<
 
 
 
 
×
>
You are viewing an archived web page, collected at the request of United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization (UNESCO) using Archive-It. This page was captured on 02:17:31 Jun 12, 2019, and is part of the UNESCO collection. The information on this web page may be out of date. See All versions of this archived page.
Loading media information hide

Construire la paix dans l’esprit
des hommes et des femmes

Grand angle

Bienvenue versus hostilité

cou_02_19_migrants_web.jpg

Collage réalisé par les élèves de l'école maternelle Sterrenbos de la ville de Hamme (Belgique) ayant reçu une mention spéciale au concours mondial du Réseau des écoles associées de l’UNESCO « Ouvrir les cœurs et les esprits aux réfugiés », 2017.

Face à une politique défavorable aux migrants, les habitants du quartier Haringey à Londres ont lancé une campagne de bienvenue qui secoue la législation britannique en matière d’immigration. Preuve que des terrains d’entente sont toujours possibles : ils collaborent avec les collectivités locales et le gouvernement central finance certains de leurs projets. L’idée d’œuvrer ensemble à la création d’un quartier plus accueillant fait son chemin.

Gabriela Neves de Lima

Depuis le début des années 2010 et l’apparition de ce qui est communément appelé « crise des migrants », les collectivités locales sont en première ligne pour assurer l’intégration des migrants et des réfugiés en Europe. Certaines agissent dans le cadre de programmes politiques définis par les gouvernements, d’autres, de manière volontariste. Haringey Welcome, pour sa part, adopte une approche collaborative, tout en demeurant une organisation militante et indépendante qui adopte, au besoin, une posture plus antagoniste.

Obligation morale contre l’injustice sociale

Haringey Welcome est fondée sur la notion de solidarité politique, définie par la philosophe américaine Sally Scholz comme une obligation morale positive, qui pousse à intervenir collectivement devant une situation d’injustice ou de vulnérabilité sociale. Son idéologie est aux antipodes de la politique dite d’environnement hostile, explique Lucy Nabijou, la coordonnatrice du groupe de résidents qui a mis en œuvre la campagne. « Il s’agit de faire œuvre de solidarité et de justice, de lutter pour des valeurs, de remettre en cause une mauvaise loi et de rechercher une réelle collaboration avec les autorités locales afin d’améliorer les services », explique-t-elle.

Avec 45 % d’habitants nés à l’étranger et 5 % ayant emménagé depuis moins de deux ans, Haringey, l’un des quartiers les plus cosmopolites de Londres, « s’enorgueillit d’une solide tradition d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés, ainsi que des personnes qui ont élu domicile à Londres. Des générations de personnes de toutes origines s’y sont installées et ont fait de Haringey l’un des quartiers les plus ouverts et les plus diversifiés du Royaume-Uni », lit-on dans le rapport du conseil local, daté du 15 novembre 2016. Les fondateurs de Haringey Welcome avaient alors fait leurs premières armes, en réclamant que le quartier applique le programme gouvernemental d’accueil volontaire à l’égard des réfugiés syriens. Claire Kober, présidente du conseil, s’était engagée à reloger dix familles syriennes, pour leur donner « un foyer sûr et le soutien dont elles ont besoin pour reconstruire leur vie ».

Mais, aux yeux de L. Nabijou, le conseil local souffre clairement d’un manque de moyens financiers, de compétences et de dialogue avec les habitants et les groupes communautaires, qui nuit à son efficacité. C’est la raison pour laquelle Haringey Welcome a adopté une approche plus collaborative dans ses négociations avec les collectivités locales, soulignant la nécessité de trouver de nouveaux modes de communication et d’instaurer une relation de confiance.

Son but n’est pas de convaincre les conseillers élus ou les employés du conseil local d’enfreindre la loi nationale, souligne L. Nabijou, mais plutôt de travailler avec plus de transparence et de responsabilité et de faire un meilleur usage des instruments disponibles pour offrir aux migrants et aux réfugiés les services adéquats.

Le conseil local de Haringey semble déjà engagé dans cette voie. En septembre 2018, il a lancé, avec un financement du gouvernement central, le programme Connected Communities (Communautés connectées), qui vise à améliorer le soutien local aux migrants dans le domaine de l’emploi, du logement, de l’apprentissage de l’anglais, de l’accueil des enfants et de l’autonomisation communautaire. Tout en saluant cette initiative, L. Nabijou exprime des réserves sur le choix d’une action purement locale, sur la viabilité du projet en cas de maintien du mode de financement actuel et sa capacité à atteindre des groupes de migrants plus vulnérables.

