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Inclusion dans l’éducation : une crise très utile

Parul Bakhshi, Steve Taff, Jean-Francois Trani, & Ian Kaplan — 8 juin 2020

Le Laboratoire d’idées sur Les futurs de l’éducation a pour objet de mettre en valeur des articles originaux de recherche et d’opinion qui portent sur des questions examinées dans le cadre de l’initiative « Les futurs de l’éducation » de l’UNESCO. Les idées exprimées ici sont celles des auteurs ; elles ne sont pas nécessairement celles de l’UNESCO et n’engagent pas l’Organisation.

Parul BAKHSHI, Steve TAFF, Jean-Francois TRANI, Ian KAPLAN - Quote Card - Ideas LAB FR

Les avertissements selon lesquels l’éducation est « en crise » et a besoin d’un « changement de paradigme » ont été une constante ces 50 dernières années. Le rapport Faure de 1972 affirmait que l’apprentissage doit aller au-delà de l’enfance et de la jeunesse et durer toute la vie. Un quart de siècle plus tard, le rapport de la Commission Delors affirmait que l’apprentissage tout au long de la vie devait reposer sur quatre piliers : apprendre à connaître, apprendre à faire, apprendre à vivre ensemble et apprendre à être. C’est pour appuyer cette vision que l’UNESCO a lancé l’initiative Éducation pour tous (EPT), avec six objectifs distincts conçus pour façonner l’apprentissage dans le monde de 2000.

Ces débats axés sur les valeurs ont toutefois occulté une réalité très différente. Ces 50 dernières années, on a assisté à une accélération exponentielle de l’accroissement des inégalités dans le monde. Simultanément, la discrimination économique et sociale, les disparités d’accès aux ressources et la multiplication des catastrophes provoquées par le chaos climatique ont été aggravées par l’enracinement de conflits prolongés et l’arrivée au pouvoir de dirigeants autoritaires et nationalistes. Le lien complexe entre ces facteurs a fait entrer le terme « crise » dans un nouveau registre de peur et d’incertitude.

Ces crises ouvertes ont été sous-tendues par un courant de systèmes et de politiques qui ont subtilement, mais sûrement, jeté et solidifié les bases de notre situation actuelle. Alors que nous envisageons l’activité d’ « apprendre à devenir », il convient de regarder de près où nous en sommes. Bien que les notions d’inclusion et d’équité aient été omniprésentes, sous une forme ou une autre, dans les débats et les discours relatifs à l’éducation, depuis au moins 2000 et la fixation des Objectifs du millénaire pour le développement, il a indéniablement prédominé une tendance à mesurer la réussite par la normalisation, en fondant les résultats de l’éducation en grande partie sur des tests et des notes. Cette optique a été justifiée par des arguments pratiques de préparation au monde réel, la création d’emplois et la production de citoyens économiquement productifs constituant les buts ultimes de l’éducation. Mis à l’écart par une focalisation étroite sur les objectifs économiques et sur le marché, les importants discours sur les autres valeurs de l’éducation ont été pour la plupart relégués aux travaux universitaires, aux documents d’orientation et aux conférences internationales.

La valeur d’ « inclusion » est un exemple de la tension qui existe entre les idéaux revendiqués et les programmes concrets. L’affirmation que l’éducation devrait être universelle peut sembler incontestable. Cependant, si l’on compare les aspirations de la Déclaration de Salamanque de 1994, qui appelait à ce que tous les enfants handicapés aient accès aux écoles ordinaires, à la réalité qui est qu’une majorité de ces enfants restent exclus (Rapport mondial sur le handicap 2018), il semble que ces efforts n’aient pas été réellement optimisés. À ce jour, l’éducation inclusive est restée synonyme d’éducation d’enfants ayant des « besoins spéciaux » et a été abordée à travers une vision limitée d’accès-rétention-achèvement. Récemment, des efforts ont été faits pour reconnecter les valeurs de l’éducation avec une compréhension plus holistique de sa qualité, ainsi que pour travailler à une plus grande équité dans l’apprentissage. Cependant, les changements perceptibles (« mesurables ») ont été trop peu nombreux et trop espacés.

Conventions et de politiques ont été construites
pour faire en sorte que la contradiction entre ce qui
est dit et ce qui est fait ne devienne pas trop évidente

Il nous faut recadrer les débats autour de la profonde déconnexion qui existe entre les valeurs qui devraient soutenir l’éducation, épousées dans le domaine politique, et la façon dont nous voyons le progrès et la réussite des systèmes éducatifs. Malheureusement, les valeurs d’inclusion et d’équité remettent directement en cause le programme néolibéral que les systèmes éducatifs sont de plus en plus souvent conçus pour appuyer. Le réseau de traités, de conventions et de politiques, d’une part, et de pressions politiques autour des ressources scolaires, de la responsabilité des enseignants et des progrès des élèves, d’autre part, a été construit pour faire en sorte que la contradiction entre ce qui est dit et ce qui est fait ne devienne pas trop évidente. Pour opérer la déconnexion, on a amolli les valeurs sociales et solidaires qui devraient étayer la pensée et la mise en œuvre de l’éducation ; les idéaux fondamentaux ont ainsi été revus pour s’adapter à un ensemble limité d’outils standardisés qui déterminent la responsabilité. En conséquence, l’ « inclusion » se mesure maintenant souvent par l’accès physique d’enfants marginalisés aux écoles, par leur maintien dans quelques classes ou par leur accès à des formations professionnelles. Les enfants handicapés remettent profondément en question le processus consistant à ne voir la réussite qu’à travers des tests standardisés et nous obligent à clarifier les contradictions dans lesquelles nous opérons. Il est vrai que la majorité des pays oscillent entre éducation inclusive et éducation pour besoins spéciaux sans aborder les questions essentielles qui entourent l’éducation : en quoi peut-elle aider chacun à devenir ce qu’il peut être ? Que disent de nous nos systèmes d’apprentissage ?

