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28.05.2014

Des médicaments vitaux prioritaires pour les pauvres — un entretien avec Thomas Pogge et Aidan Hollis

© Banque mondiale / Arne Hoel

Le 6 juin, l’UNESCO a organisé dans ses locaux à Paris un séminaire public en présence des Professeurs Thomas Pogge et Aidan Hollis. Ces deux intellectuels de renommée internationale ont fait part de leurs propositions pour assurer aux personnes pauvres un meilleur accès aux médicaments vitaux prioritaires. Ce séminaire fait écho aux différentes réflexions du Comité international de bioéthique (CIB) relatives à l’article 15, sur le principe du partage des bienfaits, de la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l'homme.

Les Professeurs Pogge et Hollis ont pour but de réduire le nombre de décès liés au manque d’accès aux médicaments vitaux prioritaires. C’est ce qu’ils nous expliquent dans cet entretien ...

Thomas Pogge © D.R.

Quelles sont les raisons qui expliquent que les pauvres n’aient pas accès aux médicaments vitaux aujourd’hui ?

Chaque année, 10 millions de personnes dans le monde trouvent la mort faute d’accès aux médicaments vitaux. Cela est en partie dû aux prix élevés générés par le système actuel des droits de propriété intellectuelle (DPI), rendant ces médicaments, particulièrement dans les pays en développement et sur les marchés émergents, inaccessibles aux patients dans le besoin. Les sociétés pharmaceutiques sont souvent sujettes à forte controverse en raison des marges élevées réalisées sur les prix des produits protégés par des brevets, notamment sur des blogs ou dans des articles aux titres tels que « le bénéfice qui tue ». Cela dit, nous devons admettre que ces sociétés agissent ainsi car elles doivent couvrir les coûts de leurs investissements. En effet, rares sont les industries confrontées à de tels coûts excessifs de recherche et développement, ainsi qu’à un taux d’échec élevé dans la conception de nouveaux produits qui peuvent être, en outre, facilement fabriqués en grande quantité et à des prix plus bas par des concurrents génériques. Nous devons également admettre que les médicaments conçus par les sociétés pharmaceutiques ont sauvé des millions de vie. Raison pour laquelle tout laisse à croire que nous sommes face à un dilemme moral complexe et irrésolu : ces majorations de prix élevées et brevetées entraînent des décès dus à des médicaments vitaux inaccessibles. Et, sans ces majorations, qui constituent un incitatif au développement de nouveaux médicaments, moins de médicaments sont conçus pouvant profiter à tout le monde. 

Aidan Hollis © D.R.

Quelle est la solution pour rendre les médicaments vitaux accessibles aux pauvres ?

D’abord, il y a le problème des prix élevés. Il faut noter que même dans les pays riches, certaines personnes sont privées des nouvelles thérapies censées être plus efficaces. Cela dit, dans les pays pauvres le problème est plus grave. En effet, les pauvres y sont confrontés à davantage d’obstacles tels que des mauvais systèmes de distribution qui engendrent la hausse des prix, ainsi que des systèmes de santé vétustes et sous-financés qui faillissent à leur mission qui consiste à fournir un diagnostic précis dans les meilleurs délais.  Nous devons trouver une ou des solutions pour surmonter ces difficultés.

Le Fonds d’impact sur la santé (HIF) est un plan visant à introduire une réforme réalisable quant à la manière dont nous allons payer les médicaments, du moins quelques-uns d’entre eux. Il a été conçu de manière à surmonter les obstacles des systèmes en place et à établir un équilibre entre les incitations à l’innovation et au marketing pharmaceutique d’un côté, et les besoins de chacun en médicaments de l’autre. De plus, il envisage d’améliorer les systèmes de distribution et les pratiques de prescription médicale, car cela inciterait les sociétés pharmaceutiques à fournir leurs médicaments aux personnes qui en ont le plus besoin.

