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11.06.2018 - Intergovernmental Oceanographic Commission

Un océan fragile : protéger l'océan des efflorescences algales nuisibles et des épidémies

© Elisa Berdalet

Dans ce dernier de notre série sur le point de vue de femmes scientifiques sur les problématiques émergentes relatives aux sciences océaniques, le Dr Elisa Berdalet aborde la question des efflorescences algales nuisibles, plus connues sous le nom de marées rouge ou verte.

Plongez au cœur des problématiques les plus importantes dans le domaines des sciences océaniques à travers les yeux de femmes qui ont consacré leur vie à l'océanographie et qui partagent leurs dernières découvertes scientifiques lors du 4e Symposium international sur les effets des changements climatiques sur l’océan, ECCWO (Washington DC, États-Unis, 4-8 juin) – un rassemblement d’éminents chercheurs de plus de 50 pays spécialistes de l’océan et du climat.

Les personnes interrogées nous montrent à quel point la conservation et l'exploitation durable de l'océan dans un contexte de changement climatique représentent un enjeu vital, mais soulignent également le rôle important que peut jouer la communauté scientifique pour combler le fossé entre les connaissances et l’action.

Grâce à un milieu scientifique en plein essor, à des innovations et à des découvertes passionnantes, nous comprenons mieux à présent le système climatique de notre planète – mais comment pouvons-nous transformer ces connaissances pertinentes pour la prise de décision en mesures concrètes qui nous mèneront vers l’océan dont nous avons besoin pour l’avenir que nous voulons ? Nous avons demandé au Dr Elisa Berdalet (ICM-CSIC, Barcelone) d’expliquer pourquoi cette transformation est si cruciale pour les décideurs et la société dans son ensemble. Elle est Présidente du Comité scientifique directeur du Programme GlobalHAB coordonné par la Commission océanographique intergouvernementale (COI) de l'UNESCO et le Comité scientifique de la recherche océanique (SCOR).

Comment expliqueriez-vous les effervescences algales nuisibles et leurs menaces à un politicien ou à votre conseiller municipal ?

Je vais commencer par une comparaison avec une scène sur terre. Imaginez des moutons ou des vaches qui broutent quelques fleurs, très toxiques, qui ont poussé dans l’herbe. Le bétail pourrait être gravement intoxiqué et, bien qu’il puisse survivre, il serait impropre à la consommation humaine.

De la même façon, dans tous les écosystèmes aquatiques, certaines micro algues, cyanobactéries et algues (toutes photosynthétiques parce qu'elles produisent l'oxygène que nous respirons par photosynthèse) peuvent proliférer en trop grande quantité Une fois qu’elles « éclosent », elles nuisent aux plantes, aux animaux ou aux humains de différentes façons. Nous appelons ces phénomènes les « efflorescences algales nuisibles (HAB) ». La surabondance de ces organismes photosynthétiques peut altérer l'équilibre naturel des écosystèmes aquatiques, perturbant ainsi la faune aquatique et les réseaux alimentaires. Elle peut également tuer les poissons ou contribuer à la faible teneur en oxygènes des « zones mortes ».

Quels sont les effets des HAB ? Dans un premier temps, elles peuvent changer la couleur de l'eau. Nous les appelons traditionnellement « marées rouges », mais en réalité, les HAB peuvent être de plusieurs couleurs : les « marées brunes » sont causées par les espèces Aureococcus et Aureoumbra, les « marées vertes et dorées » sont dues à l’efflorescence des algues Ulve et Sargasse, et les marées « bleue-verte » dues à l’efflorescence de cyanobactéries. Il existe même des organismes très toxiques tels que l’espèce Dinophysis, qui provoquent des efflorescences nuisibles sans pour autant changer la couleur de l'eau.

Bien que l’apparition des HAB gâche principalement le tourisme et les loisirs liés à l'océan en raison de la couleur de l'eau et des mauvaises odeurs, elles peuvent s’avérer très toxiques et avoir de graves répercussions sur la santé marine et humaine. La consommation de fruits de mer contaminés peut provoquer différents troubles sanitaires en fonction des symptômes dominants, à savoir une intoxication paralysante (PSP), diarrhéique (DSP) ou amnésique (ASP) par les mollusques, ou encore une intoxication par la ciguatera (CFP). Des progrès méthodologiques et des investissements continus dans la recherche et la surveillance sont essentiels pour continuer à détecter de nouvelles toxines et protéger la santé de l’homme et celle des écosystèmes des impacts des HAB.


