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06.10.2017 - Natural Sciences Sector

La fin du régime fiscal le plus généreux du monde ?

© Noppasin / Shutterstock.com.

Lorsqu’en avril 2010, l’Inde a introduit une importante déduction fiscale de 200% sur les dépenses de recherche-développement (R&D) des entreprises, elle est devenue l’un des 16 pays au monde à proposer ce type de « super-déduction », à savoir un avantage fiscal dépassant le montant total des dépenses d’une entreprise en matière de R&D. Cette année, une nouvelle règlementation fiscale est entrée en vigueur, avec pour objectif de réduire drastiquement l’importance de cet avantage fiscal. Sunil Mani, directeur du Centre d’études pour le développement à Trivandrum, et auteur du chapitre sur l’Inde du Rapport de l’UNESCO sur la science (2015), analyse les répercussions potentielles sur l’industrie de haute technologie indienne d’une mesure fiscale conçue à l’origine pour encourager les entreprises à innover.

D’après le Rapport de l’UNESCO sur la science (2015), la réduction fiscale de 200% sur les dépenses de R&D des entreprises a permis à l’Inde de se doter de « l’un des régimes d’incitation en matière de R&D les plus généreux au monde (1) ».

Le rapport constate néanmoins que « les subventions n’ont pas permis d’étendre la culture de l’innovation à un plus grand nombre d’industries manufacturières », puisque « l’innovation est le fait de seulement neuf industries ». En 2010, trois secteurs industriels représentaient à eux seuls plus de la moitié des dépenses de R&D des entreprises : l’industrie pharmaceutique pour 28%, l’industrie automobile pour 14% et l’informatique pour 10%. Or, la plupart de ces sociétés informatiques étaient issues de l’étranger. De surcroît, les entreprises innovantes se concentrent dans un espace géographique restreint, soit sur le territoire de seulement 6 états, sur les 29 que compte l’Inde.

Le régime d’incitation fiscale, tout aussi séduisant qu’il soit, a eu pour effet pervers de pousser les entreprises à qualifier de dépense de R&D des dépenses qui n’en étaient pas, même s’il n’existe pas d’estimation précise quant à l’ampleur de ce phénomène.

L’avantage fiscal de 200% pour les entreprises n’aura néanmoins pas fait long feu, alors que le budget annoncé par le ministre des Finances en février 2016 présente déjà un avantage réduit à 150% des dépenses de R&D à compter de 2017, puis à 100% à partir de 2020. Cela signifie que seules les entreprises réellement innovantes pourront désormais prétendre à cette incitation fiscale.

La plupart des entreprises semblent s’être adaptées à cette réduction, mais pour l’industrie pharmaceutique et celle de la biotechnologie, le choc s’est révélé beaucoup plus rude, alors qu’elles faisaient justement pression sur le gouvernement pour qu’il adopte un budget incluant un avantage fiscal de 250%. Les entreprises faisaient également pression afin d’étendre le périmètre de l’incitation fiscale et d'y inclure les dépenses réalisées en dehors des centres de recherche, comme les études sur la bioéquivalence, les études cliniques, les dépôts de brevet et les enregistrements de produits.

Cette nouvelle règlementation a donc porté un coup terrible à l’industrie pharmaceutique. Saumen Chakraborty, président et directeur financier de Dr Reddy’s, a réagi en affirmant que « la diminution de la déduction fiscale de R&D à 150% risque d’avoir un impact sur l’innovation, car elle peut décourager les investissements des industries dans la R&D ». Venkat Jasti, dirigeant de Suven Life Sciences Ltd, confirme lui aussi que la diminution de l’avantage fiscal de la R&D va à l’encontre même du slogan du gouvernement, « Make in India », ou « Fabriquer en Inde » (2).

Le ministre des Finances a tenté de faire passer la pilule en annonçant dans le même temps, et pour la première fois, la mise en œuvre d’avantages fiscaux similaires à ceux existants dans la règlementation fiscale de la propriété intellectuelle, qui consistent à taxer les revenus des entreprises indiennes perçus sous la forme de royalties et de droits de licences au taux réduit de 10% à partir de l’exercice fiscal 2016-2017. Cette décision avait pour objectif de stimuler l’innovation en augmentant le revenu perçu par les entreprises grâce à leurs droits de propriété intellectuelle.

Le gouvernement a présenté cette politique fiscale moins avantageuse comme un outil de simplification du droit fiscal. Alors que la nouvelle politique instaure un taux d’imposition prévisionnel moins élevé, cette stabilité fiscale devrait permettre aux entreprises de prévoir de manière plus efficace leurs budgets de recherche pour les années à venir. Bien sûr, cela permettra également au gouvernement de recouvrer une partie des 68 milliards de roupies d’impôts non perçus en 2015-2016.

La nouvelle politique fiscale du gouvernement ne semble néanmoins pas avoir été inspirée par une quelconque analyse empirique de la situation, même si l’élaboration des politiques sur base d’éléments concrets est devenue très à la mode dans les milieux politiques. En 2015, le Rapport de l’UNESCO sur la science avait lui-même émis la recommandation selon laquelle le gouvernement devait entamer une évaluation de l’efficacité des incitations fiscales à la R&D.

En 2011, les entreprises publiques assuraient 6% des dépenses totales de R&D, alors que les entreprises privées en assuraient 30%, d’après le Rapport de l’UNESCO sur la science. Les entreprises, tous secteurs confondus, ont joué un rôle croissant dans la recherche ces dernières années, puisqu’elles n’assuraient que 29% des dépenses de R&D en 2005. En 2013, quatre brevets décernés à des inventeurs sur cinq étaient détenus par des sociétés privées. Les produits manufacturés de haute technologie représentaient 7% des produits industriels exportés à cette époque, et ce chiffre était en hausse. Les pièces pour l’aéronautique et les produits pharmaceutiques représentaient près de deux tiers du total de ces exportations.

