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Construire la paix dans l’esprit
des hommes et des femmes

Idées

L’éducation pour les migrants : un droit de l’homme inaliénable

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Un très jeune migrant arrivé dans un camp sur l'île de Samos, en Grèce (2016).

Le droit à l’éducation est souvent tenu pour acquis… jusqu’à ce qu’on nous le retire. Outil indispensable pour défendre la liberté et la dignité de tous les migrants, l’éducation est une condition sine qua non pour qu’ils deviennent membres à part entière de la société qu’ils intègrent. Une aspiration légitime qui se heurte à des obstacles sur le terrain.

Fons Coomans

Inscrite à l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’éducation est un outil essentiel de protection de la dignité humaine. Force est de constater que les droits de l’homme prennent encore plus de sens quand leur concrétisation est menacée. Par exemple quand des personnes sont contraintes de fuir pour échapper à un conflit armé ou à la persécution, ou simplement émigrent pour améliorer leur situation socioéconomique. Dans leur pays d’arrivée, leur situation éducative peut être incertaine.

Pour les réfugiés, l’éducation est le meilleur moyen de devenir membres à part entière de la société de leur pays hôte. Les travailleurs migrants ordinaires et leurs enfants profitent intellectuellement et socialement de l’école où ils acquièrent des connaissances sur la société qu’ils intègrent. Les demandeurs d’asile en attente d’une décision concernant leur avenir ont besoin de cours d’initiation linguistique ; c’est le cas a fortiori des mineurs non accompagnés. Pour les migrants sans-papiers, l’accès à une éducation de base apporte une certaine stabilité et ne serait-ce qu’un semblant de régularité dans leur vie, en plus de renforcer leur estime de soi. Le droit à l’éducation fait obligation aux États de donner accès à des services et à des ressources financières afin que personne ne soit privé de compétences scolaires de base, pour ne parler que du strict minimum.

Or, la situation éducative des demandeurs d'asile et des réfugiés dans les camps d'accueil temporaires situés de l'autre côté de la frontière de pays en conflit (comme par exemple au Liban, en Jordanie, en Grèce et en Turquie) peut être précaire du fait du manque de ressources matérielles (bâtiments, fournitures scolaires), humaines (enseignants qualifiés) ou financières.

Qui doit, dans ce cas, se charger de faire appliquer leur droit à l'éducation ? La communauté internationale, bien entendu, mais cela suppose un engagement déterminé et une volonté politique forte de protéger ceux qui se trouvent en situation de vulnérabilité. Souvent, des ressources financières supplémentaires sont nécessaires pour répondre aux besoins éducatifs de ces groupes. L'UNHCR, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés, dépend en très grande partie de donations spéciales pour réaliser ses programmes d'éducation dans les camps de réfugiés. Si l'on refuse à ces enfants une éducation de base de qualité, toute une génération peut être perdue.

Ce qui est garanti par les textes...

L'éducation pour tous, sans discrimination aucune, est garantie par le droit international des droits de l’homme. Le principe de non-discrimination s'étend à tous ceux qui sont en âge de fréquenter l'école et résident sur le territoire d'un État, y compris les non-ressortissants, et indépendamment de leur statut juridique. Les migrants en situation irrégulière ou sans-papiers peuvent donc invoquer le droit à l'éducation. Ce droit crée des obligations immédiates sans équivoque : l'État ne dispose d'aucune marge de liberté dans ce domaine. Toute forme de discrimination est interdite, car l'essence même du droit est en jeu. Cela implique l'égalité du droit d'accès aux établissements d'enseignement que l'on peut décrire comme le noyau ou le contenu minimal de ce droit.

Ce point découle de la nature universelle des droits de l’homme. Des mesures spécifiques de protection du droit à l'éducation peuvent être prises en vertu de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Selon l'article 22, les États « accorderont aux réfugiés le même traitement qu’aux nationaux en ce qui concerne l’enseignement primaire et un traitement aussi favorable que possible, et en tout cas non moins favorable que celui qui est accordé aux étrangers en général dans les mêmes circonstances quant aux catégories d’enseignement autres que l’enseignement primaire, et notamment en ce qui concerne l’accès aux études, la reconnaissance de certificats d’études, de diplômes et de titres universitaires délivrés à l’étranger, la remise des droits et taxes et l’attribution de bourses d’études ».

À cela, l'article 3(1) de la Convention relative aux droits de l'enfant (1989) ajoute que « l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale » dans toutes les décisions concernant les enfants. Cela englobe la prestation de services d'éducation pour tous les migrants.