Sites d'aquaculture dans la Baie de Cam Ranh, Vietnam
La culture des poissons, des coquillages, des crustacés et des macro algues a de nombreux avantages, notamment la production d'aliments nutritifs riches en protéines, ce qui réduit l’exploitation des ressources naturelles et favorise le développement économique durable et l'emploi. Les exploitations aquacoles sont menacées par la contamination par les phycotoxines et la mortalité massive des animaux d'élevage dues aux HAB. Il est nécessaire de surveiller les espèces de HAB et leurs toxines dans les exploitations aquacoles afin de prévenir l'intoxication par les fruits de mer et la perte économique.
Crédit photo : Y. Fukuyo

Quelles sont nos lacunes en matière de connaissances sur les efflorescences algales nuisibles, s’il y en a ?

Certaines HAB font partie de processus naturels, guidés par les rythmes saisonniers des écosystèmes marins. Nous savons également que certaines activités humaines peuvent favoriser l'apparition des HAB, à savoir : la pollution des nutriments et l'eutrophisation, l’exploitation intensive des zones côtières (qui dégrade la biodiversité des écosystèmes), l’altération des dynamiques de circulation de l'eau par la construction de plages artificielles et de ports , ainsi que la dispersion d’espèces exogènes par l’intermédiaire des eaux de ballast des navires ou des exploitations aquacoles. Réduire les pressions dues à l’homme sur les écosystèmes peut réduire le risque de développement des HAB. Cependant, les HAB sont des phénomènes naturels, il n'y a donc aucun moyen réaliste d’empêcher complètement leur prolifération.

Au cours des dernières décennies, des recherches scientifiques multidisciplinaires et coordonnées à échelle locale et internationale (menées par les programmes conjoints de la COI-UNESCO et du SCOR : GEOHAB et GlobalHAB) ont permis de faire des progrès remarquables au niveau de la compréhension à la fois des processus naturels et des facteurs de stress anthropogéniques sous-jacents à la dynamique des HAB. De nouvelles connaissances permettent de prévoir l’apparition de certaines HAB, ce qui s’avère être un outil nécessaire pour superviser leurs impacts négatifs. Cependant, le réchauffement et les changements climatiques peuvent affecter les tendances, la fréquence et l'abondance des HAB d’une manière encore inconnue, du moins jusqu’à présent . En attendant, surveiller les espèces nuisibles et leurs toxines est le meilleur moyen de prévenir les impacts des HAB sur la santé humaine et celle des écosystèmes.

Les efflorescences algales nuisibles apparaissent-elles dans un périmètre limité ou peuvent-elles également affecter plusieurs pays à la fois ?

Certaines HAB ont une couverture géographique très locale, affectant par exemple de petites plages. Dans d'autres cas, les HAB peuvent se rependre et atteindre plus d'un pays. Par exemple, dans la mer Baltique, les efflorescences de cyanobactéries peuvent toucher les eaux de la Norvège, de la Suède et celles de Finlande. Certaines efflorescences peuvent s'étendre tout le long de la côte pacifique des Etats-Unis, de l'Alaska à la Californie, et d’autres peuvent se prolonger le long des côtes de la mer d'Arabie ou dans les eaux d’Asie, touchant simultanément différents pays. Tous ces phénomènes peuvent généralement être vus par satellite.

Ces phénomènes sont dus à l'existence de modèles de circulation d'eau qui fonctionnent simultanément à grande échelle le long des côtes : la nature ne connaît pas les frontières politiques. Par exemple, sur la côte ouest de la péninsule ibérique, certaines espèces d'algues spécifiques sont transportées vers le nord depuis les eaux côtières du Portugal jusqu'aux rías galiciennes en Espagne où la présence de cette espèce, même à très faible concentration cellulaire, empêche la récolte de coquillages pendant plusieurs mois à cause du risque d’intoxication diarrhéique par les fruits de mer (DSP).

