In the Shadow of Violence

Histoire

Dans l’ombre de la violence : les besoins pressants des journalistes soudanais

Selon une étude récemment publiée par MiCT et soutenue par l’UNESCO, quatre-vingt-dix des 200 journalistes soudanais interrogés déclarent avoir subi des menaces et des violences psychologiques et 53 % des menaces physiques. Près de 80 % de ces journalistes souhaitent s’installer ailleurs et seuls 23 % d’entre eux perçoivent encore un salaire régulier.

Six mois après l’escalade du conflit entre les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces d’appui rapide (RSF), des milliers de personnes ont été tuées et des millions de Soudanais ont été contraints de fuir vers les pays voisins tels que le Tchad, l’Égypte et le Soudan du Sud, notamment des dizaines de journalistes.

La plupart des médias soudanais ont cessé d’émettre en raison des combats en cours, des coupures d’électricité fréquentes et des dommages causés aux infrastructures de communication. Dans le même temps, les journalistes jouent un rôle essentiel en veillant à ce que la population soudanaise ait accès à des informations humanitaires vitales et que le monde soit informé de la situation à l’intérieur du pays.

Pour mieux comprendre la situation des journalistes soudanais et concevoir des mécanismes de soutien à plus long terme, l’UNESCO a aidé l’ONG Media in Cooperation and Transition (MiCT) à réaliser une évaluation des besoins, qui fournit des informations complètes et exploitables pour soutenir les médias dans le pays. Deux cent treize journalistes, sur une communauté journalistique estimée à 1000-1100 professionnels des médias avant le début de la guerre, ont répondu à l’enquête. 60 % d’entre eux sont des hommes, 38 % des femmes.

Les résultats de notre enquête dépeignent un secteur confronté à une crise existentielle. Nous espérons que cette étude mettra en lumière le courage et les besoins des journalistes soudanais. MiCT et l’UNESCO travaillent ensemble pour fournir une aide d’urgence aux professionnels des médias touchés par la guerre, mais une coopération internationale est nécessaire pour leur permettre de continuer à exercer leur métier dans les meilleures conditions de sécurité possibles.

Tawfik JelassiSous-directeur général de l’UNESCO pour la Communication et l’Information

Quatre-vingt-dix des personnes interrogées ont déclaré avoir subi des menaces psychologiques. Plus de la moitié ont subi des menaces physiques (53 %) et numériques (51 %). La nature des menaces varie selon le sexe : si les expériences de menaces psychologiques sont similaires, les hommes font état de taux plus élevés de menaces physiques (57 %) et en ligne (60 %) que les femmes, dont 45 % ont subi des menaces physiques et 43 % des violences en ligne.

Parmi les participants menacés, 80 % ont fait état de mécanismes d’adaptation tels que le déménagement, l’évitement, la recherche d’un abri, la négociation avec les personnes à l’origine des menaces et la mise en sécurité de leurs outils de communication. Quatre-vingts pour cent (80 %) des personnes interrogées souhaitent déménager, ce chiffre atteignant 90 % chez les personnes menacées physiquement.

S’exposer en tant que journaliste est périlleux.

Journaliste soudanais interrogé

La guerre a également entraîné la fermeture de nombreux médias, ce qui a provoqué des pressions financières pour les journalistes et leurs familles. Quarante-trois pour cent des personnes interrogées occupent désormais des postes non rémunérés et, parmi les 23 % qui perçoivent encore un revenu régulier, beaucoup gagnent moins de 100 dollars par mois. Plus d’un quart d’entre eux ont complètement cessé de travailler.

La liberté de la presse et la censure suscitent également de vives inquiétudes. 81 % des 205 personnes interrogées ont été confrontées à une forme ou une autre de restriction de la liberté d’information depuis le début de la crise actuelle survenue au mois d’avril. Vingt-six pour cent (26 %) pratiquent l’autocensure et 20 % déclarent avoir subi une censure directe, tandis que 30 % ont été contraints de modifier, d’effacer ou de publier un contenu spécifique.

