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27.04.2012 - La Revue du Patrimoine monial - Le Courrier de l'UNESCO

Interview avec Herbie Hancock: le jazz puise ses racines dans l’humanité

© UNESCO/Michel Ravassard - Herbie Hancock en concert à l’UNESCO, lors de la célébration de la Troisième Journée mondiale de la philosophie à l’UNESCO, en novembre 2004.

Herbie Hancock, pianiste et compositeur américain de renommée mondiale, est l’initiateur de la Journée internationale du jazz, célébrée pour la première fois le 30 avril 2012. Dans cet entretien accordé au Courrier de l'UNESCO, il s’exprime sur les valeurs humanistes du jazz et sur sa mission d’Ambassadeur de bonne volonté de l’UNESCO pour le dialogue interculturel.

 

Herbie Hancock répond aux questions de Jasmina Šopova et Gina Doubleday

Qu’est-ce qui vous a motivé à proposer la création d’une Journée internationale du Jazz ?

En acceptant l’honneur d’être nommé Ambassadeur de bonne volonté de l’UNESCO, en juillet 2011, j’ai décidé de consacrer du temps et de l’énergie à la culture de la paix. J’ai donc présenté un projet visant à divulguer les valeurs du jazz à l’échelle mondiale. Le projet a été adopté par la Conférence générale de l'UNESCO en novembre 2011 et j’espère que cette nouvelle Journée internationale suscitera l’intérêt pour le jazz, notamment parmi les jeunes.

Cela fait des années que vous vous consacrez aux jeunes, en soutenant notamment le Thelonious Monk Institute of Jazz, association caritative américaine destinée à l'éducation musicale, que vous présidez actuellement.

Je crois que la musique ‒ et particulièrement le jazz, parce qu’il est improvisé  ‒ aide les élèves à s’exprimer. Et être capable de s’exprimer est très libérateur pour un être humain. Des statistiques montrent que les élèves qui font de la musique obtiennent de meilleurs résultats dans d’autres matières comme les mathématiques, les sciences, la littérature…  C’est que l’apprentissage de la musique leur confère des aptitudes qui augmentent l’estime de soi.

Je pense qu’il est très important que les jeunes s’imprègnent des valeurs humanistes véhiculées par le jazz, car elles sont essentielles à la compréhension mutuelle, au dialogue et au respect.

Quelles sont ces valeurs ?

Vivre intensément chaque instant, travailler en équipe et, surtout, respecter l’autre. Le jazz incarne la liberté, précisément parce qu’il puise ses origines dans l’esclavage. De plus, le jugement et la compétition lui sont totalement étrangers. Quand vous faites du jazz, vous ne jugez jamais le musicien qui joue avec vous. Quoi qu’il fasse, quelle que soit la façon dont il joue, vous ne vous dites jamais : « je n’aime pas ce qu’il fait ». La seule chose qui vous préoccupe, c’est de l’aider à s’épanouir.

Le jazz est un dialogue, qui se noue au sein de l’improvisation musicale, entre les musiciens eux-mêmes, entre la scène et le public, et à l’intérieur du public. Je vais vous donner un exemple. En 1998 le Président Clinton avait demandé au Thelonious Monk Institute of Jazz de représenter la culture des États-Unis au Sommet des Amériques, qui avait réuni au Chili les dirigeants politiques de l’Amérique du Nord et de l’Amérique du Sud. Lorsque nous étions sur scène, j’observais le public qui venait de différents pays du monde. J’ai vu comment les gens se détendaient petit à petit, comment les barrières invisibles s’effondraient, comment le bonheur gagnait la salle tout entière. Le lendemain, le Président nous a dit qu’en matière de dialogue interculturel et de paix, notre musique avait certainement plus d’impact que tous les discours de tous les ambassadeurs et hommes politiques réunis (rires).

Votre dernier album, « The Imagine Project » (2010), réunit des musiciens des États-Unis, du Royaume-Uni, d’Irlande, du Mali, du Congo, de la Colombie, de la Somalie, du Mexique, de l’Afrique du Sud et de l’Inde. Et il mélange des styles musicaux différents, allant du jazz au hip-hop. Quelle était votre intention principale en lançant ce projet ?

