Idée

Liu Jianya et Guo Liang : « Il est possible de réduire l’empreinte carbone des métavers »

Les métavers reposent sur des modèles d’intelligence artificielle et des services en nuage très énergivores. Les travaux des chercheurs Liu Jianya et Guo Liang montrent comment les mathématiques peuvent être utilisées pour réduire leur impact environnemental.
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Propos recueillis par Chen Xiaorong

UNESCO

Quelle est la relation entre le métavers et les mathématiques ?

Cela fait presque un an que Facebook a annoncé qu’il changeait de marque pour devenir Meta et qu’il allait concentrer ses efforts sur le futur « métavers ». Depuis lors, la signification de ce terme n’est pas plus claire.

Mathématiquement, nous définissons le métavers comme une fonction représentée par deux ensembles d’objets dont la relation est matérialisée par des flèches. Un premier ensemble représente des objets de la vie réelle, par exemple le château de Versailles. Le second ensemble renvoie à des modèles informatiques d’objets du monde réel – un château de Versailles numérique par exemple – qui peuvent être visualisés et manipulés sur un écran.

En bref, les métavers peuvent être considérés comme l’opération mathématique qui associe chaque élément du monde réel à un ou plusieurs éléments d’un monde numérique ou virtuel.

Les métavers peuvent donc créer un double de notre réalité ?

Peut-être, mais dans quel but et à quel prix ? De manière générale, deux technologies sont à la base de tout métavers : les technologies d’acquisition de données et les technologies de réalité virtuelle. L’acquisition de données est la technique de captation (par appareil photographique numérique ou scanner laser) de la forme et de l’aspect des choses naturelles pour en donner une vision générée par ordinateur. La réalité virtuelle (ou jumeau numérique) consiste à générer des objets numériques pour reproduire les mondes physiques. Ces deux techniques sont gourmandes en temps de calcul informatique. Toutes deux s’appuient fortement sur des modèles d’intelligence artificielle et des services en nuage grands consommateurs d’énergie.

Selon une étude récente menée par des chercheurs de l’université du Massachusetts, l’entraînement d’un seul modèle d’intelligence artificielle pourrait générer environ 284 tonnes de dioxyde de carbone, soit plus de cinq fois la quantité de gaz à effet de serre émise par une voiture au cours de sa durée de vie. L’informatique en nuage, qui est nécessaire pour la réalité virtuelle, les jeux en ligne et le traitement d’images à haute résolution, pourrait également faire augmenter considérablement les émissions de carbone.

L’entraînement d’un seul modèle d’intelligence artificielle génère environ 284 tonnes de dioxyde de carbone

Par conséquent, les promoteurs de métavers devraient avoir une responsabilité environnementale. Une modélisation 3D du château de Versailles est utile, car un site de visite virtuelle permet aux personnes du monde entier de se plonger dans des fresques interactives et de découvrir peintures, sculptures et gravures d’une manière nouvelle. À l’inverse, il est inutile de gaspiller de l’énergie pour le jumeau numérique d’un hôtel de ville sans intérêt architectural, car il n’est pas nécessaire qu’un citoyen utilise un dispositif de réalité virtuelle pour se « promener » dans la maquette numérique d’un bâtiment en béton ordinaire afin d’accéder aux services publics.

Quelles sont les répercussions environnementales des métavers ?

Les métavers constituent l’un des sujets technologiques et socio-économiques les plus en vue. De nombreuses entreprises travaillent déjà à la création de services destinés à ce nouveau monde numérique. Cependant, les applications des technologies liées au métavers comme l’intelligence artificielle, la réalité virtuelle, l’animation 3D, la chaîne de blocs (blockchain) et bien d’autres, sont toujours centrées sur l’humain : les décisions prises privilégient l’activité humaine au détriment de l’environnement.

