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Varsovie, ville ressuscitée

varsovie_1945.jpg

Varsovie, 1945
© Central Photographic Agency, War

En 1945, Varsovie n'était plus qu'un nom sur la carte, désignant un amas de ruines. Aujourd'hui, 1.200.000 habitants regardent Ieur ville moderne avec fierté.

par Jerzy Hryniewiecki

Pour beaucoup de villes dans le monde, l'histoire de ces quinze dernières années ne constitue que l'une des étapes de leur développement au cours des siècles, une courte période de construction de nouvelles cités suburbaines, durant laquelle quelques anciens bâtiments du centre de la ville ont été remplacés par les belles formes de l'architecture moderne qui dut faire face aux problèmes de plus en plus difficiles qu'engendre le brutal accroissement du trafic automobile, problèmes que l'on s'est efforcé de résoudre sans grand résultat.

Il y a aussi des villes qui ont effacé les destructions, plus ou moins grandes, de la guerre en modernisant en partie leur centre et en édifiant de grands ensembles architectoniques nouveaux. Pour quelques villes enfin cette période renferme toute leur histoire, car elles ont été bâties sur des terrains souvent absolument vides et, dirigées par une seule volonté, elles ont été subordonnées aux magnifiques conceptions urbanistes contemporaines et sont le fruit du travail créateur de telle ou telle autre grande individualité, parfois un grand homme politique, parfois un grand architecte.

Mais l'histoire de Varsovie est différente : la fin tragique de cette ville, entièrement détruite et dépeuplée par les nazis, puis sa renaissance n'ont probablement pas d'équivalent dans l'histoire. Qu'une ville qui comptait, avant la guerre, 1200 000 habitants devienne un désert de ruines et retrouve, quinze ans plus tard, le même nombre d'habitants, constitue un phénomène sociologique qui permet de tirer quelques conclusions sur le mécanisme des sociétés urbaines et fait ressortir des valeurs essentielles que même la destruction complète d'êtres vivants et de biens matériels ne peut effacer.

Il ne faut pas oublier car maintenant il n'est plus possible de s'en apercevoir que, lorsque en janvier 1945, les premiers Varsoviens revinrent sur les lieux où la ville se trouvait autrefois, seuls étaient encore visibles entre les ruines l'ébauche de l'ancien plan urbaniste, un cimetière de quelques centaines de milliers de victimes, quelques rares bâtiments qui avaient échappé à la destruction totale et les quartiers de la rive droite de la Vistule, autrefois les plus pauvres, où vivaient avant guerre 10 % de la population de la capitale.

A part cela, il ne restait que sa position géographique et... son nom.

Pourtant, la moitié des Varsoviens étaient encore en vie ; dispersés dans le monde, dépossédés de tous leurs biens matériels, ayant cruellement souffert de la guerre, ils gardaient cependant, le souvenir profond et la tradition de ce qui avait été.

Le sort de Varsovie fit l'objet de controverses passionnées entre spécialistes en général. On discuta s'il était possible de reconstruire rapidement la ville et s'il fallait la transformer pour un certain temps en un chantier de construction inaccessible. On se demandait aussi où installer la capitale du nouvel Etat.

Il y avait des visions utopiques de l'avenir, d'une fantaisie envoûtante, des plans théoriques dont la splendeur était en disproportion absolue avec la pénurie des conditions techniques et économiques de la reconstruction. Nombreux étaient ceux qui voyaient en l'occurrence une occasion unique de balayer le passé de la ville, en même temps que tous ses défauts, et de créer quelque chose d'absolument nouveau, de parfait et de fort théorique.

On établissait des plans de la future ville peuplée par des habitants sortis des statistiques, strictement classés d'après des professions numériquement définies et répartis sur des surfaces précises et selon une densité prévue.

Mais la vie a devancé les plans et les théories. Quelques heures à peine après la Libération, les Varsoviens revinrent en masse dans les ruines abandonnées, le nouveau gouvernement ne tarda pas à établir la capitale dans un endroit qui ne convenait certainement pas à un siège administratif, mais dont le nom avait une autorité puissante et unique. Avant qu'on ait pu se procurer des moyens matériels et techniques, les ruines des maisons prirent l'aspect de fourmilières et les Varsoviens se mirent spontanément à reconstruire la capitale.

Les violentes migrations des populations furent l'un des phénomènes caractéristiques de cette première période héroïquement primitive.

