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Construire la paix dans l’esprit
des hommes et des femmes

Grand angle

La pandémie, miroir de nos fragilités

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L’annonce du confinement en Inde s’est traduite par un exode massif de travailleurs migrants. New Delhi, mars.

Inégalités sociales, violences de genre, mal-logement, systèmes de santé défaillants : la crise sanitaire a mis à nu les fractures qui divisent nos sociétés. Pour changer de monde, il faudra relever des défis auxquels nous n’avons pas su faire face jusqu’ici.

Kalpana Sharma
Journaliste indépendante, chroniqueuse et écrivaine basée à Mumbai. The Silence and the Storm : Narratives of violence against women in India est son dernier ouvrage.

Si en scrutant l’horizon on arrive à distinguer à l’œil nu un minuscule bateau de pêche, on se rend compte que quelque chose a changé. L’habituel nuage brun suffocant a disparu. L’air est pur et le ciel est d’un bleu dont on avait oublié l’existence.

Le monde a changé en 2020. Un nouveau virus a littéralement fait suffoquer la planète. Chaque jour, l’incertitude grandit, les contaminations se multiplient et les inquiétudes pour l’emploi et l’économie augmentent face à une maladie contre laquelle il n’existe pas (encore) de traitement.

Rien ne pouvait nous préparer à cet inattendu. Mais s’il y a une leçon à tirer, c’est que les pays ayant investi pour que leurs citoyens puissent bénéficier de soins de santé abordables et accessibles sont aujourd'hui les mieux armés pour faire face à cette crise sanitaire.

La nature contagieuse, mortelle et rapide de ce nouveau virus permettait d’espérer que les nations et les populations feraient front commun pour le combattre. Il a au contraire mis à nu les fractures qui divisent nos sociétés.

Lignes de fracture

Alors que le virus ne choisit pas ses victimes, nos sociétés reproduisent les vieilles discriminations à l’encontre de « l’autre », qu’il s’agisse d’un individu d’une autre religion ou d’une autre race. Loin d’effacer la haine et les préjugés, l’épidémie a malheureusement tendance à les exacerber.

L’autre fracture est celle de l’inégalité. La crise actuelle permet d’observer plus que jamais ce que l’économiste français Thomas Piketty appelle « la violence des inégalités ». Les personnes en bas de l’échelle, privées de toute protection sociale, se débattent pour rester à flot face à cette pandémie mondiale.

En Inde, cette « violence des inégalités » a pris ces derniers mois une forme tragique, suite au confinement de l’ensemble de la population, soit 1,3 milliard de personnes, pour endiguer la propagation du Covid-19. Des milliers d’hommes et de femmes, abandonnés à leur sort dans les villes où ils avaient migré en quête de travail, ont perdu leur emploi quand l’économie s’est arrêtée. Privés de revenus et dépourvus de filet de sécurité, ils n’ont eu d’autre choix que de regagner à pied leur village situé à des centaines de kilomètres.

Cette marche forcée dans la chaleur, avec peu de nourriture et d’eau, a été fatale à un grand nombre d’entre eux. Les images de cet exode de migrants ruraux montrent combien, dans une situation d’urgence sanitaire de ce genre, des modèles injustes de développement économique exacerbent leur souffrance.

La troisième fracture, qui divise chaque société, mais qui est particulièrement frappante en temps de crise, est celle du genre. De nombreuses femmes sont confinées avec leur agresseur, une situation qui leur offre peu de voies de fuite. Mais ce phénomène ne reçoit pas l’attention qu’il mérite. Serait-ce parce que cette violation des droits de millions de femmes à travers le monde a lieu aussi en temps « normal » ?

Pauvreté urbaine

Dans bon nombre de pays, le virus a touché plus durement les villes. Les logements surpeuplés et souvent insalubres ont été propices à la propagation de la maladie. La mauvaise qualité de l’infrastructure de santé publique fait que les individus qui vivent dans de telles conditions ont peu de chances de survivre à la pandémie, en particulier dans les pays les plus pauvres.

