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Interview

Une approche coordonnée et holistique est nécessaire pour protéger le patrimoine dans les zones de conflit et de catastrophe

02/11/2020

Photo : Jad Tabet, architecte et urbaniste libanais, au côté de Nicholas Jeffreys, Sous-Directeur général pour l’administration et le management, et de Maja Zalaznik, membre du Groupe de réflexion de haut niveau.

« Le conflit violent, si souvent enraciné dans l’intolérance culturelle, est la plus grande menace pour la protection du patrimoine culturel. Il est primordial de comprendre que dans beaucoup de ces régions, le patrimoine est mixte, car les cultures sont mélangées. Or les personnes animées par des idéologies extrêmes vont chercher à détruire le patrimoine, parce qu’il est mixte, parce qu’il réunit différentes cultures et civilisations. Ce n’est qu’en nous renforçant et en nous éduquant sur notre diversité que nous pourrons reconstruire à partir d’une telle haine », déclare Jad Tabet, architecte et urbaniste libanais.

Nous constatons souvent que les questions de culture et de patrimoine sont au centre des conflits partout dans le monde. Des facteurs tels que le changement climatique, qui sont à l’origine de conflits, contribuent également à la perte de patrimoine, à la fois directement et indirectement. S’appuyant sur son expérience, lui qui vit et travaille au Moyen-Orient, Jad Tabet explique qu’en cas de conflit, la destruction du patrimoine peut être à la fois collatérale et délibérée, et qu’elle est directement liée à la violence infligée aux victimes du conflit.

Ce à quoi nous assistons dans ces situations va au-delà du racisme – c’est un déni de la condition humaine. C’est un rejet de l’humanité de la personne. Or les personnes touchées par les conflits sont celles-là mêmes qui veillent à conserver et transmettre le patrimoine. Lorsqu’elles sont chassées de chez elles, sur les routes, dans les camps de réfugiés, elles sont coupées de leur patrimoine, et leur capacité à le transmettre est réduite. Qui plus est, nous avons maintenant des enfants dont la vie entière a été définie par le conflit. Leurs seuls souvenirs sont ceux de la violence, des déplacements, des camps... Pour préserver le patrimoine et promouvoir la coopération dans le domaine de la culture, nous devons faire en sorte que ces enfants renouent avec leur mémoire culturelle.

Jad Tabet, architecte et urbaniste libanais

Ce problème des nouvelles générations qui perdent le lien avec leur patrimoine est l’une des principales préoccupations citées par les personnes interrogées dans le cadre de l’enquête « Le monde en 2030 » de l’UNESCO, qui s’inquiètent des menaces pesant sur les traditions et les cultures. Pour Jad Tabet, comme pour les personnes interrogées, l’enseignement de la culture et du patrimoine par l’éducation est une solution essentielle :

« À partir de ressources très limitées, avec l’Ordre des architectes et ingénieurs du Liban, en coopération avec l’Ordre des architectes arabes, nous avons organisé une série d’ateliers avec de jeunes enfants syriens et libanais, âgés de 9 à 14 ans environ. Nous avons beaucoup de réfugiés syriens au Liban. Nous avons organisé des ateliers sur leur patrimoine matériel, c’est-à-dire les bâtiments, le patrimoine urbain, mais aussi immatériel, et cela a été un grand succès. Ces enfants ont appris ensemble des choses sur leur identité. Et ils étaient tellement heureux de découvrir leur mémoire et leurs racines. Ils se sentaient fiers de leur héritage. Quand on a été privé de telles choses tout au long de sa vie, c’est tellement important. »

Les villes : témoins de la culture, dépositaires du patrimoine et futurs bastions du développement durable

Comme l’éducation, dit Jad Tabet, le patrimoine et la culture doivent être protégés dans les villes. Ces espaces abritent d’innombrables exemples d’activités culturelles et sont des dépositaires du patrimoine, dit-il. Dans les régions où les villes, leurs quartiers, les musées, les artefacts et les établissements d’enseignement ont été pillés et détruits, nous constatons avec un douloureux soulagement et à grande échelle les conséquences des conflits et des catastrophes sur la vie et la mémoire culturelles. Quand ces espaces se vident à mesure que leurs habitants s’enfuient, la culture s’en va avec les gens. Les gens sont au cœur de la culture et du patrimoine, affirme Jad Tabet.

De plus, la croissance actuelle et future des villes signifie qu’à l’avenir, quand la population mondiale se concentrera de plus en plus dans les zones urbaines, il faudra concerter nos efforts pour protéger et nourrir la vie culturelle, par la prévention des conflits et des catastrophes et l’atténuation de leurs effets, ainsi que par une croissance durable, créative et inclusive des paysages urbains.

