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Building peace in the minds of men and women

Our Guest

Tatiana Mukanire Bandalire : “en RDC, le viol est une arme destinée à détruire notre société”

Déplacements forcés, pillages, exécutions : depuis plusieurs décennies, les populations civiles sont en première ligne des conflits  qui secouent la République démocratique du Congo. Généralisé, le viol est devenu une arme de guerre destiné à terroriser les populations. Des milliers de femmes ont eu à subir -et continuent de subir- ces violences dans leur chair. Tatiana Mukanire Bandalire est l’une  d’entre elles. Devenue militante contre les violences sexuelles, elle se fait l’écho dans son livre « Au-delà de nos larmes » des souffrances endurées par ces femmes bien souvent rejetées par leur propre famille. 

Propos recueillis par Laetitia Kaci, UNESCO

Comme des milliers de femmes dans votre pays, vous avez subi des violences sexuelles. Comment avez-vous trouvé la force de vous relever ? 

Prendre la parole m’a aidée à surmonter ces épreuves. Je ne suis pas coupable, je suis victime.  Toutes les femmes abusées devraient pouvoir le clamer haut et fort pour briser le tabou des violences sexuelles.

Grâce aux témoignages de femmes courageuses,  les survivantes comprennent qu’elles ne sont pas seules. Elles ne doivent pas vivre dans la crainte et la honte. Leurs bourreaux doivent faire face à leurs responsabilités. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons créé le Mouvement national des survivantes des violences sexuelles en République démocratique du Congo que je coordonne aujourd’hui. Grâce à ce réseau, j’essaie chaque jour de porter la voix de ces héroïnes. 

Le gynécologue Dr Mukwege, lauréat du Prix Nobel de la Paix en 2018, a rédigé la préface de votre livre. Quel rôle a t-il joué dans votre parcours ? 

Il m’a aidée à me reconstruire non seulement physiquement mais aussi psychologiquement. Il fait partie de ces personnes qui m’ont soutenue lors de la création du Mouvement. Il est celui qui m’a permis de passer de l’état de victime à l’état de militante. Grâce à lui, la femme que je suis, qui a longtemps été humiliée, peut aujourd’hui contribuer à la reconstruction et au changement.

Ces violences et ces crimes commis par les troupes armées continuent à se perpétuer aujourd’hui en RDC. Comment expliquer ce silence sur ces exactions ?

Les violences en République démocratique du Congo n’ont jamais cessé. Alors que je prononce ces mots, plusieurs femmes sont en train d’être violées, tuées, humiliées sans que la communauté internationale ne réagisse.

J’ai beaucoup de mal à expliquer cette inaction et  l’impunité autour de ces crimes. Je dirais que cela est en partie dû aux dysfonctionnements du système judiciaire. Les auteurs de ces viols ne sont que très rarement poursuivis. Sans condamnation, ces crimes continuent, les responsables récidivent et les victimes, qui ne sont pas reconnues comme telles, n’obtiennent jamais réparation. La population se mure alors dans le silence. Nous ne nous sentons plus protégées. Les Congolais sont seuls, abandonnés. 

Pourtant, les violences en RDC nous concernent tous. Les conflits qui touchent le pays s’étendent aux pays voisins. Si la paix régnait ici, je suis certaine qu’elle apporterait une certaine stabilité dans la région.

Quelle est la situation des femmes victimes aujourd’hui ? 

Dans ma communauté, la femme est une personne sacrée. Le viol est donc perçu comme une humiliation pour les familles. C’est un poids qu’elles ne veulent pas porter et les femmes sont de ce fait souvent rejetées. Ces violences brisent chaque jour les liens qui unissent les familles. Le viol n’est pas un acte choisi au hasard. C’est une arme utilisée pour détruire notre société. Une arme pour nous déshumaniser, mener au chaos et éloigner tout espoir de paix.

Quel est le sort des enfants nés des viols ? 

Dès leur conception, les enfants nés de viol sont rejetés par la société . En effet l’Etat ne reconnaît pas ces enfants.  Rares sont donc les familles prêtes à les assumer.
Ces enfants sont non seulement privés de leurs droits fondamentaux, comme l’alimentation ou l'accès à l'éducation, mais aussi et surtout  de l’amour maternel et de la stabilité dont tout enfant a besoin. 

Ces enfants vivent eux-même un traumatisme. C'est une bombe à retardement pour notre pays. Laissés pour compte, ils seront enrôlés par les milices armées et reproduiront les mêmes atrocités que nous subissons depuis des décennies.  La prise en charge de ces enfants par l’Etat est indispensable pour mettre fin à ces violences.
 

Comment éviter que de telles atrocités se perpétuent ? 

Alors qu’elles étaient localisées dans certaines régions de mon pays, ces violences touchent aujourd’hui toute la RDC et continuent de proliférer au-delà des frontières. Il est donc urgent d’agir.

Nous devons changer les mentalités et je pense que cela doit passer par l’éducation. Il faut aujourd’hui apprendre à nos enfants que tous les êtres  humains, peu importe le genre, sont égaux. Nos enfants sont l’avenir. En leur inculquant le respect dès le plus jeune âge, les femmes pourront enfin espérer à un meilleur lendemain. L’ accès à l’éducation pour tous les enfants est donc la clef.

En attendant ce jour, je pense qu’il est important de continuer de témoigner et de faire savoir ce que vivent les femmes abusées, afin qu’elles ne se sentent jamais abandonnées.

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