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Construire la paix dans l’esprit
des hommes et des femmes

Idées

L’architecture traditionnelle, source d’inspiration pour l’habitat de demain

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Construite en 2011, l’École de couture de Niamey (Niger) allie le savoir-faire et les matériaux locaux avec les avancées technologiques contemporaines. La pérennité de l’ouvrage entièrement conçu en banco, un mélange de terre et de paille doté d’une bonne

Les villes modernes, avec leurs routes asphaltées et leurs tours de verre, ne sont guère adaptées pour faire face à la hausse attendue des températures. Conçu pour favoriser l’ombre et la circulation de l’air, le bâti traditionnel du Moyen-Orient, des pays du Golfe ou d’Afrique pourrait inspirer un habitat plus durable et respectueux de l’environnement. 

Amin Al-Habaibeh

Sous l’effet du réchauffement climatique et de l’augmentation des gaz à effet de serre, les villes risquent d’être de plus en plus exposées à des températures extrêmes. C’est particulièrement vrai dans les pays du Golfe où les températures pourraient atteindre au cours du XXIe siècle des valeurs moyennes dépassant les 50 degrés. Mais les pics de chaleur n’épargnent pas d’autres régions du monde, notamment l’Europe où, durant l’été 2019, des températures records ont été atteintes en France, au Royaume-Uni ou encore en Suisse. 

Le mode de vie et l’architecture modernes sont aujourd’hui tributaires de l’air conditionné et de matériaux d’usage récent comme le béton, l’asphalte ou le verre. Or ces derniers ne sont pas adaptés aux fortes chaleurs. Le verre en effet réfléchit le rayonnement solaire vers l’espace environnant, ce qui crée des îlots de chaleur, avec un risque d’effet de serre à l’intérieur des immeubles. L’asphalte absorbe une grande partie du rayonnement solaire, qu’il transforme en un flux de chaleur contribuant au réchauffement ambiant. Le béton quant à lui consomme beaucoup d’énergie lors de sa production, participant au réchauffement planétaire par ses émissions de carbone. Par ailleurs, l’aménagement des villes ne favorise pas les transports publics, obligeant bien souvent à se servir d’un véhicule privé, ce qui se traduit par une augmentation de la pollution et le développement d’îlots de chaleur localisés lorsque celle-ci se cumule aux systèmes d’air conditionné des immeubles. 

Historiquement, avant l’adoption du mode de vie moderne, la plupart des habitants de la planète vivaient de manière plus harmonieuse avec leur environnement. Ils étaient agriculteurs dans des oasis ou des villages vivant du produit de la terre et de la pêche, Bédouins ou nomades campant dans le désert, ou citadins. 

Les matériaux qu’ils choisissaient pour construire leurs habitations provenaient de leur environnement. Ils étaient durables, adaptés à leur mode de vie, fondés sur ce qu’on appelle aujourd’hui « l’économie circulaire ». Éleveurs itinérants, les Bédouins vivaient sous des tentes procurant à la fois la flexibilité nécessaire et une protection optimale contre les rigueurs du climat. Elles étaient conçues et réalisées de façon à être parfaitement adaptées à l’environnement et tissées avec les ressources disponibles ‒ poils de chèvre et laine de mouton ‒, c’est pourquoi on les appelait en Arabie les « maisons de poils ». 

Matériaux naturels et respectueux de l’environnement

Le matériau dont est faite une tente permet à l’air de circuler, mais, dans la mesure où ses fibres gonflent lorsqu’elles sont mouillées, il devient aussi imperméable sous les climats pluvieux. Les Bédouins des climats secs et chauds avaient coutume d’humidifier la tente et ses alentours, ou d’autres pièces de vêtement ou tapis, pour abaisser la température grâce à l’évaporation de l’eau. Les hautes capacités d’isolation des tentes assurent des conditions de fraîcheur en été, et de chaleur en hiver avec un petit feu. Rien ne nous empêche d’utiliser ce matériau pour créer une architecture moderne qui rende les températures plus supportables.

Le bâti se caractérisait quant à lui par des murs très épais construits dans des matériaux naturels et respectueux de l’environnement comme le calcaire, ou une boue d’origine naturelle, mêlée dans certains cas à des plantes désertiques locales, ce qui procurait un matériau à haute capacité thermique pour réguler la température des édifices. Un tel matériau présente l’avantage d’absorber l’humidité de la nuit, la restituant par évaporation lors des journées chaudes et ensoleillées pour produire l’effet de fraîcheur nécessaire. C’était le cas notamment du Palais rouge d’Al-Jahra au Koweït, excellent exemple de l’architecture et des technologies en vigueur autrefois dans la région du Golfe.

