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Building peace in the minds of men and women

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Toute l’œuvre culturelle de l’UNESCO est fille de l’angoisse et de I’espérance

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Jean d'Ormesson à l'UNESCO, en 1976.
© UNESCO

8 décembre 2017

Si la culture ne veut pas rester une survivance des temps passés, roulée dans la vénération ou dans l’indifférence où dorment les dieux morts, sacrée parce que personne n’y touche, elle doit se retremper aux sources où elle renaît et se confier à l’avenir - voici l'une des leçons essentielles que Jean d'Ormesson retient dans l'étude consacrée à la culture qu'il a publiée, à l'occasion du 25e anniversaire de l'UNESCO, en 1971, dans l'ouvrage Dans l’esprit des hommes. Quelle est l'étendue et quelles sont les limites de la coopération intellectuelle internationale dans le domaine de la culture ? La profondeur de ses réponses est à la hauteur de la complexité des questions. 

par Jean d'Ormesson

La culture est aussi vieille que l’homme. C‘est la conscience de la culture et la réflexion sur son destin qui ont mis un peu plus de temps à connaître peu à peu la fortune que l’on sait. Dès ses premières tentatives - et certaines sont très anciennes - la vie internationale prend d’abord le visage de la coopération intellectuelle. Aux époques où la guerre, ou le commerce, ou la religion, ou simplement la distance divisaient profondément le monde, c’est par les lettres des écrivains et des érudits, par leurs voyages dans des pays lointains, puis par des sociétés philosophiques ou par des lectures dans les salons littéraires de poèmes étrangers que débute, obscurément souvent, mais parfois avec éclat, la communication culturelle internationale. La science et l’éducation qui devaient prendre, plus tard, de si brillantes revanches, ne progressent qu’à l’ombre des philosophes et des poètes.

A la fin du premier quart du XXe siècle, dans le cadre de la Société des Nations, l’Institut international de coopération intellectuelle se proposait enfin « d‘assurer le progrès de la civilisation générale et des connaissances humaines, notamment le développement et la diffusion des sciences, des lettres et des arts » et  « de créer un état d’esprit favorable à la solution pacifique des problèmes internationaux ». Les notions d‘éducation et de développement technique ne sont pas encore exprimées. Mais les idées de science, de culture et de paix sont déjà présentes et unies, La conviction n’est pas loin que « les guerres naissent dans l’esprit des hommes » et que « c’est dans l’esprit des hommes qu’il faut élever les défenses de la paix » [Acte constittif de l'UNESCO]. Mais les défenses évidemment n’étaient pas assez solides. Et c’est en effet la guerre, avec ses menaces de dictature et d’anéantissement de l’homme et de sa dignité individuelle, qui allait jeter bas tout le fragile édifice. 

La guerre avait accumulé les morts et les ruines. Mais il y avait peut-être plus effrayant encore : c’était que le jeu combiné des antagonismes idéologiques et des progrès de la science laissait à la paix elle-même un monde profondément divisé et obsédé par la hantise d’une catastrophe, cette fois finale. Pour la première fois sans doute dans l’histoire universelle, la science risquait de se séparer radicalement de la culture et de l’écraser. La guerre - et la paix née de la guerre - avait fait beaucoup plus, et beaucoup pis, que de révéler le caractère périssable de tant d’œuvres d’art et de tant de bibliothèques, elle avait rendu possible, et peut-être plausible, la disparition de toute culture. La fin du monde était passée des brumes ardentes de la légende aux réalités glaciales de la science. A la deuxième session de la Conférence générale de l’UNESCO qui se tenait à Mexico en 1947, Jacques Maritain  [philosphe français, auteur notamment de l'ouvrage Humanisme intégral, 1936]  s’écriait :  « Nous nous réunissons à un moment particulièrement grave de l’histoire du monde [...] L’angoisse des peuples déferle sur tous les rivages [...] ce qui est demandé à l’intelligence humaine, c’est de prendre conscience que nous sommes entrés dans un âge crucial de notre histoire où, sous peine de mort, les gigantesques moyens de puissance procurés par la maîtrise scientifique de la matière devront être soumis à la raison ».

Toute l’œuvre culturelle de l’UNESCO est fille de l’angoisse et de I’espérance : angoisse devant la possibilité de la fin de l’aventure humaine, espérance active en l’homme et en la réconciliation, elle aussi possible, mais enfin incertaine de la science et de la sagesse. Une certaine idée de la culture, de ses tâches et de ses responsabilités n’était plus un agrément, un prestige, un luxe, c’était à proprement parler, et pour tous, une question de vie ou de mort. 