Cette proposition de plan du Fonds d’impact sur la santé est impulsée par Incentives for Global Health, une organisation à but non lucratif dont le but est d’élaborer des solutions aux défis sanitaires mondiaux basées sur le marché. Le HIF propose un nouveau mode de financement des innovations pharmaceutiques en favorisant le développement et la production de nouveaux médicaments grâce à des mécanismes de rémunération au rendement. L’ensemble des industries pharmaceutiques mondiales aurait la possibilité d’inscrire de nouveaux médicaments avec le HIF. Par cette inscription, une industrie donnerait son accord pour fournir ses médicaments à prix coûtant partout où le besoin se ferait ressentir. En renonçant aux bénéfices de la vente de médicaments, l’industrie en question serait en échange récompensée selon l’impact sanitaire mondial de ce médicament après évaluation du HIF. Les gouvernements et d’autres donateurs financeraient le HIF. Les sociétés seraient fortement incitées à fournir leurs produits inscrits au HIF aux patients qui en ont le plus besoin, et engageraient de ce fait un dialogue constructif avec les chaînes de production et les systèmes de santé afin d’apporter leurs médicaments aux patients, riches ou pauvres.


* PBR = rémunération au rendement (« performance-based reimbursement »)


Quels sont les obstacles à surmonter pour assurer le bon fonctionnement de ce processus ?

Fondamentalement, deux obstacles principaux existent. Le premier concerne la faisabilité technique de l’évaluation de l’impact sanitaire à grande échelle. Etant donné que les récompenses du HIF dépendent clairement du rendement du médicament, l’évaluation des résultats est primordiale. Les sociétés pharmaceutiques comme les gouvernements doivent avoir la certitude qu’il est possible d’évaluer les résultats de façon raisonnablement consistante. Heureusement, il y a un intérêt croissant pour la rémunération des médicaments au rendement dans presque tous les systèmes de santé ; le Conseil européen de la recherche a d’ailleurs récemment octroyé une subvention afin de poursuivre une recherche approfondie à ce sujet *. Nous sommes également en train de développer un projet pilote qui abordera certains des problèmes réels les plus difficiles de l’évaluation des impacts sanitaires dans les pays en développement.
En second lieu, les gouvernements devront s’unir autour du principe de financement d’un tel programme, et cela présuppose une coopération internationale. Nous constatons un état d’esprit similaire au sein de l’Assemblée mondiale de la santé, qui reconnaît maintenant l’importance d’un mécanisme de financement commun.

De quelles façons les organisations internationales – telles que l’ONU et l’UNESCO – peuvent-elles participer aux efforts dans l’accès des médicaments vitaux aux patients dans le monde ?

Afin de mener à bien un plan de réforme complexe de restructuration du système international des droits de propriété intellectuelle tel que celui-ci, trois aspects principaux sont nécessaires :

1) Une recherche approfondie de haute qualité, ce que l’on assurera grâce au projet subventionné par le Conseil européen de recherche ;

2) L’adhésion des compagnies pharmaceutiques, y compris pour des études pilotes pour ajuster et vérifier notre plan de réforme. Nous sommes actuellement en plein développement d’une étude pilote en Inde ;

3) L’adhésion des décideurs politiques et du public pour le financement de la réforme.

Les organisations internationales telles que l’ONU et l’UNESCO apportent une grande aide en assurant un soutien à des plans de réforme précis. Par exemple, le programme de bioéthique de l’UNESCO participe activement au renforcement des capacités au sujet de questions éthiques dans les pays en développement. Cela consiste généralement en la mise en place et la formation de comités d’éthique. Ce faisant, l’Organisation travaille cependant en liaison avec des personnes occupant des postes à responsabilité dans des pays qui bénéficieraient grandement de la création et de l’introduction du HIF. Par conséquent, populariser un plan de réforme précis tel que le HIF serait un des moyens qu’une institution telle que l’UNESCO aurait pour changer les choses.

De bonnes recherches et de bonnes intentions ne suffiront pas à atteindre un changement réel et durable : le soutien des organisations internationales et des décideurs politiques est essentiel.

* La subvention a été accordée au Professeur Thomas Pogge pour la période 2014-2019. Le séminaire organisé à l’UNESCO le 6 juin 2014 a été en partie financé par le Conseil européen de la recherche conformément au septième programme-cadre de recherche de l’Union européenne (FP/2007-2013) / Accord de subvention CER no. 339239.

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