<
 
 
 
 
×
>
You are viewing an archived web page, collected at the request of United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization (UNESCO) using Archive-It. This page was captured on 09:39:21 Nov 28, 2018, and is part of the UNESCO collection. The information on this web page may be out of date. See All versions of this archived page.
Loading media information hide
Actualités

Comprendre les océans

bd_multibeam_sonar.jpg

© Martin Jakobsson
Nous en savons plus sur la topographie de Mars que sur les fonds marins de la Terre, alors que les océans ont un impact beaucoup plus important sur notre quotidien que la surface de Mars, explique Shin Tani. Mais aujourd’hui, nous avons la capacité de cartographier le plancher océanique mondial dans les moindres détails. C’est un élément crucial pour la gestion des ressources halieutiques et des changements environnementaux, la compréhension du transport des sédiments, la prévision des tsunamis, l’extraction minière et bien d’autres secteurs. 

par Shin Tani

Nous en savons plus sur la topographie de Mars que sur le plancher océanique de la Terre. Cette lacune est en grande partie liée au fait que des ressources ont été plus facilement allouées à l’exploration de la surface d’autres planètes, mais aussi parce que la cartographie subaquatique est une entreprise difficile, particulièrement en grande profondeur.

L’eau absorbe, reflète et réfracte la lumière au point qu’il est difficile d’y « voir » à travers avec des médias visuels à plus de quelques dizaines de mètres. Des pans énormes des océans sont encore mal cartographiés, et c’est notamment le cas pour les régions en retrait des zones côtières et nationales. Les environnements tels que les banquises polaires et les océans couverts de glace sont aussi méconnus aujourd’hui que l’océan profond l’était pour les pionniers de la cartographie océanique il y a plus de cent ans.

Mais aujourd’hui, avec l’avènement de la cartographie par satellite, au sonar multifaisceaux et grâce aux avancées dans la télédétection, nous avons accès à un ensemble de technologies toujours plus étendu, qui permet de cartographier le plancher océanique mondial en détail.


Shallow-water bathymetry in the Lagoon of Venice, Italy, one of the largest lagoons in Europe
© Marzia Rovere

 

Cartographie par multifaisceaux 

Les avancées récentes dans le domaine de la cartographie par sonar multifaisceaux – des ondes sonores sont réfléchies sur le fond marin grâce à des instruments fixés sur les navires – ont tellement amélioré la résolution cartographique du plancher marin que les données obtenues antérieurement sont désormais considérées comme obsolètes. Les conclusions scientifiques fondées sur un faible nombre d’informations bathymétriques doivent être examinées de nouveau et précisées. Environ 11 % seulement de l’Arctique ont été cartographiés par multifaisceaux, ce qui laisse de larges zones de la région à cartographier de cette façon afin de veiller à ce que toutes les activités marines de la région en profitent pleinement. Le coût de la technologie multifaisceaux a considérablement diminué depuis sa première utilisation dans les années 1960 et 1970, ce qui en fait une option plus économique.

Parallèlement, d’autres techniques se développent, telles que la géodésie par satellite, ou cartographie par gravité. En calculant les anomalies des champs gravitationnels, ce procédé permet de mettre en évidence des sommets et des creux sur le fond marin.  

Néanmoins, cela demande du temps, de l’investissement et de la coordination. En particulier, la responsabilité incombe à la communauté scientifique d’expliquer au public et aux organismes de financement pourquoi la bathymétrie – étude de la profondeur et de la topographie des fonds marins – mérite plus d’attention.

Des progrès ont été réalisés dans ce domaine. En juin 2016, au Forum sur la future cartographie du plancher océanique qui s’est tenu à Monaco, Yohei Sasakawa, président de la Nippon Foundation, la plus grande fondation privée du Japon qui soutient depuis longtemps les principales questions maritimes, a annoncé une cartographie du plancher océanique tout entier d’ici à 2030. Elle sera faite en partenariat avec la Carte bathymétrique générale de l’océan (GEBCO), un projet conjoint de l’Organisation hydrographique internationale (OHI) et de la Commission océanographique intergouvernementale (COI) de l’UNESCO, soutenu par la Nippon Foundation.

À quoi sert la bathymétrie

Il n’est pas difficile de justifier l’allocation de plus de ressources à la cartographie océanique : les océans sont des régions aussi fascinantes et difficiles d’accès pour les humains que d’autres environnements de la Terre ou de l’univers, si ce n’est plus, avec une myriade de découvertes bénéfiques faites lors de l’exploration océanique. À en juger par les expériences passées, ils nous réservent de nombreuses surprises. De surcroît, les océans ont un impact bien plus direct sur notre quotidien que la surface de Mars.

