, de même que des réformes fiscales
destinées à alléger l'imposition du travail et à alourdir celle du capital
et du revenu des placements spéculatifs.
Indispensables pour résorber les inégalités à l'intérieur de chaque
pays, de telles réformes ne peuvent toutefois avoir d'impact sur l'inégale
distribution de la richesse mondiale. Il apparaît nécessaire de la réduire
par la mise sur pied d'une fiscalité internationale susceptible de dégager
d'importantes ressources financières qui seraient affectées au
développement social. Au sommet de Rio déjà, l'institution d'une taxe sur
la consommation d'énergie - la fameuse écotaxe - avait été envisagée, et
aussitôt enterrée sous la pression des Etats Unis, des grandes compagnies
pétrolières et des exportateurs d'hydrocarbures. L'explosion, au cours des
dernières années, des mouvements spéculatifs de capitaux, a popularisé
l'idée de créer une taxe - dite Tobin, du nom de son inventeur - sur les
bénéfices tirés de ces placements. Là encore, de nombreuses voix s'élèvent
contre un tel impôt, au nom de la sacro-sainte autorégulation du marché.
Mais les résistances à l'instauration d'une fiscalité internationale ne
doivent pas empêcher de continuer à en explorer les modalités, ni de
travailler à sa mise en oeuvre.
On n'a fait ici qu'effleurer les multiples moyens de redistribuer, à
l'avantage des plus démunis, les actifs nationaux et mondiaux. Il
s'agissait de montrer, à l'aide de quelques exemples, que de telles
politiques ne relèvent pas de l'utopie mais de l'indispensable traitement
des causes de la crise sociale planétaire.
- Des politiques de la ville
D'ici quelques années à
peine, les villes abriteront la majorité des habitants de la planète. Si,
au cours de l'histoire, leur croissance s'est faite de façon empirique,
leur développement est aujourd'hui tel qu'il a partout besoin d'être
planifié et encadré. La crise sociale mondiale étant de plus en plus une
crise urbaine, il devient urgent d'élaborer des politiques et de forger
des outils capables de la résoudre, en tenant compte de la diversité des
contextes et des situations.
Les cités ont toujours été des lieux de culture, de rencontre, des
lieux fournissant d'immenses opportunités à la créativité humaine. Il faut
apprendre à leur rendre ces fonctions, a plaidé Jorge Wilheim. Mais
peut-on appeler cités ces agglomérations qui ne sont pas encore des villes
et qui présentent de nombreux caractères de la ruralité ? Comment gérer le
phénomène, général dans les pays du Sud, de la «rurbanisation», pour
reprendre un terme forgé par les sociologues ? Autant de questions qui
rappellent l'urgence d'élaborer de véritables politiques urbaines adaptées
aux mutations contemporaines.
Immense chantier, on le voit, que celui d'une réforme mondiale destinée
à renverser les logiques productrices de pauvreté et d'exclusion. Les
débats du colloque de Roskilde se sont attachés à mettre en évidence la
nécessité de modifier l'ordre actuel des priorités pour construire, à
l'échelle planétaire, un développement durable qui soit fondé sur l'être
et non plus sur l'avoir.
Tentative nostalgique de retrouver des harmonies sociales perdues et
refus d'une évolution considérée par ses défenseurs comme inéluctable?
Certes pas. La défense d'un autre développement, durable et social, n'est
pas, comme d'aucuns le prétendent, une réaction négative aux chocs de la
modernité. C'est au contraire, comme le soutient Sixto Roxas, un combat
pour la modernité. En produisant de la crise, en se révélant incapables de
faire progresser l'ensemble de la société humaine, les systèmes
économiques et politiques actuels et les technologies sur lesquelles ils
s'appuient ont montré leur obsolescence. En contester la validité,
élaborer des alternatives capables de réduire des fractures annonciatrices
d'orages planétaires, serait plutôt la seule manière de préparer le XXI è
siècle. C'est-à-dire d'y faire entrer, avec des chances égales de vivre
dans la dignité, toute l'humanité.
Il n'est pas évident toutefois que le monde s'achemine rapidement vers
cette voie. Certes, en organisant depuis le début des années 90,
c'est-à-dire depuis la fin de la bipolarisation géopolitique du globe, une
série de conférences et de sommets internationaux ayant pour but de jeter
les bases d'un «nouvel ordre mondial», les Nations unies tentent d'y
engager la communauté internationale. Mais, parallèlement, est en train de
se consolider un autre ordre, réel celui-là, fondé sur le recours à la
force et les seules logiques d'intérêts. Les limites des conclusions -
trop timides et partielles - du sommet de Copenhague, tranchant avec les
espoirs soulevés par sa convocation, montrent que, pour l'instant, les
obstacles à la construction d'une société planétaire fondée sur la
démocratie sociale sont loin d'être levés.