Culture universelle

La difficulté de la tâche venait évidemment du fait que la division même du monde empêchait de lutter efñcacement contre les dangers de cette division. Chacun, dans Babel, est suspect à tous. La condition d’un progres était de dépasser les idéologies rivales vers une action pratique et de se servir des cultures nationales pour établir enfin entre elles une communication féconde et accéder ainsi à i’idée de coopération internationale. Organisation intergouvernementale, l’UNESCO est certainement à l’antipode d’une entreprise de négation des cultures particulières. Son propos n’est pas de les négliger ni de les réduire, mais d’en permettre la confrontation et peut-être, dans une certaine mesure qui devra être précisée, d‘en faciliter la convergence : car par un miracle très lumineux, dans son existence spontanée comme dans la connaissance qu’en prend le savant, chaque culture s’enrichit de l’attention accordée à toutes les autres. La formule d‘une culture universelle, ce n’est pas l’absence de culture nationale, c’est bien plutôt i’ensemble de toutes les cultures nationales. Alors que la science est unificatrice, les lettres et les arts sont de toute évidence marqués par la diversité. Cette diversité doit être cultivée. La science est la contrainte d’une raison universelle, la culture n’est peut-être rien d‘autre qu’une culture de la différence. Ce n’était donc pas par l’uniformité qu’il s’agissait de lutter contre la division, c’était par le dialogue. La culture ne consiste jamais à rendre Babel muette. Elle ne consiste même pas à faire parler à tous la même langue. Osons dire qu’elle consiste surtout à développer dans Babel l’étude des langues étrangères. 

Dans un monde divisé et terrifié par l’idée toute neuve que l’autre nom du progrès, c’était la mort, le premier impératif était de remplacer le mépris par la curiosité, la haine par la connaissance mutuelle, l’idée de force par l’idée de culture. C’est à la lumière de telles préoccupations que s’éclaire, à un premier niveau, tout un domaine important de l’action culturelle de l’UNESCO : les travaux collectifs, les bilans, les ouvrages de référence, les publications savantes, les catalogues d’œuvres d’art, les rencontres internationales - tout ce qu’on pourrait ranger sous la rubrique générale des activités de dialogue. Arrêtons-nous un instant sur ce type d’entreprise grâce auquel l’UNESCO joue dans la culture contemporaine un rôle de tout premier plan.

Elargissement de l’horizon culturel

On connaît le mot fameux : « L’art n’a pas de patrie, mais les artistes en ont une ». Le goût et le service de la culture constituent sans doute une communauté assez forte. Mais que d’efforts n’a-t-il pas fallu, dans les longues années qui ont succédé à la Deuxième Guerre mondiale, pour rétablir entre les chercheurs et les savants, entre les philosophes et les historiens, les chemins oubliés du travail en commun ! Sans même parler des oppositions idéologiques, la seule distance, les considérations financières, la force de l’habitude, certains provincialismes, jusqu’à l’accroissement démesuré du volume de la connaissance constituaient autant d‘obstacles à une ouverture du savoir. Les transformations politiques et historiques du monde apportaient leur lot de nouveaux problèmes au fur et à mesure que les progrès de la technique en supprimaient certains autres. Sans doute devenait-il plus facile de jour en jour de se rendre de Moscou à Mexico ou de New York à Téhéran, mais l’entrée dans la communauté savante de continents entiers enfin rendus à leur existence nationale légitime exigeait des solutions originales. Le colonialisme avait marqué des régions immenses et, jusque bien après sa disparition, les séquelles s’en faisaient encore sentir dans le domaine culturel - un de ceux pourtant où l’exigence nationale était tout naturellement la plus forte. C’est que tous les courants culturels avaient été orientés et que les relations avec les différentes métropoles avaient été manifestement privilégiées. Le réseau des communications aériennes pourrait fournir une image assez éloquente des communications intellectuelles internationales : d’une densité extrême dans certains secteurs avantagés par l’histoire ou la géographie, il demeurait encore très ténu dans beaucoup d‘autres. Et dans bien des cas, pour franchir des distances assez minces, mais qui faisaient passer d’une zone d’influence à une autre, d‘un domaine linguistique à un autre, il fallait faire le détour par les anciennes métropoles. Dans plus d’une partie du monde, une certaine fluidité, qui avait été compromise, allait être rendue au mouvement de la culture et la notion de région culturelle aIIait être reconstruite de toute pièce. 

Dans cette confrontation des cultures, dans cette promotion des cultures historiques régionales, dans cet élargissement de l’horizon culturel, le rôle de l’UNESCO va être déterminant. C‘est grâce en grande partie à l’action de l’Organisation que la machine a pu être remise en marche. Directement ou par l’entremise des organisations internationales non gouvernementales qui lui étaient rattachées et qui maintenaient un contact quotidien avec le monde des arts plastiques, de la musique, du théâtre ou du cinéma, des musées, des universités, des bibliothèques et des archives, des sciences sociales et humaines, l’UNESCO a largement contribué à ranimer la communication intellectuelle internationale dans le domaine de la culture, profondément compromise par cinq années de guerre mondiale. Elle l’a ranimée, et puis elle l’a développée jusqu’à un point auparavant inconnu. 

