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Grand angle

Une autorité mondiale pour garantir les droits de l'homme

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Vue grand angle sur Conseil des droits de l'homme, à Genève, Suisse.

« L'ère des civilisations vivant en système fermé, l'ère des conceptions différentes des droits de l'homme, est révolue à jamais », affirme le poète et homme politique indien Humayun Kabir (1906-1969), dans sa réponse à l’enquête de l’UNESCO les fondements philosophiques des droits de l'homme , qu’il a envoyée de New Delhi, le 1er mai 1947. Extraits.

Humayun Kabir

La considération la première et la plus importante si l’on veut bâtir une charte des droits de l'homme est que ces droits doivent être universels. Il y a eu de nombreuses civilisations dans le passé, mais jamais une civilisation mondiale unique. Deux conceptions différentes des droits de l'homme ont pu subsister parfois côte à côte sans même se connaître, faute de moyens de communications. Ce serait aujourd'hui inconcevable. Un événement survenu en un point quelconque du monde trouve presque immédiatement un écho partout ailleurs. L'ère des civilisations vivant en système fermé, et par là même l'ère des conceptions différentes des droits de l'homme, est révolue à jamais.

Une seconde considération est que ces droits doivent être uniformes, non seulement pour tous les pays, mais aussi pour tous les hommes d'un même pays. Autrefois, la civilisation et la culture étaient bien souvent l'affaire d'une fraction ou d'une classe de la population. Seule cette classe possédait des droits. Chaque civilisation se suffisant à elle-même, et vivant, plus ou moins, en système fermé, les classes dépossédées se résignaient à leur sort. Dans bien des cas, elles n'imaginaient même pas qu'un système différent de celui qu'elles avaient toujours connu fût possible. Certes, il se produisait de temps en temps des révolutions ; le plus souvent, elles avaient lieu au point de contact de deux cultures ou de deux conceptions du monde opposées. Aujourd'hui la situation est entièrement différente. Le rétrécissement constant de l'espace et du temps amène les différentes régions du monde à se trouver de plus en plus en contact, et provoque, par la comparaison avec les conditions de vie différentes qui existent ailleurs, une tendance à l'uniformité à l'intérieur de chaque pays. C'est pourquoi de nos jours une charte des droits de l'homme doit se fonder sur la reconnaissance de l'égalité de tous les hommes partout dans le monde.

Il est nécessaire de souligner ce point, parce que la conception occidentale des droits de l'homme comporte un vice fondamental. Quels que soient ces droits, en théorie, ils ne sont bien souvent reconnus, en pratique, qu'aux seuls Européens, et parfois même à certains Européens seulement [...] En fait, la conception occidentale de la démocratie est, à bien des égards, en régression dans la théorie comme dans la pratique sur celle de l'Islam, qui, dès ses débuts, avait aboli les distinctions de race et de couleur, à un degré inconnu auparavant et inconnu depuis. [...] C'est par rapport à cette tendance inéluctable à l'uniformité qu'il nous faut examiner les différentes conceptions des droits de l'homme qui existent actuellement. [...]

Liberté et sécurité

Le problème tel qu'il se pose au XXe siècle est de concilier le droit à la liberté et le droit à la sécurité. Une nouvelle charte des droits de l'homme doit garantir à tout être humain, sans distinction de race, de croyance, de couleur et de sexe, la satisfaction de ses besoins minima, dont dépend son existence même. À savoir :

  • La nourriture et les vêtements qui sont nécessaires à l'homme pour conserver sa santé et sa capacité de travail,
  • Le logement qui lui est nécessaire non seulement pour se protéger contre les intempéries, mais aussi pour jouir du repos et des loisirs,
  • L'éducation qui lui est nécessaire pour développer ses facultés latentes, et avoir une véritable fonction au sein de la société.
  • Les services médicaux et sanitaires qui sont nécessaires pour enrayer et guérir les maladies et pour garantir la santé de l'individu et de la collectivité.

Tels sont les quatre droits élémentaires dont découlent tous les autres droits. On notera qu'ils ont trait plutôt à la sécurité qu'à la liberté de l'homme. Ce qui équivaut à reconnaître que la liberté est essentiellement un concept social, qui n'a aucun sens en dehors de la société. D'ailleurs la société elle-même répond à un besoin de sécurité ; par suite, les exigences de la sécurité doivent avoir la priorité sur celles de la liberté, en ce qui concerne la satisfaction des besoins minima de l'homme.

Les systèmes totalitaires ont enrichi notre conception des droits de l'homme, en ce sens qu'ils nous ont forcés à reconnaître ce fait, mais ils se sont trompés en ne fixant aucune limite à la préférence que l'homme accorde à la sécurité sur la liberté. Or, la théorie comme l'expérience tendent à démontrer qu'une fois réalisées les conditions minima de sécurité, les hommes attachent une valeur plus grande aux droits et aux revendications inséparables du concept de liberté. La liberté de conscience, ou la liberté du culte, peuvent n'avoir aucun sens pour une personne dont les facultés intellectuelles sont asservies aux superstitions de son milieu, mais, dès que cette personne acquiert un certain degré de compréhension intellectuelle, elle attache la plus grande importance à la liberté de pensée. De même, une fois satisfaits les besoins fondamentaux de se nourrir, de s'habiller, de se loger, l'individu renonce volontiers à des satisfactions plus étendues et consent même à une diminution de ses satisfactions s'il obtient, en échange, des droits tels que la liberté d'expression ou la liberté de réunion.