ANNEXE : Liste des Participants
AGGER Peder.
Professeur. Département de l'environnement, de la technologie et des
études sociales. Université de Roskilde, Danemark.
AHLINVIDE Olympe. Professeur. Centre panafricain de prospective
sociale. Porto Novo,Bénin.
ALTHEID Peter. Professeur. Sociologue. Centre sur les technologies
avancées. Université de Roskilde, Danemark.
ANDERSEN Helle Mukerji. Département de l'environnement, de la
technologie et des études sociales. Université de Roskilde, Danemark.
ANDERSEN John. Centre sur l'intégration et la différenciation
sociales. Copenhague, Danemark.
ASLUND Maj-Britt. Département de l'environnement, de la technologie
et des études sociales. Université de Roskilde, Danemark.
d'AVILA NETO Maria Inacia. Professeur. Chaire UNESCO de
développement durable Université fédérale de Rio de Janeiro, Brésil.
BAK Henrik. Département de l'environnement, de la technologie et des
études sociales. Université de Roskilde, Danemark.
BALBO Laura. Professeur. Institut de philosophie. Université de
Ferrare, Italie.
BARROS DE FREITAS MACIEL Tania. Professeur. Université de Rio de
Janeiro, Brésil.
BARTON Brian. Département de sciences économiques. Université de
Québec à Trois Rivières, Canada.
BASTOS Maria Durvalina. Professeur. Université fédérale de Rio de
Janeiro, Brésil.
BOESEN Anna. Département de l'environnement, de la technologie et
des études sociales. Université de Roskilde, Danemark.
BOLWIG Simon. Centre pour la recherche sur le développement.
Copenhague, Danemark.
BOJE Thomas P. Professeur. Département des études sociales.
Université de Roskilde, Danemark.
BRØNNUM Karin. Centre sur l'intégration et la différenciation
sociales. Copenhague, Danemark.
BHALLA Ajit. OIT. Institut international détudes sociales. Genève,
Suisse.
CAMBREZY Luc. ORSTOM. Paris, France.
CERNEA Michael. Sociologue. Conseiller principal. Banque mondiale.
Washington, Etats-Unis.
CHARMES Jacques. Directeur délégué. Département sociétés,
urbanisation, développement. ORSTOM. Paris,France.
COMELIAU Christian. Professeur. Institut universitaire d'études du
développement. Genève, Suisse.
CONNOLLY Ann-Marie. OMS. Bureau régional pour l'Europe, «Villes
Santé». Copenhague, Danemark.
COURADE Georges. ORSTOM. Paris, France.
CZESKLEBA-DUPONT. Département d'études sociales. Université de
Roskilde, Danemark.
DAM Anna. Programme européen sur la société, la science et la
technologie. Université de Roskilde, Danemark.
DENTEN Valerie. Programme européen sur la société, la science et la
technologie. Université de Roskilde, Danemark.
DUBE Faith. AIESEC. Centre sur l'intégration et la différenciation
sociales. Copenhague, Danemark.
DUBOIS Jean-Luc. ORSTOM. Paris, France.
ELMANDJRA Mahdi. Professeur. Université Mohammed V. Rabat,Maroc.
EMMERIJ Louis. Conseiller spécial du Président de la Banque
inter-américaine du développement. Washington D.C.Etats-Unis.
FABIANSEN Martin. Département de l'environnement, de la technologie
et des études sociales. Université de Roskilde, Danemark.
FIGUEIREDO José B. de. OIT. Institut international d'études
sociales. Genève, Suisse.
FOURNIER Francine. UNESCO Sous-Directeur général pour les sciences
sociales et humaines. Paris, France.
FRUET Genoveva Maya. Programme international sur les études de
développement. Université de Roskilde, Danemark.
GAILLY Benoit. Programme européen sur la société, la science et la
technologie. Université de Roskilde, Danemark.
GOEZ Y PALOMA Sergio. Programme européen sur la société, la science
et la technologie. Université de Roskilde, Danemark.
GOMES Maria de Fatima. Professeur. Université fédérale de Rio de
Janeiro. Brésil.