Embouteillage

Sans doute ne s’agit-il pas de trouver la mariée trop belle. Mais enfin il s’est passé, il se passe aujourd’hui dans le domaine de la culture ce qui se passe partout ailleurs ; il se passe pour la circulation des idées ce qui se passe pour la circulation automobile : gigantisme, pléthore, embouteillage. Après les périls de la pénurie, voici les risques de l’abondance. C‘est un lieu commun que l’accroissement fantastique de la littérature scientifique et culturelle. Mais les lieux communs ne sont que l’expression un peu lassante de la vérité. Chacun connaît - et par expérience - l’envahissement des publications - livres, revues, brochures, collections, documents, papier imprimé de toute espèce. 

On a pu estimer, avec quelque vraisemblance, que le volume des publications dans tel ou tel domaine de la science et de la culture avait été multiplié, depuis trente ou quarante ans, entre cinquante et cent fois. Ce formidable développement n’est pas dû tellement à l’augmentation du travail individuel de chaque chercheur, ni même à l’augmentation de la population globale, mais bien plutôt à l’augmentation du nombre de chercheurs qui publient : dans plusieurs domaines, le volume des publications savantes a crû trente fois plus vite que la population dont étaient issus les savants et on a pu estimer que le nombre des chercheurs y avait augmenté depuis trente ou quarante ans de 2 000 à 5 000 %. Les mêmes constatations pourraient être faites, avec la même satisfaction et la même inquiétude, en ce qui concerne les réunion et les congrès internationaux. Là où les chercheurs soucieux de se rencontrer pour échanger réflexions et informations se comptaient, il y a vingt ou trente ans, par dizaines ou à la rigueur par centaines, ils se comptent aujourd’hui par milliers. Le Congrès international de philosophie tenu à Vienne en 1968 réunissait plus de quatre mille philosophes ! Il est probable que jamais, depuis que le monde est monde, autant de sagesse n’avait été accumulée en une même enceinte. Mais certains, dans ce succès même, trouvent l’annonce d’une menace. L’UNESCO et les organisations qui lui sont associées ont essayé de mettre un peu d’ordre dans ce raz de marée, d‘assainir et d’améliorer la qualité des publications, de suggérer certaines règles aux organisateurs de congrès et de colloques. Elles se sont surtout efforcées de développer partout cette notion de dialogue universel entre les cultures à laquelle elles étaient attachées.

L’UNESCO n’est pas un mécène

C‘est peut-être le lieu ici de préciser un ou deux points et même de dissiper quelques malentendus. Devant l’immensité des besoins de la communication culturelle internationale, l’aide de l’UNESCO ne pouvait, et ne pourra jamais, de toute facon, que constituer un appoint. La simple formulation d’une prise en charge par l’UNESCO des innombrables activités de ce domaine relève de l’humour et du fantastique. Un grand congrès international peut entraîner des dépenses de 300, 400, voire 500 000 ou un million de dollars. Le Congres des études classiques qui s’est tenu à Philadelphie en 1964, les congrès de sociologie ou des sciences historiques réunis à Varna ou à Moscou en 1970 ont obtenu effectivement des gouvernements ou grandes institutions culturelles, directement ou indirectement, des contributions dont le total n’était pas éloigné de ces chiffres. Il est évident que le budget de l’UNESCO - faut-il répéter qu’il est restreint au regard du coût des autoroutes, des avions supersoniques et des porte-avions ? - n’y suffirait pas.

Est-ce reconnaître que l’aide apportée par l’Organisation à la communication culturelle internationale est négligeable? Bien au contraire. Le prestige de l’UNESCO, sa compétence intellectuelle, sa situation indépendante de telle ou telle perspective particulière font que son appui, même limité, apporte une garantie à tous les concours nationaux et peut en constituer l’amorce. Il reste pourtant que ce serait une lourde erreur et une illusion de voir dans l’UNESCO l’héritière du mécénat d’autrefois. L’UNESCO n’est pas un mécène, encore moins une banque où puiseraient les responsables des innombrables projets culturels du monde d’aujourd‘hui : elle est l’animatrice et la régulatrice d‘une coopération internationale à la fois scientifique, technique et intellectuelle au service du développement et de l’universel. La culture a sa place légitime dans un tel édifice - et une place de premier plan. Mais il est bien clair qu’à travers la culture, le vrai souci de l’UNESCO ce n’est pas tant la beauté, ni la curiosité érudite, ni évidemment le délassement, quelque honorable soit-il, ni la conservation des traditions, ni la recherche formelle; ce n’est pas non plus l’agencement d’un appareil de puissance politico-bureauptique. Le vrai, le seul souci de l’UNESCO, en matière de culture comme ailleurs - faut-il dire peut-être :  en matière de culture plus qu'ailleurs ? - c'est le destin de l'homme, sa dignité et son avenir. 