Dans les climats chauds, villes et immeubles étaient conçus pour optimiser l’ombrage, réduire le gain thermique direct ou indirect dû au rayonnement solaire, réguler la température des bâtiments et favoriser la circulation de l’air à des fins de refroidissement. Les rues étaient également pavées en pierres naturelles, ou simplement recouvertes de sable. Aussi réagissaient-elles bien mieux aux températures élevées, sans stocker la chaleur comme le fait actuellement l’asphalte. Grâce à l’étroitesse des voies et à la contiguïté des bâtiments, la portion de ville exposée au soleil par rapport à la totalité du volume bâti était réduite au maximum, ainsi que le gain thermique pendant la journée. 

Favoriser l’ombre et la circulation de l’air

Les bâtiments étaient conçus avec des cours intérieures généralement entourées de toutes parts de pièces ou de murs, créant un large espace dévolu aux activités sociales la nuit et à la fin de l’après-midi grâce à l’ombre maximale portée par les pièces environnantes. La cour centrale était le plus souvent plantée d’arbres et comportait un puits ou une fontaine. À midi, elle fonctionnait comme une cheminée, permettant à l’air chaud de s’élever et d’être remplacé par l’air plus frais provenant des pièces environnantes, ce qui améliorait la circulation de l’air et l’effet de refroidissement. 

Le puits pouvait aussi servir à recueillir les eaux de pluie. Ce type d’architecture était très courant à Damas et en Andalousie. Les ruelles étroites pouvaient être couvertes de matériaux légers provenant des palmiers dattiers. On améliorait ainsi la circulation de l’air entre les rues et les cours des maisons par l’intermédiaire des pièces. La texture et la couleur sable des murs limitaient l’absorption et l’émission de la chaleur rayonnante. 

Le verre n’était pas un matériau de construction courant. Certaines pièces avaient deux fenêtres : une petite lucarne placée très haut et gardée ouverte, qui assurait la circulation de l’air et laissait entrer la lumière naturelle tout en préservant l’intimité, et une seconde fenêtre plus grande, habituellement fermée par des volets de bois à claire-voie qui laissaient passer l’air tout en protégeant des regards.

Le moucharabieh, fenêtre en saillie avec treillage de bois sculpté située aux étages supérieurs d’un bâtiment, assure une meilleure circulation de l’air et permet de se prémunir contre une exposition directe aux rayons du soleil. C’était un élément d’architecture courant dans de nombreuses régions du Moyen-Orient comme l’Égypte, le Hedjaz et l’Iraq, où on l’appelait aussi rouchân ou chanâchîl. Certaines constructions du Golfe possédaient une tour à vent créant une ventilation naturelle, avec la possibilité d’ouvrir ou de fermer des vantaux selon la direction du vent ‒ un principe similaire à celui des systèmes de refroidissement de l’air modernes. 

Pour obtenir un maximum d’ombrage et de circulation de l’air, on avait également recours aux grandes hauteurs et aux cloîtres, couplés à des dômes qui augmentent le volume d’air interne et réduisent le gain thermique externe. L’idée est de créer un différentiel thermique qui provoque une brise rafraîchissante, quelle que soit la puissance du vent. 

Symbiose avec la nature

En Afrique, on construit aujourd’hui encore des huttes en torchis, structure simple et durable faite d’argile et de paille, qui non seulement fournit un refroidissement passif, mais est aussi rapide à construire, bon marché et recyclable. Il en est de même de la maison traditionnelle en roseaux des Maadan (Arabes des marais), dans les marécages du sud de l’Iraq, dont la conception et la structure originales fournissent aussi protection et meilleure circulation d’air. 

À Pétra, en Jordanie, les Nabatéens ont poussé encore plus loin cette symbiose avec la nature en utilisant l’inertie thermique du sol. Ils ont édifié une ville à l’urbanisme ingénieux grâce à un habitat innovant et un système efficace de récupération des eaux de pluie. Les occupants historiques ont mis à profit la configuration montagneuse du lieu pour y creuser des habitations à l’atmosphère parfaitement régulée été comme hiver, la température de la roche ne fluctuant pas en fonction de la température extérieure comme dans les bâtiments modernes. On trouve d’autres structures similaires utilisant l’inertie thermique de la terre en Cappadoce (Turquie), et chez les Sinaguas aux États-Unis, qu’il s’agisse des maisons à flanc de falaise de Montezuma Castle (Arizona) ou des cavates ou alcôves et des sentiers creusés dans le tuf de Tsankawi (Nouveau-Mexique).

Mais une des architectures les plus intéressantes se trouve à Matmata, dans le sud tunisien : les habitations troglodytiques souterraines berbères, construites en creusant d’abord un grand puits dans le sol, généralement à flanc de coteau, puis des grottes servant de pièces d’habitation à l’intérieur de ce puits. Ce puits devient alors la cour centrale. Cette architecture présente aussi l’avantage d’être très bien isolée thermiquement. C’est une des maisons de Matmata, aujourd’hui convertie en hôtel, qui a servi de résidence en 1977 à Luke Skywalker sur la planète Tatooine dans l’épisode IV (Un nouvel espoir) du film Star Wars.