GOOS Cees. OMS Directeur p.i., Bureau régional pour l'Europe.
Copenhague, Danemark.
GREVE Bent. Professeur. Département des sciences sociales.
Université de Roskilde. Danemark.
GROTH Simon. Département de l'environnement, de la technologie et
des études sociales. Université de Roskilde. Danemark.
HANCOCK Trevor. Consultant en santé publique. Ontario, Canada.
HALKIER Bente. Département de l'environnement, de la technologie et
des études sociales. Université de Roskilde. Danemark.
HANSEN Andreas Wester. Département d'études sociales. Université de
Roskilde. Danemark.
HANSEN Birgitte Steen. Département de l'environnement, de la
technologie et des études sociales. Université de Roskilde. Danemark.
HANSEN Jette. Géographie et communication. Université de Roskilde.
Danemark.
HARRELL-BOND Barbara. Directeur. Programme des études sur les
réfugiés. Université d'Oxford. Royaume-Uni.
HETHY Lajos. Secrétaire d'Etat. Ministère du travail. Budapest,
Hongrie.
HINGEL Anders. Commission européenne. DG-XII. Bruxelles,
Belgique.
HOLM Mogens. Centre de recherche sur le développement. Copenhague,
Danemark.
HVID Helge. Professeur. Département de l'environnement, de la
technologie et des études sociales. Université de Roskilde. Danemark.
JELSØE Erling. Professeur. Département de l'environnement, de la
technologie et des études sociales. Université de Roskilde. Danemark.
JESPERSEN Per Homann. Département de l'environnement, de la
technologie et des études sociales. Université de Roskilde. Danemark.
JOENSEN Peter. Département de l'environnement, de la technologie et
des études sociales. Université de Roskilde. Danemark.
JOHNSON Douglas. Johnson International. Hvidovre, Danemark.
KAMARA Wambui. Département de l'environnement, de la technologie et
des études sociales. Université de Roskilde. Danemark.
KATROUGALOS Geogre. Département de l'environnement, de la
technologie et des études sociales. Université de Roskilde. Danemark.
KAZANCIGIL Ali. UNESCO, Directeur. Division des sciences sociales,
de la recherche et des politiques. Secrétaire exécutif, Programme MOST.
Paris, France.
KLEFFEL Kristine Vik. Département de l'environnement, de la
technologie et des études sociales. Université de Roskilde. Danemark.
KNIGHT Richard. Professeur. Faculté d'architecture. Gênes,
Italie.
LASSEN Jesper. Professeur. Département de l'environnement, de la
technologie et des études sociales. Université de Roskilde. Danemark.
LAURITZEN Nina. Centre d'études africaines. Université de Roskilde.
Danemark.
LEE Albert. Programme européen sur la société, la science et la
technologie. Université de Roskilde. Danemark.
LITTRUP Casper. Département de l'environnement, de la technologie et
des études sociales. Université de Roskilde. Danemark.
LØVSHOLT Thomas. Département de l'environnement, de la technologie
et des études sociales. Université de Roskilde. Danemark.
MANCZAK Maj. Département de l'environnement, de la technologie et
des études sociales. Université de Roskilde. Danemark.
MASINA Pietro P. Programme européen sur la société, la science et la
technologie. Université de Roskilde. Danemark.
MAZZONIS Martino. Programme européen sur la société, la science et
la technologie. Université de Roskilde. Danemark.
MEYER Niels I. Professeur. Département de physique. Université
techique du Danemark. Copenhague, Danemark.
MIKKELSEN Troels. Département d'administration. Université de
Roskilde. Danemark.
NIELSEN Inge-Lise. Enseignante. Jægerspris, Danemark.
NIELSEN Kurt Aagaard. Professeur. Département de sociologie.
Université de Copenhague. Danemark.
NKINYANGI John. UNESCO, Division des sciences sociales, de la
recherche et des politiques, Programme MOST. Paris, France.
OKHOLM Lene. Département de l'environnement, de la technologie et
des études sociales. Université de Roskilde. Danemark.
PAIVA José Vilhena de. Vice-Recteur. Université fédérale de Rio de
Janeiro. Brésil.
PARIJS Philippe van. Professeur. Faculté des sciences économiques,
sociales et politiques. Université catholique de Louvain. Belgique.
PETERSEN Anne Sprogøe. HIB II Université de Roskilde. Danemark.