Autour de ce centre et de cette référence s'organisent avec clarté tous les différents aspects de l'action de l'UNESCO. Leur énumération serait longue, inutile et lassante ; un résumé serait injuste. Ce ne sont que quelques illustrations significatives d'un projet d'ensemble très vaste que nous voudrions fournir ici en citant, par exemple et presque au hasard, parmi de très nombreuses publications, Museum ou la Revue internationale des sciences sociales, les grands albums consacrés aux chefs-d'œuvre peu connus ou les livres de poche qui en ont été tirés, la Collection UNESCO d'œuvres représentatives des différentes cultures ou l'Index translationam, bibliographie internationale annuelle des traductions. A travers tous ces ouvrages, ces périodiques, ces instruments de travail, c'est le même projet que poursuit avec évidence l'UNESCO : présenter au grand public aussi bien qu'aux spécialistes, dans toutes les régions de l'univers, une image de l'homme, de sa diversité et de ses efforts, de ses réalisations et de ses possibilités.

C'est la même préoccupation que nous découvrons encore en nous tournant vers quelques-unes des grandes manifestations qui, à l'occasion d'un anniversaire, ont célébré dans la maison de l'UNESCO la personne et l'oeuvre de telle ou telle grande figure de l'histoire lointaine ou récente. Dante ou Einstein, Shakespeare ou Marx, Kierkegaard ou Gandhi ; que sont-ils d'abord, sinon, par leur vision, par leur action, par leur exemple, quelques-unes des plus hautes incarnations de l'humain ? En ce sens, non seulement la poésie ou la philosophie, mais la politique et la science sont encore des images, parmi d'autres, de la culture universelle. C'est que tout entre dans la culture - jusqu'aux paradoxes et aux révoltes, et peut-être le paradoxe et la révolte plus encore que tout le reste, le refus plus que l'adhésion. Le nom de Kierkegaard est éloquent à cet égard. Il était l'individu contre tous les systèmes, l'instant contre le temps qui dure, la solitude contre la collectivité, le point contre l’édifice. Il était la négation même, et l’indignation contre les penseurs. Et il a été célébré à l’UNESCO, dans une cérémonie solennelle, par des professeurs assemblés, avec la bénédiction de toutes les autorités constituées [Kierkegaard vivant : colloque organisé par l'Unesco à Paris 21 au 23 avril 1964]. C‘est qu’avec angoisse et courage il avait écrit une formule qui le situait dans le droit fil des préoccupations de l’UNESCO :  « Il suffit d‘être homme résollument.» Voilà une petite phrase qui à notre époque de slogans pourrait être celui de l’UNESCO. Mais prenons-y garde : c’est un anti-slogan.

Un humanisme universaliste fondé sur le respect de la diversité

L’homme. Sa diversité. Le dialogue entre ses diversités. Comment s’étonner que plusieurs des grandes entreprises collectives de l’UNESCO se soient proposé de développer la connaissance de plusieurs cultures trop peu étudiées et de faciliter les rapports entre des régions culturelles qui s’ignoraient mutuellement ? C’est le premier de ces soucis qui est par exemple à la base du projet d’une Histoire générale de l'Afrique en cours de préparation ; c’est au second que répondait le Projet d’appréciation mutuelle des valeurs culturelles de l’Orient et de l’Occident qui, pendant dix années, de 1957 à 1967, a encouragé et facilité la circulation des idées et des connaissances entre l’Asie et une partie de l’Afrique d‘une part, l’Europe et le Nouveau Monde d’autre part. Des communications culturelles d’un type nouveau se sont alors établies : entre l’Amérique latine, par exemple, et le Proche ou l’Extrême-Orient se sont ainsi noués des liens dont l’absence était déplorable et dont la nécessité se faisait chaque jour sentir davantage dans le monde de la culture moderne. C‘est tout naturellement dans cette même perspective que l’UNESCO allait être amenée à concevoir - en 1950 - et à mener à bien - au prix de quels efforts ! - une de ses entreprises les plus considérables et les plus significatives : l‘Histoire du développement scientifique et culturel de l’humanité. Les caractéristiques essentielles de l’ouvrage sont doubles : ce n’est pas une histoire des batailles, ni des événements politiques, ni de l’évolution économique - c’est une histoire de l’esprit humain ; ce n’est pas une œuvre individuelle ni nationale, c’est une œuvre collective et internationale et universelle. Comment la commission internationale chargée par l’UNESCO de la réalisation du projet a-t-elle accompli sa tâche ? Simplement - si l’on peut dire - en appliquant à la fois à l’objet de ses travaux et à ses méthodes de travail l’exigence d’universel qui est au cœur de l’UNESCO. Est-ce à dire que la subjectivité de l’interprétation a été éliminée par un coup de baguette magique et que les fameuses limites de l’objectivité historique ont été dépassées par miracle ? Evidemment non. Pas plus que toute autre œuvre de l’homme, l'Histoire du développement scientifique et culturel de l’humanité n’échappe à son milieu ni à son époque. Selon la formule du Directeur général, dans la préface de l’ouvrage, « ... il est une subjectivité en quelque sorte consubstantielle à la culture qui fait que la perspective que chaque culture ouvre sur l’universel humain est une projection de son humanité circonstancielle ». Mais « ... l’originalité de la tentative, c’est d‘avoir pris pour système de références la multiplicité des perspectives et des projections culturelles contemporaines ». A la place d’un individu ou d’un groupe national, une équipe internationale ; à la place d’un secteur de l’histoire découpé dans l’espace et le temps, l’ensemble de l’aventure culturelle de l’humanité : voilà l’objet, les méthodes et l’esprit de l’entreprise. Jamais ne fut poussée si loin « la décentralisation des perspectives d’interprétation ». Ainsi s’édifie peu à peu, dans la difficulté et parfois les tourments, un humanisme universaliste fondé d’abord sur le respect de la diversité. 

