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Construire la paix dans l’esprit
des hommes et des femmes

Grand angle

Au Canada, un centre pour soigner les maux de l'exil

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On the Jetty (Sur la jetée), port de Barcelone (1979), œuvre du photographe, artiste conceptuel et activiste argentin Marcelo Brodsky, extraite d’une série sur les migrants et l'exil.

Longtemps méconnue, la détresse psychologique des migrants et réfugiés est désormais mieux prise en compte, comme dans ce Service d'aide psychologique spécialisée hébergé par l'hôpital Jeffery Hale de Québec, qui aborde les symptômes des patients en s'appuyant sur leur culture d'origine.

Guy Sabourin
Journaliste indépendant à Montréal

Assane Traoré [le nom a été changé] a récemment quitté l'Afrique de l'Ouest. Aujourd'hui réfugié à Québec, il a été confronté aux massacres et aux violences perpétrés par des groupes djihadistes. Le soir, il s'enferme avec sa famille, met des protections aux fenêtres. Il a toujours le sentiment d'être suivi.

« Il est ici, mais toujours là-bas, comme beaucoup d'autres », explique le psychologue Jean-Bernard Pocreau, professeur titulaire retraité à l'Université Laval et cofondateur du SAPSIR (Service d'aide psychologique spécialisée aux immigrants et réfugiés), qui s'est occupé de lui. « Ce qui était pertinent dans son pays ne l'est plus ici. Son anxiété contamine sa famille. »

D'une manière générale, les migrants ne souffrent pas davantage que la population générale de problèmes de santé mentale (une personne sur quatre au cours de sa vie, selon l'Organisation mondiale de la santé). Mais leur vécu spécifique avant la migration et dans le pays hôte peut accentuer leur détresse psychologique.

Les migrants, qui ont la possibilité de retourner dans leur pays d'origine, peuvent être sujets à la mélancolie et idéaliser la vie qu'ils ont laissée derrière eux. « Ces chagrins peuvent actualiser ou exacerber des pathologies latentes antérieures s'il y avait des fragilités ou vulnérabilités au départ », précise Jean-Bernard Pocreau.

Décoder la souffrance

Mais pour les demandeurs d'asile et les réfugiés qui ont vécu des ruptures et des déchirements, les deuils peuvent être sévères. Ils sont exposés aux troubles dépressifs et anxieux, aux conflits familiaux, à un stress post-traumatique accentué par l'exil, qui s'expriment souvent par des troubles somatiques affectant la tête, l'appareil digestif ou la colonne vertébrale. « Même sans support organique observable, leur souffrance n'en est pas moins très réelle, précise Jean-Bernard Pocreau. La lecture que plusieurs migrants issus de cultures traditionnelles font de leurs difficultés diffère beaucoup de la nôtre. C'est pourquoi nous devons avant tout la décoder. » Ces différentes pathologies affectent en premier lieu la confiance en soi, le lien social et la projection dans l'avenir.

Migrants et réfugiés souffrent également à divers degrés des violences institutionnelles et des agressions répétées qui peuvent survenir dans leur pays d'accueil. Témoin cette femme rescapée du conflit interethnique rwandais, ayant perdu sa famille et une partie de ses enfants, qui avait malgré tout réussi à construire une nouvelle vie au Québec. Un soir, elle a été agressée en sortant de son travail. « Cette agression a réveillé tous ses traumatismes antérieurs, explique Jean-Bernard Pocreau. La restauration de sa vitalité s'est écroulée. L'irrationnel a pris le dessus et lui a donné le sentiment qu'elle était toujours en danger, où qu'elle soit. »

L'apport de l'ethnopsychiatrie

« Au tournant des années 2000, migrants et réfugiés se sentaient incompris quand ils allaient dans le réseau de la santé lors d'épisodes de détresse psychologique », explique la psychologue Lucienne Martins Borges, professeure à l'École de travail social et de criminologie à l'Université Laval et cofondatrice du SAPSIR. « Nous avons été sensibles à cette réalité et avons créé un service pour ces personnes-là. »

Au tournant des années 2000, migrants et réfugiés en détresse psychologique se sentaient incompris par le réseau de la santé

Le SAPSIR mène sa mission dans des locaux attenants au Service santé des réfugiés, lui-même intégré à l'hôpital Jeffery Hale de Québec. « Pour les situations complexes, c'est le grand-groupe qui répond le mieux », précise Lucienne Martins Borges. Par grand-groupe, elle entend l'intervenant qui réfère la personne, un psychologue principal et un cothérapeute, un travailleur social, un infirmier, l'interprète médiateur culturel. « Les personnes que nous rencontrons sont souvent issues de milieux collectivistes ou communautaires, et c'est pourquoi elles répondent mieux aux interventions de groupe », précise-t-elle. Selon les cas, il y a aussi des suivis en petit-groupe (deux ou trois intervenants) et, plus rarement, individuels.

