<
 
 
 
 
×
>
You are viewing an archived web page, collected at the request of United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization (UNESCO) using Archive-It. This page was captured on 03:06:49 Jun 12, 2019, and is part of the UNESCO collection. The information on this web page may be out of date. See All versions of this archived page.
Loading media information hide

Construire la paix dans l’esprit
des hommes et des femmes

Actualités

Sandy Koffler, un homme de conviction et de talent

cou_04_18_koffler_01.jpg

Sandy Koffler in his UNESCO office in the 1970s.

Soixante-dix ans après la parution du premier numéro du Courrier de l’UNESCO, la revue rend un hommage intime à son fondateur, Sandy Koffler (1916-2002), en invitant sa petite-fille, Aurélia Dausse, à évoquer ses souvenirs et à partager quelques pages de ses carnets de notes.

Aurélia Dausse

Je garde de mon grand-père l’image d’un homme entouré de livres. Il avait toujours un dictionnaire à portée de main. Il faut dire qu'il était polyglotte. Il maîtrisait parfaitement l'anglais, le français, l'espagnol, le portugais, l'italien, l’hébreu et le mandarin. Je le voyais souvent annoter un grand dictionnaire noir, son dictionnaire de chinois – la langue qu'il affectionnait le plus et dont il a fini par connaître sept dialectes ! Car, fait singulier chez lui, on avait le droit d’écrire dans les dictionnaires. Avec lui, le livre devenait vivant. Beaucoup plus qu’un outil, il était comme un membre de la famille qui s’invitait à notre table à n’importe quel moment du repas.

L’esprit vif, enthousiaste, imaginatif et curieux, Sandy était toujours en train d’apprendre et aimait partager le plaisir d’étudier avec sa famille et avec le plus grand nombre. C’est ce qu’il a fait durant toute sa vie de journaliste, et particulièrement au sein du Courrier de l’UNESCO.

Sandy nous a quittés en 2002. Il nous a laissé un trésor, que j’ai découvert récemment en voulant faire des recherches sur l’histoire de ma famille : son journal intime de guerre, ses lettres, ses carnets, ses photos, la collection intégrale du Courrier reliée… autant de bribes de vie qui racontent le parcours remarquable de cet homme d’exception. Je suis très émue de pouvoir lui rendre hommage ici, sur ces pages de la revue qu’il a fondée et dirigée pendant 30 ans, de février 1948 à janvier 1977.

New York – Paris : aller-retour

Sandy Koffler est né à New York d’un couple d’immigrés originaires de la ville de Chernovitz dans la région de Bucovine en Roumanie (aujourd'hui en Ukraine). Ils sont arrivés aux États-Unis, comme beaucoup, en passant par Ellis Island, cette petite île qui abritait les services fédéraux d'immigration. Son père, Berl Koffler, après avoir débuté modestement (il vendait de l’eau de Seltz dans la rue), devient un rabbin reconnu de la ville. Il s’installe dans le quartier de Williamsburg, où naît Sandy le 24 octobre 1916.

Après une scolarité au City College de New York, Sandy obtient une bourse lui permettant de faire ses études à la Sorbonne, à Paris. En 1940, alors qu'il étudie à Bordeaux, le consulat américain lui conseille de quitter la France à cause de sa judéité. Passionné par la culture et la langue françaises, il hésite à partir, d’autant que des liens amoureux le retiennent à Bordeaux. Par ailleurs, il est persuadé que sa nationalité américaine le protègera. Mais quand les Allemands envahissent la France, il finit par se rendre à Marseille pour prendre l’un des derniers bateaux en direction des États-Unis. Comme celui-ci fait escale quelque temps au Portugal, Sandy en profite pour apprendre le portugais.

L’expérience new-yorkaise

De retour à New York, il devient éditorialiste à mi-temps pour l’hebdomadaire America et se forme aux techniques d’imprimerie. Parallèlement, il suit les séminaires de l’anthropologue français Claude Lévi-Strauss à la New School for Social Research. Ce dernier a lui aussi quitté la France avant le début de l'Occupation, et les deux hommes se lient d’amitié.

