Les océans couvrent 70 % de notre planète. Or, près des deux tiers se trouvent au-delà de zones relevant d’une juridiction nationale. Ces zones marines situées au-delà des limites de la juridiction nationale (ZAJN) représentent la moitié de notre planète.

Elles renferment des merveilles de nature, comparables à des sites terrestres comme le Parc national du Grand Canyon aux États-Unis, les Îles Galápagos en Équateur ou le Parc national de Serengeti en République-Unie de Tanzanie. Elles abritent des îles fossilisées englouties hébergeant une grande diversité de coraux et autres formes de vie marine, des volcans géants formant de vastes monts sous-marins qui dépassent pratiquement les plus hautes montagnes sur terre, une « forêt tropicale dorée flottant à la surface de l’océan » avec ses créatures insolites ou même une zone profonde et sombre, où se dressent des tours rocheuses blanches de 60 mètres de haut, semblable à une cité perdue sous les flots. Ces conditions uniques ont également donné naissance à certaines des espèces les plus insolites, la plupart encore inconnues du monde scientifique. On y trouve des formes de vie singulières et si extrêmes que des agences, spatiales notamment, y consacrent des études de cas de première importance, les considérant comme des analogues essentiels pour préparer de futures missions vers des planètes éloignées à la recherche de traces de vie, ou pour stimuler l’innovation en vue de développer la prochaine génération de médicaments.

Rien dans la vision inspirée qui sous-tend la Convention de l’UNESCO concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, adoptée en 1972, ne suggère qu’il faille exclure de cette protection le patrimoine naturel ou culturel de valeur universelle exceptionnelle (VUE) situé en dehors des limites de la juridiction nationale. Dans ses recommandations, l’audit externe indépendant mené en 2011 sur la Stratégie globale de la Convention du patrimoine mondial de 1972 invite le Comité du patrimoine mondial à réfléchir aux moyens appropriés pour préserver les sites ne relevant pas de la souveraineté des États parties mais répondant néanmoins aux critères de VUE. De fait, on imagine mal que les auteurs de la Convention, animés par leur vision clairvoyante de protection du patrimoine mondial, aient pu envisager un avenir dont serait exclue, volontairement ou accidentellement, la moitié de la planète.

Le présent rapport fait suite aux recommandations formulées par l’audit de 2011 et montre que l’heure est venue de corriger cet oubli historique. S’appuyant sur de multiples exemples, il démontre qu’il existe dans les ZAJN de nombreux sites pouvant avoir une VUE. Ces sites sont, semble-t-il, inclus dans la vision promue par le texte d’origine de la Convention de 1972, mais ils ont été négligés dans la mise au point des procédures d’inscription. Ce rapport utilise une approche systématique pour illustrer la VUE que peuvent avoir des sites situés dans les ZAJN. Il tient compte du fait que l’objectif n’est pas tant de dresser une liste indicative officielle de sites que de mettre en évidence, au travers d’un nombre restreint d’exemples, la nécessité et l’urgence d’étendre les dispositions de la Convention à l’autre moitié de la planète. Ce rapport permet également de donner un aperçu de la variété des types de VUE potentielle qui existent dans les ZAJN.

Le rapport explore également les mécanismes qui permettraient aux États parties à la Convention du patrimoine mondial de modifier les modalités de protection et d’inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO de sites situés dans des zones marines ne relevant d’aucune juridiction nationale. S’abstenant de recommander une approche plutôt qu’une autre, il tente d’exposer brièvement les arguments en faveur et en défaveur de chacune des options, compte tenu du fait qu’elles ne sont pas forcément toutes réalisables dans les mêmes conditions. En résumé, trois cas de figure paraissent réalistes : 1) Une interprétation audacieuse de la Convention, soit par des modifications progressives, soit par un changement formel de politique ; 2) Un amendement distinct de l’accord de 1972, s’apparentant à l’accord de 1994 relatif à l’application de la Partie XI de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNDUM) ; et 3) Un protocole facultatif à la Convention de 1972, négocié à l'échelle internationale entre les États parties et n’engageant que les États qui décident de ratifier le protocole ainsi élaboré.

Le rapport met enfin l’accent sur le fait que l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) a lancé en 2016, dans le cadre de la CNUDM, des négociations pour l’élaboration d’un instrument juridiquement contraignant sur la conservation et l’exploitation durable de la diversité biologique dans les ZAJN. Ce processus se déroule indépendamment des discussions menées au sein du réseau de la Convention du patrimoine mondial, mais n’en souligne pas moins clairement le fait que la conservation des ZAJN est véritablement une « idée qui fait son chemin ».

Le rapport Appendices

Cette publication a été rendue possible grâce au soutien apporté par la Fondation Khaled bin Sultan Living Oceans, l’Agence française des aires marines protégées et par le soutien continu du fabricant suisse de montres Jaeger-LeCoultre. Un soutien complémentaire a été fourni par la fondation Nekton.