Autre fait marquant, les élus ont soutenu une motion présentée par Haringey Welcome en novembre 2018. Une formidable occasion, selon L. Nabijou, « de mettre tous les problèmes sur la table et de repenser la  gestion locale ».

Des relations sociales menacées

Rebâtir la gestion locale est une nécessité dans un contexte de bouleversement des relations sociales. Car la politique dite d’environnement hostile, qui cible avant tout les sans-papiers et vise à décourager les migrants de franchir les frontières territoriales, touche en réalité la population tout entière. Les politiques adoptées en matière de migration associent au contrôle des frontières et à la gestion de l’immigration non seulement différents ministères et représentations locales, mais aussi le secteur privé et le simple citoyen. Des frontières se dressent aussi à l’intérieur du pays. Tous les aspects de la vie sociale font l’objet d’une surveillance et d’un signalement potentiel, avec des risques accrus d’expulsion. Par voie de conséquence, on dissuade aussi les migrants et les demandeurs d’asile d’accéder aux services essentiels.

Les bailleurs privés sont obligés de vérifier si leurs futurs locataires détiennent bien un permis de résider dans le pays, et d’en conserver les preuves, au risque de payer une amende ou d’être emprisonnés pour une durée maximale de cinq ans. La catégorie « résident habituel » ayant été redéfinie, l’accès aux soins de santé gratuit a été limité, et les immigrés temporaires non européens se sont vus obligés de payer une surtaxe annuelle pour la durée de leur séjour. Entre 2016 et 2018, les écoles devaient fournir à l’État des informations sur les enfants issus de l’immigration. Néanmoins, la collecte de données a été arrêtée sous l’effet d’une campagne qui lutte actuellement pour la destruction de ces données.

Les chercheuses britanniques Nira Yuval-Davis, Georgie Wemyss et Kathryn Cassidy, s’intéressant au changement de point de vue de la législation anglaise sur l’immigration, ont conclu : « Cela revient à une surveillance frontalière quotidienne, où chaque citoyen ordinaire doit choisir entre être garde-frontières et être suspecté d’être un passeur ». Un parent, un ami, un voisin peut se muer en délateur. Les conflits personnels, comme le suggère l’anthropologue lettone Dace Dzenovsca, s’immiscent dans cette défense des frontières. Ces pratiques bouleversent les relations sociales et politiques, en suscitant la peur, la suspicion et les tensions au sein des communautés, menaçant la solidarité et la convivialité locales. Il est également important de noter que certaines catégories sociales (fondées sur la race, la classe ou le genre, notamment) sont impactées de manière disproportionnée par ces politiques, signe de la relative fragilité de leurs droits.  

Unir les forces

Dans ce contexte, Haringey Welcome veut contribuer au changement des relations sociales sur le terrain, en créant des réseaux solidaires au sein du quartier. L’organisation a travaillé avec les écoles, par exemple, pour les sensibiliser aux implications de l’environnement hostile. Elle a également obtenu l’appui d’autres groupes communautaires locaux et organisations de soutien aux migrants, de manière à ce qu’ils œuvrent tous ensemble à la création d’un quartier plus accueillant.

En nouant des liens de ce genre et en travaillant directement avec les élus et les fonctionnaires de l’État, Haringey Welcome préconise une forme de collaboration multi-acteurs réunissant toutes les parties intéressées. Une des façons d’y parvenir est de solliciter un financement à des fins d’intégration du Fonds de contrôle des migrations auprès du ministère du Logement, des Communautés et du Gouvernement local, et de constituer un groupe de travail composé de conseillers locaux, d’organisations de migrants et d’experts juridiques pour élaborer une stratégie en faveur des migrants, en particulier des groupes plus vulnérables.

Au-delà de l’échiquier politique, L. Nabijou voit dans la campagne de Haringey Welcome un effet secondaire, mais néanmoins essentiel : « Grâce à la mobilisation, vous faites la connaissance de vos voisins, vous rencontrez des gens nouveaux, vous êtes mieux informé de la situation, et tout cela se mêle pour produire un sentiment extrêmement fort d’appartenance commune qui transforme le lieu où vous vivez ».

Gabriela Neves de Lima

Politologue brésilienne, Gabriela Neves de Lima est assistante de recherche au Département de géographie et d’environnement de la London School of Economics and Political Science (Royaume-Uni). Elle est coauteure de Cities welcoming refugees and migrants: enhancing effective urban governance in an age of migration (Villes accueillantes pour les réfugiés et les migrants : améliorer la gouvernance urbaine à l'ère des migrations), publié par l’UNESCO en 2016.