Comment mesurer l'impact socio-économique des industries culturelles ou la diversité des expressions culturelles ? Lors d'une entrevue, Lydia Deloumeaux, spécialiste de la culture l'ISU, revient sur les défis liés à la mise en place du cadre de l'UNESCO pour les statistiques culturelles 2009.
Quel est l’apport du cadre de l’UNESCO de 2009 pour les statistiques culturelles par rapport à celui de 1986 ?
Le cadre de 2009 est plus adapté à la réalité du XXIème siècle. Il prend en compte notamment l’utilisation d’internet dans les pratiques culturelles.
Par ailleurs, le cadre de 1986 avait principalement été développé par les pays européens. Il était davantage axé sur ce qu’on appelle les « industries culturelles » (nombre de livres publiés, indice de participation au théâtre ou à l’opéra).
Nous voulions que notre définition de la culture reflète la dimension économique mais qu’elle soit également représentative de la diversité des pratiques socioculturelles dans le monde.
Une des avancée du cadre est l’introduction de la notion de patrimoine culturel immatériel qui met l’accent sur les pratiques culturelles communautaires et les savoirs traditionnels. Les traditions vivantes sont désormais considérées au même titre que le patrimoine matériel : les monuments et œuvres d’arts du passé. L’art des croix de pierre arméniennes, le chant de la Sibylle de Majorque et la Huaconada, danse rituelle de Mito au Pérou sont des exemples de la richesse du patrimoine immatériel.
Je pense qu’aujourd’hui la culture est perçue d’une manière plus évolutive. Ces pratiques socioculturelles ne sont pas figées : elles évoluent à la fois dans le temps, à travers leur moyen de diffusion et à travers leurs interactions avec d’autres pratiques culturelles.
Enfin, le cadre s’appuie sur des classifications internationales récentes. Celles-ci permettent d’obtenir des statistiques culturelles comparables au niveau international.
Comment parvenez-vous à mesurer des pratiques constamment changeantes ?
C’est un défi mais pas seulement pour la production de statistiques sur la culture. C’est un travail de longue haleine. Nous avons une approche pragmatique en travaillant sur un nombre limité de domaines à la fois. Nous avons notamment commencé un travail méthodologique sur la mesure de la participation culturelle. Cette méthode vise à être adaptée au niveau national afin de rendre compte à terme des pratiques culturelles pour tous les pays.
En comparaison, les industries culturelles semblent plus faciles à mesurer car les données sont déjà existantes.
En principe, oui car les données sont générées par leurs propres industries. Néanmoins le taux de réponse varie selon les régions et les besoins. Il est important de toujours se concentrer sur la qualité des données, des définitions et des indicateurs. Nous avons dû également nous adapter aux nouveaux processus de production et de consommation des produits culturels. Malheureusement, ces données ne sont pas toujours accessibles et certaines sont payantes.
Comment définit-on une industrie culturelle ?
Les industries culturelles couvrent notamment l’industrie cinématographique, l’audiovisuel, l’édition de livres, les journaux et l’artisanat. La notion de « créativité » nous fait parfois associer certaines activités non culturelles à la culture, comme l’étape de design dans l’industrie automobile, par exemple.
Quelles données sont les plus demandées dans le domaine culturel ? A quelles fins ?
L’UNESCO collecte des données sur le cinéma depuis le milieu des années 50. Les autres enquêtes ont porté sur les musées, l’édition de livres, la presse, la radio et la télévision.
Nous recevons des demandes du monde entier. Celles-ci sont utilisées par les pays pour soutenir leurs politiques culturelles, par les organismes internationaux, les instituts de recherche, les universitaires et les étudiants.
La révolution numérique est-elle prise en compte dans les enquêtes ?
Oui dans la mesure du possible. Les questionnaires intègrent les nouvelles pratiques de consommation des produits culturels. Par exemple, nous avons introduit la vidéo à la demande et le contenue des médias en temps réels (streaming) dans la collecte de données sur la consommation de films afin de s’ajuster aux nouvelles pratiques.
Comment le nouveau cadre aide-il à mesurer plus précisément l’activité de ces industries culturelles ? Le développement des nouvelles technologies a-t-il rendu la quantification des « expérience culturelles » plus difficile ?
Nous avons modifié la notion de cycle culturel dans le cadre. Le cycle culturel permet d’appréhender les étapes de production d’un bien ou d’un service culturel et d’identifier ses intervenants et donc les types de métiers qui sont en jeu. Cette notion permet également d’appréhender le mode de consommation des biens culturels.
Le cycle comprend cinq étapes: la création, la production, la diffusion, l'exposition/transmission et la consommation/participation. Dans le cadre de 1996, une hiérarchie existait entre ces cinq étapes puisqu'une étape menait directement à une autre. Dans le nouveau cadre, nous pensons en terme de cycle évolutionnaire car certaines étapes peuvent disparaître. Certains musiciens par exemple produisent eux-mêmes leur musique et la distribuent sur internet sans passer par des sociétés de distribution.
Comment allez-vous mettre en place ce cadre ?
Notre premier objectif est de faire connaître ce nouveau cadre à travers des ateliers de formation régionaux portant sur son utilisation dans différents pays. Ces ateliers s’adressent aux statisticiens des Etats Membres ou à des spécialistes en politiques culturelles. Nous essayons également de mettre en place des partenariats avec les pays ou avec des entités régionales qui veulent générer leur propre cadre national et améliorer leurs statistiques culturelles. Ce cadre n’est qu’une étape pour définir de nouveaux outils méthodologiques. Nous comptons développer d’autres outils méthodologiques afin d’améliorer les capacités en statistiques culturelles des pays.