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Construire la paix dans l’esprit
des hommes et des femmes

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Antiracisme : les débuts d'une ingénierie mentale menée par l'UNESCO

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(Le Courrier de l'UNESCO, juillet-août, 1950)

Construire la paix dans l'esprit des gens : tel est le mandat fondamental de l'UNESCO. Mission impossible ? Pas nécessairement. Poul Duedahl, professeur d'histoire à l'université d'Aalborg, au Danemark, entend montrer l'impact de l'UNESCO sur les normes morales dans le monde, au cours des 70 années de son action.*

Poul Duedahl

« L'UNESCO a publié une étude qui affirmait que les Noirs – on disait alors les « Nègres » – n'étaient pas inférieurs, et qu'il n'existait pas de différence génétique fondamentale entre les Blancs et les Noirs », se souvenait le pasteur Jesse Jackson, lors d'une conférence sur les droits de l'homme organisée en 2002 par la Bibliothèque J. F. Kennedy de Boston. « Nous avons sillonné le Sud en brandissant l'étude de l'UNESCO et proclamé partout que les Noirs n'étaient pas inférieurs. Une organisation internationale avait fait des recherches et conclu qu'ils n'étaient pas inférieurs. C'était énorme ! », ajoutait le célèbre militant américain pour les droits civiques. « L'UNESCO, une organisation mondiale – pas une école ségréguée du Sud, pas un gouverneur du Sud, ni même le président des États-Unis –, avait affirmé que nous n'étions pas inférieurs ».

Ce témoignage souligne l'importance de l'une des premières initiatives d'« ingénierie mentale » de l'UNESCO visant à combattre l'inégalité entre les races. Certes, 65 ans après la première Déclaration de l'UNESCO sur la race, l'humanité poursuit toujours son combat contre le racisme et son cortège de problèmes, mais il est certain que la condamnation morale du racisme, appuyée sur des preuves scientifiques, que l'UNESCO n'a cessé de prononcer à travers le monde depuis 1950, a non seulement été entendue par les populations sur le terrain, ou du moins par certaines de leurs grandes figures, mais qu'elle les a également influencées.

Comment l'UNESCO a fait entendre sa voix

« Le racisme est un fléau, en tous temps et sous toutes ses formes, et si l'UNESCO peut y mettre un terme en proclamant la vérité, on ne peut que s'en féliciter », écrivait le New York Times dans « The Myth of Race », le 19 septembre 1950. Mais une déclaration ne pouvait à elle seule débarrasser l'esprit de populations entières de cette idée de supériorité ou d'infériorité des races. Pour se faire entendre, l'UNESCO organisa donc une campagne massive à laquelle la presse se fit écho.

La même année, la Déclaration sur la race était reproduite in extenso dans trois revues et mentionnée dans 133 articles d'information, 62 articles de fond et huit grands reportages à travers le monde. Outre ces textes, que recensa un inventaire des coupures de presse, on estima que 50 à 75 autres articles avaient échappé à la vigilance de l'UNESCO. Et c'était sans parler de la publicité donnée à la radio et de la distribution de la déclaration elle-même à des milliers d'exemplaires.

Le Courrier de l'UNESCO a joué un rôle important de promotion de cette condamnation morale du racisme. Déjà, en novembre 1949, ce périodique phare de l'Organisation avait publié un article de fond sur « La question raciale et le monde démocratique »,qui annonçait la parution à partir de 1950 d'une série de brochures sur la race (voir notre sélection de numéros et d'articles du Courrier sur le racisme).

Pour toucher plus durablement un public plus vaste encore, l'UNESCO chargea plusieurs chercheurs reconnus de traiter divers sujets en lien avec la race, publiés sous la forme de nombreuses petites brochures regroupées sous trois intitulés : La question raciale devant la science moderneLa question raciale et la pensée moderne, et Race et société.

Mais on s'aperçut rapidement que dans une majorité de pays, étant rédigées uniquement en anglais et en français et dans une langue difficile il fallait au moins un niveau secondaire au lecteur pour en comprendre le contenu –, elles atteignaient difficilement l'« homme de la rue ». À quoi s'ajoutait une présentation tout sauf attrayante.

Vers de nouvelles façons de penser

Dès le début des années 1950, ces brochures n'en figuraient pas moins parmi les publications de l'UNESCO les plus vendues, tout en formant une part substantielle des nouveaux titres en anthropologie parus aux États-Unis. À la fin de la décennie, elles avaient été traduites en 13 langues et tirées à plus de 300 000 exemplaires.

À la longue, comme elles émanaient de scientifiques reconnus, elles s'infiltrèrent dans les systèmes éducatifs nationaux, suscitèrent des débats et servirent de référence dans des revues scientifiques de premier plan, ce bombardement régulier de publications ne pouvant en tout cas pas être ignoré des anthropologues d'alors.

Entre 1950 et 1967, l'UNESCO a publié, en plus des brochures, quatre déclarations sur la race.

Il y eut bien entendu des retombées, qui ne furent pas toujours celles que recherchait l'UNESCO. En 1956, suite aux brochures, et à ce qui avait été vécu comme une ingérence de l'UNESCO dans ses affaires intérieures, l'Afrique du Sud claqua la porte de l'Organisation. Aux États-Unis, certaines publications essuyèrent de sévères critiques, et Los Angeles finit en 1953 par bannir de son système éducatif public toutes les publications de l'UNESCO, semant le doute chez tous les administrateurs scolaires américains sur la conduite à tenir vis-à-vis des publications de l'Organisation, quel que soit leur contenu.

Ces incidents n'ont cependant fait que renforcer la prise de conscience du public. Et une série d'affaires de ségrégation étant remontées jusqu'à la Cour suprême des États-Unis, le programme de l'UNESCO sur la question des races allait jouer un rôle dans la suppression de la ségrégation d'État dans ce pays. Dans les années 1950 et 1960, plusieurs intellectuels attachés à l'UNESCO et à son programme furent appelés à témoigner en qualité d'experts. En 1967, la Cour suprême a ainsi jugé les lois interdisant les mariages interraciaux contraires à la Constitution.

Il est donc indubitable que les déclarations de l'UNESCO sur la race et leur force de conviction ont eu un impact psychologique et qu'elles ont tracé la voie vers une nouvelle façon de penser.

* Extrait de l'article « L'UNESCO change-t-elle le monde ? Une réponse de Poul Duedahl sur la question du racisme » (en anglais).

Découvrez également notre sélection de dossiers et d'articles consacrés à la lutte contre le racisme.

Poul Duedahl

Professeur d'histoire au Département Culture et études mondiales de l'Université d'Aalborg (Danemark), Poul Duedahl est à la tête du projet Histoire de l'UNESCO. Il a dirigé l'ouvrage A History of UNESCO: Global Actions and Impacts, paru en 2016 chez Palgrave Macmillan, dans lequel des historiens de premier plan tracent les itinéraires de diverses initiatives, du centre vers la périphérie – du Siège de l'UNESCO à Paris vers ses États membres –, afin d'évaluer l'impact mondial de l'UNESCO, de la Seconde Guerre mondiale à nos jours.