Science en devenir

L’Histoire du développement scientifique et culturel de l’humanité s’inscrivait dans la diachronie. L‘Etude sur les tendances principales de la recherche dans le domaine des sciences sociales et humaines en représente, si l’on veut, la contrepartie synchronique : c’est l’évaluation des courants et des forces du présent après le rappel de l’évolution passée. C’est une radioscopie des recherches contemporaines sur l’homme. Et il est sans doute insuffisant de parler d’un état ou d‘un bilan des recherches. Il s’agit moins de photographies posées que d‘instantanés de l’effort et du mouvement, moins d’une lanterne magique que de cinéma. Ce qu’il s’agit de dégager, c’est, selon la formule de Claude Lévi-Strauss, « les voies où pourront s’engager les sciences de demain » ou, pour parler comme Jean Piaget, « la science en devenir ... la science qui se fait » [Revue internationale des sciences humaines, n° 1964-4, articles respectivement p. 579 et p. 596]. On voit l’ambition et les difficultés de tout ordre. Difficultés administratives : c’était une tâche presque surhumaine d’animer et de coordonner ce vaste ensemble de travaux ; difficultés intellectuelles : car dégager des recherches innombrables qui se poursuivent sous nos yeux les courants de pensée les plus riches et les plus féconds suppose non seulement les connaissances les plus étendues, mais le jugement le plus sûr et ce qu’on a pu appeler jadis une sensibilité métaphysique aiguë ; difficultés morales enfin : puisque l’effacement devant un travail collectif, l’impartialité, le goût de la vérité, la volonté d’enrichissement mutuel étaient également nécessaires. Après l’Etude sur les tendances de la recherche dans les sciences exactes et naturelles qui a pu servir si utilement de précédent et de terme de référence, les deux parties de l’Etude sur les tendances principales de la recherche dans le domaine des sciences sociales et humaines offrent sur l’ensemble de l’édifice de la science contemporaine une multiplicité de points de vue où se poursuit, à travers la diversité des cultures, des systèmes de pensée, des disciplines et - pourquoi pas ? - des tempéraments individuels, ce dialogue indéfiniment continué, repris, toujours remis en question, jamais achevé, qui reflète - et constitue - l’unité de la science.

Qu'est-ce que la politique culturelle de l'UNESCO

Peut-être est-il maintenant possible, en s’appuyant sur ces quelques exemples choisis parmi beaucoup d’autres, de jeter un coup d’œil d’ensemble sur ce qu’il faut bien appeler « la politique culturelle de l'UNESCO ». A la différence de ce que peut encore évoquer le mot, cette politique ne consiste pas à faire triompher sur les autres une conception particulière de l'homme et de son existence. Mais elle ne consiste pas non plus en un libéralisme abstentionniste, en un « laisser faire, laisser passer » qui n'aboutirait en fait qu'à durcir des situations au lieu de les assouplir. 

La politique culturelle de l'UNESCO est fondée, à un premier niveau - tout ce que nous venons de passer trop rapidement en revue le montre avec évidence - sur l'idée de dialogue. Un dialogue suppose d'abord des points de vue qui se distinguent, s'opposent et peut-être s'affrontent. Qui s'imagine encore que le propos de l'UNESCO est de noyer la spécificité des cultures dans cette nuit dont parle Hegel, où toutes les vaches sont noires ?  L'UNESCO a su montrer, par quelques-unes de ses initiatives les plus retentissantes, que la sauvegarde du patrimoine de chaque culture individuelle était un de ses soucis majeurs. Faut-il encore des exemples ? Il suffit de prononcer les noms de Venise, de Borobudur, d'Abou Simbel, de Philae dont les sauvetages ont tenu ou tiendront le monde en haleine.

Mais ce n'est pas seulement sur les pierres, sur les sites, que s'exerce cette action : le programme de traduction d'œuvres représentatives des différentes cultures constitue aussi, dans son domaine, un témoignage de respect et d'admiration pour ce qui a été fait de grand dans une culture donnée, dans un cadre géographique donné, dans tel ou tel système donné des esprits et des mœurs. Faire connaître en Orient Eschyle et Cervantès, Gœthe et Shakespeare, Balzac et Tolstoï, faire connaître en Occident les poèmes coréens, les proverbes birmans, l'Al-Muqaddima d'Ibn Khaldoun ou le Vrai classique du vide parfait de Lie-Tseu ou le Roman de Wis et Râmh de Gorgani ou l'Ugetsu monogatar d'Akinari Uéda ou le Javed Namah d'Iqbal ou le Chevalier a Ia peau de tigre de Chota Rustaveli, relève du même souci que le sauvetage d'Abou Simbel. Il s'agit de donner à voir, à connaître, à aimer à tous les trésors de chacun.