En résumé, la charte moderne des droits de l'homme doit garantir à tous les hommes, au sein de toutes les collectivités et dans tous les pays, la satisfaction de besoins élémentaires de nourriture, d'habillement, de logement, d'éducation et de soins sanitaires.

Attendu que ces garanties exigent, pour être effectives, une organisation et un contrôle, les droits de l'homme devront être subordonnés aux intérêts de la collectivité, dans la mesure où ce sera nécessaire pour assurer la satisfaction de ces besoins. Mais, une fois ces besoins élémentaires satisfaits, l'individu doit être laissé complètement libre de revendiquer d'autres droits sans que l'État ou la société intervienne pour l'en empêcher.

Au cœur du problème, il s'agit de déterminer : a) Les conditions minima de la sécurité individuelle ; b) le degré de contrôle et d'intervention nécessaires de la part de l'État pour réaliser ces conditions. Ces deux points suscitent de profondes divergences d'opinion, et toute déclaration des droits de l'homme sera vouée à l'échec si l'on ne trouve un moyen de surmonter l’écart entre eux, sans violence et sans conflit.

D'où la nécessité de la démocratie politique. C'est à la collectivité qu'il appartient de définir les besoins élémentaires et de déterminer le degré de contrôle et d'autorité que l'on peut concéder à l'État afin de garantir la satisfaction de ces besoins. Il est vrai que la démocratie politique sans la reconnaissance des droits économiques et sociaux perd beaucoup de son sens. Mais, tant qu'il subsiste un reste de liberté, tout espoir de le voir prendre plus d'importance n'est pas perdu, alors que sans démocratie politique il n'existe aucune possibilité de réaliser la démocratie économique et sociale. La démocratie politique est donc le seul fondement sur lequel puisse s'élever l'édifice complet des droits de l'homme. [...]

De même, si l'on considère le groupe par rapport à l'ensemble du monde, c'est au monde qu'il appartient de définir l'essence des quatre besoins élémentaires de l'homme et de déterminer les méthodes nécessaires pour garantir la satisfaction de ces besoins. En toute autre matière, et sous réserve de l'autorité supérieure du monde dans son ensemble pour ce qui touche à la sauvegarde des droits élémentaires, chaque groupe ou collectivité devrait être libre d'adopter la ligne de conduite de son choix, en vue d'atteindre à ce qui lui apparaît comme la valeur suprême.

Une autorité mondiale

En conclusion, il faut créer une autorité mondiale démocratique, émanant de la volonté de tous les groupes et de tous les individus du monde en vue d'assurer dans la pratique le respect des droits essentiels de l'homme. L'histoire nous enseigne la même leçon. Comme nous l'avons déjà dit, le droit est en lui-même un concept social, et suppose une autorité qui dans son ressort garantit à l'individu l'exercice de ce droit. La science tend à unifier le monde par l'amélioration constante des moyens de contact et de communication. Elle détruit les barrières entre les autorités séparées, entre les systèmes de droits séparés. Une charte mondiale des droits de l'homme doit donc avoir pour corollaire l'existence d'une autorité mondiale.

Malheureusement, rien ne permet d'envisager la création d'une telle autorité dans l'immédiat. Cependant, on ne peut tarder davantage à reconnaître à tous des droits uniformes. À l'intérieur d'un même système il n'y a pas de place pour des divergences de conceptions. Ce que nous pouvons faire, c'est définir les besoins humains élémentaires par rapport aux quatre droits fondamentaux énumérés plus haut, et demander à tous les États de s'entendre pour admettre et faire respecter ces droits ; et aussi pour déterminer dans quelle mesure l'État sera autorisé à s'opposer à l'existence de la liberté individuelle afin de protéger ces droits. C'est ainsi que le droit d'être nourri et vêtu entraîne, en contrepartie, l'obligation de travailler, mais il est manifeste qu'il faudra limiter la durée du travail, ou déterminer les catégories de personnes qui seront astreintes à travailler. Une charte mondiale devrait donc se borner à définir l'essence des quatre droits fondamentaux de l'homme et à déterminer dans quelle mesure l'État est autorisé à contrôler l'exercice et à imposer le respect de ces droits.

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Humayun Kabir

Poète, romancier, pédagogue et homme politique indien, Humayun Kabir a fait ses études à l’Exeter College d’Oxford (Royaume-Uni), dont il sort diplômé en 1931. À cette époque, il s’est fortement engagé dans l’Oxford Union, une société estudiantine de débats, ainsi que dans divers journaux d’étudiants. Après son retour en Inde, il a enseigné dans plusieurs universités. Il s’est également impliqué dans la politique syndicale et a occupé plusieurs postes gouvernementaux après 1947 et, notamment, celui de ministre de l’Éducation.