Il faudrait construire 90 000 logements par jour, d’ici à 2030, pour répondre aux besoins de 3 milliards de personnes selon UN-Habitat. Face à ce défi, l’architecture de terre propose un certain nombre de solutions. Souvent sous-estimée comme matériau de construction, la terre est pourtant utilisée encore aujourd’hui par plus d’un tiers de la population mondiale. Elle offre des réponses pertinentes aux menaces et défis environnementaux, comme l’explique l'architecte malgache Bakonirina Rakotomamonjy.

Article publié à l’occasion de la douzième édition du congrès mondial Terra 2016, qui se tient à Lyon (France), du 11 au 14 juillet 2016.

La construction des habitats constitue aujourd’hui un enjeu majeur, d’autant que, « le secteur du bâtiment représente entre 25 et 40 % de l’énergie consommée », comme le constate l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE). En effet, la construction industrielle utilise d’importantes quantités de pétrole pour l’extraction des matières premières, leur transformation en matériau de construction, leur transport, leur distribution et leur élimination en fin de vie. De plus, le chauffage et la climatisation des habitats, auxquels on recourt de plus en plus en raison des contraintes climatiques, ne font qu’augmenter la consommation de l’énergie.

Face à ce constat, la terre comme matériau de construction offre des réponses pertinentes aux défis environnementaux. "Prête à l’emploi" et souvent disponible à proximité des chantiers de construction et  la terre est utilisée pour la construction de planchers, de murs, de toitures ou, tout simplement, pour la réalisation d’enduits à moindre coût. Elle nécessite peu de transformation et présente des performances hygrothermiques avantageuses : isolation thermique, protection solaire, ventilation, chauffage, refroidissement... Parmi les nombreux exemples, je citerais les habitats troglodytes à Matmata, en Tunisie, qui conservent une température permanente de 20 degrés Celsius, quelle que soit la température de l'air à l'extérieur. 

Outre ces aspects environnementaux et économiques, il ne faut pas sous-estimer l'aspect social: l'édification et l'entretien régulier des édifices en terre engendre une dynamique sociale qui favorise la cohésion et permet la transmission des savoirs traditionnels. Le cas le plus connu et aussi le plus emblématique est le crépissage annuel des mosquées du Mali, notamment à Tombouctou, site du patrimoine mondial. Ali Ould Sidi, Chef de la Mission culturelle de Tombouctou Thierry Joffroy, Architecte, CRATerre, ont décrit dans le menu détail ce rituel annuel, organisé « juste avant l'hivernage, de façon à préparer les mosquées à  l'agression des pluies » et « anticiper les risques de dégradation ». Dans Les pratiques de conservation traditionnelle en Afrique (ICCROM, 2005), ils expliquent que les travaux sont organisés le dimanche, à l'appel de l'imam, « afin de permettre la mobilisation d'un maximum  d'énergie ». Ce travail étant considéré comme une obligation religieuse et sociale, tous les jeunes en âge de travailler y participent. « Ils s'activent à la préparation et au transport du mortier de terre », tandis que les femmes portent l'eau et que les aînés supervisent le travail des maçons.

A travers le monde, les techniques de constructions les plus communes sont la bauge, le pisé, la brique crue et le torchis. La bauge consiste à empiler directement des mottes de terre en levées successives. Les murs en pisé sont montés au moyen de banches, dans lesquelles la terre est compactée à l’aide d’un outil appelépisoir. La brique séchée au soleil, aussi appelée adobe, peut être modelée (façonnage à la main, sans moulage ni découpage) ou bien moulée (dans un simple cadre en bois ou en métal). Le torchis est un mélange de terre et de paille qui sert de garnissage à une structure porteuse en matériau végétal (bois, joncs, etc.).

