En Chine, des mondes inexplorés dans les « puits célestes »

par Tang Jianmin

En 2016, dans le district de Leye, ville de Baise, région autonome zhuang du Guangxi en Chine, mon équipe et moi-même sommes descendus au fond du tiankeng de Dashiwei, à 600 mètres de profondeur. Le terme tiankeng, ou puits céleste, désigne les vastes dépressions d’effondrement aux parois abruptes, ou dolines, qui se sont formées pendant des millions d’années dans des strates de roches carbonatées.

Ce tiankeng, qui fait partie du groupe de Dashiwei, est le plus vaste et il n’est connu du grand public que depuis 1998. Cette curiosité géologique compte 29 dolines réparties sur une superficie de 20 kilomètres carrés. La scène était stupéfiante : une forêt souterraine intacte, sans aucune trace d’activités humaines, avec des arbres anciens de 40 mètres de haut et un ensemble de plantes sauvages menacées et protégées identiques à celles qui existaient à l’époque des dinosaures.

Notre équipe travaille à l’établissement et à la préservation de banques de semences scientifiques dans les zones de tiankengs. La région autonome zhuang du Guangxi abrite environ 30 % des tiankengs du monde. Les formations karstiques du Guangxi figurent d’ailleurs sur la Liste du patrimoine mondial depuis 2007. Nous avons collecté près de 1 000 espèces végétales et mis en place une pépinière de végétaux vivants et in vitro issus de tiankengs à l’Institut de botanique du Guangxi de l’Académie chinoise des sciences.

Le terrain abrupt et les roches acérées rendent très difficile l’exploration des forêts souterraines. Il est fréquent d’y trouver des serpents venimeux et des moustiques vecteurs de maladies graves. Mais chaque découverte de nouvelle doline ou de plantes de grande valeur est à la hauteur de nos efforts.

Les tiankengs apparaissent lorsque la voûte d’une cavité souterraine s’élargit au point de s’effondrer. Les précipitations s’infiltrent à travers les fissures de la roche mère, les transformant en galeries et cavités. Le karst à tiankeng est un environnement relativement fermé avec un taux d’humidité élevé, une température basse et une forte concentration d’ions négatifs d’oxygène. Sa base est reliée à la nappe phréatique, ce qui favorise le maintien d’une oasis verte et luxuriante tout au long de l’année. Il s’y forme des écosystèmes primitifs dotés de ressources animales, végétales et microbiennes uniques.

En 2001, le professeur chinois Zhu Xuewen a publié la définition du tiankeng dans la Science & Technology Review, inscrivant ainsi le terme au panthéon des sciences. Au total, 300 tiankengs ont été répertoriés, dont les deux tiers sont situés en Chine. Il en existe également en Papouasie-Nouvelle-Guinée, en Malaisie et à Madagascar, en Slovénie, en Croatie, en Italie et en Espagne, entre autres.

Au cours de nos recherches, nous avons découvert de nombreuses plantes rares, endémiques et menacées d’extinction. Grâce à notre étude de 2022 couvrant l’ensemble de la région du Guangxi, nous avons dénombré 72 espèces végétales sauvages protégées par l’État, ce qui indique que les tiankengs servent de refuge aux plantes menacées et aux écosystèmes forestiers primitifs, et constituent donc une banque naturelle de la biodiversité.

En septembre 2021, le Dr Zhang Ting, de l’Institut de botanique de Kunming, Académie chinoise des sciences, a découvert deux espèces en danger critique d’extinction lors de ses recherches sur le terrain dans la province du Yunnan – Petrocosmea grandiflora et Elaeagnus bambusetorum –, dont on pensait qu’elles étaient éteintes depuis longtemps. Il est fort probable que des espèces inconnues soient découvertes dans ces environnements.

Les tiankengs sont également devenus de hauts lieux touristiques, parfois au détriment de l’environnement écologique. Il arrive que les activités humaines y mettent en péril la biodiversité végétale et provoquent la dégradation des sources souterraines et de la forêt. Par exemple, en 2018, l’aménagement d’un site panoramique a porté atteinte à la biodiversité du tiankeng de Baidong, situé à proximité, et a notamment entraîné la coupe et la destruction de végétaux menacés d’extinction.

L’environnement écologique unique du karst à tiankeng sera irrémédiablement perdu si le développement de ces projets touristiques est uniquement fondé sur des intérêts économiques. Il est donc très important d’inclure la protection des ressources végétales dans l’évaluation environnementale des projets d’ampleur qui touchent les tiankengs.

Il y a cinq ans, j’ai mené une étude sur le tiankeng de Liuxing, situé dans le comté de Leye, dans le Guangxi. Sa profondeur est de 300 mètres. Nous avons commencé notre descente à l’aube et sommes arrivés au fond du cratère à midi. Après une courte pause, nous avons poursuivi notre périple, équipés de pinces à serpents pour sécuriser notre itinéraire. À 16 h 30, l’obscurité avait déjà gagné le fond du tiankeng. Nous avons dû regagner la surface à la lueur de nos téléphones portables, chacun d’entre nous transportant 15 à 20 kg d’échantillons de sol et de végétaux.

Au cours de ces recherches parfois périlleuses, nous avons trouvé des plantes menacées comme Toona ciliata et Cypripedium henryi, ainsi que des substances médicinales rares comme Dysosma versipellis et Paris polyphylla.

Grâce à la collecte de ressources génétiques, nous réalisons des travaux de biologie de conservation des plantes menacées des tiankengs. Nous nous sommes intéressés à Manglietia aromatica, une espèce rare quasiment inexistante dans d’autres milieux. En mettant en évidence les modèles de reproduction de la plante et les principes de variation de son aire de répartition, notre étude fournit une base scientifique en vue de la mise en place d’une protection efficace.

Les ressources ambiantes, minérales, biologiques et hydriques du karst à tiankeng sont indispensables à la stabilité de ses écosystèmes. Les nappes phréatiques qui s’y trouvent sont de plus en plus exploitées. Les ressources végétales des dolines contribuent à l’économie locale et constituent une source importante de revenus pour les habitants des régions montagneuses karstiques.

Par conséquent, la protection des tiankengs ne doit pas se limiter à leurs ressources végétales, mais porter sur l’ensemble de leurs écosystèmes. En outre, il est important d’atténuer les effets négatifs des activités humaines tout en considérant les besoins de la population locale. Dans certains cas, les autorités ont proposé une relocalisation volontaire des personnes dans des lieux offrant de meilleures conditions de vie.

D’une manière plus générale, les décideurs politiques devraient renforcer les efforts de communication et d’éducation afin de sensibiliser le public en matière d’utilisation des ressources végétales rares et menacées d’extinction. Les chercheurs devraient mener des travaux scientifiques de conservation ex situ et renforcer la recherche sur les plantes menacées dans les zones de tiankengs et sur les règles d’évolution de leurs écosystèmes végétaux. Des recherches systématiques, à grande échelle et multidisciplinaires, permettront de révéler le mécanisme de formation des dolines et de mieux comprendre leurs systèmes uniques.