En plus des anciens Varsoviens qui revenaient dans leur ville, on vit arriver beaucoup de nouveaux habitants qui trouvèrent un emploi dans le cadre du nouveau système. Le flot humain provenant des territoires qui, à la suite du déplacement des frontières ne faisaient plus partie de la Pologne, passa par la ville, ainsi que de nombreux paysans fuyant les campagnes surpeuplées de notre pays. Enfin, l'industrie varsovienne, reconstruite et considérablement agrandie par rapport à l'avant-guerre, fournit du travail à un nombre d'ouvriers bien plus considérable qu'avant 1939.

Le phénomène que présentait la formation d'une nouvelle population dans une ville ancienne, les changements survenus dans la structure sociale et professionnelle de ses habitants donnent un tableau sociologique d'un dynamisme inouï. Au cours de ces quinze dernières années, il s'est créé une société uniforme à partir des éléments les plus disparates. Seul un spécialiste pourrait maintenant classer la population de Varsovie d'après son origine sociale d'il y a dix ou même cinq ans. Telle est la force d'assimilation en apparence insaisissable, de la tradition varsovienne.

Presque tous les habitants de Varsovie ont changé de domicile, la majorité a changé de profession, beaucoup de campagnards sont devenus, en un laps de temps très court, les citoyens d'une ville d'un million d'habitants.

Presque tous ont modifié leurs habitudes ainsi que les formes et le style de leur vie.

Il nous est très difficile de constater de quelle manière tous ces mouvements migrateurs ont changé le genre de vie des Varsoviens. Cela ressemble à un film qui nous ferait voir se déroulant en quinze ans ce qui a demandé des siècles pour d'autres villes.

Nous avons assisté à la création de places moyenâgeuses aux bâtiments datant du XVIIe siècle, mais dont les intérieurs sont adaptés aux exigences contemporaines. Nous avons vu de nos propres yeux la reconstruction de la cathédrale gothique avec des briques d'époque ; nous avons vu les résidences des nobles du XVIIe et du XVIIIe siècles refaites et adaptées à des finsculturelles ou administratives. La façade classique, seul vestige de l'Opéra construit au début du siècle dernier, orne maintenant l'un des Opéras européens les mieux équipés du point de vue technique.

Sur les piliers des ponts détruits reposent de nouveaux ponts plus spacieux. Sur les anciennes fondations et décombres, de nouvelles maisons ont été édifiées. Cette symbiose des anciens vestiges et de la technique moderne, ainsi que des besoins contemporains de l'homme a donné à la ville son caractère actuel.

Déguisement ? Artifice ? Ou peut-être seulement l'un des anachronismes du XXe siècle ?

Et pourtant, il n'y a pas de fausses notes dans la reconstruction des anciennes formes. La reconstruction du passé se fait en fonction des besoins, de la nostalgie et des sentiments d'une population à laquelle on a voulu arracher son passé. Et bien que ce travail requière d'immenses efforts de la part du savant-conservateur et une parfaite précision dans la reconstruction scientifique, ce n'est pas un passé falsifié où les monuments reconstitués rappellent souvent, non pas leur époque, mais celle de leur reconstruction, qui nous est restituée.

D'ailleurs, la première période de la reconstruction de Varsovie, période de difficultés et de conditions techniques primitives, ne différait en rien, par sa technique et par ses matériaux, du système de travail des siècles révolus. C'est ce qui donne de l'authenticité aux bâtiments reconstruits.

Il est difficile aujourd'hui d'expliquer aux Varsoviens pourquoi ils s'acharnent tous instinctivement à habiter dans de vieilles maisons malgré les possibilités qui leur sont offertes de se loger dans des immeubles modernes, construits dans des cités pleines de verdure et d'espace. Et pourtant on préfère vivre dans des murs anciens bien que nouveaux. Peut-être leurs locataires ont-Ils ainsi le sentiment d'être réellement des anciens citoyens de la ville ou peut-être est-ce dû au côté anarchlque et à la puissante individualité des Varsoviens, qui sont plus à l'aise dans des cadres moins réglementés et plus capricieux que celui des grands immeubles modernes.

Varsovie la jeune

Les anciennes formes de la ville ont repris vie, le réseau des rues, tracé il y a des siècles, la seule forme géométrique visible dans une mer de décombres, est devenu la charpente du nouveau plan, mais ce qui avait constitué la grille monotone des rues banales d'une cité du XIXe siècle a, à présent, assumé différentes fonctions.

