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Traduction : d'un monde à l'autre

Traduire, « c’est dire presque la même chose », selon les mots de l’écrivain italien Umberto Eco. Il existe un monde dans ce presque. Traduire, c’est se confronter à l’autre, au différent, à l’inconnu. C’est souvent le préalable indispensable pour qui veut accéder à une culture universelle, multiple, diverse. Ce n’est donc pas un hasard si la Société des Nations s’est saisie de la question dès les années 1930, en envisageant la création d’un Index Translationum.

Repris par l’UNESCO en 1948, cet Index a permis le premier recensement des ouvrages traduits dans le monde. Lancé deux ans plus tard, le programme des Œuvres représentatives s’employait de son côté à traduire des chefs-d’œuvre de la littérature mondiale. Le soutien apporté aujourd’hui par l’UNESCO à la publication d’un lexique de mots issus des langues autochtones du Mexique intraduisibles en espagnol s’inscrit dans la continuité de ces efforts.

Alors qu’on annonçait leur disparition dès les années 1950, les traducteurs – et plus souvent encore les traductrices – n’ont jamais été aussi nombreux qu’aujourd’hui. Les machines élaborées au lendemain de la guerre n’ont pas eu raison de cette profession de l’ombre. Pas plus que les moteurs de traduction, devenus l’ordinaire de nos conversations mondialisées, même s’ils ont contribué à changer le métier.

C’est que la langue ne se résume pas à un vecteur de communication. Elle est cela, et bien plus encore. Elle est ce que les œuvres, écrites ou orales, font d’elle, contribuant à forger ce que l’on nomme parfois le génie de la langue et que les applications les plus performantes ne peuvent restituer.

Car traduire, c’est questionner les impensés de la langue, affronter ses équivoques, mettre au jour des richesses, des écarts et des niveaux de sens qui se révèlent dans le passage d’une langue à l’autre. C’est aussi, à travers cette confrontation à l’autre, questionner sa propre langue, sa culture, soi-même. Aussi est-il essentiel de préserver la vitalité du multilinguisme afin que chacun puisse dire, penser dans la langue qui est la sienne. C’est tout l’enjeu de la Décennie internationale des langues autochtones (2022-2032) qui attire l’attention sur la situation critique de nombreuses langues, menacées de disparaître.

Dans une époque travaillée par la quête d’identité, la traduction reste un irremplaçable antidote au repli sur soi. Car sans elle, comme l’écrivait l’auteur franco-américain George Steiner, « nous habiterions des provinces entourées de silence ». 

Agnès Bardon

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Les maths ont la cote

Perçues comme abstraites, intimidantes, voire traumatisantes, elles n’ont pas toujours bonne presse auprès des élèves et du grand public qui la réduisent à une discipline purement théorique, déconnectée du réel. Omniprésentes dans notre quotidien, les mathématiques sont tout l’inverse.

Les algorithmes, au cœur de l’intelligence artificielle, ont rendu possibles les moteurs de recherche ou l’imagerie médicale. Les modèles mathématiques jouent un rôle clé dans de très nombreux domaines, qu’il s’agisse d’optimiser des réseaux de transports, de prévoir la trajectoire d’un cyclone ou de maîtriser la propagation d’une épidémie ou l’impact d’une campagne vaccinale.

Les mathématiques racontent aussi une part de l’histoire du monde, qui s’est enrichie au fil des siècles grâce aux tablettes sumériennes, aux calculs astronomiques de l’Égypte ancienne et de la Grèce classique, aux savants de l’Empire maya ou de la Chine, à l’arithmétique indienne ou à l’algèbre arabe.

Plus qu’aucune autre peut-être, cette science abstraite se prête au dialogue des cultures et à la coopération scientifique internationale. L’UNESCO en a reconnu très tôt l’importance en instaurant dès 1962 le Centre pour les mathématiques d’Amérique latine à Buenos Aires, en Argentine. L’Organisation, qui vient de proclamer le 14 mars Journée internationale des mathématiques, porte aujourd’hui une réflexion sur les enjeux liés à l’intelligence artificielle et développe des programmes d’accès aux sciences fondamentales, dont les mathématiques sont un pilier.

Car si les maths sont partout, beaucoup en sont exclus. Les freins vis-à-vis de cette discipline restent en effet nombreux. À commencer par les disparités de genre. Il aura fallu attendre 2014 pour qu’une femme – l’Iranienne Maryam Mirzhakani – soit récompensée par la prestigieuse médaille Fields. Bien que les filles parviennent aujourd’hui à combler leur retard en mathématiques dès la fin du primaire, les garçons restent surreprésentés parmi les meilleurs élèves de l’enseignement primaire et secondaire dans cette matière, tous pays confondus, selon une publication du Rapport mondial de suivi de l’éducation pour tous d’avril 2022. Même lorsqu’elles sont diplômées, les jeunes femmes ne s’autorisent pas toujours à suivre des carrières scientifiques.

Par ailleurs, le métier peine à recruter. Alors que les besoins n’ont jamais été aussi criants, la pénurie de professeurs de mathématiques qualifiés dans le monde est une menace pour l’avenir. Et le champ d’application de cette discipline reste encore limité. Les modèles mathématiques, si utiles à la compréhension du climat, de la biodiversité ou de la recherche médicale, restent largement cantonnés aux domaines de la finance ou de l’économie. Alors que le monde est confronté à des défis sociaux, climatiques ou technologiques, il est crucial que le pouvoir des mathématiques soit davantage exploré et, surtout, plus largement partagé.

Agnès Bardon

Rédactrice en chef

 

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Les maths ont la cote
UNESCO
janvier-mars 2023
UNESCO
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