Chan Chan, ville de terre au Pérou. © UNESCO/Jim Williams

Utilisées depuis onze millénaires, ces techniques ont fait leurs preuves. Un peu partout dans le monde, des chefs d’œuvres architecturaux témoignent de performances techniques, écologiques, culturelles, sociales et économiques de l'architecture de terre. Chan Chan, au Pérou, la ville plus importante de l'Amérique précolombienne qui s'étendait sur 20 km2, l’ancienne forteresse de Kyz-kala dans l'ancienne Merv,  au Turkménistan, ou encore les maisons et tours dressées sur plusieurs étages dans la vieille ville de Sana'a, au Yémen, sont quelques-uns des exemples les plus emblématiques. 

La vielle ville de Sana'a, au Yemen. © UNESCO/Maria Gropa

Avec les tons ocre de ses immeubles, construits en terre crue sur un rez-de-chaussée en pierres, qui se confondent avec les couleurs des montagnes alentour, Sana'a témoigne de la capacité de ses bâtisseurs à tirer le meilleur parti de leur environnement tout en s’y intégrant harmonieusement. Il en est de même pour les imposants Tulou du Fujian, en Chine, cet ensemble de 46 maisons de terre, disséminées sur plus de 120 km qui pouvaient héberger jusqu’à 800 personnes. Autre exemple d'ingéniosité et d'harmonie : l'architecture "bahareque" que l'on rencontre notamment dans le Paysage culturel du café de Colombie.

Utilisant le torchis, les cannes tressées et les bambous (réputés pour leur résistance et leur malléabilité), cette technique souple et dynamique a un potentiel de réponse aux séismes considérable, attesté par des études récentes.

Tulou du Fujian, en Chine. © CRAterre/Cloquet
Une mauvaise réputation injustifiée

Et pourtant, l'architecture de terre est injustement stigmatisée, précisément lors des catastrophes naturelles. Prenons comme exemple le séisme de 2003 à Bam, en Iran. Les briques de terre ont été aussitôt désignées comme les principales coupables de la mort de plus de 25 000 personnes. Or, la plupart des victimes habitaient non pas dans la ville historique où l'architecture de terre est dominante, mais dans la nouvelle partie de la ville où s’imbriquaient de manière incohérente une multitude de bâtiments « modernes », fruits d’une hybridation mal contrôlée de techniques industrielles et traditionnelles.

En effet, l'architecture vernaculaire de terre n'a d'intérêt parasismique que si ses principes constructifs sont respectés. A la suite du tremblement de terre catastrophique qui a frappé Haïti en 2010, l'architecte italienne Annalisa Caimi, de l’Ecole Nationale Supérieure de Grenoble (France) a mené des études sur le terrain qui lui ont permis de constater «  la pertinence de certaines techniques constructives traditionnelles qui ont été en mesure de limiter l’exposition des occupants au risque de graves atteintes physiques. »  

Lorsqu’elle est associée à un matériau résistant à la tension, tel que le bois, la terre est capable d'amortir les contraintes engendrées par les séismes. C'est pourquoi, la valorisation des savoir-faire ancestraux constitue, pour reprendre les propos d'Annalisa Caimi, « les bases pour entamer une amélioration des modes de construction et envisager un renforcement des compétences existant déjà localement, en vue d’une réduction de la vulnérabilité à long terme des communautés locales. »

Haïti : Une des maisons du programme de reconstruction soutenu par l’ONG Misereor qui reprend un principe traditionnel d’ossature bois et remplissage terre. 
© CRAterre / T. Joffroy

Pourtant, malgré l'intérêt évident de la transmission des savoir-faire, les pratiques traditionnelles de construction sombrent doucement dans l'oubli et la main d’œuvre véritablement qualifiée se fait de plus en plus rare. De telle sorte qu'une grande partie du patrimoine architectural dans le monde – y compris sur les sites inscrits sur la Liste du patrimoine mondial - est menacé de dégradation.

Cela n'empêche pas un tiers de la population mondiale d'aujourd'hui de recourir à l'architecture de terre. Mais la méconnaissance de son potentiel constitue un frein au développement d’une filière officielle des techniques qui lui sont associées. D'autant que le secteur des matériaux industriels, largement aidé par l'éducation formelle et par la réglementation, a fini par conquérir le quasi-monopole du bâtiment un peu partout dans le monde.