Certaines rues ont perdu de leur importance pour devenir des voies d'accès locales et d'autres ont accédé au rôle de larges artères du trafic urbain. Beaucoup de rues devaient disparaître des plans urbanistes, mais la force de la tradition l'a emporté : elles existent et sont vivantes. La vie qui reprenait et l'ordre urbaniste d'une nouvelle ville sont entrés en compétition et les conflits ont été tranchés, tantôt en faveur de l'une et tantôt en faveur de l'autre partie.

Une nouvelle et vivante école d'urbanisme en a été le résultat. Elle fit d'une façon conséquente passer les plans du stade des beaux rêvées Inaccessibles à celui de la réalisation, tandis que la population se rendait compte de sa propre importance, grâce à la possibilité qui lui était donnée de modifier des plans parfois trop théoriques.

De même que dans le réseau urbain de nombreuses capitales et métropoles européennes il nous est facile de retrouver le plan des rues d'un camp de légionnaires romains, dans le plan de la nouvelle Varsovie, on peut découvrir la trame des anciens chemins de campagne de la région agricole environnant la petite ville médiévale.

Varsovie a retrouvé le chiffre de sa population d'avantguerre, mais sa superficie a sextuplé. Avant 1939, la densité de la population était effrayante. Il y avait des quartiers du centre où elle atteignait 2 000 personnes par hectare. Aujourd'hui, cette population vit dans une libre dispersion et on voit souvent des terrains verts là où se trouvaient autrefois les pâtés de malsons les plus serrés et les plus misérables. D'un labyrinthe monotone de rues sans agrément, est sortie une ville spacieuse, avec de la verdure, et dont seulement certaines parties ont conservéleurs anciennes formes.

Mais ce n'est pas seulement par rapport à l'histoire que nous avons vécu, en un temps si court, des siècles entiers. Ces quinze dernières années doivent être séparées en divers fragments dont chacun représente des périodes de développement distinctes.

Cela a commencé par une reconstruction primitive et spontanée. De nouveaux ensembles archltectonlques ont fait leur apparition dans la capitale, d'après la trame d'une ville renaissant organiquement sur ses anciennes fondations et conservant les éliminations périmées des anciennes propriétés. Certains endroits, jusqu'à présent peu importants, ont monté en grade etsont maintenant des centres de communication qui cristallisent la vie du centre de la cité.

Cependant, les difficultés soulevées par la conciliation du nouveau et de l'ancien ont favorisé la construction de nouvelles cités en bordure de la ville, sur des terrains encore vides et permettant de développer librement des bâtiments modernes. Ce développement d'un grand anneau de cités autour des ruines du centre provisoirement aménagé parut en quelque sorte paradoxal. Il provoqua un fort courant de réactions prônant l'établissement de quartiers d'habitation dans le centre même de la ville.

Malheureusement, cela entraîna l'édification en plein centre de certains secteurs pas trop denses et une orientation éclectique de l'architecture qui reprenait les défauts ainsi que, d'ailleurs, la richesse d'ornementation des formes archltectoniques du XIXe siècle. Cette orientation a permis de construire, à l'échelle d'une grande ville, avec des moyens techniques anciens et avec l'appui de l'artisanat et des matériaux traditionnels. Certaines parties du centre sont devenus des organismes vivants, au cours de cette période, qui s'est terminée par l'édification du Palais de la Culture et de la Science, haut de 200 mètres, siège de l'Académie Polonaise des Sciences. Ce monument détermine le centre de la ville et l'échelle de ses constructions.

Bien que, du point de vue archltectonique, ce bâtiment de forme traditionnelle appartienne à la période révolue, il a inauguré, par ses dimensions et par son rôle social, la période de la construction du centre moderne de la capitale. Nous vivons aujourd'hui sous la pression des exigences de la vie. Le développement impétueux de la population de Varsovie, son accroissement rapide et la grande densité de l'habitat nous obligent à une construction toujours plus moderne et plus nombreuse de logements et de bâtiments scolaires, de services de santé et de locaux destinés à l'approvisionnement des Varsoviens.

Nous nous trouvons maintenant dans la période du puissant essor de la préfabrication, de l'industrialisation de la construction et de l'emploi de nouveaux matériaux. Sur la toile de fond de l'ancien plan et parmi les vestiges du passé croît une ville nouvelle dotée d'une technique contemporaine et offrant de nouveaux cadres de vie sociale à la population, qui constitue malgré la tragédie de la guerre, les destructions et les déplacements un milieu très vivant.

Ces lieux ont vu trop de malheurs pour que, par la loi du contraste, la joie de vivre ne s'y épanouisse pas avec une grande plénitude.