PETERSEN Gert. Département de l'environnement, de la technologie et
des études sociales. Université de Roskilde. Danemark.
PETERSEN Kåre. Département d'études sociales. Université de
Roskilde. Danemark.
PHANCHANA Patoommat. Programme européen sur la société, la science
et la technologie. Université de Roskilde. Danemark.
PIHL Louise. Institut de science politique. Université de
Copenhague. Danemark.
PINTO Maya. Université de Bath. Royaume-Uni.
PUCCIO Aurora. Programme européen sur la société, la science et la
technologie. Université de Roskilde. Danemark.
RATTNER Henrique. Directeur. Programme sur l'environnement et le
développement durable. Université de Sao Paulo. Brésil.
ROXAS Sixto K. FCOMT (Foundation of Community Organization and
Management Technology). Quezon City, Philippines.
ROY Marianne. Université du Québec à Montréal. Canada.
RUKAVISHNIKOV Vladimir. Professeur. Institut de recherche politique
et sociale. Académie des sciences. Moscou,Fédération de Russie.
SACHS Ignacy. EHESS Directeur d'études. Paris,France.
SAIZARBITORIA Inaki Heras. Programme européen sur la société, la
science et la technologie. Université de Roskilde. Danemark.
SANTORSOLA Antonella. Programme européen sur la société, la science
et la technologie. Université de Roskilde. Danemark.
SCHÖNHÖFFER Peter. Pax Christi. Münster, Allemagne.
SLETTEN Karen Prochnow. Département de l'environnement, de la
technologie et des études sociales. Université de Roskilde. Danemark.
STAUNING Inger. Département de l'environnement, de la technologie et
des études sociales. Université de Roskilde. Danemark.
ØVERLAND Sunniva. Département de l'environnement, de la technologie
et des études sociales. Université de Roskilde. Danemark.
TAMBORINNI Francesca. Programme européen sur la société, la science
et la technologie. Université de Roskilde. Danemark.
TAROZZI Alberto. Professeur. Département de sociologie. Université
de Roskilde. Danemark.
VEDELAGO François. Institut Michel de Montaigne. Université de
Bordeaux 3. France.
WASSEF Habiba H. OMS Genève, Suisse.
WEI Li. Programme européen sur la société, la science et la
technologie. Université de Roskilde. Danemark.
WILHEIM Jorge. Secrétaire général adjoint. HABITAT II Nairobi,
Kenya.
YTTESEN Jacob. Département de l'environnement, de la technologie et
des études sociales. Université de Roskilde. Danemark.
1. Quand aucune
référence bibliographique n'est spécifiée, les propos des personnes citées
sont tirés de leur communication ou de leurs interventions au Colloque de
Roskilde.
2. Riccardo Petrella: «L'Europe entre l'innovation
compétitive et un nouveau contrat social». Revue internationale des
sciences sociales. N° 143, mars 1995.
3. Ignacy Sachs : A la recherche de nouvelles
stratégies de développement. MOST, documents de politiques sociales
n°1. Unesco 1995.
4. cf. J. Figueiredo, JP. Lachaud, G. Rogers:
«Poverty and labour market in developing countries». New approaches to
poverty analysis and policy. Tome II. Institut international d'études
sociales, Genève 1995.
5. La Fontaine : «Les animaux malades de la
peste». Fables.
6. PNUD : Rapport mondial sur le développement
humain 1994.
7. cf. ORSTOM : Pauvreté, chômage et exclusion
dans les pays du Sud. Synthèse du séminaire de Royaumont. Janvier
1995.
8. Chiffres cités par la Banque interaméricaine de
développement : Tensions sociales et réforme sociale. Washington,
janvier 1995.
9. PNUD 1994.
10. cf. I. Sachs, op. cit.
11. op. cit.
12. op. cit.
13. ORSTOM : op. cit.
14. op. cit.
15. «Le quantitatif et le qualitatif, quelques
questions sur les enjeux et les limites de la mesure du
développement». Revue internationale des sciences sociales n°143,
mars 1995, pp.9.
16. IUED : Pour un développement social
différent, recherche d'une méthode d'approche. Rapport d'un groupe de
travail en vue du sommet social de Copenhague. Genève, mars 1995.
17. Pour les rapports entre crise, stabilisation,
ajustement et pauvreté, voir Rolph van der Hoeven : «Structural
adjustment, poverty and macro-economic policy». New approaches to
poverty analysis and policy. Tome III. Institut international d'études
sociales.
