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« Nous essayons d’utiliser l’enseignement de l’histoire comme plate-forme pour enseigner la tolérance au sein de la communauté namibienne »

28 Juin 2018

Entretien avec Ndapewoshali Ashipala sur l’enseignement de l’Holocauste et des génocides en Namibie.

Ndapewoshali Ashipala travaille pour l’Association des musées de Namibie. Avec sa collègue Memory Biwa, ils ont créé un projet visant à faire avancer l’enseignement de l’Holocauste et des génocides en Namibie, comprenant la première exposition sur le génocide de 1904 contre les Herero et les Nama, qui sera présentée dans les 14 régions de la Namibie.

Pourquoi est-il important d’enseigner l’Holocauste en Namibie ?

C’est important car la Namibie a vécu une histoire similaire à l’Holocauste. Il y a eu un génocide en Namibie en 1904, à l’époque où le pays était sous occupation coloniale allemande. Il y a de nombreuses similitudes avec le génocide des Juifs, notamment les camps de concentration, la science raciale et l’ordre d’exterminer un groupe d’individus, et encore plus de similitudes dans la façon dont le génocide a été perpétré.

Le programme scolaire namibien prévoit l’enseignement de l’Holocauste, mais pas du génocide en Namibie. Nous voulons donc que les élèves namibiens comprennent l’histoire, en particulier aujourd’hui dans le contexte des négociations menées entre le gouvernement namibien et le gouvernement allemand pour l’obtention de réparations. Nous voulons que les élèves connaissent cette histoire, car le Namibien moyen ne sait pas grand-chose de ce génocide – certains ne savent même pas qu’il a eu lieu. Puisque les élèves ont quelques connaissances sur les atrocités perpétrées par l’Allemagne nazie, nous voulons relier les cours sur le génocide en Namibie à l’Holocauste, afin d’aider les élèves à mieux comprendre ce qui s’est passé dans le pays en 1904 et ce qui se passe aujourd’hui.

Pour nous, cela suppose également de les sensibiliser aux autres formes de discrimination, de racisme et de tribalisme qui ont aussi été très présentes en Namibie, à cause de notre passé colonial, en particulier sous le gouvernement de l’Apartheid, un régime qui exacerbait les barrières ethniques. Nous avions un système de classes fondé sur les races et l’appartenance ethnique. Même entre noirs, nous étions divisés en tribus et groupes ethniques selon une approche qui considérait certains groupes comme « plus proches des blancs ». Plus vous étiez considéré comme étant « proche d’un blanc », plus vous aviez de privilèges. Cela influençait votre mode de vie, le travail que vous pouviez avoir et le type d’éducation que vous pouviez recevoir. Tout cela est encore, même 28 ans après l’indépendance de la Namibie, fortement ancré dans notre société. Le système [colonial] a réussi à convaincre des gens, qui étaient à peu près semblables et qui vivaient ensemble, qu’ils devaient se détester et que certains d’entre eux étaient meilleurs que d’autres.

Cela a toujours été un problème sous-jacent en Namibie. Tout récemment, deux membres du parlement ont été démis de leurs fonctions pour des commentaires tribalistes et il y a eu quelques violences, des violences à caractère tribal, dans le sud du pays. Cela devient un très grand problème au sein de la communauté namibienne également, et le conflit commence à émerger à nouveau.

Avec notre exposition, intitulée « The Namibian Genocide – Learning from the Past », (Le génocide namibien – Tirer les enseignements du passé), nous essayons donc d’enseigner l’Holocauste et le génocide [en Namibie] pour montrer que c’est ce qui peut se passer si l’on continue à appuyer le discours du « nous contre eux ».

Quel rôle l’éducation peut-elle jouer pour aborder les épisodes difficiles et violents dans l’histoire de la Namibie ? À cet égard, qu’est-ce qui pourrait être amélioré dans le système éducatif namibien ?

Le curriculum national namibien n’aborde pas beaucoup le génocide en Namibie, mais il couvre les crimes de l’Allemagne nazie. L’histoire est une matière obligatoire jusqu’à la dixième année, mais elle est très générale et plus factuelle, du genre « tel événement s’est produit tel jour ». Ce n’est qu’en onzième et douzième année, où l’histoire est une matière facultative, que le programme devient plus approfondi, fait participer les élèves et exige une réflexion plus critique.