Cela dit, la terre et en train de reconquérir le champ de l'architecture contemporaine. Quelque 350 nouveaux projets, élaborés dans 67 pays, ont présenté leur candidature à TERRA Award, qui a lancé en 2015 le premier Prix international des architectures contemporaines en terre crue. Les 40 bâtiments finalistes font l’objet d’une exposition itinérante intitulée Architecture en terre d’aujourd’hui proposée par amàco,CRAterre et Muséo Editions. Une nouvelle dynamique architecturale est en train de naître, qui ouvre la voie vers le développement à grande échelle d’habitats plus écologiques et plus économiques.

La bibliothèque publique d’Ambepussa, au Sri Lanka, finaliste du TERRA Award, a remporté la médaille d’argent au Global Holcim Award 2015
© Kolitha Perera
Un programme UNESCO pour l'architecture de terre

En 2007, le Comité du patrimoine mondial a approuvé le lancement du Programme intégré du patrimoine mondial pour l'architecture de terre (WHEAP, 2007-2017).Ce programme vise l’amélioration de l’état de conservation et de gestion des sites architecturaux en terre à travers le monde qui représentent 20 % des biens culturels et mixtes inscrits sur la Liste du patrimoine mondial, dont la terre crue est un des éléments constitutifs.

Le programme cherche à accroître la reconnaissance de l'architecture de terre et à créer un réseau mondial actif pour l'échange d'informations et d’expériences. La phase préparatoire du WHEAP, achevée en 2008, a été suivie de trois phases, chacune se concentrant sur deux régions du monde : la phase 2 (2009-2011) se concentre sur l’Afrique et les Etats arabes, la phase 3 (2012-2014) sur l’Amérique latine et l’Asie centrale et la phase 4 (2015-2017) sur l’Europe et l’Asie.

Des projets pilotes menés sur des sites en terre permettent d'identifier les meilleures pratiques de conservation, de développement des techniques et d'amélioration des savoir-faire. Leurs résultats sont diffusés afin d'aider à la définition des lignes directrices et à l'amélioration des politiques de conservation.

Principaux partenaires

Le WHEAP est mis en œuvre avec l’expertise du Centre international de la construction en terre (CRAterre), qui œuvre depuis 1979 à la reconnaissance du matériau terre et poursuit trois objectifs : mieux utiliser les ressources locales, humaines et naturelles, améliorer l'habitat et les conditions de vie et valoriser la diversité culturelle. Le programme implique également l’assistance technique des principales institutions internationales de conservation : le Centre international d'études pour la conservation et la restauration des biens culturels (ICCROM), le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), ainsi que des institutions régionales l’Ecole du Patrimoine Africain (EPA, Bénin), le Centre pour le développement du patrimoine en Afrique (CHDA, Kenya), le Centre de restauration et de conservation de l'architecture de terre (CERKAS, Maroc) et l'Université d'Udine (Italie).Dans le cadre des activités, le programme cherche une coopération et des partenariats avec d'autres institutions spécialisées ainsi qu’avec des autorités gouvernementales nationales et locales.

L’ensemble des activités du WHEAP sont développées grâce au soutien financier accordé par le Comité du patrimoine mondial par l'intermédiaire du Fonds du patrimoine mondial, et aux autres appuis tels que le compte spécial UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel de l'Egypte, l'Accord de coopérationConvention France-UNESCO, le fonds-en-dépôt italien, le fonds-en-dépôt espagnol et le Centre pour la culture et la recherche Shaikh Ebrahim Mohammad Al-Kalifa / ARCAPITA Bank B.S.C du Bahreïn, etc.