« La question des villes est centrale. D’ores et déjà, la majeure partie de la population mondiale vit dans les villes et, dans les décennies à venir, de plus en plus de gens vont s’installer dans les zones urbaines. Nous assisterons à une croissance massive de la population urbaine, en particulier en Afrique, en Asie et dans les États arabes, où elle était jusqu’à présent beaucoup moins importante que dans le monde occidental. Nous assistons à quelque chose qui rappelle ce qui s’est passé lors de la révolution industrielle : un mouvement démographique d’une ampleur et d’une portée jamais vues depuis cette époque. Nous devons répondre à cette évolution, et nous devons le faire par des villes holistiques et durables. »

Des initiatives telles que le Réseau des villes créatives de l’UNESCO peuvent contribuer à encourager la participation culturelle et le développement durable et inclusif dans les villes. Beyrouth, au Liban, qui est l’une de ces villes, a récemment connu une catastrophe inimaginable.

Reconstruire le tissu culturel, patrimonial et urbain de Beyrouth

« Je vis à 2,5 kilomètres du port où l’explosion s’est produite. Ma maison a été très endommagée, des éclats de verre, du bois, partout... c’était une catastrophe. Le Liban a connu, y compris dans l’histoire moderne, de nombreux événements douloureux. Dans le cas présent, il a suffi d’un instant pour que tout soit détruit. La zone proche de l’explosion n’avait pas été détruite pendant les 15 ans qu’a duré la guerre, elle avait conservé un certain équilibre. Sa population était mixte, en termes de générations et d’origine. C’était une zone très animée. C’était aussi un lieu où se concentraient beaucoup d’activités culturelles et artistiques – peinture, cinéma, radio, musique. Tout a été complètement anéanti. »

Ce ne sont pas seulement les infrastructures physiques et le patrimoine matériel de Beyrouth qui ont été endommagés, explique Jad Tabet, mais aussi le tissu social et urbain de la ville. Une blessure aussi profonde nécessite une reconstruction coordonnée et durable. Selon Jad Tabet, nous devons d’abord soutenir les structures physiques, en particulier les écoles et les hôpitaux, puis faire revenir les habitants pour éviter un changement démographique brutal et un déplacement de population. Il faudra ensuite mettre l’accent sur le retour des activités économiques et culturelles essentielles à la revitalisation de la ville. À long terme, dit-il, nous devrons réparer les dommages causés aux bâtiments patrimoniaux, à la fois pour les restaurer et pour les renforcer contre de futures catastrophes ; promulguer des lois pour protéger le tissu social et culturel de la ville ; et travailler sur les espaces publics pour encourager la mixité sociale – une idée qui offre un grand potentiel dans une ville dont la diversité culturelle est aussi vivante.

Au lendemain de la catastrophe, l’UNESCO a lancé la campagne « Li Beirut », afin de coordonner les mesures d’urgence et les mesures à plus long terme visant à sauvegarder le système éducatif et le patrimoine culturel de la ville, gravement endommagés.

Lorsque la Directrice générale est venue à Beyrouth pour lancer l’initiative Li Beirut, je pense qu’elle a vraiment senti combien le peuple libanais attendait l’UNESCO.

Jad Tabet

Pour Jad Tabet, l’un des principaux avantages comparatifs de l’UNESCO est sa force, en tant qu’institution internationale apte à susciter une mobilisation mondiale en faveur de la protection du patrimoine. Les mécanismes comme la Liste du patrimoine mondial en péril de la Convention du patrimoine mondial et la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, dit-il, offrent également des garanties importantes pour le patrimoine mondial et ont, par le passé, suscité une mobilisation internationale en faveur de la protection du patrimoine. À l’avenir, dit Jad Tabet, l’UNESCO devra faire appel au secteur privé pour une telle mobilisation, dans le cadre d’accords stricts et clairs. Pour lui, le rôle multilatéral de l’UNESCO dans le domaine de la protection du patrimoine est complété par son approche holistique du patrimoine, qui intègre, entre autres, l’éducation, la culture et l’art.

« Dans ces circonstances, qu’est-ce qui différencie l’UNESCO des autres organismes des Nations Unies ? L’UNESCO va au-delà de la simple éducation. Elle apporte un plus. Et ce plus, c’est la culture. L’UNESCO est l’organisation qui œuvre pour la culture. »

Vous pouvez faire un don à l’initiative « Li Beirut » de l’UNESCO sur sa page Web.

Jad Tabet est membre du Groupe de réflexion de haut niveau de la Directrice générale, une initiative qui s’inscrit dans le cadre de la Transformation stratégique de l’UNESCO et qui est destinée à anticiper et analyser les évolutions à l’échelle mondiale ainsi qu’à contribuer à l’enrichissement de la prochaine Stratégie à moyen terme de l’UNESCO.

 

*Les idées et opinions exprimées dans ce bulletin sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les points de vue ou la position officielle de l’UNESCO.