18. A la recherche de nouvelles stratégies de
développement, op.cit..
19. op. cit.
20. IUED, op. cit.
21. Chiffres cités par Céline Sachs-Jeantet :
Villes et gestion des transformations sociales. MOST, documents de
travail, n°2. UNESCO 1995.
22. A la recherche de nouvelles stratégies de
développement, op. cit.
23. ORSTOM, op. cit.
24. Michael M. Cernea : Sociological work
withina development agency, experiences in the World Bank. Août
1993.
25. Institut international d'études sociales, op.
cit. tome II.
26. Richard Anker : «Labour market policies,
vulnerable groups and poverty». in Institut international d'études
sociales; op. cit. tome II.
La nécessité d'une comptabilité sociale
Le
choix des indicateurs, qualitatifs et quantitatifs, est fonction des
hypothèses sous-jacentes, des objectifs poursuivis et des normes de
valeur, universelles ou locales, que se donnent les sociétés. L'avantage
des indicateurs quantitatifs est qu'ils déterminent des seuils simples,
qu'ils sont à utiliser et ils rendent crédibles les résultats obtenus,
mais les indicateurs qualitatifs rendent beaucoup mieux compte de la
complexité des situations locales. En fait, de nombreux indicateurs
qualitatifs (par exemple les indicateurs de déstructuration sociale :
suicide, vols, délinquance, etc.) peuvent être présentés quantitativement.
De plus, tout travail s'appuyant sur des indicateurs quantitatifs se doit
d'être éclairé par une réflexion qualitative qui traduit la complexité des
situations étudiées.
Les indicateurs sociaux sont à construire à différentes échelles
exprimant précisément l'organisation sociale et la structuration
économique, indicateurs macroéconomiques et macro-sociaux, indicateurs
méso-économiques concernant les collectivités (obtenus par des enquêtes
communautaires) et les groupes sociaux (notamment les groupes cibles de la
politique sociale), indicateurs micro-économiques concernant ménages et
individus. Il convient de sortir des indicateurs descriptifs externes
(comme le taux de scolarisation) pour intégrer des indicateurs mesurant
les mécanismes (comme la transmission des savoir-faire). La définition des
groupes cibles demande à être affinée, car chaque catégorie recouvre une
grande diversité des situations concrètes, ce qui nécessite des réponses
différentes selon les cas. Les politiques d'intégration s'appuient sur la
famille, mais celle-ci n'est-elle pas une unité particulièrement délicate
à observer. Il faut observer les cycles familiaux, car en situation de
précarité les situations domestiques sont particulièrement complexes.
On doit distinguer l'emploi d'indicateurs synthétiques, comme l'IDH
(Indice de Développement Humain calculé par le PNUD), de l'utilisation de
batteries d'indicateurs simples. L'indicateur synthétique, en raison des
pondérations qu'il nécessite pour chaque indicateur simple, est
théoriquement fragile. En effet, le changement des pondérations modifie la
valeur de l'indicateur et gomme la multidimensionalité. D'un autre côté,
le nombre d'indicateurs simples peut devenir rapidement excessif pour être
utile dans la prise de décision. Il faut donc établir une hiérarchie des
indicateurs et définir des priorités en fonction des objectifs poursuivis.
Pour élaborer les indicateurs souhaités , il faut donc expliciter les
objectifs en considérant les différents aspects du phénomène de pauvreté,
dans sa dimension spatio-temporelle, en fonction des domaines d'étude et
secteurs, considérés comme sociaux ou à fort impact social. Les
indicateurs étant des instruments utiles pour suivre les aspects sociaux,
il convient de les développer tout en les intégrant dans un cadre
méthodologique qui en assure la cohérence. La comptabilité sociale
deviendrait, dans cette hypothèse, le pendant de la comptabilité
économique et permettrait un suivi global de la situation.
ORSTOM, op.cit.
Logique de survie dans un contexte de guerre
économique
Devant l'ampleur (ainsi que l'accélération) des
transformations liées aux changements scientifiques et technologiques
auxquels les industries, les organisations et les pays sont «soumis» dans
un contexte de plus en plus vaste, mondial et par conséquent, plus
difficile à maîtriser, le sentiment d'être confronté à un processus de
déstabilisation permanente dans une situation d'incertitude et d'hostilité
environnementale croissante se généralise.
On a, dès lors, l'impression d'être pris dans une logique de la survie
pour la survie (rester dans le marché; garder l'emploi et ce qui y est
lié; empêcher que le concurrent étranger ou simplement l'immigrant prenne
notre place)...