Le système éducatif namibien est très axé sur les matières STEM telles que les sciences, la technologie et les mathématiques. C’est le modèle que notre pays a suivi pour nous donner l’indépendance économique. Pour cette raison, l’histoire est considérée comme ce genre de matière que prennent uniquement les enfants qui n’ont pas pu suivre les matières STEM. L’histoire est souvent le dernier choix de la plupart des élèves. Un très petit nombre seulement choisissent l’histoire en onzième et en douzième année et découvrent notre passé violent. Cependant, ces cours sont principalement axés sur notre lutte pour l’indépendance et moins sur l’Holocauste ou le génocide en Namibie.

[Avec notre équipe de l’ICEH], nous essayons de compléter le programme d’histoire. C’est pourquoi nous travaillons avec différentes entités telles que l’Institut national pour l’éducation et le développement (NIED), qui sont chargées d’élaborer le programme scolaire namibien. Nous collaborons avec elles pour faire passer notre exposition de quelque chose qui se visite « seulement » à quelque chose qui est intégré dans les salles de classe.

Quelles mesures prenez-vous avec votre équipe de l’ICEH 2017 pour contribuer à promouvoir l’enseignement de l’Holocauste et des génocides en Namibie ?

L’équipe avant nous a déjà mis au point une exposition [sur le génocide contre les Herero et les Nama en Namibie]. Ce que nous faisons maintenant, c’est l’actualiser, car nous avons reçu des contributions du gouvernement. Étant donné qu’il s’agit d’une époque et d’un thème très sensibles, nous devons nous assurer d’employer une terminologie adéquate et faire en sorte que l’exposition soit conforme aux exigences législatives du gouvernement et de nos donateurs. Nous venons de participer à un atelier avec les personnes chargées d’élaborer le curriculum et des responsables de l’éducation de tout le pays, et ils ont passé en revue les contenus. Ils ont apporté quelques modifications, donc nous travaillons sur ces ajustements, puis nous réimprimerons l’exposition.

Nous disposons de financements du Ministère des relations internationales et de la coopération pour faire voyager notre exposition dans tout le pays, parallèlement à l’exposition « Deadly Medicine » (Médecine mortelle) du Musée-Mémorial de l’Holocauste des États-Unis. Il y aura un lancement officiel pour chacune des 14 régions de la Namibie. Nous inviterons les enseignants et les élèves à venir visiter l’exposition. Chaque enseignant qui visitera l’exposition recevra un manuel, comprenant une version imprimée de l’exposition et des questions supplémentaires à débattre en classe. Le manuel sera également mis à la disposition des départements régionaux d’éducation et serviront à compléter le programme scolaire actuel jusqu’à ce que nos matériels pédagogiques soient intégrés dans le curriculum officiel. À la fin, l’exposition reviendra probablement à l’Association des musées de Namibie, où nous la prêterons pour des événements spécifiques. Mais notre objectif est avant tout de la présenter dans toutes les régions, et notre pays est très grand, donc cela nous prendra environ deux ans.

En quoi l’initiative conjointe de l’UNESCO et de l’USHMM vous a-t-elle aidés à mettre sur pied votre projet ?

Le génocide de 1904 est un sujet très sensible à évoquer en public, en particulier aujourd’hui dans le contexte des négociations entre le gouvernement namibien et l’Allemagne. En raison des discussions en cours, nous avons eu besoin de temps pour créer l’exposition. Le soutien et le parrainage de l’UNESCO et de l’USHMM nous ont aidés à donner une légitimité internationale à l’exposition et nous avons désormais reçu le soutien officiel du gouvernement namibien pour la présenter.

Quels résultats espérez-vous obtenir avec ce projet ?

Notre projet et notre exposition s’intitulent « Learning from the past » (Tirer les enseignements du passé) et c’est bien cela que nous espérons accomplir. Nous essayons d’utiliser l’enseignement de l’histoire comme plate-forme pour enseigner la sensibilité et la tolérance au sein de la communauté namibienne. Et pas seulement la tolérance à l’égard de la race, mais aussi sur d’autres questions qui font débat dans nos communautés, telles que la violence fondée sur le genre, le sexisme, l’homophobie et tout type de « -isme » ou de phobie. Nous essayons de guérir une communauté, qui est très divisée sur les questions religieuses et traditionnelles. C’est pourquoi nous essayons de bâtir une communauté qui se perçoive comme étant un tout, plutôt que divisée en « nous contre eux », qui voie la beauté de la diversité au lieu d’exacerber les différences. Nous essayons de construire une communauté multiculturelle, dans laquelle chacun joue un beau rôle. Dans ce contexte, parler d’enseigner la « tolérance » est même un peu faible, car il s’agit plus d’enseigner l’appréciation des autres pour leurs différences et d’aimer leurs différences plutôt que d’en faire un objet de peur ou de haine.