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Grand angle

Le marché de l’art victime de son succès

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Deux pièces exceptionnelles – une tête de taureau et une tête de cheval (IVe siècle av. J.-C. - IIe siècle) – présentées parmi d’autres objets saisis par les carabiniers italiens à Rome en 2018.

Très lucratif, le marché noir d’objets d’art et d’antiquité a prospéré notamment grâce à l’engouement des acheteurs, aux carences des législations, à la complicité d’acteurs du secteur, à la multiplication des pillages dans les pays en situation de conflit et au développement des plateformes de vente en ligne.

Marc-André Renold

Professeur à l’Université de Genève, chaire UNESCO en droit international de la protection des biens culturels, directeur du Centre du droit de l’art.

Pas moins de 64 milliards de dollars. C’est le montant qu’a généré le marché international de l’art et des biens culturels en 2019, selon le Global Art Market Report. Ce chiffre, vertigineux, traduit un engouement pour les œuvres d’art et les antiquités qui n’a cessé de croître au cours des dernières années.

Le paradoxe, c’est que cet intérêt représente aussi une menace pour l’intégrité des biens culturels. Car la hausse de la demande n’entraîne pas seulement le développement d’un marché de l’art légitime. Elle encourage aussi les vols dans les musées, les collections privées ou les édifices religieux, voire la destruction irrémédiable de sites archéologiques et le pillage de bâtiments et de monuments anciens.

En l’absence de statistiques, il est difficile de mesurer précisément l’étendue du marché illicite. Les saisies policières records effectuées récemment en Europe laissent toutefois entrevoir son étendue. Deux exemples récents : en octobre 2019, l’opération Medicus visant la Bulgarie a permis à Europol de saisir 4 600 objets et d’arrêter huit personnes. Un mois plus tard, 10 000 objets étaient saisis et 23 personnes arrêtées au cours d’une opération visant cette fois l’Italie.

Blanchiment d’objets

L’implication d’acteurs du secteur – marchands, commissaires-priseurs, conservateurs de musée et acquéreurs particuliers –, qu’elle soit de bonne foi ou non, joue un rôle clé dans ce commerce de biens volés. La complicité de ceux qui fournissent de faux papiers et certificats de provenance est en effet un élément essentiel des stratégies de blanchiment des objets, au même titre que l’absence de réglementation spécifique et de moyens suffisants pour faire respecter la loi.

Car une fois introduits sur le marché légal de l’art par des galeries et des maisons de vente aux enchères, les œuvres d’art et les biens culturels issus de pillages sont difficiles à identifier. Les objets à la provenance douteuse peuvent gagner en visibilité à force d’être vendus dans des galeries ou exposés dans des musées.

La multiplication des conflits au cours des dernières années a encore amplifié ce phénomène. Le Printemps arabe de 2011 et les guerres civiles qui ont suivi ont fait office de catalyseurs pour le vol systématique d’antiquités, commis par des habitants démunis ou par des groupes criminels organisés.

Les musées, sites archéologiques et monuments qui composaient le patrimoine culturel unique de la Syrie et de l’Iraq ont été ravagés par les pilleurs dans ces régions. Dans sa résolution 2347, datant de mars 2017, le Conseil de sécurité des Nations Unies s’en est inquiété et note que le trafic d’antiquités apparaît comme l’une des sources de financement de l’État islamique en Iraq et en Syrie. La résolution souligne également l’utilisation croissante d’Internet pour écouler ces biens.

Le développement de plateformes de vente en ligne et des réseaux sociaux a en effet considérablement facilité la vente de biens culturels soustraits illégalement. Dans le même temps, les progrès technologiques, comme les détections au sonar ou les robots sous-marins, ont permis l’accélération des opérations de fouilles illégales, y compris dans des régions difficiles à atteindre, facilitant la tâche des pilleurs.

Des sanctions peu dissuasives

Face à cette montée en puissance du trafic, les États ont réagi, adoptant des réglementations souvent directement inspirées des Conventions internationales de l’UNESCO. Mais leurs actions se heurtent à plusieurs obstacles. À commencer par les réglementations relatives aux exportations. Trop rigoureuses, elles sont souvent difficiles à appliquer. De plus, les mesures pénales, lorsqu’elles existent, sont généralement assorties de peines peu dissuasives.

Autre problème : le respect des règles en vigueur n’est généralement pas récompensé de manière adéquate. Un grand nombre des objets mis au jour le sont en effet souvent de manière fortuite, à l’occasion d’activités agricoles ou de travaux de construction. Or, en l’absence de récompense et au regard des perturbations de l’activité économique qu’entraînent les fouilles, les personnes ayant découvert des vestiges préfèrent souvent détruire les objets ou les mettre sur le marché noir. Enfin, les mesures juridiques et réglementaires mises en place par les États sont souvent inefficaces lorsqu’il s’agit de contrôler et de réglementer l’activité des acteurs du marché de l’art.

Sans un effort des États pour pallier ces lacunes juridiques et un renforcement de la mobilisation de la communauté internationale, il est à craindre que le trafic de biens culturels ait encore de beaux jours devant lui.

 

Lectures complémentaires :

L’UNESCO et l’Union européenne unissent leurs forces pour lutter contre le trafic de biens culturels

Une résolution historique, Le Courrier de l’UNESCO, octobre-décembre 2017
Pillage d’antiquités : arrêter l’hémorragie, Le Courrier de l’UNESCO, octobre-décembre 2017
Contre les pilleurs et les vandales: sauvons nos trésors, Le Courrier de l’UNESCO, avril 2001

À la recherche de l’art perdu, Le Courrier de l’UNESCO, mars 1999
Le commerce légal et illégal de biens culturels vers et à travers l’Europe : faits, conclusions et analyse juridique, Marc-André Renold, mars 2018

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