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Construire la paix dans l’esprit
des hommes et des femmes

Entretien par l’UNESCO avec la Juge Lillian Tibatemwa-Ekirikubinza de l’Ouganda

23 Mai 2018

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La Juge Lillian Tibatemwa-Ekirikubinza de l’Ouganda
© UNESCO

1. Vous avez récemment participé à un atelier de formation judiciaire et contribué au MOOC sur la liberté d'expression et la sécurité des journalistes mis en place par l'UNESCO et l'Université de Pretoria, pour favoriser le dialogue entre les acteurs judiciaires et les professionnels des médias. Pourriez-vous vous présenter brièvement et expliquer pourquoi vous avez décidé de participer à ces activités?

Je suis juge à la Cour suprême de l'Ouganda. Avant d’intégrer le système judiciaire ougandais, j'étais professeure de droit. J’ai décidé de participer à ces activités car j’ai pris conscience que le pouvoir judiciaire a un rôle à jouer pour protéger la liberté d’expression, assurer la protection des autres droits des citoyens, mais aussi prévenir les potentiels abus lies à ce droit en particulier. J’ai aussi réalisé qu'il existe un lien entre la liberté d'expression et le droit d'accès à l'information, qui est un outil de développement socio-économique. J'ai trouvé cela très intéressant et je voulais comprendre le rôle des tribunaux dans la protection des droits qui mènent au développement des États-nations, tout en comprenant comment on peut équilibrer la liberté d'expression avec des restrictions légitimes.

2. A votre avis, quelle est l'importance de développer des formations sur la liberté d'expression pour assurer la formation complète sur les droits de l'homme des acteurs judiciaires, comme vous?

Je crois que la liberté d'expression est un droit humain comme tous les autres droits et je pense que tous les acteurs judiciaires, à tous les niveaux, ont besoin d’être formés sur les droits de l'homme, et certainement sur la liberté d'expression, car il est essentiel d’interpréter la loi en intégrant une approche droits de l’homme. Lorsque on évoque la liberté d'expression, elle est liée à tant d'autres droits ainsi qu'au développement; et le pouvoir judiciaire, dans le « village global » dans lequel nous vivons aujourd'hui, n'est pas seulement responsable de la résolution des conflits ou de la prévention des attaques contre les droits, mais a également un rôle à jouer pour assurer le développement. Nous devons également nous rappeler que la liberté d’expression est importante pour la démocratie, la bonne gouvernance et l’Etat de droit qui constituent le socle du développement. Je ne pense pas que nous puissions commencer à parler de développement sans inclure ces concepts, car sinon le développement ne pourrait pas être durable.

3. Compte tenu de votre travail de recherche dans le domaine du droit, qui a souvent pris en compte le rôle joué par les normes sociétales, que pensez-vous des menaces spécifiques auxquelles sont confrontées les femmes journalistes et de leur impact sur la liberté d'expression?

Lorsque nous parlons de la nécessité de protéger les journalistes, tous les journalistes, hommes et femmes doivent être protégés. Mais il ne fait aucun doute que les femmes journalistes sont plus vulnérables à certains types de violations des droits, face auxquelles les hommes le sont sans doute moins. Il est important de reconnaître que lorsque nous discutons de la protection des droits, les groupes dont nous parlons ne sont pas homogènes. C'est la raison pour laquelle nous devons parler spécifiquement de la violence à l'égard des femmes lorsque nous discutons de la violence contre les journalistes. Cela ne veut pas dire que la violence contre les hommes est acceptable, mais il est certain que les défis et le type de vulnérabilités auxquels les femmes sont exposées, sont différentes de ceux que les hommes rencontrent. Il est vraiment important de réfléchir très attentivement pour identifier les défis auxquels sont confrontés les femmes journalistes et auxquels les hommes ne font pas face.

4. Comment pensez-vous qu'une formation judiciaire hybride, comprenant un séminaire de formation en présentiel organisé pour les juges et un MOOC, a-t-elle contribué à renforcer les normes juridiques africaines en matière de liberté d'expression et de droits de l'homme?