Le mode de vie était un autre moyen de résister aux climats chauds. La journée de travail commençait juste avant l’aube, et la population s’abritait du soleil de midi jusqu’au soir, où elle reprenait à la fraîche ses activités sociales et professionnelles. Cette culture reste bien vivace au Moyen-Orient et en Espagne (siesta). L’eau potable était conservée dans des jarres en argile ou des outres en peau, entreposées à l’ombre, ce qui provoquait un processus d’évaporation aux effets rafraîchissants à la fois pour le liquide lui-même et pour l’espace alentour. On s’habillait aussi de vêtements en matières naturelles, conçus pour favoriser la fraîcheur et la circulation de l’air par leur ampleur et couvrant la quasi-totalité du corps pour éviter les coups de soleil. La tête et le visage des hommes comme des femmes étaient également le plus souvent protégés par un foulard pour réduire les pertes en eau de la respiration, filtrer la poussière, protéger de l’insolation et prévenir le vieillissement de la peau. Ce tissu recouvrant la tête et le visage porte un nom différent selon le sexe, la région et la forme, mais c’est toujours un important instrument de protection de la santé.

Combiner enseignements du passé et technologies modernes

En Europe, une coutume séculaire a consisté à avoir une cave pour y conserver son vin à différentes températures grâce à l’inertie thermique du sol, et ce concept pourrait être amélioré pour réguler la température par temps froid comme par temps chaud. Le recours aux conceptions traditionnelles à l’époque moderne peut être une autre solution. Certains immeubles modernes de la ville espagnole de Séville se sont inspirés de l’architecture traditionnelle, en plaçant une fontaine entourée d’arbres au centre de la cour de l’immeuble pour réduire la température. 

Aux Émirats arabes unis, la ville de Masdar s’est efforcée de combiner certains de ces enseignements du passé et les technologies modernes en combinant moucharabiehs, rues étroites et couleurs traditionnelles. 

D’autres pays du Golfe s’efforcent eux aussi de concevoir des bâtiments durables et écologiques. Grâce aux recherches en cours et à l’amélioration des matériaux employés dans les bâtiments et les chaussées, à la conception des bâtiments et de l’urbanisme, à l’isolation et à l’utilisation des énergies renouvelables, les villes du Golfe et d’autres pays chauds pourraient préserver leur mode de vie confortable avec de bien plus faibles niveaux d’émission de carbone et de consommation d’énergies fossiles. 

Mais en Europe, où les températures pourraient à l’avenir fluctuer entre chaleur et froid extrêmes, nous pourrions commencer par ajouter des isolants et des matériaux naturels pour augmenter l’épaisseur des murs de nos immeubles, afin de réduire nos besoins de chauffage en hiver et de climatisation en été. 

Par chance, la hausse des températures s’accompagne d’une augmentation de l’énergie solaire renouvelable. Dans la plupart des habitations, l’énergie solaire photovoltaïque associée à l’isolation pourrait donc fournir l’énergie nécessaire en été pour alimenter les systèmes d’air conditionné afin de compenser l’augmentation de la température intérieure. Mais il se créerait aussi des îlots de chaleur sur les voies de circulation, généralement asphaltées. La plantation d’arbres aiderait alors à réguler les températures en Europe et à rafraîchir l’environnement. 

L’isolation réduirait les besoins en air conditionné et la consommation d’électricité. L’utilisation de matériaux naturels ou innovants absorbant l’humidité et augmentant la capacité thermique pourrait réguler les gains de chaleur et le processus naturel de refroidissement. Un urbanisme intelligent imitant les villes d’antan permet d’envisager l’utilisation de transports publics propres comme une option réalisable. Dans la mesure où l’eau de mer a une température régulée par rapport à l’air, on pourra facilement remplacer les appareils de climatisation actuels par des systèmes de refroidissement et de chauffage à grande échelle au niveau des quartiers. La même technologie pourrait aussi être appliquée à l’eau des rivières et aux eaux des mines de charbon inondées. 

Il y a de nombreuses leçons à tirer des bâtiments traditionnels dans le monde. Ces enseignements nous aideront à apprécier notre patrimoine, tout en transférant certaines de ces connaissances à la conception du bâti et des aménagements urbains futurs. Au fil des siècles, les populations sont parvenues à concevoir des bâtiments durables en termes de besoins de chauffage et de climatisation, grâce à des techniques ingénieuses et aux matériaux durables puisés dans l’environnement local. Si nous voulons limiter le réchauffement planétaire pour les générations futures, nous devons intégrer ces enseignements aux technologies modernes pour créer des villes durables et sans carbone.

 

Amin Al-Habaibeh

Professeur à l’École d’architecture, du design et de l’environnement bâti de l’université de Nottingham Trent, Amin Al-Habaibeh (Royaume-Uni) dirige également le Groupe de recherches sur les technologies innovantes et durables de l’environnement bâti (iSBET).