Comme indiqué, en plus de l’échelle spatiale, les conséquences relatives aux manifestations des HAB dépendent de leur périodicité ou de leur récurrence. Certaines HAB reviennent chaque année mais d'autres pourraient dépendre de processus ayant une grande échelle temporelle (plusieurs années), comme les oscillations australes El Niño ou La Niña. Comprendre le lien exact entre ces processus à l’échelle mondiale et les HAB à l’échelle locale nécessite plusieurs séries de données à long terme et des études complexes et multidisciplinaires.


Image satellite d'une efflorescence de phytoplancton au large des côtes de l'Oregon et de Washington le 26 juillet 2014
Image fournie par l’organisme NASA Earth Observatory

La plupart des gens ont l'habitude de voir des marées « verte » ou « rouge », qui suscitent d’ailleurs généralement beaucoup d’intérêt. Les sciences citoyennes ont-elles un rôle à jouer dans l'étude ou la lutte contre ce phénomène ?

Absolument ! Observer la nature est l'une des activités les plus agréables. Aujourd’hui, la collaboration citoyenne est devenue un instrument pertinent et utile pour accroître la sensibilisation à de nombreux défis scientifiques d’ordre naturel, y compris les HAB. Les personnes peuvent être formées et dotées d'outils simples pour contribuer à la surveillance des HAB et empêcher leurs impacts. Il existe déjà d'excellentes expériences et la communication en ligne par le Web offre de nouvelles possibilités en réunissant images et données. Par exemple, aux États-Unis, l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique (NOAA) et les Centres nationaux des sciences océaniques dans les régions côtières ont développé des systèmes efficaces qui incluent des activités de formation pour les volontaires en coordination avec les scientifiques et les parties prenantes.

Le personnel du Laboratoire de recherche environnementale de la tribu de Sitka en Alaska (STAERL) donne des instructions aux participants lors d’un atelier sur les bonnes techniques de traitement des coquillages pour l'analyse de la saxitoxine.
Crédit photo : NOAA, https://products.coastalscience.noaa.gov/hab/

La plateforme Seawatchers, administrée par l'Institut des sciences de la mer (ICM-CSIC) à Barcelone, est un autre grand forum international qui relie les citoyens et les scientifiques pour enquêter sur l'état actuel de l’océan que nous partageons. Dans les semaines à venir, la plateforme lancera un nouveau défi pour détecter la présence d'Ostreopsis, une algue qui cause des irritations des voies respiratoires supérieures chez les humains qui se baignent dans les eaux tempérées, comme la Méditerranée, le Brésil ou le Japon.

Ces initiatives sont extrêmement positives. Les plateformes permettent aux citoyens de s’impliquer et augmentent leur connaissance de l’océan. De plus, les sciences citoyennes facilitent la mise en place et le maintien de sites sentinelles pour observer les changements naturels et anthropiques et peuvent contribuer au soutien de politiques environnementales et sanitaires.

Les citoyens peuvent-ils faire quelque chose de particulier dans leur vie quotidienne pour aider ?

Bien sûr ! Sur notre planète, tout est lié. Nous n'avons qu'une planète et la santé de l'océan est fondamentale pour son bien-être et le nôtre. Les HAB sont un phénomène naturel qui peut être aggravé par des éléments anthropiques. Les citoyens doivent demander aux décideurs politiques et aux autorités d'éviter de déverser des eaux usées sur les côtes, de limiter l'accès aux zones côtières et de travailler pour l’exploitation durable des ressources marines. Au niveau personnel, nous pouvons avoir une attitude respectueuse envers l'océan : nous avons la responsabilité de garder les plages et les eaux propres et de préserver l'environnement. Les changements sont rapides. Si nous voulons assumer notre responsabilité de laisser un héritage décent aux générations futures, nous devons changer de façon de penser et d’agir dès maintenant.

***

La Commission océanographique intergouvernementale (COI) de l'UNESCO co-organise ce Symposium international quadriennal depuis 2008 en collaboration avec le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM), l'Organisation des sciences de la mer pour le Pacifique Nord (PICES) et l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l’agriculture (FAO).

Suivez toutes les news du Symposium ECCWO sur Twitter @ECCWO !

Pour plus d'information, veuillez contacter :

Salvatore Arico (s.arico(at)unesco.org)

Elisa Berdalet (berdalet(at)icm.csic.es)

Ou visitez :

Site web du Symposium ECCWO




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