La bathymétrie est d’une importance vitale pour la navigation et la gestion des côtes, mais elle a également d’autres fonctions, toujours plus nombreuses. Elle est fondamentale pour l’étude de la circulation des eaux profondes, des marées, de la prévision des tsunamis, de la remontée des eaux froides depuis les profondeurs, des ressources halieutiques, de l’action des vagues, du transport des sédiments, du changement de l’environnement, de la stabilité des pentes, de la paléo-océanographie, du choix des sites pour les plateformes, câbles, pipelines et éoliennes offshore, du traitement des déchets, de l’extraction de minéraux et bien d’autres domaines.

D’un point de vue commercial, l’argument le plus évident est le suivant : plus nos connaissances du plancher océanique seront développées, plus nous serons en mesure de gérer efficacement les environnements marins en vue de garantir une pêche durable et productive. La bathymétrie est primordiale pour notre compréhension des habitats marins en eaux profondes. Une meilleure connaissance des océans contribue également à rendre les industries extractives plus sûres et plus efficaces.


Schematic illustration of Swedish icebreaker Oden mapping using multibeam sonar and sub‐bottom profiler.
© Martin Jakobsson

Impact sur les tsunamis 

Mais l’utilité de la cartographie des planchers océaniques va bien au-delà des considérations commerciales. Pour prendre l’exemple de l’étude des tsunamis, si les scientifiques en savent plus sur les contours des fonds marins et des profondeurs de l’océan, alors les prévisions de mouvements de vastes étendues d’eau – générés par des séismes sous-marins – devraient devenir plus fiables. La modélisation de la propagation des tsunamis nécessite à la fois une bathymétrie des profondeurs de l’océan et une cartographie de haute définition des zones à proximité des côtes. Cela permet d’avoir une vision globale de la façon dont l’eau se déplace des eaux profondes jusqu’aux eaux superficielles, et de l’impact que cela aura sur la côte.

Une meilleure cartographie des planchers océaniques n’améliorera pas notre capacité à prévoir l’arrivée de tsunamis, car ceux-ci sont engendrés par des événements sismologiques, mais elle devrait nous fournir plus d’informations quant à leur trajectoire et à leur intensité, une fois formés.

Développer la compréhension du changement environnemental

La cartographie des planchers océaniques est également essentielle pour suivre et prévoir les changements environnementaux à plus long terme, avec un impact majeur sur nos vies. Nous savons que le changement climatique est en cours, que les océans se sont réchauffés et les courants marins ont évolué. Le lien entre ces différents événements fait encore l’objet de débats, mais nous savons qu’ils ont lieu et nous devons répondre à leur impact.

Le travail mené dans les fjords du Groenland et dans l’Antarctique, où se trouve la majorité de la glace de la Terre, constitue un bon exemple de la façon dont une connaissance approfondie de la bathymétrie peut nous aider. Nous avons mesuré, et commencé à constater, les effets de l’afflux d’eaux plus chaudes vers les glaciers émissaires des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique. Cela entraîne une fonte des glaciers, un vêlage de grande envergure (où une partie de la calotte glacière se détache), des ruptures de glace massives et un recul des glaciers. Ce processus est particulièrement visible dans des lieux tels que Jakobshavn, à l’ouest du Groenland, et Pine Island Bay en Antarctique de l’ouest.

Ces événements ont pour conséquence une accélération plus rapide des courants glaciaires qui drainent les glaciers et les calottes glaciaires, ce qui en retour participe à l’élévation du niveau de la mer. L’ampleur et le rythme de l’élévation du niveau de la mer sont difficiles à prévoir, et c’est pour cela que nous avons besoin de prendre en compte le plus de facteurs possibles, notamment le rythme de fonte des glaces, afin de rendre les prévisions plus fiables.

La bathymétrie peut nous aider à mesurer la profondeur d’eau des fjords et les points d’accès par lesquels les eaux souterraines plus chaudes peuvent s’immiscer et s’écouler vers le glacier, ou, dans le cas d’une calotte glacière, en dessous de celle-ci. Mais ces zones sont extrêmement mal cartographiées.

Dans certains fjords, nous n’avons quasiment pas de bathymétrie, et pour les régions situées sous les barrières de glace, les données proviennent principalement d’incursions expérimentales sporadiques réalisées par des véhicules sous-marins autonomes. Une cartographie améliorée des planchers océaniques dans ces zones apportera une meilleure compréhension de processus extrêmement complexes.
Même si les bénéfices des données bathymétriques améliorées sont importants, il est clair que la cartographie de vastes zones océaniques ne peut être réalisée que grâce à la coordination et la collaboration internationale entre la communauté scientifique, les institutions et les industries navales.

La Conférence des Nations Unies pour soutenir la mise en œuvre de l'ODD 14, “ Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable ”, se tient au Siège de l'ONU à New York du 5 au 9 juin 2017, en parallèle de la Journée mondiale de l'océan (8 juin).
 

Shin Tani

Le vice-amiral, à la retraite, Shin Tani est président du Comité directeur conjoint OHI-COI de GEBCO depuis octobre 2013. Il a contribué aux activités de GEBCO pendant plus de vingt-quatre ans. Il a été conseiller pour le Secrétariat du Cabinet du gouvernement du Japon chargé notamment de la politique des océans.