«L'autre» devient immédiatement suspect d'être source potentielle de
déstabilisations donc de danger de mise en question de notre survie même
au plus profond de notre identité.
Maîtriser l'outil plus performant, moins cher, répondant aux besoins
des marchés les plus riches et solvables devient dans ce contexte, le
moyen le plus efficace pour assurer la (micro) survie. Le salut est dans
l'outil ! L'innovation sur et par l'outil, la compétitivité sur et par le
prix et la qualité (définie en termes techno-financiers) des outils
émergent en tant que seuls régulateurs efficaces et apparemment légitimes
de la guerre pour la survie.
Les discours dominants sur l'innovation et le culte obsessif de la
compétitivité ont contribué largement au développement et à la diffusion
de cette «psychose de la survie» et de cette «culture de guerre». Les
valeurs sur lesquelles les théoriciens et les praticiens de l'innovation
et de la mondialisation par la compétitivité mettent l'accent sont des
valeurs axées sur la puissance (notamment financière), la force (idée de
conquête, de maîtrise), la lutte (à laquelle doivent être également
soumises les inévitables coopérations entre individus, organisations et
pays), l'agressivité et le cynisme (mors tua vita mea). Certes, on
pourrait dire qu'il n'y a apparemment rien de nouveau sur la scène de
l'histoire humaine et des sociétés. Le nouveau pourtant existe : c'est
que, pour la première fois, une telle logique a pris la dimension
globale mondiale, celle de la totalité de l'histoire humaine, dans un
contexte de potentialité réelle, d'une part d'autodestruction totale de la
société humaine (grâce à l'énergie nucléaire) et de manipulation générale
du vivant (grâce aux nouvelles avances dans l'ingénierie génétique)
d'autre part.
Considérée comme acteur principal de l'innovation technologique,
industrielle et économique, d'où dépend l'avenir d'une ville, d'une
région, d'un pays et comme la seule organisation capable de «gérer» la
mondialisation de l'économie, l'entreprise est en train de devenir le
sujet qui fait culture, à savoir qui façonne les systèmes de valeur d'une
société et d'une époque et fixe les règles du jeu et l'organisation de
pilotage et de gestion de l'économie mondiale avec l'appui de l'État et de
l'ensemble des pouvoirs publics (locaux , nationaux et internationaux).
L'alliance répond à des logiques fortes de part et d'autre. D'un pays
de l'OCDE à l'autre, sous des formes différentes, la même logique est à
l'oeuvre : mobilisation des ressources disponibles au service de la
réussite commerciale à court et à moyen terme des entreprises «nationales»
spécialement les plus fortes, les «gagnantes» sur les marchés mondiaux. On
assiste à un transfert massif de ressources publiques en faveur des
entreprises privées, surtout multinationales afin de leur permettre de
maintenir leur compétitivité à l'échelle des marchés solvables les plus
rentables.
L'entreprise acquiert une nouvelle légitimité historique, dans la
mesure où elle s'est vu conférer par l'État la fonction de défense et de
promotion du bien-être de la société «locale» et ce, en assurant son
propre succès sur la scène mondiale. Face à la société «mondiale», elle
revendique une légitimité supplémentaire en se présentant comme la seule
organisation capable de garantir, à l'échelle de la planète, la meilleure
gestion des ressources matérielles et immatérielles disponibles. Ce
faisant, l'entreprise privatise et internationalise à ses propres fins le
rôle social de l'État. Elle le fait d'ailleurs à répétition, dans chacun
des pays où elle peut revendiquer une place déterminante dans le paysage
local. De surcroît - et faute d'un État mondial - elle privatise également
la fonction d'organisation de l'économie mondiale.
Riccardo Petrella, op. cit.
L'auteur
Sophie Bessis, agrégée d'histoire, est
spécialiste de l'économie politique du développement. Elle est chargée
d'enseignement à l'Institut national des langues et civilisations
orientales (INALCO). Egalement journaliste, notamment pendant dix ans à
l'hebdomadaire Jeune Afrique, elle collabore à plusieurs journaux
et revues en France et à l'étranger. Elle a écrit sur les questions liées
au développement et aux rapports Nord-Sud, et sur le Maghreb. Ses derniers
ouvrages sont La faim dans le mondes, La Découverte, Paris 1991;
Les enfants du Sahel, L'Harmattan, Paris, 1992.