<
 
 
 
 
×
>
You are viewing an archived web page, collected at the request of United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization (UNESCO) using Archive-It. This page was captured on 12:28:51 Dec 05, 2020, and is part of the UNESCO collection. The information on this web page may be out of date. See All versions of this archived page.
Loading media information hide

Construire la paix dans l’esprit
des hommes et des femmes

Grand angle

Les réseaux sociaux, nouvel eldorado des trafiquants

cou_03_20_wide_angle_mashberg_web.jpg

Mosaïque illégalement prélevée en Syrie et mise en vente sur Facebook.

Les sites de ventes aux enchères et les réseaux sociaux sont devenus en quelques années des plaques tournantes du trafic illicite des biens culturels. Si Facebook a récemment proscrit le commerce des antiquités sur sa plateforme, il reste beaucoup à faire pour juguler ce commerce qui offre aux trafiquants une vitrine planétaire.

Tom Mashberg
Ancien journaliste d’investigation au Boston Herald, il collabore aujourd’hui régulièrement à la section culture du New York Times. Spécialisé dans le vol et le rapatriement d'art et d’antiquités, il est également coauteur du livre Stealing Rembrandts: The Untold Stories of Notorious Art Heists, qui retrace l’histoire des vols de plusieurs tableaux et objets d’art.

En juin, après plus de deux ans de plaintes officielles des traqueurs d'antiquités, Facebook a reconnu que son site servait de vaste bazar en ligne pour la vente d’objets d’art pillés au Moyen-Orient.

Le groupe de réseaux sociaux a annoncé un changement majeur de politique et déclaré : « Afin de protéger les objets et les utilisateurs (…), nous interdisons désormais l’échange, la vente et l’achat de tout objet historique sur Facebook et Instagram. »

Il était temps. Selon les experts du projet ATHAR (« antiquités », en arabe), spécialisé dans la traque des trafiquants d’antiquités et l’anthropologie du patrimoine, qui ont dénoncé ces pratiques dès 2014, les plateformes en ligne ne se sont pas beaucoup mobilisées pour empêcher le commerce illicite de reliques et autres objets.

La crise du Covid-19 a aggravé le problème en poussant un nombre grandissant de revendeurs et d’acheteurs vers le net, où ils découvrent qu’en rejoignant certains groupes Facebook non surveillés, ils peuvent entrer facilement sur le marché illégal.

Fléau mondial

Facebook n’est pas le seul point de vente en ligne où des antiquités sont illégalement vendues. Un large éventail de sites d’enchères, notamment eBay, Invaluable, Catawiki et GoAntiques, sont également utilisés pour trouver des acheteurs, principalement situés en Europe et aux États-Unis. La charte d’utilisation de ces sites interdit pourtant théoriquement ces ventes.

Le site eBay, par exemple, a adopté le règlement suivant : « Les annonces d’antiquités doivent indiquer la provenance ou la chronologie de la propriété de l’objet et, si possible, une photographie ou une image numérisée d’un document officiel précisant à la fois son pays d’origine et les modalités réglementaires de sa vente. L’objet doit également être autorisé à l’importation ou à l’exportation. »

Mais, en pratique, il est quasi impossible de bloquer les ventes qui enfreignent ces règles.

« Étant donné le grand nombre d’objets vendus en ligne et la rapidité des transactions », explique Neil Brodie, directeur de recherche à l’université d’Oxford spécialisé dans l’archéologie en péril et auteur de nombreux articles sur le commerce en ligne, « les nombreux services répressifs nationaux ne peuvent pas exercer une surveillance constante du marché en ligne. »

Le nombre d’objets illégaux mis aux enchères en ligne est difficile à évaluer. Dans un rapport de 2019 pour la Commission européenne sur le commerce illicite en Europe, Neil Brodie estimait qu’en 2018, quelque 52 560 lots d’antiquités avaient probablement été vendus au Royaume-Uni, pour un montant de 1,8 million d’euros, une grande partie de ces transactions étant sans doute illégales.

L’UNESCO et ses partenaires chargés de l’application du droit – parmi lesquels l’Organisation internationale de police criminelle (INTERPOL), l’Organisation mondiale des douanes (OMD) et l’Institut international pour l’unification du droit privé (UNIDROIT) – ont également dénoncé l’expansion du commerce en ligne.

Lors d’une vidéoconférence, le 26 juin, en faveur de nouvelles mesures pour empêcher ces ventes, Ernesto Ottone Ramírez, Sous-Directeur général de l’UNESCO pour la culture, a déclaré : « Nous devons redoubler d’efforts pour combattre ce fléau mondial. » Facebook, eBay et d’autres sites sont en effet depuis longtemps sous le feu de la critique pour leur rôle de plateforme du trafic illicite.