Je me suis posé la question : à quoi ça sert de faire un album ? J’avoue que je ne me posais pas ce genre de questions au début de ma carrière, mais à présent, mes aspirations sont différentes. Je voulais donc dépasser le simple fait de mettre de la musique sur un CD et trouver un moyen de servir l’humanité.

J’ai réfléchi aux grands défis de notre époque, et le mondialisme s’est imposé comme une évidence. Le mondialisme une question qui est à la fois extérieure et complémentaire au problème économique actuel, mais il incarne avant tout un processus qui permet aux êtres humains d’accepter l’idée que nous appartenons tous à un seul et même monde, que nous constituons tous un seul et même peuple : celui des êtres humains.

Pour traduire cette réalité en musique, j’ai décidé de faire un album avec des musiciens provenant de différents pays, de différentes cultures, parlant des langues différentes, et de montrer ainsi que la créativité est un fait universel. Je ne voulais pas simplement réunir des artistes qui jouent ensemble. Je voulais créer une œuvre mondiale. Et pour cela, il était indispensable que chacun chante dans sa propre langue. Du coup, il y a sept différentes langues dans cet album. Et chaque morceau a été enregistré dans le pays du chanteur. Nous avons fait le tour du monde pour enregistrer cet album !

Ce que je voulais montrer avec cet album, c’est cet immense potentiel que recèle le monde globalisé, tel que nous voulons le construire : un monde qui n’admet pas l’égoïsme et la cupidité, un monde où l’on ne réfléchit pas à la première personne du singulier, mais à la première personne du pluriel. Voici pourquoi j’ai emprunté le titre de la célèbre chanson de John Lennon : « Imagine ».

Dans cet album, vous avez introduit notamment la cora africaine. Était-ce une façon de revenir aux racines du jazz ?  

Avant tout, je ne voyais pas « The Imagine Project » comme un album de jazz, même si l’esprit ‒ l’intention ‒ du jazz est là. Le jazz est une sorte de boîte fermée, et moi je voulais défaire les cloisons.

Ensuite, le jazz n’est pas né en Afrique, mais en Amérique. Il a certainement des sources africaines, mais elles viennent aussi d’ailleurs, d’Irlande, par exemple, mais aussi d’autres pays.

J’estime que le jazz puise ses racines dans l’humanité. Et c’est pour cette raison que j’aimerais voir un jour le jazz inscrit sur la Liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, de même que je souhaiterais voir les lieux où la jazz est né –les fermes de Dockery dans le delta du Mississippi, la Nouvelle Orléans, Chicago ou New York – inscrits sur la Liste du patrimoine mondial.

Votre mission auprès de l’UNESCO est étroitement liée au patrimoine mondial.

En effet, je joue demain soir [30.01.2012] à l’UNESCO à l’occasion de la célébration du 40e anniversaire de la Convention du patrimoine mondial et j’en suis très fier. Le patrimoine mondial est à mon avis l’un des programmes phares de l’UNESCO. Les sites protégés sont non seulement des joyaux de la culture mondiale, mais aussi des lieux emblématiques pour l’histoire des nations et pour la transmission de cette histoire aux nouvelles générations.

Ma première mission en tant qu'Ambassadeur de bonne volonté de l’UNESCO a consisté à faire un voyage en Asie du Sud-Est, où j’ai eu l’occasion de visiter quelques-unes des merveilles du monde, comme Borobudur et Prambanan, en Indonésie, ou Angkor, au Cambodge. C’était une expérience édifiante. Au Cambodge, par exemple, j’ai découvert que les sites du patrimoine mondial étaient non seulement des gardiens de la mémoire du pays mais aussi des centres d’artisanat et de tourisme culturel qui favorisent la création d’emplois et le développement.

J’ai été également été très impressionné de voir comment la coopération internationale a contribué à sauvegarder ces trésors. Des temps entiers ont été restaurés, patiemment, pierre par pierre. C’est ainsi que je vois l’édification de la paix dans le monde, avec la contribution de nous tous, dans un esprit de fraternité. Grâce à ma mission d’Ambassadeur de bonne volonté de l’UNESCO, je compte apporter ma pierre à cet édifice.

 

 

 

 




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