Comment ne pas reconnaître que toute culture est enracinée dans un sol, qu’elle reflète la couleur inimitable d’un ciel particulier, qu’elle est liée à une langue, à des mœurs, à des croyances, à des systèmes infiniment complexes qui sont le terreau où poussent l’art, la beauté, tout ce qui fait le prix de la vie ? Le but n’est pas de déraciner, le but est de ne pas enfermer la beauté dans le cadre qui lui a donné naissance. D’où tout cet édifice compliqué mais nécessaire qui va de la protection des droits d’auteur et de la protection des patrimoines culturels jusqu’à la libre circulation de l’information culturelle : la clé de l’édifice, c’est un élan de l’universel qui est en même temps, et indissolublement, un respect de l’enracinement et de la diversité des cultures. 

Au-delà des impasses : les droits de l’homme

C‘est ici que se pose un des problèmes majeurs de l’action culturelle de l’UNESCO. La diversité des cultures et leur enracinement sont un fait d’expérience. L’universalité de la culture n’est qu’un espoir lié à un effort : c’est une valeur. Dire d’une organisation et d’une action qu’elles sont soumises à des valeurs, c’est poser du même coup un problème entièrement nouveau, irréductible à toutes les données que nous avons essayé de passer trop rapidement en revue : c’est poser un problème moral. On a pu dire avec une ironie un peu amère que, faute de résoudre les problèmes éthiques qui se posaient à elle, l’UNESCO s’était réfugiée dans l’action. C‘est le problème de l’horizon de l’action internationale qui se pose peut-être aujourd‘hui avec le plus d‘acuité. Le directeur général, M. René Maheu, rappelait, il y a cinq ans, à l’occasion du vingtième anniversaire de l’UNESCO [1966], la formule du philosophe : « L’homme est un être des lointains. » Quel peut être l’horizon commun d’une organisation qui a d’abord pour doctrine le respect de la spécificité et de la diversité ? Le dialogue, avons-nous dit, et l’universel. Mais le dialogue le plus ouvert n’a-t-il pas besoin d’être soutenu par un langage commun, par des références communes, par des valeurs communes ? Et de quelle nature est l’universel auquel s’attache l’UNESCO ?

Nous n’aurons certes pas la prétention de résoudre ici un des problèmes les plus difficiles de la coopération internationale. Disons seulement qu’à cet horizon de la culture telle que l’entend l’UNESCO, on trouvera toute une série d‘exigences dont chacune est essentielle : la vérité - mais la tolérance, la paix - mais la justice - peut-être, en un mot - s’il est possible de résumer en un mot tant d‘impératifs souvent contradictoires, mais que l’idée même de culture consiste précisément à rassembler - peut-être en un mot : les droits de l’homme. Ce que refuse l’UNESCO, parce que l’histoire d’aujourd’hui le refuse, parce que l’aventure de l’esprit humain en est arrivée à un point où elle ne peut que le refuser, c’est un modèle de la culture où les droits de l’homme, de chaque être humain, quelles que soient sa race, ses croyances, ses opinions, ne seraient pas respectés. L’histoire de la culture a pu passer par des stades où l’homme n’était qu’un instrument, un moyen pour des fins qui contribuaient à l’écraser. Aujourd’hui, l’homme est sa propre fin, et toute prétention à la culture passe nécessairement par la double considération de l’être humain comme un moyen vers plus de bien-être ou de richesse, ou plus de savoir ou de beauté, mais aussi, et surtout, comme une fin en lui-même. L’exigence de dialogue et le rêve d’universel qui sont à la base de l'UNESCO ne sauraient, en aucun cas, s’accommoder d’un mépris ni d’une ignorance de l’homme. Enracinée dans des traditions nationales et populaires spécifiques, la culture est un élan vers l’universel, radicalement incompatible avec toute forme d‘aliénation. La culture, c’est l’homme même. 

L'évolution de la notion de culture

Nous voilà parvenus à un point où il est clair qu’une telle notion de culture, qui impose à l'UNESCO une éthique extrêmement large et souple, mais en même temps rigoureuse, comporte quelque chose de tout à fait nouveau par rapport à l’ancienne notion de culture sur laquelle ont vécu - et avec éclat - pendant des siècles, des générations d’artistes et de savants, de connaisseurs et d’amateurs, de mécènes et d’hommes de goût. C‘est le souci de dégager l’essence et la signification d‘une telle culture dans un monde moderne dominé par la technique, bouleversé par la transformation rapide des modes de vie et de communication, qui a conduit l'UNESCO à s’interroger, au-delà des mesures traditionnelles d’aide à la diffusion du savoir, sur les conditions contemporaines de la création artistique et de la recherche scientifique. 