Pillage sur commande

Selon les experts, le trafic d’antiquités sur Facebook aurait débuté en 2011, à peu près à l’époque des printemps arabes. Pour Amr Al-Azm, professeur d’histoire et d’anthropologie du Moyen-Orient à la Shawnee State University, dans l’Ohio (États-Unis) et codirecteur du projet ATHAR, c’est vers cette époque que l’État islamique (EI) s’est professionnalisé en matière de pillage des sites archéologiques d’Iraq et de Syrie, en se servant notamment de Facebook.

« Les réseaux sociaux ont supprimé les obstacles à l'accès au marché », explique-t-il. En septembre 2020, avec Katie Paul, anthropologue et codirectrice d’ATHAR, Amr Al-Azm a recensé pas moins de 120 groupes Facebook, la plupart en arabe, liés au commerce illégal des antiquités du Moyen-Orient. Ils totalisent des centaines de milliers de membres.

Les sites d’enchères en ligne constituent également une partie du problème. Mais Katie Paul note que sur eBay, par exemple, « on ne compte pas des centaines de milliers de personnes qui suivent un même vendeur illégal d’antiquités comme c’est le cas pour ces groupes Facebook ».

« C’est une question d’échelle », a-t-elle ajouté. « eBay compte environ 182 millions d’utilisateurs alors que Facebook en dénombre plus de 2 milliards, tout en étant accessible dans l’ensemble des pays en développement. »

D’après Amr Al-Azm, ceux qui cherchent à acheter ou à vendre des objets lancent généralement des recherches dans un groupe Facebook et achèvent les négociations en basculant vers des applications cryptées. Les acheteurs, ajoute-t-il, font également largement circuler les demandes d’objets, incitant à ce qu’il qualifie de « pillage sur commande ».

Dans un rapport, en 2019, ATHAR a publié de nombreuses photos et vidéos tirées de groupes Facebook proposant des mosaïques, des éléments architecturaux, des statues, des masques funéraires égyptiens et même des sarcophages.

Selon Katie Paul, les trafiquants n’hésitent pas à poster publiquement des photos de catalogues de vente aux enchères pour donner une idée de la valeur des objets mis à prix. Les trafiquants en ligne, ajoute-t-elle, s’efforcent également de rassurer les acheteurs illicites sur l’authenticité des objets proposés en postant des photos ou des vidéos montrant leur exhumation in situ. Certains vont jusqu’à afficher des instructions détaillées à l’intention des aspirants pilleurs sur la manière de localiser les sites archéologiques vulnérables et de déterrer correctement les trésors potentiels.

Et pour finir, s’irrite-t-elle, des groupes et des sites consacrés au trafic d'antiquités sont « recommandés » à leurs utilisateurs par les algorithmes des plateformes en ligne : « Chaque fois qu’ATHAR rejoint un de ces groupes pour l’inspecter, l’algorithme de Facebook en recommande trois autres. »

ATHAR a aussi repéré une autre tendance : la vente d’objets d’art aux enchères en direct et en temps réel, où l’on voit les pilleurs les extraire du sol pour en démontrer l’authenticité. Lorsqu’un acheteur remporte un objet, on lui montre comment l’affubler d’une fausse étiquette et l’acheminer via des pays de transit.

Dans le cas où Facebook ou un site d’enchères frapperait d’interdiction un vendeur, Amr Al-Azm et d’autres lui ont demandé de ne pas en supprimer les pages, qui constituent des preuves cruciales pour la police et les experts du patrimoine : bien souvent, les photos et les vidéos téléchargées par les pilleurs sont en effet les seules preuves que ces objets aient jamais existé. Mais pour des raisons de confidentialité des données, les plateformes ne prévoient pas de conserver les contenus supprimés.

Le déferlement d’antiquités sur le marché pourrait bien se poursuivre dans les années qui viennent. Certains trafiquants les conservent souvent pendant des années, le temps que l’attention retombe, ou qu'ils en aient falsifié les documents pour les mettre sur le marché.

Dans ce contexte, les photos et les vidéos des objets volés sont des documents de première importance. « Ce sont, insiste Amr Al-Azm, des preuves numériques qui seront d’une grande valeur pour les scientifiques et potentiellement essentielles aux futurs efforts de rapatriement. »

 

Lectures complémentaires :

Pillage d’antiquités : arrêter l’hémorragie, Le Courrier de l’UNESCO, octobre-décembre 2017

 

Abonnez-vous pour découvrir l’actualité du Courrier. L’abonnement à la version numérique est 100 % gratuit.

Suivez le Courrier sur : Twitter, Facebook, Instagram