« Lors de ces rencontres, nous devons vraiment nous appuyer sur la culture de la personne, sur les éléments qui l'ont construite et qui font du sens pour elle, explique Jean-Bernard Pocreau. Il faut pénétrer progressivement son univers puis co-tisser, co-construire une compréhension qui permettra l'adhésion. Celle-ci est majeure pour que la personne accepte le traitement, le juge pertinent et utile pour elle. » Cette approche relève de l'ethnopsychiatrie, qui accorde une place centrale à la dimension culturelle incluse dans l'expression des symptômes psychologiques.

L’approche de SAPSIR relève de l'ethnopsychiatrie, qui accorde une place centrale à la dimension culturelle

Le SAPSIR rencontre la personne de 15 à 17 fois et supervise ensuite l'intervenant qui prendra le relais. C’est ainsi que rayonne l'approche du SAPSIR sur tout le territoire.

« Je suis dans le milieu depuis un quart de siècle et je peux vous dire qu'on assiste à une évolution chez les intervenants », se réjouit Jean-Bernard Pocreau, qui assure que certains intervenants québécois s'inspirent aujourd'hui de la pensée ethnopsychiatrique et de l'approche interculturelle clinique pour traiter la souffrance psychique des migrants.

Restaurer la confiance en l'avenir

Migrants et réfugiés ont besoin de sécurité physique et psychologique et de sentir qu'ils peuvent faire des projets. Ils doivent trouver une réponse à la question : comment continuer à être soi-même après et ailleurs ? Il leur faut du temps, un filet protecteur, un entourage, se sentir en lieu sûr, à l'image de cet ingénieur agronome sud-américain, prisonnier de milices après avoir été très impliqué dans les communautés rurales. Ses ravisseurs l'avaient enfermé dans un sac, jeté à l'eau et lui avaient tiré dessus. Il s'en est miraculeusement sorti mais est arrivé au Québec dans un état dépressif majeur, incapable de se projeter. Jusqu'à ce qu'il s'implique dans un mouvement local pour sauver une rivière du Québec. « Il s'est retrouvé dans du semblable, dans un univers qu'il connaissait qui faisait du sens pour lui, explique Jean-Bernard Pocreau. C'est ce qui permet à la personne de vivre la cohérence et la continuité de soi. »

« C'est comme dans une publicité avant-après la chirurgie plastique, illustre Lucienne Martins Borges. On le voit physiquement. On passe d'une personne en détresse courbée et sans éclat à quelqu'un qui devient rapidement plus investi, souriant, qui reprend confiance en l'avenir. Si nous ne voyions pas ces résultats lors des thérapies, je pense que nous n'aurions pas eu l'énergie de continuer.

« Parfois, aussi, nous perdons le contact avec des gens qui portent une agressivité qui ne leur appartient pas, qui sont tristes ou dépressifs, ajoute la thérapeute. Ils ne font plus confiance à l'autre et n'arrivent pas à rester dans le lien. »

« Notre dispositif répond à un besoin, et la majorité des gens que nous recevons retrouvent un sens à leur vie, poursuit Lucienne Martins Borges. Ce qui me préoccupe, ce sont tous ceux qui n'arrivent pas jusqu'à nous, les enfants surtout, nombreux à être traumatisés. C'est ce qui nous empêche de dormir en ce moment. » Le SAPSIR remettra sur ses rails le volet infantile à l'automne 2021.

*Tous les noms ont été changés afin de protéger l’identité des participants à l’étude.

En savoir plus sur la Coalition internationale des villes inclusives et durables (ICCAR) mise en place par l’UNESCO, qui vise à mettre en avant la contribution des migrants et des réfugiés au développement des sociétés hôtes.

Lectures complémentaires :

Bienvenue versus hostilité, Le Courrier de l’UNESCO, avril-juin 2019

 

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