Or, l’intelligence artificielle et les dispositifs qui la soutiennent entraînent une augmentation des coûts environnementaux. L’entraînement des modèles d’apprentissage profond qui utilisent des réseaux neuronaux artificiels pour traiter de grands ensembles de données est de plus en plus gourmand en énergie et en ressources de calcul. Les préoccupations financières et environnementales sont donc de plus en plus grandes.

La complexité croissante des métavers s’accompagne d’une inflation de données. C’est là que le bât blesse : les centres de données consomment une quantité d’énergie considérable. On ignore la quantité d’énergie nécessaire au stockage des données générées pour et par les métavers, mais ce chiffre est probablement exorbitant. Le bâtiment et les systèmes de refroidissement d’un centre de données produisent en outre beaucoup de CO2.

En bref, les métavers sont gourmands en énergie et plus ils sont sollicités, ainsi que les technologies qui y sont liées, plus nous consommons d’énergie. Il est de la responsabilité de l’industrie technologique et des chercheurs de tirer les leçons de leur impact environnemental. Toute décision technologique doit prendre en compte la question environnementale.

Comment les mathématiques peuvent-elles contribuer à réduire leur empreinte environnementale ?

Les mathématiques peuvent contribuer de diverses manières à la réduction de la consommation d’énergie des métavers. Par exemple, la méthode des chercheurs de l’université technologique de Nanyang, à Singapour, repose sur le balayage (scanning) sélectif pour créer des environnements virtuels. Au lieu de transmettre la totalité de l’image captée, l’appareil sélectionne d’abord automatiquement les objets d’intérêt et transmet exclusivement ces objets aux fournisseurs de services des métavers. Pour transmettre des données relatives à une scène de transport public, les piétons et les véhicules seront par exemple scannés au moyen d’un calcul innovant, tandis que les autres objets de la scène nécessiteront moins de calculs et d’énergie.

Notre équipe de l’université de Shandong a travaillé sur une méthode d’échantillonnage dérivée de la théorie analytique des nombres afin de réduire la consommation d’énergie des technologies métavers. Nous nous concentrons sur le balayage laser, qui est le moyen le plus efficace de créer des représentations numériques et des modèles numériques 3D pour les métavers.

Des méthodes de calcul innovantes permettent de réduire la consommation d’énergie des technologies métavers

Un scanner laser émet un faisceau de lumière infrarouge sur un miroir rotatif qui pointe sa lumière sur le milieu ambiant. Les objets situés sur la trajectoire du laser réfléchissent le faisceau vers le scanner, fournissant ainsi des données géométriques interprétées en données 3D. Dans le même temps, la tête du scanner tourne et déplace le laser sur la surface de l’objet, créant ainsi une multitude de points. L’enregistrement, l’affichage et le traitement de ces grands nuages de points demandent beaucoup de temps de calcul.

Pour générer le métavers de l’obélisque de la place de la Concorde à Paris, le scanner laser devrait normalement produire un million de points de mesure pour obtenir les paramètres précis de l’obélisque et créer son jumeau numérique. Grâce à notre méthode, le scanner peut obtenir un jumeau numérique avec 40 % de points de mesure en moins. Cette méthode nous permet de réduire considérablement l’énergie et le temps nécessaires à la création d’un métavers. La réduction du temps de calcul informatique se traduit ainsi par une réduction des émissions de carbone.

Guo Liang

Professeur de sciences des données à l’université de Shandong, en Chine, il a obtenu son doctorat à l’université de Cambridge au Royaume-Uni. Avant de rejoindre l’université de Shandong, il était directeur adjoint de la chaire BNP-KPMG pour l’Innovation à l’école de commerce NEOMA, en France.

Liu Jianya

Corédacteur en chef de la publication Mathematical Culture, il est professeur émérite de mathématiques à l’université de Shandong, en Chine. Il a été nommé titulaire de la chaire de Recherche du ministère de l'Éducation de Chine en 2003 et a reçu le prix national des Sciences de Chine en 2014.

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janvier-mars 2023
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