L’année 2020 a donné naissance au COVID-19, suscitant une réflexion globale sur la voie à suivre. La pandémie a également mis en évidence certaines des défaillances des systèmes socioéconomiques et politiques existants, non seulement dans les pays à faible revenu, mais aussi dans des nations plus riches comme les États-Unis, qui ont influencé le programme de développement et les institutions mondiales qui le pilotent, par le biais de financements directs et indirects et de leviers politiques. La maladie nous rappelle également de façon douloureuse, mais puissante, notre interconnectivité et la nécessité de penser et d’agir globalement pour contrer des menaces telles que le chaos climatique, qui, si elles ne sont pas éliminées, menacent notre existence même.

La nécessité d’un « changement de paradigme » est un appel urgent à l’intégrité et à la cohérence. Pour y parvenir, il nous faut premièrement examiner en profondeur le type d’éducation dont nous avons besoin pour affronter les nouveaux défis : non seulement la pensée critique et l’autodéfense, mais aussi la résilience, la compassion et la solidarité. Deuxièmement, il est impératif de réaliser que nos « valeurs d’inclusion » sont devenues une rhétorique qui apaise les critiques du système au lieu d’agir comme des principes fondamentaux qui appuient la prise de décisions et un changement significatif. Troisièmement, il nous faut lier étroitement nos valeurs à des mécanismes de responsabilité. En définissant ce que nous deviendrons, nous ne pouvons pas capituler devant le fait que l’engagement éthique et l’adhésion aux valeurs d’inclusion et d’équité doivent et vont opposer un défi direct au programme néolibéral qui sous-tend tous nos systèmes. Une éducation véritablement inclusive, caractérisée par des résultats authentiques et des mécanismes de responsabilité, peut faciliter le devenir de personnes capables d’atteindre le bien-être et de faire face aux défis mondiaux aux côtés d’autres personnes.

Parul Bakhshi, psychologue sociale, occupe le poste de professeur adjoint à l’Université Washington à St Louis depuis 2012. Ces 15 dernières années, elle a été conseillère en stratégie (UNESCO, UNICEF), experte-conseil en évaluation et formation pour des ONG (Handicap International, Save the Children) et pour l’élaboration de programmes d’études (UNICEF), et associée de recherche universitaire (Leonard Cheshire Disability and Inclusive Development Centre, UCL, Université de Versailles). 

Steve Taff est professeur associé en ergothérapie et médecine du travail et directeur de la Division de l’enseignement professionnel du Programme d’ergothérapie de l’École de médecine de l’Université Washington. Il dirige également le Programme de chercheurs-enseignants à l’École de médecine de l’Université Washington. Ses centres d’intérêt comprennent la théorie de l’apprentissage critique et la philosophie de l’éducation.

Jean-Francois Trani est professeur associé à la Brown School de l’Université Washington à St Louis. Il étudie l’intersection de la santé mentale, du handicap, d’autres formes de vulnérabilité et de l’exclusion sociale et économique, se concentrant sur la conduite d’études de terrain qui éclairent la conception de politiques et de services pour les habitants d’États fragiles touchés par des conflits et d’autres pays à faible revenu. Ses recherches actuelles portent sur l’éducation dans les écoles rurales d’Afghanistan et du Pakistan.

Ian Kaplan a plus de 25 ans d’expérience comme enseignant, animateur, conférencier universitaire, chercheur et développeur de ressources éducatives. Il se concentre sur l’inclusion dans l’éducation des personnes les plus marginalisées et a travaillé sur l’éducation avec des communautés, des ONG/OIG et des gouvernements d’Afrique, d’Europe, du Moyen-Orient et d’Asie du Sud et du Sud-Est. Il travaille actuellement avec le Comité norvégien pour l’Afghanistan (NAC) en tant que spécialiste de l’éducation et dirige également l’Enabling Education Network (EENET), réseau mondial de partage d’informations sur l’inclusion dans l’éducation, composé de praticiens et de chercheurs.

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Bakhshi, P., Taff, S., Trani, J-F., & Kaplan, I. (8 juin 2020)Inclusion dans l’éducation : une crise très utile
. LABO Idées de l'UNESCO - Les futurs de l'éducation. Repris à partir de https://fr.unesco.org/futuresofeducation/ideas-lab/inclusion-education-crisis-utile.

Citer cet article (format MLA)
Bakhshi, Parul, Taffet al. “Inclusion dans l’éducation : une crise très utile
”. LABO Idées de l'UNESCO - Les futurs de l'éducation. 8 juin 2020, https://fr.unesco.org/futuresofeducation/ideas-lab/inclusion-education-crisis-utile.

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