Story

Avec « That Breath We Held », Li Beirut fait de la lumière sur un traumatisme collectif inimaginable

Une performance singulière liée à la tragédie du port de Beyrouth, et réalisée par Alaa Minawi en collaboration avec Vladimir Kurumilian et Ahmed Amer, a été présentée dans le cadre du Festival International al-Bustan.

Rien n’aurait pu présager que cette nuit froide et paisible de février allait être perturbée par de douloureuses pensées, ni que les murs de l’historique hôtel Al-Bustan, sur la colline de Beit Mery, allaient se laisser faire envahir par les échos du drame du 4 août 2020. Si le traumatisme n’est que trop vivant dans l’esprit des Libanais qui ont survécu à la double explosion du port, toujours il est que Vladimir Kurumilian, Alaa Minawi et Ahmed Amer, ont su ravivé des plaies encore béantes, à travers leur spectacle si singulier. Intitulée « That Breath We Held » (Ce souffle que l’on a retenu), la performance artistique imaginée et présentée par ces trois jeunes artistes libanais dans le cadre du Festival International Al-Bustan et soutenue par l’initiative Li Beirut de l’UNESCO, allie musique, récit et image, pour poser la problématique suivante « Comment pouvons-nous expirer à nouveau ? »

Le concept est unique. Ayant demandé aux spectateurs de raconter de manière anonyme comment ils ont vécu le 4 août 2020, des jours avant le spectacle, le trio réinterprète ces confidences à sa manière. Alors qu’Alaa Minawi lit des bribes de ces témoignages dans un décor minimaliste, sa voix disparait par moments pour se noyer dans la musique improvisée par Vladimir Kurumilian au piano, et les illustrations d’Ahmed Amer, esquissées en direct et agrandies sur scène, transforment le décor et envoûtent les esprits. On entend l’histoire de cette mère, affolée de ne pas avoir ses enfants près d’elle avant de les retrouver chez un voisin. Ou celle de ce jeune homme coincé dans un supermarché souterrain et ne pouvant pas trouver la sortie après l’explosion. La musique, elle, épouse les histoires, et les couleurs gravitent, par des formes diverses qui s’allongent et se fondent avant de disparaitre.

Si le public retient son souffle entre une histoire et une autre, quand il est sollicité à la fin du spectacle pour un dernier numéro interactif, les mots fusent de partout : « Criminels ! » « Justice » « Nous n’oublierons pas ». La séance de questions-réponses qui s’ensuit est marquée par de douloureuses confidences. Celles d’un jeune homme qui a vu tous ses collègues mourir, ou celles d’un homme plus âgé qui assure : « Ils veulent changer l’identité du Liban mais nous ne les laisserons pas faire ».

Cette performance singulière et poignante s’inscrit dans le cadre du tout premier partenariat entre le secteur de l’Education au bureau régional de l’UNESCO à Beyrouth et le festival international al-Bustan. Il vise à raviver l'esprit de la capitale et diffuser des messages d'espoir et de confiance auprès des citoyens et de la jeunesse, mais également à promouvoir un soutien psychosocial auprès des étudiants touchés par la double explosion du port, à travers une sélection de spectacles, mais aussi d’activités parallèles impliquant les écoles de Li Beirut.

« Tout au long de l'initiative Li Beirut, et alors que nous passons d'une réponse immédiate à la tragédie à des interventions plus stratégiques et soutenues, nous sommes heureux de joindre nos efforts au Festival al-Bustan pour toucher les étudiants et les jeunes au Liban, en particulier ceux qui ont été affectés par l'explosion, confie Maysoun Chehab, responsable UNESCO du programme national pour l'éducation au Liban. Le but est de les aider à faire face à l'adversité des multiples crises auxquelles nous sommes confrontés. »

Des propos réitérés par Laura Lahoud, vice-présidente du festival al-Bustan, qui assure : « Le partenariat avec l’UNESCO nous encourage énormément. Que l’UNESCO croit en ce festival, qui est avant tout éducationnel, prouve que nous sommes sur la bonne voie. Cette 28ème édition du festival baptisée Reconnect est un cadeau pour notre pays. Elle marque une reprise après une courte absence imposée par la crise, mais nous n’avions d’autre choix que d’organiser le festival cette année. Quand les défis grandissent, nous tenons bon davantage. Nous refusons d’abandonner. C’est une résistance culturelle dont nous avons besoin car le Liban doit rester un espace d’éducation, de communication et de création ».

 

Li Beirut est une initiative internationale lancée depuis Beyrouth par la Directrice générale de l'UNESCO, Audrey Azoulay, au lendemain des explosions, le 27 août 2020, pour soutenir la réhabilitation des écoles, des bâtiments du patrimoine historique, des musées, des galeries et de l’économie industrie créative, qui ont tous subi d’importants dommages dans les explosions meurtrières.

Depuis sa création en 1994, le Festival al-Bustan a établi au Liban une tradition unique et sans précédent d'une saison musicale en hiver. Les fondateurs ont souhaité faire revivre la vie culturelle d'un pays renaissant après dix-sept ans de guerre. Le Festival a en effet atteint son objectif en présentant chaque année plus d'une trentaine de représentations sur une période de cinq semaines en février et mars. Avec une prédominance de musique de chambre, le Festival comprend également de l'opéra, des concerts d'orchestre, des concerts de chœur, de la danse, des marionnettes et du théâtre. Le Festival al-Bustan est membre de l'Association européenne des festivals (EFA) et de l'International Society for the Performing Arts (ISPA).