Bien que je ne puisse pas dire que tout est lié à la formation comme je n’en ai suivie qu’une seule, je pense que lorsque beaucoup de nos acteurs judiciaires seront formés dans un domaine spécifique des droits de l’homme, cela affectera certainement leur façon de regarder les problèmes auxquels ils sont confrontés dans les tribunaux. En effet, lors de la formation judiciaire que nous avons suivie à Pretoria, nous avons été exposés à la façon dont la liberté d'expression, en tant que droit particulier, est traitée au sein du système africain des droits de l'homme. Moi-même j’ai réalisé que l'on pouvait gérer les questions relatives aux médias et à la liberté d'expression dans le système africain des droits de l'homme lui-même. J'espère qu'après un certain temps nous verrons les résultats car à ce stade il est difficile d'affirmer qu'il y a eu un changement, puisque on pourra constater s’il y a eu un changement que lorsque ceux qui ont été formés obtiendront effectivement des cas qui traitent de ce type de question. En effet, il est important de se rappeler que les juges ne vont pas eux-mêmes sélectionner un dossier, puisque nous sommes sous la juridiction de la common law où les cas sont portés devant les juges. Je pense que l'accent devrait être mis sur la formation des acteurs judiciaires pour qu’ils puissent eux-mêmes directement en former d’autres.

5. Selon vous, de quoi l’avenir est-il fait pour les questions de liberté d'expression et de sécurité des journalistes, au sein du cadre juridique africain?

Je pense que le discours africain sur les droits de l'homme s’est emparé de cette question, comme en témoigne la manière dont la Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples a mis en valeur le droit d'accès à l'information comme outil de développement socio-économique. Cela aura un effet cascade sur la façon dont nous traitons ces questions au niveau régional. Cependant, il est également important de traiter de ces questions au niveau national, par le biais d'institutions auxquelles nous souscrivons tous, comme la Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples et la Cour Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples parce que cette jurisprudence ne peut être remise en question par les États membres. Je pense aussi que le fait que les réseaux sociaux aient autant prospéré, aide vraiment à diffuser l'information sur les violations de droits de l’homme en vigueur.

6. Comment pensez-vous que des efforts continus pour développer des ateliers de formations et des MOOC pour les acteurs judiciaires, peuvent-ils affecter le cadre africain des droits de l'homme à l'avenir, en particulier en ce qui concerne les questions relatives à la liberté d'expression ?

Plus vous formez de juges, plus il y a de chances que lorsque les droits des journalistes sont violés, la personne en charge de l'affaire fera ce qu'il faut en sa qualité d’acteur judiciaire. Car, comme je l'ai dit, dans le cadre juridique africain, les acteurs judiciaires ne peuvent pas choisir les cas spécifiques qu’ils veulent traiter, donc si seul un petit nombre d’acteurs judiciaires dans la région a été formé pour traiter des cas où les droits d’un journaliste ont été violés, Il peut arriver qu’ils n'entendent pas parler du dossier en question et qu’il soit soumis à des juges qui n'ont pas encore été formés. C'est la raison pour laquelle je dis que tant que nous continuons à former et que les juges formés en forment d'autres, nous pouvons être certains que les droits des journalistes seront protégés au niveau des tribunaux, à condition que les juges sachent quoi faire.

La formation en ligne ouverte à tous (MOOC) sur la liberté d'expression, l'accès à l'information et la sécurité des journalistes en Afrique a été lancée par l'UNESCO et le Centre pour les droits de l'homme de l'Université de Pretoria. Ce projet a été mis en œuvre dans le cadre du Plan d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité, qui vise à créer un environnement libre et sûr pour les journalistes et les professionnels des médias. Il a suivi le séminaire organisé à Arusha en Tanzanie à l’occasion de la Journée internationale de la fin de l'impunité pour les crimes commis contre les journalistes de 2016, en partenariat avec la Cour africaine et la Commission des droits de l'homme et des peuples. La Cour et la Commission ont été des partenaires précieux pour réaliser ce projet. Le juge Ben Kioko, vice-président de la Cour, et Mme Pansy Tlakula, ancienne rapporteure spéciale de la Commission sur la liberté d'expression et l'accès à l'information, ont par ailleurs été des formateurs pour le MOOC. Le projet a reçu le soutien du Danemark et des Open Society Foundations, ainsi qu’une contribution technique de la Norvège.