La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (1990) garantit l'égalité de traitement des travailleurs migrants, de leurs enfants et des membres de leurs familles avec les ressortissants de l'État d'emploi. Pour ce qui concerne l’éducation des enfants, l’article 30 stipule que « tout enfant d'un travailleur migrant a le droit fondamental d'accès à l'éducation sur la base de l'égalité de traitement avec les ressortissants de l'État en cause. L'accès aux établissements préscolaires ou scolaires publics ne doit pas être refusé ou limité en raison de la situation irrégulière quant au séjour ou à l'emploi de l'un ou l'autre de ses parents ou quant à l'irrégularité du séjour de l'enfant dans l'État d'emploi ». Le problème, c’est que cette convention n'a pas été largement ratifiée par les États d'emploi, sans doute parce qu’elle contient des obligations très fortes.

Au niveau régional, la Convention européenne des droits de l'homme (1950) contient une disposition claire et nette : « Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction » (article 2, Protocole additionnel). Selon le droit de l'Union européenne, les mineurs demandant l'asile et les réfugiés ont accès à l'éducation aux mêmes conditions que les ressortissants des États membres de l'Union européenne. Ce droit peut être invoqué par toute personne se trouvant sous la juridiction d'un État partie à la convention, y compris, donc, les migrants en situation irrégulière. Toutefois, les formes d'éducation accessibles en vertu de ce droit sont limitées à l'instruction primaire et secondaire.

… et les difficultés sur le terrain

La mise en œuvre du droit à l'éducation pour les migrants pose un certain nombre de défis et de dilemmes aux gouvernements des pays d'accueil.

Il peut être dans l'intérêt public d'éviter que des non-ressortissants irréguliers s'enracinent dans la société grâce à l'éducation, de restreindre la répartition de ressources peu abondantes aux seules personnes ayant obtenu un permis de séjour, mais aussi de recourir dans le futur à la main-d'œuvre migrante pour faire face au vieillissement de la population.

Mais, d'un autre côté, les nouveaux arrivants ont un intérêt légitime à devenir membres à part entière de la société, ce qu’ils font par leur participation et leur inclusion progressive. Et là, l'éducation joue un rôle primordial. Si les États sont libres de décider de la répartition de leurs ressources financières, ils doivent en même temps respecter les obligations d’assistance et de protection auxquelles ils ont volontairement souscrit en devenant parties aux traités sur les droits de l’homme.

Par exemple, l’intérêt public peut exiger que l’État dissuade les migrants irréguliers de quitter leur pays et d’entreprendre un périple périlleux vers l’Europe. Néanmoins, une fois que ces migrants sont arrivés, les droits de l’homme fondamentaux doivent être respectés. Cela ne signifie pas qu’on devrait leur donner accès à tous les services au même titre que les citoyens du pays hôte. Les États peuvent avoir un intérêt légitime à restreindre la gratuité de l’accès à l’enseignement supérieur si une telle gratuité a pour effet d’attirer des migrants irréguliers. Mais il n’est pas possible de restreindre l’accès à l’éducation élémentaire ou de base. Ce droit doit être garanti en toutes circonstances.

On le sait : certains réfugiés resteront probablement à demeure, parce qu’il leur est impossible de rentrer dans leur pays d’origine. Il est donc indispensable que les autorités nationales et locales anticipent, et conçoivent des politiques d’éducation qui soient culturellement adaptées, afin de permettre aux intéressés d’être intégrés et d’avoir accès au marché du travail.

Avant tout, un équilibre doit être trouvé entre les besoins des jeunes migrants et le traitement différentiel des citoyens et des non-ressortissants quant à l'accès à l’éducation. L’enseignement de la langue dès l’arrivée est recommandé.

Veiller à l’accès à l’éducation, au logement, aux services sociaux, aux services de santé et au travail pour les réfugiés impose nécessairement un fardeau financier aux gouvernements. Or, puisqu’il arrive que des politiques d’accueil généreuses des migrants soient sources d’incompréhension, de malaise et de mécontentement chez certains citoyens, les gouvernements doivent expliquer les raisons de leurs choix et les justifier à la lumière d’autres priorités budgétaires, des intérêts politiques et de leurs obligations internationales dans le cadre des droits de l’homme.

Il est donc important que les droits des migrants à l’éducation soient largement reconnus en tant que droits de l’homme inaliénables et non pas simplement comme de simples buts à atteindre par des mesures d’action publique. Les autorités nationales, locales et scolaires doivent en avoir conscience et agir en conséquence.

Avec cet article de la rubrique « Idées », Le Courrier de l’UNESCO s’associe à la Journée internationale des migrants (18 décembre).

Lisez également notre encadré: Jeter des ponts au lieu d’ériger des murs

Fons Coomans

Directeur du Département de droit international et européen, à l’université de Maastricht, Fons Coomans (Pays-Bas) y occupe la Chaire UNESCO en droits de l’homme et paix. Il est directeur du Centre for Human Rights (Centre pour les droits de l’homme) de Maastricht et membre du Netherlands Network for Human Rights Research (Réseau des Pays-Bas pour la recherche sur les droits humains).