Ils se retrouveront plus tard à Paris, l’un comme rédacteur en chef du Courrier, l’autre comme l’un des artisans de la première déclaration de l'UNESCO sur la race (1950), et auteur de l’ouvrage Race et histoire (1952), un grand classique de la littérature antiraciste. Sandy Koffler invitera régulièrement Claude Lévi-Strauss à collaborer au cours des années 1950, de sorte qu’un grand nombre des articles fondamentaux de l’anthropologue seront d’abord publiés au Courrier avant d’être repris dans ses ouvrages de référence. (Ndlr : un numéro spécial du Courrier, réunissant la majorité de ses articles, a été publié en 2008, sous le titre Claude Lévi-Strauss : Regards éloignés)

Le climat de guerre incite Sandy à s’engager et à travailler pour l’armée américaine dans la Psychological Warfare Branch (Service de la guerre psychologique). Il est formé à l’Office of War Information (Bureau de l'information de la guerre), une agence d’information du gouvernement américain, qui souhaite appliquer les méthodes modernes de propagande de masse à la diffusion des idées pacifistes. Il est alors envoyé à Rabat, au Maroc, et monte à bord d’un Liberty Ship, ces « bateaux de la liberté » de l’armée américaine qui avaient pour but de ravitailler les forces alliées pendant la bataille de l'Atlantique. Là, il travaille comme journaliste et directeur de l’information de la radio La Voix de l'Amérique et élabore un programme diffusant, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les informations lui venant du monde entier. En 1944, il écrit dans son carnet : « Je ne peux pas vous dire à quel point j’aime ce travail, je le trouve utile et je sens qu’il en vaut la peine. »

Il est ensuite envoyé en Italie où il s’occupe d’un journal qui a pour but d’informer la population sur l’avancée des Alliés et de promouvoir la paix. Il s’appelle Corriere di Roma, Corriere di Venezia, Corriere Veneto ou encore Corriere dell'Emilia (Bologne), suivant la ville ou la région libérée où il est publié.


L’équipe du Courrier dans ses premiers locaux à l’Hôtel Majestic, à Paris (1946-1958).

Naissance du Courrier

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, Sandy Koffler regagne la France et s’intéresse à cette nouvelle organisation internationale qui vise à diffuser la paix par la science et la culture dans un monde traumatisé, et qui passionne les milieux intellectuels sous toutes les latitudes : l’UNESCO. Son siège est à Paris, à l’Hôtel Majestic, 19 avenue Kléber. L’Organisation publie un mensuel de deux pages en noir et blanc, Le Moniteur, qui paraît en anglais, français et espagnol. Le jeune journaliste et éditorialiste propose ses services et il est engagé le 26 octobre 1947.

Pas plus tard que le 19 novembre, il soumet à Harold Kaplan, premier directeur du Bureau de l’information du public de l’UNESCO, un projet de journal, avec ligne éditoriale, périodicité, profil des rubriques, nombre de colonnes, longueur des articles, typographie… Bref, un projet complet de ce qui allait devenir un autre « corriere », celui de l’UNESCO.

« Le travail de l’UNESCO est si varié, son programme comporte un tel nombre de sujets vitaux et importants, dans les champs de l’éducation, de la science et de la culture, qu’il n’y aura aucune difficulté à rassembler des articles à la fois vivants et intéressants », écrit-il. Ambitieux, il ne souhaite pas limiter le contenu du journal aux seules actions de l’UNESCO, mais offrir à ses lecteurs une revue de presse internationale, interviewer des personnalités de l’Organisation et du monde de la culture et des sciences, introduire des articles approfondis écrits par des experts issus du monde entier. Il propose d’embaucher des rédacteurs qualifiés pour les éditions française et espagnole, afin qu’elles ne soient pas de simples répliques et les parents pauvres de l’édition anglaise. Il s’engage à « mettre le journal aux normes qui permettraient sa vente au grand public ».

Sandy réussit sur tous les fronts, en un temps record. Le premier numéro du Courrier de l’UNESCO, un journal illustré de huit pages bien étoffées, sort de la presse du New York Herald Tribune à Paris, en février 1948. Un abonnement payant de six mois est proposé à un lectorat international par l’intermédiaire d’agents répartis dans quinze pays en Europe, en Asie et en Amérique. L’un des premiers journaux internationaux au monde est né.

L’essor du Courrier

Sa vocation internationale s’affirme à partir de 1957 avec la première édition « hors siège » du Courrier publiée à Moscou. La voie est ouverte, d’autres pays vont l’emprunter. En 1960, paraît l’édition allemande à Berne (Suisse). En 1961, c’est au tour de l’édition arabe au Caire (Égypte) et de l’édition japonaise à Tokyo, puis en 1963, de l’édition italienne à Rome. En 1967, deux éditions, en hindi et en tamoul, sont lancées en Inde. Suivront, de 1968 à 1973, les éditions en hébreu, persan, néerlandais, portugais et turc. Au moment du départ à la retraite de Sandy, en février 1977, le Courrier paraît en 15 langues. Il atteindra un maximum de 35 langues en 1988.