Nous avons des difficultés à nous procurer de la nourriture, sans parler du travail.

Journaliste soudanais interrogé

Ces résultats font apparaître des besoins clairs de soutien supplémentaire, 94 % des personnes interrogées ayant précisé leurs besoins d’assistance immédiate. L’aide financière est le premier besoin (33 %), suivie par des conditions de vie et de travail sûres (28 %), et ce, quel que soit le sexe. Plus de 70 % des personnes interrogées ont effectué une demande de services psychosociaux, avec une différence marquée entre les femmes (77 %) et les hommes (63 %). Un besoin prédominant parmi les participants à l’enquête est la nécessité de disposer d’équipements pour poursuivre leur travail (85 %), et plus de la moitié d’entre eux ont indiqué un besoin de renforcement des capacités en matière de journalisme d’investigation, de lutte contre la désinformation et de reportages tenant compte des traumatismes.

Si ce rapport met en lumière les défis immédiats auxquels sont confrontés les journalistes soudanais, il est essentiel de souligner l’importance d’une presse libre et protégée alors que presque tous les médias du pays ont été contraints de fermer et que la désinformation est omniprésente. Chez MiCT, nous restons déterminés à soutenir un paysage médiatique capable de durer et de persévérer. En collaboration avec nos partenaires, Fellowship for Critical Voices a déjà fourni un abri, une réinstallation, des soins de santé (mentale), une assistance juridique et un soutien financier à plus de 60 journalistes soudanais.

Klaas GlenewinkelDirecteur général de MiCT

Soixante-dix-huit pour cent (78 %) des personnes interrogées envisagent de se réinstaller dans des zones plus sûres, la grande majorité (86 %) déclarant qu’elles préféreraient s’installer à l’étranger. Parmi les personnes souhaitant s’installer à l’étranger, 53 % penchent pour les pays arabophones, tandis que 46 % préfèrent s’installer dans des pays non arabophones.

Des recommandations claires découlent de ces données, notamment en ce qui concerne les points suivants :

  • Sécurité physique : donner la priorité à la formation à la sécurité et à l’équipement de sécurité pour les journalistes.
  • Bien-être psychologique : proposer des services psychosociaux ciblés (en personne et en ligne), en se concentrant spécifiquement sur les femmes journalistes.
  • Sécurité numérique : fournir une formation sur les bonnes pratiques en matière de cybersécurité et équiper les journalistes d’outils logiciels avancés pour les protéger contre les menaces et les atteintes à la sécurité numérique.
  • Assistance financière : fournir des fonds d’aide immédiate à ceux qui en ont le plus besoin, en veillant à ce qu’ils soient alloués de manière équitable sur la base de critères transparents et en fonction de la gravité des difficultés économiques.
  • Espaces sécurisés : créer des environnements sûrs pour que les journalistes puissent vivre et travailler, notamment dans les pays voisins, en veillant à leur sécurité et à leur bien-être.
  • Aide à la réinstallation : fournir aux journalistes une aide à la réinstallation, de la documentation et une formation linguistique.
  • Formation : organiser des ateliers (actuellement impossibles au Soudan en raison de la guerre ; des cours en ligne bas débit sont recommandés) pour transmettre des compétences en matière de sécurité et de journalisme, et lutter contre la désinformation.
  • Équipement : fournir des outils technologiques essentiels (tels que des ordinateurs, des appareils photo et des enregistreurs) pour permettre aux journalistes de poursuivre leurs reportages et créer des plateformes où ils peuvent collaborer, partager des ressources et se soutenir mutuellement.
  • Protection & assistance juridique : offrir un soutien structurel aux institutions d’aide aux journalistes afin de faciliter le suivi des cas d’impunité et de renforcer l’infrastructure de protection.

Le rapport complet est disponible en cliquant sur ce lien en anglais, avec les principales conclusions en arabe.

L’évaluation a été réalisée avec le soutien du Programme international pour le développement de la communication de l’UNESCO et du Mécanisme de réponse aux crises du Fonds mondial pour la défense des médias.