« La protection du patrimoine est inséparable de la protection des vies humaines »

Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco, évoque la menace posée par l’Etat islamique (EI) sur les sites culturels et les populations.

Propos recueillis par Publié le 07 juin 2015 à 20h46 - Mis à jour le 08 juin 2015 à 14h45

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Irina Bokova et le ministre égyptien des antiquités Mamdouh Eldamaty, lors d'une conférence au Caire, le 13 mai.
Irina Bokova et le ministre égyptien des antiquités Mamdouh Eldamaty, lors d'une conférence au Caire, le 13 mai. AMR NABIL/ AP

Irina Bokova, directrice générale de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), était l’invitée, dimanche 7 juin, de l’émission « Internationales » sur TV5 Monde, en partenariat avec RFI et Le Monde. Elle revient pour Le Monde sur la menace posée par l’Etat islamique (EI).

Que fait l’Unesco contre la destruction du patrimoine mondial par l’EI ?

Nous recueillons l’ensemble des informations nécessaires à l’évaluation des dommages, en attendant que la situation sur le terrain offre des garanties de sécurité minimales pour une mission d’experts. Nous informons l’ensemble des Etats, et en particulier les membres des coalitions engagées contre Daech [acronyme arabe de l’EI], de leurs obligations d’épargner le patrimoine culturel en cas de conflit, au titre de la Convention de La Haye de 1954. Nous partageons avec les états-majors des armées les coordonnées précises de chacun des sites pour éviter qu’ils ne soient pris pour cible.

Faute de pouvoir intervenir directement sur place, nous établissons un périmètre autour de la zone de conflit pour faire en sorte qu’aucun objet culturel n’en sorte illégalement. Le pillage et le trafic illicite sont une destruction lente et invisible du patrimoine, qui participe au financement du terrorisme. Le Conseil de sécurité vient d’adopter la résolution 2199 pour laquelle nous avons beaucoup travaillé et qui interdit le commerce des biens culturels en provenance de Syrie et d’Irak. Nous avons réunis les Etats voisins, Interpol, les douanes, le marché de l’art, et cette coopération a déjà permis de saisir des antiquités en Finlande, en Jordanie, au Liban, en Turquie, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.

La sensibilisation porte aussi ses fruits. J’ai évoqué la possibilité de créer des « aires culturelles protégées » autour de sites emblématiques que les belligérants s’abstiendraient de cibler. A Bosra, en Syrie, un accord vient d’être conclu entre les parties qui ont accepté de ne pas attaquer le site. Cela montre que localement, le patrimoine peut servir de base de négociation, même fragile.

Quels objectifs poursuit l’EI en s’attaquant au patrimoine ?

L’objectif est de couper les populations de leurs racines, de leur histoire, pour accélérer la désintégration des peuples et affaiblir leurs capacités de résistance. Le patrimoine est justement ce qui fournit des repères et ce qui donne corps au sentiment d’appartenance commune. Une fois détruit, il ne reste que des ruines et le désert, sur lequel les extrémistes entendent prospérer. La destruction du patrimoine est utilisée comme une arme de guerre, pour semer la terreur, et s’intègre dans une stratégie de nettoyage culturel qui vise à la fois la persécution des personnes et la destruction de la culture.