Pour Sandy, multiplier le nombre de versions linguistiques du Courrier est une façon de jeter des ponts entre les hommes. Voici ce qu’il déclare à Madras (aujourd’hui Chennai), Inde, lors du lancement de l’édition tamoule : «  Par le passé, les nations étaient centrées sur elles-mêmes, depuis vingt ans, les pays, où qu’ils soient dans le monde, regardent bien au-delà de leurs frontières pour travailler ensemble pour la paix. C’est le message que veulent diffuser l’UNESCO et toute la famille des Nations Unies. Cet après-midi j’ai eu le privilège de rencontrer le Ministre en chef [du Tamil Nadu]. Il m’a informé que Madras était prêt à aller de l’avant et il nous a donné le feu vert pour la production d’une édition du Courrier en tamoul. En tant que rédacteur en chef, à cette annonce, j’ai tressailli de bonheur. »

De la loyauté de Sandy

Sandy Koffler était indiscutablement un grand professionnel, doté d'un solide sens relationnel. Ami proche de personnalités qui ont marqué le XXe siècle, comme l’ethnologue suisse Alfred Métraux ou l’ingénieur et peintre américain Frank Malina, tous deux ses collègues de l’UNESCO, il a été apprécié des sept premiers Directeurs généraux de l’Organisation. L’un d’entre eux, René Maheu (1961-1974) dira de lui que son « talent ne se sépare jamais de ses convictions ».

Volontaire et charismatique, travailleur infatigable au service des idéaux de paix de l'UNESCO, veillant à rester toujours politiquement neutre même dans l'augmentation des tensions internationales au moment de la guerre froide, Sandy Koffler fut une personnalité inflexible : « Il n’a jamais accepté aucun ordre, même des plus hauts membres diplomatiques et politiques américains ; il était intransigeant, inébranlable ; et cela lui a d’ailleurs posé des problèmes », dira de lui sa seconde femme Pauline Koffler.

Dans un document administratif de l’UNESCO datant de 1959, j’ai lu à son propos que sa « compétence professionnelle, ses qualités techniques, ses facultés créatrices, son initiative et son imagination font de lui un journaliste et un rédacteur en chef d’une classe remarquable. Il possède un sens des responsabilités aigu, une profonde conscience professionnelle, des qualités indéniables d’organisateur et d’animateur, la capacité nécessaire de direction. »

Un autre document d’archive beaucoup moins formel, qui n’est ni daté, ni signé, dévoile un autre aspect de sa personnalité : « Il est vrai que la loyauté de Sandy à l'égard de l'UNESCO, des Nations Unies et de leurs idéaux était évidente et inébranlable. Je me souviens que chaque année trois collègues – Émile Delavenay, Thor Gjesdal et Sandy Koffler – que l'on voyait rarement ensemble en ville, se réunissaient le 24 octobre, vers midi, dans un restaurant parisien pour y célébrer en commun leurs anniversaires respectifs ainsi que, par un toast spécial, l'anniversaire de l'entrée en vigueur de la Charte des Nations Unies ».

Pour ma part, j’ai toujours admiré mon grand-père, son intelligence et sa personnalité. Je lui sais gré m’avoir transmis son attachement aux valeurs humanistes, son amour des livres et sa curiosité pour les cultures du monde entier.

Ma plongée dans ses archives personnelles et professionnelles m’a donné envie de raconter dans un documentaire, que je prépare actuellement, l’histoire passionnante cet Américain amoureux de la France qui m’a toujours dit : « Je suis avant tout un citoyen du monde ».

 

Plus d’informations sur L’histoire du Courrier de l’UNESCO dans une thèse de Chloé Maurel: L’UNESCO de 1945 à 1974

Articles de Sandy Koffler parus dans Le Courrier de l’UNESCO

Il y a un an les Nations Unies se dressaient pour défendre la sécurité collective (1951)

Biblioteca infantil: paradis des enfants de Sao Paulo (1953)

Rabindranath Tagore: "Je suis tombé sous l'enchantement des lignes" (1957)

Kenzo Tange et la future mégalopolis (1968)

Aurélia Dausse

Aurélia Dausse est une réalisatrice, scénariste et comédienne franco-américaine.