La culture a été longtemps liée à une double notion de passé et d’élite. Elle était considérée comme une activité de luxe, comme le privilège de spécialistes qui avaient seuls accès aux trésors de la pensée et de l’art accumulés tout au long des âges. Trois éléments auront contribué à modifier sensiblement cette situation de la culture : l'activité de l’Etat, la notion de développement et enfin une certaine conception de la vie humaine et de sa dignité. La culture prend ainsi des dimensions originales : elle s’éloigne de l’érudition pour se rapprocher de l’éthique ; elle abandonne le domaine exclusif des beaux-arts et des belles-lettres pour tout ce qui traduit l’élan des hommes vers la beauté et vers la libre expression de leur originalité créatrice ; elle se détourne du passé pour regarder vers l’avenir, elle tente enfin de s’ouvrir le plus largement possible aux masses, aux millions d’hommes et de femmes qui ne réclament pas seulement une participation croissante au progrès matériel, mais qui aspirent encore à savoir, à comprendre, à prendre part au mouvement des idées et des connaissances. Comment étudier ces formes nouvelles de la culture, comment agir sur elles, sinon - selon, à la fois, les principes mêmes de la coopération internationale et les conditions politiques et sociales d’aujourd’hui - à travers les traditions nationales et les responsabilités gouvernementales ? 

Ce sont de telles considérations qui ont amené l'UNESCO à donner une importance de plus en plus considérable à la notion de politique culturelle et à s’engager dans toute une série de démarches dont il faut dire quelques mots. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, et plus particulièrement après le début des années 1960, des gouvernements de plus en plus nombreux ont confié les affaires culturelles à une administration distincte de celle de I’éducation. Cette évolution reflète évidemment les progrès dans le monde de la scolarisation, des moyens de communication, de l’urbanisation, des niveaux de vie - de tout ce développement culturel qui est partie intégrante et dimension du développement total et elle exprime en même temps la volonté des gouvernements de répondre à des besoins nouveaux. Il n’appartient certes pas à l'UNESCO de se substituer aux Etats pour définir leur politique culturelle. Mais un certain nombre d’éléments, de critères d’action, de problèmes techniques peuvent relever à bon droit d’une coopération internationale. C’est à leur étude qu’ont été consacrées, depuis quelques années, des réunions et des publications qui s’inscrivent entre la réunion de la Table ronde de Monaco sur les politiques culturelles, en décembre 1967 et la Conférence intergouvernementale sur les aspects institutionnels, administratifs et financiers des politiques culturelles, qui s’est tenue à Venise en août-septembre I 970. 

Une culture ouverte et vivante 

Quelles sont les leçons essentielles de cet ensemble de travaux? Peut-être est-il permis de les résumer sous un petit nombre de rubriques. D’abord, la culture d’aujourd’hui doit tendre, plus que jamais, à un approfondissement et à un élargissement. Chacun sait naturellement que l’âge des encyclopédistes est, héIas, terminé et que l’avenir de la science et de la culture repose entre les mains de spécialistes de plus en plus étroitement confinés dans leur propre sphère d‘activité. Et l’accumulation constante des connaissances ne permet évidemment aucun retournement en ce domaine. Mais il reste que l’ensemble de la culture ne saurait être coupé de la science, de l’économie, de l’éducation, de la nature elle-même. Il ne peut pas s’agir de tout savoir, il ne s’agit même pas d’avoir des lumières sur tout : il s’agit de rétablir les liens si évidemment négligés entre la culture et la technique, entre la culture et le progrès matériel, entre la culture et l’environnement de l’homme. Voilà des années que les conséquences dramatiques de l‘opposition entre les « deux cultures » - scientifique et littéraire - ont été soulignées avec force. La culture devra cesser de se refermer frileusement sur elle-même sous peine de disparition. Inversement, le milieu, l’éducation, la science seront pénétrés de culture sous peine de catastrophes majeures. Disons que la culture est une totalité et qu’un des drames des temps modernes est d‘avoir distendu les liens qui l’unissaient non seulement à la science mais encore à la nature. L’opposition radicale entre culture et nature, nous en voyons aujourd’hui les périls mortels et pour l’une et pour l’autre. 

Totale donc, la culture aura aussi à être vivante. La culture meurt si elle n’est pas vivante : c’est l’évidence. Malheureusement, ce sont les évidences qui ont le plus besoin d‘être répétées. Une culture vivante, c’est une culture qui ne se contente pas de ronronner à l’abri des révolutions d’hier et des nouveautés du passé, mais qui reste à l’affût de tout ce qui est en train de naître dans un monde toujours neuf. Il est bien évident qu’une attention plus particulière devrait être portée, à cet égard, à deux catégories dont le choix ne saurait être confondu avec une manifestation de discrimination : les artistes créateurs et la jeunesse. Si la culture ne veut pas rester une survivance des temps passés, roulée dans la vénération ou dans l’indifférence où dorment les dieux morts, sacrée parce que personne n’y touche, elle doit se retremper aux sources où elle renaît et se confier à l’avenir. En ce sens, la remise en question, l’irrespect, le scandale même valent mieux que le silence. Les schismes, les hérésies et les blasphèmes sont encore un témoignage de la vigueur des croyances. Les injures memes ressuscitent les morts. Il n’y a que l’oubli qui les tue. 