Ces hommes et ces femmes, qui sont employés dans le tertiaire, la construction, les petites industries, comme aides ménagères ou aides à domicile et dans bien d’autres secteurs, constituent les piliers de nos villes. La plupart d’entre eux sont mal payés et vivent dans des zones urbaines pauvres et densément peuplées, où il n’y a pas l’eau courante et où les installations sanitaires sont déficientes.

Il est impossible d’y contrôler la propagation du virus, le manque d’espace rendant la distanciation physique illusoire. L’absence d’eau courante y rend impossibles les mesures d’hygiène comme le lavage fréquent des mains et la désinfection des surfaces.

Les logements sociaux ont rarement été une priorité dans nos villes. Nous en voyons les conséquences aujourd’hui en constatant le nombre accablant de nouveaux cas qui sont enregistrés dans certains des quartiers les plus pauvres des villes, que ce soit à Mumbai ou à New York.

Une bonne nouvelle en trompe-l’œil

C’est vrai, le Global Energy Review 2020, principal rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) publié en avril, prévoit une baisse record des émissions de carbone de près de 8 % cette année. C’est une bonne nouvelle. Sauf qu’il s’agit de la conséquence heureuse d’une crise malheureuse, et non du résultat de mesures de lutte contre les dangers bien réels du changement climatique.

Le Covid-19 a changé nos vies, mais il n’a rien changé. Rien ne laisse augurer que, une fois cette crise passée, nous ne recommencerons pas à vivre au-dessus de nos ressources. Peu d’éléments indiquent qu’il existe des plans concrets visant à réorganiser de manière permanente nos villes, par exemple pour que les pauvres puissent vivre dans la dignité, ou privilégiant les transports publics écologiques.

De nombreux défis nous attendent, à commencer par la refonte en profondeur de nos systèmes de santé. Les pays, les États fédéraux et les provinces qui ont affiché les meilleurs résultats face à cette crise sont ceux qui avaient investi dans un système de santé publique de qualité.

Le second défi exige de remédier aux inégalités enracinées dans nos sociétés, car les meilleurs systèmes sont voués à l’échec dans une société inégalitaire. Il s’agit évidemment d’un projet à long terme qui ne peut être mis sur pied du jour au lendemain. Mais que l’économie d’un pays soit solide ou fragile, si l’inégalité systémique y règne, les crises auront raison des faibles et des vulnérables.

Comme disait le Mahatma Gandhi : « Il y a assez de tout dans le monde pour satisfaire aux besoins de l’homme, mais pas assez pour assouvir son avidité. » Or, c’est l’avidité qui a alimenté nos économies lorsque les frontières ont perdu de leur efficacité face aux appétits consuméristes mondiaux. C’est également elle qui menace l’avenir de la planète en dévorant les ressources naturelles sans jamais les remplacer.

Le Covid-19 nous a obligés à ralentir. Mais une fois que nous aurons surmonté cette crise, assisterons-nous à l’émergence d’un nouvel ordre mondial ? Prendrons-nous conscience de la précarité de l’existence de millions d’entre nous ? Entendrons-nous la voix des femmes et des populations les plus vulnérables une fois que les bruits de l’activité humaine auront repris ?

Il n’existe pas de réponse simple à ces questions. Mais il est temps de se les poser. Il est temps pour nous de comprendre que la disparition du ciel bleu n’est pas une fatalité.

Lectures complémentaires

Défis climatiques, défis éthiques, Le Courrier de l’UNESCO, juillet-septembre 2019
Ces villes qui se réinventent, Le Courrier de l’UNESCO, avril-juin 2019
Justice et dignité, Le Courrier de l’UNESCO, octobre-décembre 2011
Demain : une économie humaine, Le Courrier de l’UNESCO, septembre 2000
Les défis de l’urbanisation des pays du Sud, Le Courrier de l’UNESCO, juin 1999
Les mutations de la haine, Le Courrier de l’UNESCO, mars 1996

Informer sur les violences à l’égard des filles et des femmes : manuel pour les journalistes, UNESCO, 2019

 

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PhotoAnindito Mukherjee