Principaux résultats

Un des résultats les plus importants du programme est l’inventaire précis des biens construits en terre inscrits sur la Liste du patrimoine mondial, élaboré par l’UNESCO et CRAterre en 2012, il a permis, selon Thierry Joffroy et David Gandreau, les deux auteurs principaux, de collecter des données clés pour « planifier et mettre en œuvre des activités qui prennent en compte des problématiques communes de gestion et de conservation auxquelles doivent faire face les gestionnaires de biens, tout en les alertant sur la nécessité de contextualiser et d’adapter les orientations à la grande diversité des patrimoines en terre, et donc d’engager à adopter non pas des recettes, mais des approches méthodologiques ». 

Au titre des projets pilotes phares du WHEAP nous pouvons citer l’étude sur les bâtiments traditionnels en terre pour la conservation durable des Eglises troglodyte de Lalibela en Ethiopie; le projet de réglementation de la construction pour les villes anciennes de Djenné et de Tombouctou au Mali avec la publication de spécifications techniques illustrées ; et le projet d’appui aux habitants à conservation de la ville historique de Cuenca en Equateur.

En réponse à l’actualité, le WHEAP a aussi été le cadre d’une des actions les plus emblématiques de l’UNESCO de ces dernières années, celle de la reconstruction des mausolées de Tombouctou suite aux destructions perpétuées en 2012 par des groupes armés qui occupaient la région. Les nombreuses recherches et investigations menées à partir de 2013 , associées aux efforts menés par la MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali) ont été clés pour préparer puis mettre en place le programme de reconstruction des mausolées, et ce dans un cadre global, holistique, celui posé à travers le plan d'action de l'UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel du Mali, adopté en février 2013 par le gouvernement du mali avec l’ensemble de ses partenaires.

Reconstruction des mausolées à Tombouctou, Mali, 2015.
© CRAterre/T.Joffroy

Par ailleurs, le WHEAP a engagé des actions de renforcement de capacités tels que le développement de matériel didactique pour les établissements de formation régionaux EPA (Ecole du patrimoine africain, Porto-Novo, Bénin) et CHDA (Centre pour le développement du patrimoine en Afrique, Kenya), avec le soutien du fonds-en-dépôt italien ;  et l’atelier sur les artisans de terre en Amérique latine et dans les Caraïbes à Tlaxcala, au Mexique (2009) soutenu par le fonds-en-dépôt espagnol.

Terra 2016

Le programme WHEAP, qui prendra fin en 2017, soutient l’organisation de la douzième édition du congrès mondial Terra 2016 qui se tient à Lyon (France), du 11 au 14 juillet 2016. Quelque 800 participants, de plus de 60 pays des 5 continents, y sont attendus.

Depuis 1972, année de sa première organisation à Yazd en Iran, ce congrès rassemble des professionnels issus des domaines de la conservation du patrimoine, de l’archéologie, de l’architecture, de l’urbanisme, de l’ingénierie, des sciences sociales, ainsi que du développement local et de l’intervention en situations de risque.

Cette édition est axée sur la conservation du patrimoine et le développement durable. La conservation du patrimoine bâti en terre sur les sites archéologiques et historiques y est examinée au même titre que l’architecture contemporaine et les habitats économiques. Un intérêt particulier est porté sur les réponses aux catastrophes et crises, aussi sur le plan de la recherche scientifique que sur celui de la sensibilisation et de l'éducation.

Bakonirina Rakotomamonjy

B. Rakotomamonjy est une architecte malgache spécialisée dans l'architecture de terre, et consultante internationale dans la gestion et la conservation du patrimoine culturel immobilier. Depuis 2002, elle a réalisé 80 missions de coordination, d’appui technique et d’évaluation dans 28 pays de 4 continents. Elle a été experte pour le Centre du patrimoine mondial, l'ICOMOS et l’ICCROM pour des missions d’évaluation de biens patrimoniaux et de suivi réactif. Elle est coordinatrice pédagogique d’AfriCAP 2016 pour l’AIMF et responsable du thème « Patrimoine et développement » au Centre international pour l'architecture de terre (CRAterre) dans l'unité de recherche Architecture, Environnement et cultures constructives (AE&CC), France.