Au cours de ces dix dernières années, les entreprises indiennes se sont dotées d'une technologie de pointe, grâce à des fusions-acquisitions transnationales en série. Le Rapport de l’UNESCO sur la science explique comment, en 2007, l’acquisition du Groupe Corus plc par Tata (aujourd'hui Tata Steel Europe Ltd) lui a permis d’accéder à la technologie de l’acier de construction automobile. Deux ans plus tard, Suzlon Energy Ltd a fait l’acquisition du fabricant allemand d’éoliennes Senvion. Plus récemment, la société pharmaceutique Glenmark a renforcé ses capacités internes en matière d'innovation et de développement en ouvrant une usine de production d’anticorps monoclonaux en Suisse en 2014.

On est en droit de se demander quel sera l’impact de la nouvelle politique fiscale sur les investissements du secteur privé dans la R&D ? Le changement de politique intervient à une époque où l’effort national de recherche indien faiblit, pour la première fois depuis une dizaine d’années : entre 2011 et 2015, les dépenses de R&D sont passées de 0,83% à 0,63% du PIB, selon l’Institut de statistique de l’UNESCO. Ceci se traduit par une baisse des dépenses par chercheur (en équivalent temps plein), de 206 à 149 dollars en termes de parité de pouvoir d’achat. Cela signifie que le pays n’est plus en mesure d’atteindre son objectif consistant à consacrer 2% de son PIB à la R&D d’ici 2018.

Le transfert de technologies encourage les nouvelles industries

Au-delà de l’avantage fiscal, la politique du gouvernement s’est efforcée depuis quelques années d’encourager les industries basées sur les nouvelles technologies par d’autres moyens. En 2009, le gouvernement a supprimé le plafond des royalties et des frais relatifs aux expertises techniques, les deux plus importants postes de dépenses des entreprises important des technologies via des contrats de licence. Un peu plus tôt, de nombreuses restrictions avaient été levées sur l’importation de produits technologiques. Cette stratégie de libéralisation semble avoir encouragé des multinationales étrangères à transférer davantage de leurs technologies de pointe vers des entreprises indiennes, au risque d’entraîner une hausse des prix dans le secteur technologique, et par conséquent, d’augmenter le coût des licences.

Un des secteurs qui semble avoir tiré profit de la libéralisation des importations de produits technologiques est celui de l’énergie solaire, qui attire à la fois des investisseurs étrangers et nationaux. Environ 40% du nouvel appel d’offre concernant les 250 megawatts du parc solaire Bhadla Phase IV ont été remportés par SBG Cleantech, une joint-venture réunissant les sociétés Bharti Enterprise (Inde), la Softbank (Japon), et Foxconn (Province de Chine de Taïwan).

Une plus grande efficacité énergétique favorise le développement des énergies renouvelables comme l’énergie solaire, éolienne ou hydraulique. Les Indiens sont désormais capables de stocker l’énergie renouvelable pendant une plus longue durée, grâce à un éclairage LED haute performance, à des avancées technologiques dans le domaine du stockage de l’hydro-électricité et à un coût plus abordable des batteries au lithium-ion.(3)

Le gouvernement a l’ambition de faire accéder l’Inde au rang de leader en matière d’énergie solaire. En juin 2015, le Cabinet a relevé l’objectif concernant les projets d’énergie solaire raccordés au réseau de 20 à 100 gigawatts d’ici 2022, au sein de la mission solaire nationale du gouvernement, lancée en 2010. Sur les dix dernières années, le gouvernement a beaucoup investi dans la construction de parcs solaires, et a aidé les villes du pays à passer à l’énergie solaire, par exemple en revoyant leurs règlements municipaux d’urbanisme(4).

En décembre 2016, le gouvernement a publié son projet décennal de plan national pour l’électricité, qui recommande l’installation d’une capacité de 275 gigawatts d’énergie renouvelable d’ici 2027. Le plan prévoit une réduction de la capacité d’énergie thermique de 69% de l’offre énergétique du pays en mars 2016 à 43% d’ici 2027(3).

Cette réduction est déjà en cours. Le coût plus abordable de l’énergie solaire ne se contente pas de rendre le marché plus viable sur le plan commercial ; il rend également la construction de centrales à charbon moins intéressante d’un point de vue économique. Des projets de constructions de centrale à charbon de près de 14 gigawatts ont été annulés dans plusieurs régions indiennes en mai 2017. D’autres centrales existantes pourraient à leur tour bientôt ne plus être rentables (3).

(1) Voir aussi : Mani, Sunil (2014) Innovation: the world’s most generous tax regime. In Bimal Jalan and Pulapre Balakrishnan (eds) Politics Trumps Economics, The Interface of Economics and Politics in Contemporary India. New Delhi: Rupa, pp. 155-169.

(2) Pilla, Viswanath (2016) Budget 2016-17: Cuts in R&D tax breaks disappoints life sciences industry. The Mint.

(3) Buckley, Tim (2017) India’s Electricity-Sector Transformation Is Happening Now. Institut d’économie de l’énergie et d’analyse financière, 17 mai.

(4) Voir aussi : Ministry of New and Renewable Energy.

Source : Sunil Mani et Susan Schneegans, sur la base d’extraits du chapitre sur l’Inde tiré du Rapport de l’UNESCO sur la science (vers 2030) (2015) ; blog traduit de l’anglais par Elodie Veysseyre, volontaire des Nations Unies.




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