Totale, vivante, le destin de la culture est d’être ouverte. Comme toujours, les vertus de l'UNESCO sont en même temps ses limites. L'UNESCO est une institution. Comment ne pas reconnaître que les institutions ne sont pas des lieux privilégiés pour le jaillissement culturel ? L'UNESCO n’a pas, ne prétend pas avoir le monopole de la culture. Ce qui se passe d’important dans la littérature, dans l’art, dans la création, dans la pensée d’aujourd’hui n’a pas l'UNESCO pour centre ni pour référence. L'UNESCO ne peut espérer être un instrument efficace de coopération culturelle qu’à condition de cultiver constamment une sensibilité culturelle aussi éloignée que possible des routines et des pesanteurs inhérentes à toute administration. L‘administration des choses de l’esprit est plus difficile que toute autre, car elle est son propre ennemi : dans ce domaine plus encore qu’ailleurs, rien n’échoue comme le succès. 

Tels sont les périls et les exigences - quelques-uns des périls et quelques-unes des exigences - de la collaboration internationale dans le domaine de la culture. Peut-être en avons-nous dit assez pour montrer les difficultés de la tâche. Des voix se sont élevées, ici ou là, au sein de l'UNESCO, pour réclamer en faveur de la culture une priorité accrue et des moyens plus substantiels. Il est bien vrai qu’en un sens tout est culture, que le développement scientifique et technique n’a d’autres fins que l’homme, son bonheur et sa culture : le plus autorisé des porte-parole de l'UNESCO a pu parler ainsi lui-même, à bon droit, d‘un humanisme du développement. Et il n’est pas exagéré d’affirmer que l’humanisme du développement passe d’abord par le développement de l’humanisme. Mais si tout est culture, c’est aussi que la culture d’aujourd’hui est gonflée de science, de technique, d‘information, de sens de la nature, de curiosité et de goût pour les aspects les plus divers de l’activité humaine. Jusqu’à l’organisation administrative et aux organigrammes de l'UNESCO qui reflètent cette interpénétration intime où s’exprime, en matière culturelle comme ailleurs, ce thème de l’interdisciplinaire si à la mode aujourd’hui : la culture y est unie aux sciences humaines et aux sciences sociales. Si l’action n’exigeait pas des distinctions et des ordres, on irait jusqu’à imaginer volontiers des liens, qui auraient paru stupéfiants il y a quelques dizaines d’années, entre la culture et les sciences exactes et naturelles. C‘est dire que la culture est partout, comme la science est partout. La vie de l’homme d’aujourd’hui est imprégnée de culture, comme elle est imprégnée de science et d’information. Ce qui fait l’importance de l'UNESCO dans le monde contemporain, c’est la place éminente - et dont chacun voit tous les jours mille témoignages autour de lui - qu’y ont conquise ensemble la science et la culture.

Ainsi prend forme un effort, qui ne se prétend certes pas au-dessus de toute critique, mais qui a pour raison d‘être et pour justification une certaine idée à la fois de la fraternité entre les nations, de l’indivisibilité fondamentale d’un héritage historique pourtant si merveilleusement divers et, enfin, et surtout, de la dignité de l’homme. Tout s’organise autour d‘une notion d’héritage paradoxalement orientée vers l’avenir, autour d‘une différence profonde qui aspire à l’unité, autour d’une image de l’homme en qui coexiste la double exigence d’une aspiration d’ordre éthique et de la liberté. C‘est à cette tâche immense que se sont attelés les Etats membres de l'UNESCO. Ils ont fait leur, dans le choix des méthodes, la devise de Paul Valéry : « Mettons ce que nous avons de meilleur en commun et enrichissons-nous de nos mutuelles différences.» Quant au but, il reste celui qu’évoquait à l'UNESCO même, à l’occasion de la Campagne internationale pour la sauvegarde des monuments de la Nubie, le ministre des affaires culturelles de la France, André Malraux : « Il n’est qu’un acte sur lequel ne prévalent ni la négligence des constellations ni le murmure éternel des fleuves : c’est l’acte par lequel l’homme arrache quelque chose à la mort » [texte intégral]. Ce qui fait l’importance et la dignité de la culture, c’est que par elle, grace à elle, en elle, ce que l’homme arrache à la mort, c’est tout simplement l’homme lui-même.

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les articles de Jean d'Ormesson publiés dans Le Courrier de l'UNESCO

Jean d'Ormesson

Jean d'Ormesson (1925-2017), de l'Académie française a été Secrétaire général puis Président du Conseil international de la philosophie et des sciences humaines à l’UNESCO, une instance majeure de coopération internationale en matière intellectuelle.